Campagne pour le OUI
L'Europe sociale passe par la Constitution européenne

François Hollande
Discours de François Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste, en meeting à Marseille (31 mars 2005)
 
Chers Amis, Chers Camarades,

La campagne pour le « oui » socialiste au Traité constitutionnel s’ouvre ici, à Marseille.

Comme dans toute élection, comme dans tout scrutin avant qu’il n’ait vraiment eu lieu, tout est ouvert, tout est possible, rien n’est joué d’avance, tout dépend de nous, tout dépend de vous. Le résultat d’abord ; celui qui fera le 29 mai

que la France ratifie ou pas la Constitution européenne. Ce résultat ne se construira pas simplement à coup de déclarations, d’émissions de télévision, de rassemblements, mais simplement parce que les électeurs eux-mêmes en auront décidé - et notamment les électeurs socialistes et de gauche. Parce que ce sont les socialistes qui vont faire le choix, s’ils en sont eux-mêmes convaincus (et c’est le sens de la campagne que nous lançons) ; ce sont les électeurs socialistes, comme ils l’ont fait comme militants dans leur propre parti (s’ils y sont adhérents), qui vont décider de la Constitution européenne. C’est dire la responsabilité qui est la nôtre. De nos arguments, de notre force de conviction, du respect des faits, de la vérité qui doit guider nos pas dans cette campagne… C’est de tout cela que va dépendre le succès le 29 mai.

Les Français veulent être respectés dans cette campagne. Ils veulent connaître le texte qui leur est soumis ; ils veulent comprendre le sens de leur vote, le 29 mai. Ils veulent savoir les conséquences qu’aurait leur décision. C’est le sens de notre rassemblement d’aujourd’hui : faire vivre la démocratie, donner à la France tous les atouts pour prendre la bonne décision et faire du « oui » socialiste à la Constitution un élément pour préparer le changement en 2007. Depuis 2002, je n’ai qu’une obstination, qu’une volonté : après avoir connu l’humiliation de 2002, je veux que 2007 soit une grande victoire, une grande victoire pour la gauche, une grande victoire de la France et aussi une grande victoire pour l’Europe, car elle nous attend.

Elle nous attend aujourd’hui et elle attend la gauche en 2007.

Je viens à Marseille d’abord comme un socialiste européen, membre d’une grande organisation politique à l’échelle de l’Europe, dont toutes les composantes, tous les partis qui constituent le mouvement socialiste européen présidé par Poul Rasmussen, ont voulu la Constitution européenne. Qu’ils soient au pouvoir - très peu le sont, qu’ils soient dans l’opposition -beaucoup attendent ; ils ont tous fait le même choix, au-delà des considérations locales, nationales ou partisanes. Ils ont fait le choix de la Constitution européenne.

Et pourquoi ? Parce que, depuis des années, les socialistes européens veulent une Constitution pour l’Europe ; parce que, depuis des années, les socialistes européens militent pour une Charte des droits fondamentaux en Europe ; parce que, depuis des années, les socialistes européens veulent une Europe forte face aux Etats-Unis d’Amérique, une Europe forte pour peser sur la mondialisation.

Ces socialistes européens ont pris toute leur part dans l’élaboration du texte qui est, aujourd’hui, soumis aux citoyens français. Une grande part des dispositions a été écrite par des socialistes français et européens, et notamment sur les droits fondamentaux, sur les objectifs de l’Union et même sur les politiques. Ce texte, bien sûr, n’est pas une Constitution qui instaurerait le socialisme ; d’ailleurs, Léon Blum avait déjà eu cette conviction : s’il avait fallu attendre pour faire l’Europe que tous les gouvernements fussent socialistes, il n’y aurait jamais d’Europe. Il faut donc bien que l’on s’y mette avec d’autres, avec d’autres gouvernements, avec d’autres pays, avec d’autres forces qui partagent la même ambition.

Je suis, comme socialiste européen, fier du travail accompli, parce que cette Constitution est un peu la nôtre et que la rejeter serait une faute contre l’esprit, contre l’Histoire, contre l’identité même de ce que nous sommes.

