Paris vaut mieux qu'un Meccano...



Tribune d'Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris, parue dans le journal Le Figaro daté du 28 septembre 2004


 
Philippe Goujon - s'engouffrant ainsi dans la brèche ouverte par Françoise de Panafieu quelques semaines auparavant - s'emploie à dresser le tableau dramatisant d'un Paris à bout de souffle, vidé à la fois de son énergie et de son potentiel. L'analyse ne surprend pas : vieille antienne de la droite après tout, que de crier au déclin dès lors que le suffrage universel a refusé de lui renouveler sa confiance. La seule audace de ce propos réside en fait dans l'amnésie assumée qui semble le sous-tendre : car si déclin il y avait, de qui relèverait-il ? De ceux qui ont géré la ville pendant un quart de siècle ou de ceux qui l'animent depuis trois ans ? Mais, dans un souci de clarté, reprenons les grands axes de la « pensée » de M. Goujon.

Paris se vide de sa population et perd des emplois ? Selon l'Insee et même si l'hémorragie est aujourd'hui stoppée, Paris a effectivement perdu près de 120 000 habitants... entre 1975 et 1999. Quant aux emplois, rappelons que ce mouvement s'est malheureusement traduit par la disparition de 160 000 postes entre 1990 et 1999. Bien qu'exigeante, la situation s'améliore cependant dans la capitale. Ainsi, 34 000 emplois y ont été créés ou sauvegardés en 2003 contre moins de 20 000 en 2001. De plus, le chômage est en baisse de 9 % depuis septembre 2003 alors que les créations d'entreprise ont augmenté, elles, de 2% par rapport à 2002.

Paris moins attractif, affaibli par la concurrence des autres régions françaises ? Sur ce point, on peut se référer à un rapport récent du Sénat - peu suspect de dérive gauchiste - sur l'aménagement du territoire. Qu'y lisons-nous ? Que « l'agglomération de la capitale concentre de plus en plus de fonctions décisionnelles et commerciales des entreprises. De même, 52,5 % des activités de recherche privées sont concentrées sur ce territoire. »

On le voit : le « désert parisien » décrit par M. Goujon s'assimile davantage à un argumentaire de campagne qu'à un constat sérieux. Le reste est d'ailleurs à l'avenant, désignant bien entendu l'actuelle municipalité parisienne comme responsable de presque tous les maux identifiés par l'auteur. Presque, en effet, tant son analyse se transforme parfois en un réquisitoire aussi implacable qu'inattendu contre... le gouvernement : conspué le « transfert systématique d'emplois publics vers la province », exigées « des emprises publiques libérées par l'Etat », sollicités des transports publics confortables, plus fréquents, ainsi qu'un « maillage du réseau plus dense », autant de domaines dont M. Goujon sait bien qu'ils engagent directement la responsabilité de l'Etat. Mais peut-être l'entregent de l'auteur lui permettra-t-il de faire avancer les choses ?

Moins cocasses, en revanche, les « propositions » de l'élu UMP (parisien mais aussi francilien...) pour l'avenir de notre ville. D'abord, quel mépris dans l'évocation des autres communes de la région qui, selon ses termes, « recourent de plus en plus aux prestations de la ville-centre de Paris sans en supporter la charge » et dont les habitants « gonflent le trafic interne à la capitale ». Mépris toujours, lorsque sont qualifiés de « vassaux » les maires de collectivités avoisinantes qui ont noué avec l'actuelle municipalité parisienne des accords de partenariat - inédits - présentés ici comme de vulgaires « chartes octroyées ». Vassal, M. Fourcade, maire de Boulogne, lorsqu'il signe un contrat local de sécurité avec Paris afin de combattre l'insécurité aux abords du Parc des Princes ? Vassal, M. Santini, quand Paris cofinance le tramway T2 d'Issy-les-Moulineaux, parce que ce moyen de transport moderne et non polluant bénéficie à l'ensemble de notre agglomération ? Nul doute que ces élus - pour ne citer qu'eux - apprécieront à sa juste valeur la prose d'un de leurs « amis », qui prend pourtant la peine de préciser que « Paris n'est pas grand quand il est arrogant »...

Oui, sur les vingt-neuf communes qui entourent notre cité, la plupart sont aujourd'hui, sous une forme ou sous une autre, engagées dans des partenariats avec elle, car dès l'origine, Bertrand Delanoë a souhaité qu'ensemble, nous tentions d'appréhender à une nouvelle échelle les questions communes à cet espace urbain. L'objectif est bien de rendre plus performante l'action publique, de dépasser les chevauchements et certaines limites administratives qui freinent les capacités de coordination entre collectivités. Autrement dit, initier une démarche à laquelle les amis de M. Goujon se sont inlassablement opposés durant vingt-quatre ans de mandats successifs. C'est à ce prix que se retissent des liens de confiance ainsi que le goût d'une coopération efficace, préalables indispensables à l'émergence éventuelle, le moment venu, d'une structure commune qui ne pourrait, en tout état de cause, être « décrétée » par Paris, mais résulter d'une volonté partagée. Dans ces conditions, on veut bien croire que M. Goujon découvre soudainement les vertus de l'intercommunalité ou celles de la démocratie locale.

Mais qui a décentralisé Paris ? L'actuel maire de Paris dont l'action se traduit, depuis 2001, par le transfert de 1 900 équipements de proximité vers l'échelon local ? Ou l'ancienne majorité, à ce point hermétique à toute notion de déconcentration, que plusieurs maires d'arrondissement de gauche n'avaient eu d'autres ressources que de faire valoir leur droit devant le tribunal administratif ? Ainsi, sait-on que dans le XVe (dont je suis moi aussi élue), 154 équipements publics sont désormais gérés directement par l'arrondissement, là où il n'y en avait que 74 en 2000 ? Concrètement, les moyens budgétaires correspondants sont passés de 1,3 million d'euros à 6,8 aujourd'hui.

La «prise de conscience» soudaine de M. Goujon traduit donc surtout un dessein partisan : contourner, via de douteux montages institutionnels, le verdict - insupportable à ses yeux - du suffrage universel. Il s'agit donc à la fois de « dissoudre » et de démanteler Paris, l'ensemble s'intégrant à une stratégie politicienne qui ne dit pas son nom. Ce que résume sa « suggestion » visant à « inventer un nouveau statut de Paris-ville-capitale, déconnectée de la loi PML ». Traduction : au prix d'un Meccano élaboré - bien sûr - au nom de la « modernité », c'est l'unité de la capitale qui serait remise en question, et par là même la capacité du Conseil de Paris à mener à bien des projets d'intérêt général.

Venant d'un représentant dont la famille politique n'a cessé, au fil des années, de dénoncer « l'exception parisienne », cette suggestion édifiante ne peut donc que surprendre... Quitte à se référer à Victor-Hugo, M. Goujon aurait dû veiller à « disperser des idées » plus en phase avec les vraies priorités de nos concitoyens. En d'autres termes, à ne pas « se disperser » lui-même...

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