Pouvoirs locaux :
place aux femmes

Anne Hidalgo

Tribune signée par Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris, parue dans le quotidien Le Monde daté du 8 mars 2005


 
Avec 12,5 % de femmes à l'Assemblée nationale, cinq ans après l'adoption de la loi " tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ", la parité n'est pas accomplie dans notre pays. C'est inacceptable.

La tâche est loin d'être achevée pour celles et ceux, féministes, femmes et hommes de progrès, qui considèrent que l'égalité des droits en politique ne relève pas du combat corporatiste de celles qui " voudraient le pouvoir ", mais bien d'un combat vital pour la démocratie.

C'est d'abord une question de justice, mais c'est aussi une question de gouvernance. En France, partout où la parité est réalisée parce que la loi était suffisamment contraignante pour les partis politiques, par exemple dans les assemblées municipales et régionales, des politiques sexuées sont conduites, en matière de lutte contre les violences, d'accès à l'emploi ou la formation professionnelle. Mais au niveau mondial, la situation est inacceptable au regard de principes fondamentaux d'égalité. Elle est aussi à hauts risques du fait de la poussée d'intégrismes religieux de toutes sortes. Reste que la question des femmes est plus que jamais emblématique du devenir de nos démocraties. Pourtant, les résistances sont violentes pour refuser de considérer les femmes comme les égales des hommes. Au cœur du débat, leur liberté sexuelle, la maîtrise de la procréation, leur autonomie et leur indépendance économique.

En ce moment, des milliers de femmes représentant les gouvernements nationaux, locaux et les ONG luttant pour l'égalité à travers la planète sont présentes au siège des Nations unies pour faire le bilan du programme d'action adopté il y a dix ans à Pékin. Défini par l'ONU, le programme fixe des objectifs précis et quantifiables d'amélioration de la condition des femmes dans le monde. Le bilan fait à New York est donc particulièrement important parce que les progrès et les inerties vont être examinés pays par pays, sur la base de rapports nationaux. Nous pourrons donc savoir ce qu'il en est, non pas au regard de moyennes planétaires, mais point par point sur la carte du monde. Dans toutes nos sociétés, les femmes contribuent comme les hommes à l'économie, à la culture, à l'équilibre social, et même souvent plus qu'eux - toutes les statistiques internationales le prouvent. Elles supportent l'injustice, les maladies - comme le sida -, la pauvreté, le mépris, les violences. Rien ne devrait s'opposer à ce qu'elles apportent autant que les hommes à l'amélioration du monde. Cela implique que les femmes, partout dans le monde, puissent participer à la vie politique, parce que c'est juste et nécessaire.

Leur participation, leur parole et leurs actes sont indispensables à l'amélioration de la condition humaine à travers le monde, indispensables à l'évolution des régimes démocratiques. Mais cette participation ne doit pas se limiter aux domaines que l'on attribue trop facilement aux femmes pour des raisons que certains considèrent sans doute comme quasi génétiques : l'éducation, la famille. Elle ne doit pas non plus être éphémère, juste le temps pour les gouvernants d'afficher une bonne volonté politiquement correcte, elle doit être durable.

Les femmes doivent avoir accès au pouvoir dans tous les domaines, sans spécialité présupposée. Mais voilà, cette juste représentation n'existe pas au niveau national dans la plupart des pays, y compris le nôtre. Les rapports présentés à New York le montreront hélas clairement.

Au niveau des pouvoirs locaux, la situation appelle à plus d'optimisme. Optimisme, parce que, dans plus de 113 pays membres des Nations unies, c'est grâce à la participation des femmes à la politique locale que sont atteints les objectifs fixés par les gouvernements nationaux concernant les femmes et la vie publique. Optimisme parce que, globalement, le nombre de femmes élues locales augmente (même s'il stagne au niveau national). Optimiste parce que de nombreux gouvernements nationaux soulignent eux-mêmes le rôle des élues locales dans la promotion de la participation des femmes. Et, de plus en plus, des villes de pays du Nord comme du Sud prennent l'initiative d'instaurer des quotas de représentation des femmes.

C'est là, souvent, une première étape pour convaincre, par la démonstration de l'action et de l'engagement, ceux et celles qui n'ont pas l'habitude ou qui, au contraire, ont des habitudes trop bien ancrées.

La juste représentation des femmes dans les gouvernements locaux a pour conséquence directe la mise en œuvre de programmes progressistes là où beaucoup de gouvernements nationaux affichent de la passivité, voire de la complicité, face à des questions qu'ils s'évertuent à ne pas considérer comme " politiques ".

L'éducation des petites filles, le développement d'actions sur la santé des femmes, le recul des pratiques de mutilations sexuelles, le développement du contrôle des naissances par la contraception et l'avortement, les sanctions contre les auteurs de violences sexistes, la prévention de la traite des femmes : autant de combats qui trouvent aujourd'hui si peu d'échos, sauf là où les femmes commencent à être élues en nombre, c'est-à-dire dans les gouvernements locaux.

Les collectivités locales assurent donc la promotion politique des femmes plus que quiconque. Très bien. Mais alors, pourquoi le rôle des collectivités locales n'est-il pas mieux reconnu par les instances onusiennes ? Cette reconnaissance est nécessaire parce que, sans elle, les gouvernements locaux ne peuvent pas suffisamment intervenir à propos de l'égalité des genres.

Sans cette reconnaissance, les gouvernements locaux ne peuvent pas faire profiter le monde de leur expérience et de leurs connaissances des réalités vécues, alors que la plupart des problèmes de la planète se répercutent durement au niveau local et que c'est à ce niveau que des solutions doivent être trouvées, et le sont souvent.

Car enfin, ce sont bien les gouvernements locaux qui travaillent quotidiennement, notamment avec les associations de femmes sur le terrain, à résoudre des problèmes de santé publique, d'éducation, de sécurité urbaine, d'insertion sociale. Ce sont biens les gouvernements locaux qui, concrètement, œuvrent pour atteindre les " Objectifs du millénaire pour le développement ", quand les Etats n'arrivent pas à tenir ce qu'ils ont promis, comme le souligne le rapport que l'économiste Jeffrey Sachs a présenté au secrétaire général de l'ONU le 17 janvier. Les gouvernements locaux, eux, agissent, qu'il leur en soit tenu compte.

Nous refusons d'entendre des déclarations, main sur le cœur, en faveur de l'égalité des genres. Les belles paroles ne suffisent plus ! Ce que nous voulons, ce sont des engagements fermes. Les villes, quant à elles, assumeront plus que leur part, comme elles l'on fait, déjà, tout au long des dix premières années du processus de Pékin.
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