Je suis ici comme socialiste français, héritier d’une longue histoire, celle du mouvement socialiste qui va fêter son centenaire au mois d’avril prochain, une histoire qui se confond avec la construction européenne. Cette construction européenne, Jaurès l’avait rêvée, avant de tomber sous les balles de ceux qui voulaient l’empêcher de prévenir la première guerre mondiale. Léon Blum en avait eu l’intuition au lendemain de la seconde guerre mondiale, parce qu’il savait bien que pour préserver la paix, il fallait changer les règles du droit national et faire enfin l’Europe. Et François Mitterrand, enfin, en a eu la volonté. Le rêve, l’intuition et la volonté, et aujourd’hui, nous, socialistes français, nous serions timides ! Nous serions craintifs par rapport à cette Europe que nous avons bâtie car, chaque fois que la gauche est venue au pouvoir, en France, et notamment depuis 1981, elle a fait avancer l’Europe : ce fut d’abord le marché, hérité du Traité de Rome, parce que c’était la base sans laquelle il ne pouvait y avoir de construit, de solide ; la monnaie unique, parce que c’était pour Mitterrand la conviction que s’il n’y avait pas un instrument monétaire commun à tous les européens, il ne pouvait pas y avoir la phase politique qu’il attendait avec nous ; et puis l’unification de l’Europe : c’est l’effondrement du Mur de Berlin qui nous mettait devant nos responsabilités ; allions-nous accueillir ou pas tous ces pays, tous ces peuples qui regardaient vers nous en espérant que la liberté pouvait être, enfin, partagée, parce que l’Europe n’appartient pas simplement à ceux qui étaient là au départ ; elle appartient à ceux qui veulent vivre dans le même continent, avec les mêmes règles, les mêmes droits, les mêmes aspirations.

Au moment où il faut franchir une nouvelle étape, celle de la Constitution européenne, interrogeons-nous. Aurions-nous fait fausse route depuis près d’un Siècle à vouloir cette Europe ? Aurions-nous fait fausse route depuis 1981 d’avoir fait le marché, la monnaie unique et, maintenant, la Constitution européenne ?

Si l’on regarde la paix, la démocratie, la liberté, l’unification du continent depuis 50 ans… Quel succès en définitive pour l’Europe ! Quelle victoire par rapport à ce que fut le XXè Siècle de déchirements et de conflits !

Certes, l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui ne peut nous satisfaire. Trop marchande dans ses fondations, trop monétaire dans ses représentations - c’est Jacques Delors qui avait trouvé cette formule : peut-on tomber amoureux d’un taux de croissance ou d’une monnaie unique ?

On ne peut tomber amoureux que d’une grande idée à défaut d’une belle personne. Cette Europe est sans doute trop anonyme dans ses décisions, trop imparfaite dans ses règles, trop lointaine. Voilà pourquoi il faut changer cette Europe d’aujourd’hui avec ses forces - nous sommes la première puissance économique - et ses faiblesses - il n’y a pas de projet politique en Europe. C’est la Constitution qui, justement, nous le permet.

Je suis ici comme socialiste français mandaté par un vote militant pour défendre une position que la majorité des socialistes ont voulue en faveur de la Constitution européenne. Que certains, oublieux de leurs engagements d’hier, s’affranchissent de la démocratie interne ne changera rien à l’affaire. Les socialistes se sont prononcés pour le « oui » ; ils feront campagne, les plus nombreux possibles, les plus mobilisés possible pour le « oui », au nom du vote, au nom de notre engagement européen, au nom de notre Histoire et au nom de la conception que nous avons de l’avenir de l’Europe.

C’est vrai, une autre option eut été possible : nous aurions pu - et cela aurait été commode, en tout cas pour le Premier secrétaire du Parti - par facilité, par calcul, par tactique, puisque nous sommes dans l’opposition, de montrer que nous le sommes vraiment en nous opposant, là encore, à un texte au prétexte qu’il venait du Président de la République - que nous avions d’ailleurs nous-mêmes sollicité pour qu’il puisse nous pose la question. Il eut été effectivement facile d’utiliser la colère légitime à l’égard de la politique de la droite - et il y a matière quand on fait le compte, et notamment depuis quelques mois ; la facture est lourde : mesquinerie sur les 35 heures, pingrerie sur les salaires, embrouillamini sur le jour de solidarité, incurie sur l’emploi, impéritie sur l’hôpital et les urgences, rouerie sur la cohésion sociale, boulimie sur les cadeaux fiscaux aux plus riches… Bref, nous avons devant nous un gouvernement à l’agonie et il eut été facile, en effet, d’en appeler à la sanction.

