Ne plus jamais revoir un 21 avril

François Hollande

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste.


Entretien paru dans le quotidien Libération daté du jeudi 21 novembre 2002
Propos recueillis par Renaud Dely et Paul Quinio
 

Vous n'avez pas encore dévoilé vos intentions pour le congrès. Seriez-vous prisonnier du calendrier que vous avez mis en place ?
J'ai voulu ouvrir un vrai débat militant. La moindre des choses, c'est d'en respecter les formes, le contenu et le calendrier. Et tant pis pour les impatients et les bruyants. L'enjeu de notre congrès, ce n'est pas une simple affaire interne, c'est la construction d'une grande force socialiste capable de fidéliser plus du tiers de l'électorat, de rassembler la gauche et d'apporter des réponses aux défis de la période.

Certains, comme Martine Aubry, vous incitent à rompre avec Laurent Fabius ?
Je n'entends pas me situer par rapport aux personnes mais par rapport aux idées. Je veux à la fois clarifier, c'est-à-dire définir, la ligne du PS, celle de la transformation sociale et de l'exigence démocratique, et engager une démarche de rassemblement, ce qui ne veut pas dire de consensus. Je ferai, dès l'ouverture de notre processus de congrès, des propositions de manière libre et ouverte. Je récuse les combinaisons, comme les postures et les artifices. Je n'ai ni à rechercher le concours de tel ou tel, ni à exclure le soutien de tel ou tel autre. C'est en tenant compte de l'intervention des militants et de tous ceux qui auront nourri le débat que je présenterai un texte que je signerai seul.

Du débat militant remontent de fortes aspirations à la rénovation qui font le succès d'Arnaud Montebourg. Cela vous inquiète-t-il ?
C'est un classique au PS d'avoir des camarades qui veulent être plus à gauche, et d'autres plus rénovateurs. Ce qui m'intéresse, ce ne sont pas les pétitions de principe mais le contenu des projets. Je suis ouvert à tout ce qui permet de mieux identifier le PS et de changer ses pratiques.

Comment redonner vie au PS ?
Ne doutez pas de sa vitalité actuelle. Mais il s'agit d'être beaucoup plus en phase avec la société pour que de nouvelles couches sociales ou générationnelles nous rejoignent. Nous devons être beaucoup plus volontaristes pour promouvoir les hommes et les femmes issus de l'immigration, et instaurer un dialogue permanent avec les organisations syndicales et le mouvement associatif. Je propose aussi une conférence militante annuelle pour discuter des orientations essentielles, sans enjeux de pouvoir.Enfin, je souhaite que le PS soit davantage en prise avec tous les acteurs dans le domaine social et humanitaire. Cet effort est nécessaire pour le hisser à un niveau qui ne le mette plus jamais en danger. Je me suis promis de ne plus jamais revoir un 21 avril.

Vos partenaires craignent un PS hégémonique...
Ce qui devrait faire peur à nos partenaires, c'est le 21 avril, c'est-à-dire moins notre pseudo-hégémonie que notre réelle faiblesse électorale. En Allemagne, ce n'est pas le SPD avec ses 38 % qui a empêché les Verts de trouver leur place. C'est pourquoi nous voulons désormais rassembler la gauche sur un contrat, global, et pas simplement sur des mécaniques électorales ou des accords circonstanciels. L'union, c'est d'abord un projet commun.

Pour rassembler la gauche, Emmanuelli et Mélenchon prônent une ligne résolument « antilibérale ». En vous rendant à Florence, leur avez-vous donné raison ?
Tous les socialistes sont, par définition, opposés au libéralisme. La question est de savoir quels sont les instruments de lutte contre lui. Je suis allé à Florence comme à Porto Alegre l'an dernier car le dialogue avec les mouvements de contestation de la mondialisation est indispensable. Mais dialogue ne veut pas dire confusion. Ce mouvement est partagé entre les tenants de la radicalité, qui nient l'utilité même d'une approche gouvernementale, et ceux qui veulent entretenir des relations avec nous pour que leurs revendications ne soient pas simplement défendues mais traduites politiquement. Ce sera le rôle du PS, dans le cadre d'un véritable PS européen, de présenter un programme commun pour les échéances qui viennent.

Est-ce cela le « réformisme de gauche » ?
Oui, c'est agir sur la vie même des citoyens. Nous avons à porter l'effort sur l'éducation, redonner une réalité à la promotion sociale, défendre les services publics ou en développer de nouveaux dans le domaine du logement et de l'insertion, en somme refonder le pacte républicain. Le réformisme de gauche, c'est refuser d'opposer alternative et alternance. Je ne m'inscris pas dans la résistance à perpétuité contre la droite. Le pouvoir n'est pas une trahison ou une compromission mais l'exercice d'une responsabilité au service d'un idéal. Il faut assumer l'un et l'autre.

Qu'en reste-t-il lorsque la droite s'empare de thèmes étiquetés « de gauche » comme l'a fait Jacques Chirac en proposant un contrat d'intégration ?
Dois-je rappeler les lois que nous avons fait voter, contre la droite, sur l'immigration et la nationalité pour vous demander de n'être ni trop sévère à notre endroit, ni trop naïf à l'égard de Jacques Chirac. Nous jugerons la droite sur ses actes. S'il s'agit d'un contrat d'intégration qui précarise, nous nous y opposerons. S'il permet d'accompagner les étrangers qui arrivent régulièrement sur notre territoire, je ne me plaindrai pas que droite et gauche trouvent un consensus. Sur le droit de vote et la double peine, le groupe PS de l'Assemblée a déposé deux propositions de loi. Nous verrons bien l'attitude de l'UMP. Je n'ai, hélas, guère d'illusion.

Sur la sécurité, nombre de socialistes ont applaudi Nicolas Sarkozy...
Nous avions nous-mêmes engagé le renforcement des moyens de la police, de la gendarmerie et de la justice. Mais nous reprochons au gouvernement de ne traiter la question que par la répression. Il faut sanctionner et punir, mais aussi prévenir, c'est-à-dire tout mettre en œuvre, notamment en matière d'éducation, pour empêcher la dérive délinquante. C'est mal servir l'ordre républicain que de voir dans la pauvreté une menace.

Le PS sera-t-il un jour au clair ?
Une très large majorité du PS partage mon point de vue. A ceux qui s'interrogent, je dis : sur l'insécurité, comme sur bien d'autres sujets, ne soyons pas suivistes : soyons nous-mêmes !

Vos adversaires vous reprochent de l'être trop, c'est-à-dire trop consensuel ?
Conflictuel serait donc, à leurs yeux, un compliment ? Le consensus, je l'ai recherché et obtenu le plus souvent pour soutenir loyalement le gouvernement de Lionel Jospin. Aujourd'hui, il faut donner une direction, fixer un cap stratégique et donc faire des choix. Et le congrès ne devra pas s'achever sur une synthèse artificielle, faite de bric et de broc, pour conduire le parti cahin-caha. Je n'en serai pas.

En clair, le vide provoqué par le départ de Lionel Jospin n'est pas comblé ?
Mon rôle est de projeter les socialistes vers l'avenir et non pas de faire de l'introspection sur le passé. Il nous revient d'écrire une nouvelle page du PS. Nous ne sommes pas orphelins de Lionel Jospin. Nous en sommes collectivement les héritiers.

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