Tout reste possible

François Hollande

Ce qui est en cause le 16 juin, c'est l'avenir de la France, la place du pluralisme et la rénovation de notre vie politique

Point de vue de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur (semaine du jeudi 13 juin 2002 - n°1962)


 
Lors du premier tour des élections législatives, l'abstention a de nouveau battu un triste record. Ce phénomène obéit, chacun le sait, à des causes multiples : l'éloignement des catégories populaires de la politique, la volatilité de la participation civique des jeunes, la banalisation des enjeux, l'indifférenciation des projets, les simplifications médiatiques… Bref, ces facteurs sont à l'œuvre depuis deux décennies, et les traces de la désaffection sont de plus en plus profondes.

Mais pour le scrutin du 9 juin, la droite porte une lourde responsabilité dans le désintérêt de nos concitoyens. En refusant le débat contradictoire, en limitant la campagne à la seule question de la cohabitation, en cachant ses intentions réelles, en occultant son projet, elle a pratiqué l'anesthésie générale dans l'attente de la chirurgie postélectorale!

Quant à la gauche, qui pouvait espérer une prolongation du sursaut républicain du 5 mai, elle n'a pu que limiter, pour l'essentiel, en faveur du Parti socialiste, les effets de la dispersion. En revanche, elle a dû constater son impuissance à faire vivre l'esprit du 5 mai, puisque entre le second tour de la présidentielle et le 9 juin, ce sont près de 15 % des électeurs qui s'étaient mobilisés contre la menace de l'extrême-droite qui n'ont pas voté cette fois-ci. Elle doit en priorité s'adresser à eux d'ici à dimanche prochain. C'est en effet le « parti » le plus nombreux et le renfort le plus sérieux, à condition de trouver le levier pour l'actionner utilement. La peur ne peut en être le seul ressort. C'est sur une conception de la politique qu'il faut convaincre ceux pour qui voter est devenu superflu, sauf circonstances exceptionnelles. Or le 16 juin n'est pas une élection mineure ou une consultation subalterne ou déjà jouée. Du résultat qui sera constaté, de l'ampleur de la majorité qui sera dégagée, dépendront une logique institutionnelle, une manière de faire de la politique et une suite de décisions sans doute irréversibles.

Il faut d'abord conjurer les risques pour le fonctionnement de notre démocratie. Alors que l'UMP, ce phénix né des cendres du RPR, ne totalise que 34 % des suffrages, les projections en sièges donnent au parti de Jacques Chirac et d'Alain Juppé une majorité à l'Assemblée nationale de près de 70 %. Ce décalage, dû pour l'essentiel à un mode de scrutin qui amplifie exagérément les écarts de voix, porte en lui-même un danger. Celui d'une surreprésentation des uns et d'une minoration des autres. Les premiers pensent – de manière illusoire – refléter le pays et les seconds sont réduits à l'impuissance. Dans cette mécanique électorale, tout se joue à la marge et en fonction de la mobilisation différentielle des abstentionnistes. Il y a désormais 100 circonscriptions qui se joueront dimanche prochain entre 2000 et 3000 voix. La question est donc simple : est-il véritablement sain, en démocratie, qu'un parti « unique » dispose, à lui seul, de tout le pouvoir ?

L'Etat UMP n'est qu'une variante actualisée de l'Etat RPR. C'est-à-dire, un système où tout est décidé dans un cercle étroit, sans débat, sans contradiction, où le Parlement est dessaisi de ses droits essentiels, où le principe hiérarchique joue à plein et où les citoyens n'ont pas de prise. Ce n'est pas seulement une question d'équilibre entre forces politiques – ce qui serait déjà grave – mais d'équilibre dans la démocratie. L'UDF de François Bayrou, malgré ses protestations, n'y suffira pas. Une telle situation n'est pas sans risque au plan social. La dernière fois que la droite a connu une situation comparable, une «chambre bleue» sans contre-pouvoir ni garde-fou, les salariés ont vite retrouvé le chemin des manifestations.

Qu'il s'agisse des retraites, des principes de la protection sociale, de l'avenir des 35 heures ou du pouvoir d'achat, les sujets ne manquent pas. Et l'actualité récente nous y prépare. Ainsi, les médecins verront en moyenne leurs revenus augmenter de l'équivalent d'un smic net mensuel, mais Francis Mer estime qu'un coup de pouce pour les smicards n'est pas envisageable, car une telle augmentation ne serait pas bonne pour les entreprises et donc pour les salariés. De la même manière, à l'heure où est annoncée une baisse de l'impôt sur le revenu, qui profitera à quelques-uns, la hausse des cotisations sociales et de la CSG est d'ores et déjà programmée, malgré les démentis et les dénégations.

Toutes ces décisions ont un petit air de déjà vu. Alain Juppé n'est pas loin. Mais les problèmes qui nous attendent, le traitement de la violence, l'intégration républicaine, la consolidation des retraites, la place des services publics, l'élargissement de l'Europe, la réforme de la PAC exigent de la mesure, du doigté, un sens élevé de l'intérêt général, et non pas l'addition des corporatismes, la flatterie des clientèles et les promesses impossibles à tenir. La droite s'est déjà enfermée dans un tissu de contradictions qui la contraindra, une nouvelle fois, soit à se renier soit à passer en force. En toute hypothèse, les réveils peuvent être douloureux. A moins d'interrompre le sommeil dès dimanche.

Face à ce défi démocratique et civique, le Parti socialiste a une responsabilité toute particulière. Il reste la formation principale de la gauche, le cadre où, quoi qu'il se produise, tout doit régulièrement se reconstruire. Il recueille des critiques sévères, n'échappe pas aux reproches, mais c'est vers lui que beaucoup se tournent pour retrouver la force d'une opposition crédible, l'espoir d'une alternance. Il a parfois déçu, n'a jamais sombré et ne le fera pas, parce qu'il est la synthèse de la société française, à la condition de veiller rapidement à mieux la représenter. Il faut donc lui permettre de tenir sa place, son rang, son rôle pour remplir cette fonction essentielle dans une démocratie qui est de contribuer à l'équilibre et au contrôle du pouvoir.

Ce qui est en cause le 16 juin, c'est à la fois l'avenir de la France – à travers la politique qui sera conduite en son nom –, la place du pluralisme et la rénovation de notre vie politique, qui n'a jamais été aussi urgente.
Les leçons du 21 avril demeurent. Rien au-delà des logiques mécaniques et des confirmations électorales n'a vraiment changé. Les mêmes phénomènes sont toujours au travail (abstention, extrémisme, scepticisme, résignation). Il faut donc mettre la même énergie, la même dynamique, la même générosité, le même enthousiasme que ce qui a été constaté les 1er et 5 mai derniers. Le 16 juin vaut lui aussi un sursaut civique. Il s'agit d'écarter non plus l'extrême-droite mais la domination d'une droite qui se veut modeste alors que – plus que jamais – elle attend son heure pour agir à sa guise, à sa main et à son rythme pendant cinq ans. Tout est encore possible. La réponse est dans le vote.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Le Nouvel Observateur


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