Mais, quel est l’honneur de la politique ? Quel est le sens du combat que nous menons ? Quelle est la hauteur de vue qui doit être la nôtre dans ces circonstances ? Devions-nous sacrifier notre idéal européen pour simplement avoir la satisfaction momentanée de donner une nouvelle claque à ce gouvernement déjà tombé si bas ?

Je lance un appel à tous ceux qui souffrent de la politique de Jean-Pierre Raffarin et de Jacques Chirac - et ils sont nombreux ; je lance un appel à ces salariés du secteur privé qui viennent de perdre leur droit aux 35 heures, à ces fonctionnaires qui n’ont pas été écoutés dans leur revendication salariale, à ces lycéens à qui on a imposé une loi aussi inutile que dangereuse, à ces enseignants qui cherchent des postes et de la valorisation pour leur fonction, à ces chercheurs qui veulent, enfin, mener leur travail au service de tous, à ces chômeurs qui attendent depuis tant de mois l’emploi qui leur a été promis : Vous voulez sanctionner, vous voulez exprimer votre colère, vous voulez dire votre mécontentement et vous avez raison. Mais, ne prenez pas l’Europe comme victime expiatoire du seul coupable qui est le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. L’Europe mérite mieux ; l’Europe n’y est pour rien ; l’Europe est notre avenir.

Je veux dire à tous ces citoyens qui n’en peuvent plus de prendre patience, de garder leurs forces, de relever la tête car le moment est proche. C’est en 2007 que ce fera la grande alternance. Je leur demande de ne pas faire un choix qui serait contraire à leurs propres intérêts, à leur propre avenir car ils ont besoin de l’Europe.

Ils n’ont sans nul doute plus besoin du gouvernement Raffarin, mais que le « oui » ou que le « non » l’emporte le 29 mai, les jours de Jean-Pierre Raffarin au gouvernement sont comptés. Là n’est pas le sujet, là n’est plus la question. Mais que ceux qui imaginent qu’en répondant « non » ils toucheraient Jacques Chirac, c’est bien mal le connaître. Il restera jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Et s’il peut même rester au-delà du bout, il le fera.

Là encore, ne nous trompons pas d’enjeu et d’échéance. L’Europe mérite mieux qu’un simple mouvement d’humeur. Pour nous, les socialistes, nous avons ce devoir impérieux de faire entendre la voix non pas de la raison, non pas simplement de la responsabilité, mais de la confiance dans l’avenir. L’Europe et la Constitution européenne sont une chance pour le changement. Oui, la sanction viendra et elle sera implacable et touchera toute la droite, sans oublier Nicolas Sarkozy car, ce serait tout de même un comble qu’il puisse échapper à la sanction en ayant été durant trois ministre de ce gouvernement. Il la mérite tout autant et il n’y a pas de différence entre les uns et les autres. Ils portent la même politique et le même libéralisme.

Oui, il faudra sanctionner en 2007, il faudra changer ; mais, aujourd’hui, c’est l’Europe qu’il faut porter ; c’est l’Europe qu’il faut défendre ; c’est l’Europe qu’il faut promouvoir ; c’est la Constitution européenne qu’il faut installer. D’autant que, finalement, si le « non » l’emportait, la droite européenne et même française ne pleurerait pas la disparition de la Constitution européenne. Le libéralisme n’a que faire de la Constitution européenne. Le libéralisme se suffit d’avoir un marché ; il est satisfait de l’Europe telle qu’elle est. Il n’attend rien de la politique, parce que c’est la politique, c’est la démocratie qui vaincra le libéralisme. Voilà l’enjeu ! Voilà pourquoi les socialistes doivent être particulièrement impliqués dans cette campagne.

