Nous avons affaire à un gouvernement aux abois

François Hollande

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste.


Entretien paru dans le quotidien Le Monde daté du 23 septembre 2003
Propos recueillis par Christine Garin et Isabelle Mandraud
 

Le bilan du gouvernement Raffarin vous semble-t-il plus négatif qu'il y a six mois ?
Nous avions averti, il y a plusieurs mois, que les choix faits étaient économiquement infondés et socialement dangereux. Nous en avons la vérification aujourd'hui puisque le chômage va atteindre 10 % de la population active et que la France sera sans doute en récession à la fin de l'année. Il n'y a aucune perspective sérieuse de reprise en dépit des prévisions bimensuelles du premier ministre, qui est décidément fâché avec la météo. Sur le plan social, c'est une logique d'exclusion qui se met en marche. Il ne fait pas bon être fragile, modeste, salarié - et que dire des pauvres - dans la France de MM. Raffarin et Chirac. Ce sont pourtant eux qui vont payer pour les riches, au prétexte qu'ils sont les plus nombreux.

Le mot d'ordre des socialistes à La Rochelle - réhabiliter l'impôt - n'est pas forcément ce qu'il y a de plus populaire auprès des Français...
Aucun Français n'a été convaincu de la réalité de la baisse des impôts. Chacun a vu qu'il s'agissait d'un avantage pour les plus favorisés et d'une augmentation des taxes pour tous les autres. Nous avons eu depuis la rentrée une rafale d'annonces qui vont toutes dans le même sens : hausse de la TIPP, du forfait hospitalier, des droits sur le tabac, baisse du livret A, réduction des allocations pour les chômeurs. Je préfère une politique qui assume de financer des services publics par l'impôt sans l'augmenter par des voies subreptices. Et si des marges de manœuvre budgétaires existent, c'est le prélèvement indirect qu'il faut impérativement baisser.

Etes-vous toujours opposé à la suppression d'un jour férié ?
Ce n'est rien d'autre qu'un impôt sur le travail, un prélèvement de plus. Nous avons affaire à un gouvernement aux abois pour qui l'urgence consiste à trouver des euros pour limiter le nombre de zéros du déficit. La communication du gouvernement est tranquillisante mais sa politique est angoissante.

Sur le pacte de stabilité, quelle attitude auriez-vous adopté ?
Nous n'aurions pas laissé la croissance fléchir à ce point et proposé dès l'été dernier un plan de relance à l'échelle européenne. Nous aurions fait d'autres choix budgétaires en faveur de l'éducation, de la recherche et des infrastructures. Sur la Sécurité sociale, nous aurions évité d'accorder des hausses de rémunération sans contreparties. Quant au pacte de stabilité, il faut le réviser à partir d'une stratégie offensive et non pas en demandant une dérogation qui ne sert qu'à attendre une reprise, hypothétique, de la croissance venue des Etats-Unis. La France est économiquement sans volonté.

Dans le dossier Alstom, vous partagez plutôt le point de vue de la Commission ou celui du gouvernement ?
J'ai soutenu le principe d'une intervention de l'Etat au nom de l'emploi. Encore eût-il fallu ne pas mettre la Commission devant le fait accompli, convaincre les acteurs, justifier la participation de l'Etat au capital, montrer que des efforts avaient été demandés aux banques, et présenter le dossier de manière à éviter une rebuffade. On ne peut pas être libéral dans ses choix quotidiens et brusquement interventionnistes quand le pire est là. On ne peut pas, un jour, mettre en cause l'Europe et, le lendemain, quémander son soutien.

Que pensez-vous du " droit au reclassement " proposé par M. Raffarin dimanche soir sur M6 ?
Le premier ministre est apparu comme désemparé. Il a donné une image éclatée de sa propre action et révélé l'épuisement de sa communication. Pourtant, le droit au reclassement des salariés est un principe essentiel. Il figurait dans la loi de modernisation sociale qui, dois-je le rappeler, a été suspendue par le premier ministre. C'est un comble de l'exhumer aujourd'hui, mais c'est une nécessité que de l'inscrire dans le projet de sécurité sociale professionnelle qui est désormais à nos yeux prioritaire.

Aujourd'hui, que feriez-vous pour lutter contre le chômage ?
Dans un moment de ralentissement conjoncturel, les mesures d'insertion et de traitement social sont indispensables. Avec l'application de l'accord Unedic, près de 200 000 chômeurs, 600 000 à terme, vont être renvoyés vers l'allocation spécifique de solidarité (ASS). Or le gouvernement vient de changer, là aussi, les règles, et près de 130 000 bénéficiaires de l'ASS vont être écartés dès l'année prochaine, 400 000 à terme, et dirigés vers le RMI. Plutôt que d'avoir des chômeurs de moins en moins indemnisés et des RMistes de plus en plus nombreux, mieux vaut avoir des personnes jeunes ou moins jeunes en activité. Par ailleurs, la consommation doit être le moteur de la croissance, comme elle l'a été tout au long des années 1997-2002. Ce moteur s'est enrayé. Il faut le retrouver par une amélioration du pouvoir d'achat des ménages.

Le gouvernement a augmenté la prime pour l'emploi...
Pour 500 millions d'euros ! Ce qui fait à peine 40 euros par bénéficiaire... Cela ne paraît pas être de nature à favoriser la reprise. Il eut mieux valu mettre les 6 milliards d'euros consentis pour la baisse de l'impôt sur le revenu depuis seize mois sur cette prime à l'emploi ou sur l'allocation de rentrée scolaire, dont on sait qu'elle est immédiatement consommée.

Les mesures envisagées pour combler le déficit de la Sécurité sociale vous semblent-elles efficaces ?
Ce qui est en préparation aujourd'hui, c'est un emprunt qui couvrira les déficits cumulés 2002-2003-2004 et un renvoi pour leur financement aux périodes 2015-2020, peut-être au-delà. Le montant de l'emprunt sera de l'ordre de 35 à 40 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent de la charge des déficits prévisionnels des régimes de retraite avant la réforme ! Le gouvernement est en train, dans l'ignorance de la part de nos concitoyens, de renvoyer cette charge sur les générations futures. Là non plus, il ne dit pas la vérité aux Français, ce qui rend complètement incompréhensible sa communication.

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