Le PS peut-il encore transformer la société ?

Anne Hidalgo
par Anne Hidalgo, secrétaire nationale du PS et 1ère adjointe au maire de Paris.

Ce texte est cosigné par Christophe Clergeau, Pascal Joseph, membres du conseil national du PS, Béatrice Amosse, 1ère secrétaire fédérale du Loir-et-Cher, Brigitte Chanéac, 1ère secrétaire fédérale de l'Ardèche, Loïs Lamoine, 1er secrétaire fédéral du Loiret, Frédéric Léveillé, 1er secrétaire fédéral de l'Orne, Hugues Manouvrier, 1er secrétaire fédéral de la Savoie, Laurent Rabaté, 1er secrétaire fédéral de l'Eure-et-Loir.
Point de vue paru dans les pages " Rebonds " du quotidien Libération daté du 11 octobre 2002


 
Les défaites de la gauche en Italie, au Portugal, au Danemark, aux Pays-Bas et en France ont fait pronostiquer un peu rapidement la mort de la social-démocratie. Un cycle devant succéder à un autre, après l'Europe rose, les commentateurs anticipaient une vague conservatrice irrésistible balayant l'Europe. Les électeurs suédois et allemands viennent de démentir ces prophéties en reconduisant des majorités gouvernementales conduites par les socialistes. Six mois après le 21 avril, ces victoires imposent aux socialistes français une réflexion critique.

Comme en France, la gauche s'appuyait dans ces deux pays sur un bilan solide. En Suède, les sociaux-démocrates ont développé des réponses originales au chômage et investi massivement dans la formation tout au long de la vie. En Allemagne, le gouvernement a mené une réforme des retraites avec le soutien des syndicats, et conduit une modernisation profonde de la société allemande : accès à la nationalité sur la base du droit du sol, reconnaissance des couples homosexuels, etc.

Qu'est-ce qui distingue les socialistes français de leurs camarades allemands ou suédois ? Les 8,5 % obtenus par les Grünen ne doivent pas masquer un autre score remarquable, celui du SPD qui a recueilli 38,5 % des suffrages. S'il est une leçon à retenir pour les socialistes de ce côté du Rhin, c'est d'abord la force d'un grand parti populaire social-démocrate qui assure une stabilité et une cohérence à toute alliance. La victoire de Göran Persson en Suède invite à la même conclusion, lui dont le parti a été au pouvoir pendant soixante et une des soixante-dix dernières années et qui n'est jamais passé sous la barre des 36 %.

Le PS français s'illustre au contraire comme le champion toutes catégories des montagnes russes électorales. Depuis 1988, il n'a plus atteint 30 % des voix mais s'est effondré à 14 % en 1994 et à 16,5 % le 21 avril dernier, avant de remonter à 26 % lors du scrutin législatif de juin. Cette évolution erratique a alimenté au sein de la gauche l'idée qu'il pourrait y avoir une alternative à son leadership. Ce n'est pas la prétendue hégémonie du PS, c'est paradoxalement sa faiblesse qui nourrit l'instabilité à gauche.

Le principal objectif est donc de réunir les conditions pour que le PS atteigne durablement 30 % des voix et redevienne le cœur de la gauche permettant son rassemblement et sa victoire. C'est de ce grand parti dont la gauche française a besoin pour recréer les conditions de l'alternance.

Pour parvenir à cet objectif, le PS doit répondre à trois questions : la politique peut-elle encore quelque chose ? La gauche peut-elle anticiper les mutations pour ne pas les subir ? Les politiques peuvent-ils encore prétendre représenter la société ?

La crise de l'impuissance de l'action publique frappe durement la gauche. Les politiques menées dans le seul cadre national et à partir du seul appareil d'Etat ont perdu une large part de leur crédibilité. Le sentiment se répand que le changement n'est plus possible, et le « peuple de gauche » se détourne de ceux qui traditionnellement l'incarnent.

Les socialistes doivent donc prendre à bras-le-corps l'invention d'une politique à la fois locale, nationale, européenne et internationale. Notre pratique locale ne doit pas sombrer dans une gestion dépolitisée où la notoriété et la proximité tiennent lieu de tout viatique. Surtout, l'espace européen ne doit plus être abandonné au seul règne des experts. L'enjeu de la Convention en cours est de donner naissance à un véritable espace politique dans lequel les socialistes européens devront pleinement s'investir pour défendre leur conception de l'Europe comme puissance publique. Les Français ne sont plus dupes non plus de la capacité de l'Etat à tout régler seul. Une stratégie de transformation sociale se construit aussi avec les citoyens, les associations et les syndicats. C'est dans le dialogue, la négociation, le contrat que peuvent émerger des réponses concrètes et opérationnelles que l'action de l'Etat rend possible. Les services publics, l'impôt progressif et la loi prennent alors un nouveau sens au service de cette action publique refondée.

La deuxième question qui est posée aux socialistes est de savoir s'ils sont capables de faire face, et surtout d'anticiper les bouleversements de la société. Au lieu d'organiser le débat public autour des questions d'avenir, la politique a cédé à la dictature de l'urgence. Les questions ne sont souvent débattues qu'à des moments où les décisions sont déjà précontraintes. Pour être crédible, la politique aussi doit être « durable ».

Au-delà, la gauche est trop souvent limitée aux sujets fondamentaux qui font sa force et sa tradition (éducation, redistribution, lutte contre les inégalités), mais demeure superficielle sur les sujets émergents (société en réseau, précarisation des conditions, développement durable, mondialisation, bioéthique...) ou les sujets sociétaux qu'elle juge secondaires (prostitution, nouvelles familles... ).

Enfin, dernier obstacle à la construction d'un grand parti : la crise de la représentation qui est aussi une crise d'identification. Les Français jugent les politiques sur la force de conviction et la capacité d'écoute, sur la cohérence entre idées et pratiques, mais aussi sur le renouvellement, la mixité et la diversification du recrutement des responsables et des élus. Pour espérer redevenir le pôle de stabilité et de rassemblement de la gauche, le PS doit donc réaliser une révolution culturelle et programmatique qui ne pourra se faire sans toucher à ses équilibres et à ses modes de fonctionnement. Le PS souffre d'une crise de représentation interne.

Depuis dix ans, les jeux au sommet ont perdu tout lien avec les dynamiques qui traversent le PS réel. Le congrès de Dijon doit servir à permettre à ces nouvelles réalités du PS de s'exprimer, à enterrer les courants d'hier et à mettre entre parenthèses les ambitions présidentielles. François Hollande s'est engagé dans cette voie. Il faut désormais aller plus loin. Nous attendons de lui qu'il donne naissance à une nouvelle majorité pour que le PS se dote d'un nouveau projet et ressemble enfin à celui des générations nouvelles, de la parité, de l'action collective et de l'innovation dans les pratiques.

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