Si les socialistes veulent revenir dans de bonnes conditions aux responsabilités du pays, ils ont besoin d’une Europe cohérente, d’une Europe politique, d’une Europe sociale, d’une Europe des libertés, d’une Europe des peuples. C’est celle que prévoit la Constitution européenne. Et ce serait un terrible paradoxe, comme une vengeance de l’Histoire, si une partie de la gauche –celle qui se trompe souvent, croyant toucher le gouvernement, mettait à bas l’Europe. Ce serait un affaiblissement pour la gauche dans son ensemble si elle devait revenir aux responsabilités car, nous avons besoin d’une Europe forte, solidaire si nous voulons changer ici les conditions de vie de nos concitoyens.

Je suis venu pour appeler à voter « oui » au Traité constitutionnel parce que c’est un progrès, parce que c’est une avancée, une protection. Je ne le fais pas par sens du réalisme, mais par volontarisme. Il ne s’agit pas d’un choix dicté par l’habitude (nous dirions « oui » parce que nous avons toujours dit « oui » depuis la construction européenne) ; d’autres ont pu - par le passé - se laisser aller à ce rite surtout lorsqu’ils étaient au gouvernement ; pas moi, pas nous.

Si nous disons « oui » aujourd’hui, c’est parce ce qu’il n’y a que des avancées, pas le moindre recul et nul n’est capable de m’en citer un. Pas le plus petit risque de perdre notre modèle social, pas la plus virtuelle menace de régression. Et si j’avais vu le moindre recul, le plus petit risque, la moindre menace, aujourd’hui, comme Premier secrétaire, je n’appellerais pas à voter « oui ».

Voilà pourquoi il faut faire une campagne de vérité ; voilà pourquoi c’est la vérité qui emmènera le plus grand nombre de nos concitoyens à voter « oui », et notamment à gauche. Parce qu’il faut faire appel, et c’est l’honneur de la politique, à l’intelligence, à la lucidité des citoyens qui n’ont jamais imaginé qu’un texte fondateur, comme celui d’une Constitution, pouvait être rejeté parce que trop long ou trop compliqué. J’entends cet argument. Je demande d’ailleurs à ceux qui l’emploient de lire attentivement la Constitution française ; ils verront si elle n’est pas longue et compliquée. Est-ce qu’en 1789, quand les représentants du peuple ont fait la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, il s’en ait trouvé un pour dire que le texte était trop long ou trop compliqué ? Quand il s’agit d’établir des principes, de poser des droits, d’ouvrir des libertés, les textes ne sont jamais assez longs et peuvent, parfois, être compliqués parce que la liberté est toujours arrachée. La vérité, c’est de dire ce qu’il y a dans la Constitution européenne. Elle comprend quatre partie –la 4è portant sur la révision :
     1ère partie : elle fixe les objectifs et les institutions de l’Europe. Les objectifs, ce sont les nôtres. L’Union européenne doit préserver la paix, le développement durable, l’environnement, l’écologie ; elle doit prévoir une économie sociale de marché (c’est mieux que le marché) ; elle doit avoir comme objectif le plein emploi (c’est mieux que le chômage), poser l’égalité homme/femme (il y a encore du travail, et notamment pour l’égalité des salaires) ; elle doit fixer la lutte contre les discriminations et les inégalités ; elle doit être un espace de liberté, de sécurité.

    On avance que tous ces objectifs sont louables, généreux, mais il y a un ou deux mots : le marché intérieur où la concurrence doit être libre et non faussée. Mais, ce texte existe depuis 1957, et on le découvrirait aujourd’hui ! Il faudrait que l’on ait peur de la libre concurrence ou de la concurrence non faussée ! Mais qu’est-ce que le dumping fiscal, le dumping social sinon la concurrence faussée. La concurrence non faussée c’est la lutte contre toutes les disparités, contre toutes les inégalités, toutes les discriminations, tous les dumpings. Les objectifs de la Constitution européenne nous rassemblent tous. En ce qui concerne les institutions, il y aura enfin un Président du Conseil de l’Europe élu pour deux ans et demi et qui pourra même avoir un mandat de 5 ans s’il est élu par ses pairs.

    Enfin, l’Europe aura un visage et pas simplement une Commission européenne. La Commission européenne elle-même procèdera du suffrage universel, puisqu’elle dépendra du Parlement européen. Le Parlement européen pourra non seulement voter la loi européenne - ce qui n’existe pas aujourd’hui, mais aussi être en co-décision sur le budget européen. Il y aura même la reconnaissance d’un droit de pétition pour les citoyens européens qui voudront faire des propositions, prendre des initiatives législatives. Si, en France, nous avions une Constitution aussi démocratique que celle que l’on nous propose pour l’Europe, je la prendrais. Le Parlement aurait plus de pouvoir, les citoyens plus de participation aux décisions et le Président de la République et le Premier ministre plus de responsabilités devant le peuple. Il nous faudrait dire que nous n’en voulons pas ? Sous quel prétexte ?

     2ème partie : elle reconnaît les droits fondamentaux. Ce que les socialistes ont demandé depuis toujours. Et ce ne sont pas n’importe quels droits : d’abord les droits sociaux qui sont inscrits dans le texte, la protection contre les licenciements, l’information et la consultation des travailleurs, des conventions collectives à l’échelle de l’Europe, le droit à la protection sociale, l’égalité homme/femme et autant de points d’appui pour les luttes sociales ; autant de combats possibles pour le syndicalisme européen enfin reconnu dans un Traité européen. C’est la raison pour laquelle la quasi-totalité des syndicats européens - pas de tous les syndicats français, j’en conviens - qui représentent la classe ouvrière européenne approuve le Traité constitutionnel.

    Cette Charte des droits fondamentaux est pour nous, socialistes européens, qui voulons l’Europe sociale un point de passage. Mais, il n’y a pas que cela ; il y a les droits individuels, c’est-à-dire la dignité humaine, le droit à disposer de son corps –des femmes se sont battues depuis des années pour en disposer ; la lutte contre les discriminations, la diversité culturelle, linguistique, le droit d’asile et l’abolition de la peine de mort, enfin, pour tout le continent européen. Quand on y réfléchit bien, à travers cette Charte des Droits fondamentaux, connaît-on des espaces dans le monde où il y a autant de droits reconnus, autant de garanties pour le citoyen.

    Où y a-t-il le plus de libertés ? En Europe, si nous en décidons. Je suis fier, si la Constitution est adoptée, d’appartenir à ce continent-là. Nous sommes capables de montrer aux Américains qui se prétendent la plus grande démocratie du monde que leurs droits, leurs véritables libertés ne sont pas à la hauteur face à ce que l’Europe propose. Et nous pouvons être une référence pour le monde, pour l’Amérique latine, pour l’Asie, pour l’Afrique qui nous regardent et qui espèrent un jour pouvoir aussi accéder à cette solidarité, à ces droits, à ces libertés, à ces protections. Pourquoi faudrait-il rejeter ces garanties nouvelles ?

    On nous dit que c’est la partie III qui pose problème. Quelle est-elle ? Ce sont tous les traités existants depuis 1957, depuis le Traité de Rome. On nous dit qu’il faudrait revoir ces traités-là. Curieux argument puisque ce sont précisément tous les traités que nous avons nous-mêmes fait voter. L’argument trouve aussi sa limite : il y a deux grandes politiques qui sont enfin intégrées et nous le demandions aussi ; d’abord sur le plan social : un sommet pour l’emploi se tiendra chaque année entre les partenaires sociaux, une exigence sociale sera posée pour toutes les politiques européennes, la reconnaissance des services publics sera enfin obtenue et le rôle des partenaires sociaux et des syndicats également établi. Voilà une amélioration par rapport aux traités existants, même si elle ne comble pas toutes les lacunes.

    Ensuite, sur le plan politique : il y aura un véritable ministre des Affaires étrangères qui fera exister une politique étrangère commune de l’Europe - nous la réclamions aussi, nous les Français ; une clause de défense mutuelle entre européen, une coopération dans les crises pour que l’Europe existe enfin et qu’elle n’ait pas à se soumettre à d’autres pour décider de sa politique. Et, là encore, les Européens sont attendus au Proche-Orient, en Irak, au Liban et en Afrique ; on veut une Europe qui puisse exister, parler, peser sur les choix du monde.

    Nous refuserions donc ces progrès-là, sous prétexte qu’il n’y en aurait pas assez ! Prenons une petite histoire, si le « non » l’emporte : l’Europe est dans un bateau, la Constitution tombe à l’eau, que reste-t-il ? Les traités existants et la partie III… Beau calcul, beau paradoxe, belle ironie de l’Histoire ! On conteste la Constitution parce qu’il y a la partie III, on repousse la partie 1 et 2 contenant les institutions et les droits fondamentaux et qu’est-ce qui reste ? Précisément ce que l’on a dénoncé. Je refuse cette argumentation, je refuse ce choix où, finalement, en rejetant la Constitution nous aurions l’Europe actuelle.

Je suis venu ici en socialiste européen pour vous dire, au nom de tous les socialistes européens, au nom de Poul Rasmussen, que la Constitution européenne est une condition nécessaire pour le progrès de l’Europe, mais pas une condition suffisante. Nous n’en avons pas terminé avec le combat européen. Ce serait trop commode, trop simple de penser que, enfin la Constitution arrivée, notre lutte s’achève. Ce serait ne rien comprendre aux luttes humaines, aux combats sociaux. Une autre étape nous attend, et je prends deux engagements : si les socialistes français, après le vote de la Constitution, reviennent aux responsabilités, si les socialistes européens veulent nous suivre, nous demanderons la convocation d’une convention sociale telle que la réclament les syndicats européens pour bâtir un traité social en plus du traité constitutionnel qui fixera les convergences indispensables, qui donnera les conventions collectives à l’échelle de l’Europe ; une convention qui sera composée de parlementaires nationaux, de parlementaires européens, de représentants du gouvernement, de syndicalistes pour faire cette Europe sociale qui fixera un haut niveau de droits sociaux, assurera les convergences.

Voilà pourquoi, s’il n’y a pas la Constitution européenne, il n’y aura pas l’étape sociale. La Constitution européenne n’est cependant pas en elle-même l’étape sociale indispensable. C’est pourquoi nous avons choisi ce slogan : « L’Europe sociale passe par la Constitution européenne ». Il faudra poursuivre ce combat et c’est pourquoi nous sommes engagés dans le socialisme européen.

Je mènerai campagne sans ménager ma peine jusqu’au bout. Je mène campagne avec les socialistes pour l’Europe car, je sais qu’il n’y a pas d’avenir possible sans l’Europe que nous voulons.

Je mène campagne pour la Constitution, parce que c’est elle qui donnera un cadre à cette Europe-là.

Je mène campagne pour la France, parce que notre pays doit peser sur l’Europe. Et, si la France dit « oui », elle pèsera bien plus que si elle dit « non ».

Je mène campagne pour la gauche car, la ligne que nous portons, la stratégie que nous suivons, la conviction que nous avons tous ensemble nous feront gagner en 2007 et pas la ligne de la protestation, de la contestation, du refus des responsabilités. Les Français voudront avoir devant eux des femmes et des hommes qui s’engageront et donneront le meilleur d’eux-mêmes pour changer leur pays et pour changer l’Europe.

Je respecte ceux qui font un autre choix que le nôtre. Je respecte ceux qui n’ont jamais voulu l’Europe et qui continuent de la refuser encore aujourd’hui. Il y a, dans une certaine mesure, une constance dans l’extrême gauche et chez les communistes. Ils n’ont jamais voté un seul traité, pourquoi voteraient-ils celui-la !

Mais il faudrait aussi aller jusqu’au bout de la logique. Si l’on refuse ce Traité constitutionnel, parce que c’est l’Europe que nous refusons, alors il ne faut pas simplement sortir de la Constitution européenne, il faut sortir de l’Europe. Comment accepter que l’euro continue si l’on pense qu’il ne faut pas qu’il y ait une Banque Centrale Européenne. Il y aura forcément une Banque Centrale Européenne puisqu’il y a l’euro ! Pourquoi faudrait-il accepter encore des pactes de stabilité, des règles de concurrence si l’on pense que le marché n’est pas nécessaire ! Il faut en sortir donc.

Qui peut prétendre –même nos amis communistes ne le peuvent pas- qu’il faut aujourd’hui sortir de l’Europe ?

Je respecte aussi profondément ceux qui ont peur, parce qu’ils souffrent, parce qu’ils craignent pour leur propre emploi, ceux qui voient ce qu’est le capitalisme tous les jours dans leur entreprise et qui sont menacés de délocalisation et de plans sociaux. Je respecte ces peurs-là, parce qu’elles sont légitimes. Mais, est-ce l’Europe qui devrait en être la cause ? N’est-ce pas la mondialisation ? N’est-ce pas le capitalisme ? N’est-ce pas le libéralisme ?

L’Europe, pour nous, est un moyen de peser sur la mondialisation, d’éviter les délocalisations, de faire en sorte qu’il puisse y avoir une cohésion sociale entre nous. J’appelle aussi toutes celles et tous ceux qui veulent que cela change vraiment en Europe et en France à faire le choix du « oui », parce que c’est le Traité constitutionnel qui nous donnera des garanties supplémentaires. Et je conjure ceux qui utilisent parfois le mensonge ou qui manipulent les peurs de bien prendre conscience que la gauche n’a jamais avantage à jouer avec les angoisses et les appréhensions.

La gauche n’est pas là pour manipuler les peurs. Elle est là pour porter l’espoir, pour donner une vision, un changement possible. Elle est là pour porter une volonté et une crédibilité. Chaque fois que l’on s’égare avec les peurs, d’autres les utilisent à notre place et il se passe aujourd’hui ce qui se passait avant l’élection de 2002. Il y en a qui ne disent rien, qui ne parlent plus ; ils n’ont plus besoin de le faire, car les choses travaillent dans leur sens. Ceux qui ne veulent pas l’Europe, ceux qui ne veulent pas l’étranger, ceux qui ne veulent pas l’autre, ceux qui ne veulent pas la liberté, l’égalité, la fraternité n’ont pas besoin de faire campagne. Nous allons faire campagne dans cette bataille-là contre le nationalisme, contre le souverainisme, contre l’extrême droite, contre l’utilisation du populisme. Parce la menace est là : L’utilisation de la peur à des fins non démocratiques. Voilà l’enjeu.

Ou nous saisissons cette Constitution et donnons à cette Europe une cohésion, une force, une dynamique démocratique et de nouveaux chemins s’ouvriront vers l’Europe sociale.

Ou nous laissons passer l’occasion ; nous en restons là. La seule crise qui se produira, si le « non l’emporte », sera celle du statu quo, de la panne politique, du coup d’arrêt, de la fin d’une grande espérance.

Tout le reste continuera. Les gouvernements européens - ceux d’aujourd’hui - à majorité de droite resteront au pouvoir ; la Commission européenne, telle qu’elle est, avec son Président actuel libéral restera ; la Banque Centrale Européenne sera toujours là ; les directives et celles que l’on ne veut pas seront toujours produites ; nous serions dans la logique des traités existants. En définitive, nous refuserions le progrès et favoriserions le statu quo et la paralysie.

On nous parle de renégociation. Belle illusion ! Avec qui ? Jacques Chirac ? Bonne chance ! Et sur quelles bases ? Quel serait le message du « non » ? Quelle interprétation donner au « non » ? Celle de Le Pen, de de Villiers, ou de l’extrême gauche ! Du parti communiste ou de quelques forces militantes ?Et avec qui faudrait-il se coaliser en Europe ? Avec ceux qui appellent aussi à voter « non » dans leur propre pays ? Les conservateurs britanniques, les nationalistes basques, la ligue lombarde en Italie, les populistes en Hollande, les nationalistes autrichiens ? Avec qui faire une coalition du « non » et pour bâtir quel autre traité ?

Il n’y aurait pas d’autres Traité que ceux qui existent aujourd’hui et qui nous paralyseraient à 25. L’Europe en resterait là ; bouc émissaire facile, gouvernements sans courage –et le nôtre est un modèle du genre ; élus sans courage comme celui de Marseille qui laisse penser que s’il est obligé d’ouvrir à la concurrence tel ou tel mode de transport c’est à cause de l’Europe ! L’Europe serait également une cible commode pour des populistes sans projet et ce sera surtout un vaste marché pour les marchands. Ce ne serait pas une crise institutionnelle ; ce serait plus grave encore : ce serait une crise de l’espérance. Les libéraux auraient gagné la partie sans même l’avoir jouée, par forfait de nous-mêmes. Et les Américains n’auraient plus qu’à ramasser les miettes d’une Europe devenue trop sèche et rassise.

Que dire de la France dans ce contexte ? Quelle sera la force des propos du gouvernement (celui d’aujourd’hui comme celui de demain) ? Quelle serait la capacité de son action ? Quelle serait l’autorité d’un Président de la République, au-delà de 2007, dans une Europe ainsi défaite, ainsi dépossédée, aussi déprimée, faute d’une Constitution européenne. On peut dire que le temps finira par faire son oeuvre ! Sans doute. Il y faudra du temps -10, 15 ou 20 ans peut-être ; mais nous n’en avons plus de temps face à une Europe qui peine à exister, d’autres continents s’organisent ; une puissance, une seule, pèse sur le destin du monde ! Il n’y a donc pas de temps à perdre. Il y a 50 ans, une chance a été perdue en Europe de faire une communauté politique avant de faire le grand marché ou l’Europe économique. Il a fallu 50 ans pour que l’on revienne avec une Constitution européenne aujourd’hui. Il ne faudra pas attendre 50 ans de plus ; c’est maintenant qu’il faut agir.

Je veux lancer deux appels simples :

Un appel d’abord aux électeurs de gauche, aux socialistes notamment
. C’est vous qui allez faire la décision ; c’est vous qui devez faire le vote utile pour l’Europe car elle est notre bien commun ; c’est un bien fragile, c’est une construction qui a fait tant de progrès grâce à nous que nous devons poursuivre et parfaire jusqu’au bout, jusqu’à son organisation politique. C’est vous, les socialistes, qui allez faire la décision. C’est vous, les socialistes, qui allez choisir librement cette Constitution européenne et vous pouvez en être fiers car c’est un progrès pour la France, c’est un progrès pour l’Europe et c’est une consécration de nos valeurs. Battez-vous. Rien n’est jamais obtenu sans lutte, sans volonté, sans conquête.

Un appel aux Français, ensuite. Nous sommes, les uns les autres, un grand pays. Nous devons avoir confiance en nous-mêmes. C’est bien là le sujet, tant la droite a fini par faire perdre les repères, les espérances et les idéaux collectifs. Nous sommes un grand pays qui fait ses choix en conscience. Et ne nous plaignons pas de ce référendum. C’est une lourde responsabilité pour chacune et pour chacun ; c’est aussi un honneur de décider de notre avenir. Ne nous plaignons pas d’être appelés à faire un choix qui comptera pour l’Europe et pour notre pays. Notre « oui », le « oui » français doit avoir de la force, de l’ambition, de la résonance, de l’exigence. La France a un message universel à porter en Europe et au-delà. Nous voulons porter un modèle social. Nous voulons le progrès collectif, l’égalité pour tous ; c’est notre espérance collective.

Vouloir cette Constitution, c’est vouloir une Europe forte, c’est vouloir maîtriser collectivement notre destin. C’est bien pourquoi, de toute part on regarde la France. Que chacune et chacun soient conscients maintenant de son rôle de citoyen. Jamais un texte n’aura été aussi long à lire, mais aussi décisif pour l’avenir des prochaines générations.

J’ai confiance dans le peuple français. Je sais qu’il a parfois des doutes, des frustrations mais aussi de grandes espérances et de grandes exigences et qu’il veut savoir à quoi il s’engage. Une Constitution pour la France et pour l’Europe est un choix essentiel. Tous les socialistes seront au rendez-vous de l’avenir.

Notre « oui », le « oui » socialiste sera un « oui » de combat pour l’Europe, pour nos valeurs, pour la démocratie et pour l’espérance que nous devons porter, comme pour l’alternance qui viendra car elle est inéluctable, parce qu’elle est nécessaire, indispensable. Elle aura lieu en 2007 dans une Europe qui se sera donné une Constitution.

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