Bâtir un grand Parti socialiste



Entretien avec François Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans L'Express daté du 15 mai 2003
Propos recueillis par Christophe Barbier et Elise Karlin


 

Votre motion est sortie largement majoritaire du vote des militants. Comment allez-vous faire pour que ce congrès ne soit pas la simple ratification de votre victoire ?
Après une épreuve comme celle du 21 avril 2002, nous pouvions tout redouter d'un congrès socialiste: surenchères, oubli de la culture de gouvernement, refuge dans l'incantation, basisme débridé, repli sur nous-mêmes... Il a fallu une lucidité, une vitalité mais aussi une exigence collective de renouvellement pour que les socialistes s'inscrivent dans le processus que je leur proposais ! Il était donc important qu'à l'ouverture du congrès il y ait une majorité large et forte, afin que la question posée dès l'entrée ne soit pas celle de la future direction ou de la future synthèse, mais celle de l'utilité du PS dans le débat public. Une étape est franchie. Il convient désormais d'établir avec les Français un dialogue approfondi, celui-là même qui nous a manqué ces dernières années : nous devons leur démontrer que nous avons tiré les leçons de notre échec, que nous jouons pleinement notre rôle d'opposition et que nous portons des idées nouvelles. Il s'agit de prendre la mesure du désenchantement civique et d'offrir une alternative crédible, car, si nous revenons aux responsabilités, nous ne pouvons pas être dans l'improvisation, dans la facilité ou la simplification.

Aujourd'hui, quels débats ouvrez-vous ?
D'abord, l'éducation: elle doit être au cœur du projet des socialistes. C'est la clef de tout. La transmission du savoir, mais aussi la promotion sociale, la réussite économique, l'égalité, le civisme, la laïcité et la citoyenneté. Je souhaite que nous ouvrions ce débat avec tous les acteurs de l'école et que nous ne le terminions pas simplement par le rappel des priorités budgétaires - tout le monde sera d'accord pour mettre plus d'argent pour l'école ! - mais bien par une volonté commune d'agir ensemble pour faire de l'éducation un véritable choix de société. Ensuite, la solidarité nationale. Dès lors que nous refusons l'individualisation de la couverture sociale, la privatisation de la santé et des services publics comme la remise en question des retraites par répartition, il faut assumer les évolutions nécessaires, mais aussi redéfinir le champ de l'Etat providence. De ce point de vue, nous devons affirmer que le financement collectif (par les cotisations sociales et par l'impôt) de la solidarité nationale doit être la ressource essentielle.

Quel est votre calendrier ?
On pense toujours, dans l'opposition ou au pouvoir, avoir l'éternité devant soi, or rien n'est plus faux ! L'année 2004 sera consacrée aux scrutins cantonal, régional et européen. En 2005, un référendum sera sans doute proposé pour la ratification de la future Constitution européenne. En 2006, nous aurons à choisir notre candidat(e) à la présidentielle de 2007. Nous devons donc préparer les échéances qui viennent, mener la riposte et la contradiction au gouvernement, sans oublier ce qui est la fonction essentielle d'un parti politique: avoir plus d'adhérents pour influencer davantage et, surtout, formuler un projet autour d'un idéal partagé. Enfin, dernier rendez-vous: le rassemblement de la gauche, qui est plus que jamais indispensable, mais dont les formes doivent changer. En 1997, nous l'avons fait dans la « chaleur » de la dissolution. Aujourd'hui, il faut créer une dynamique et une méthode nouvelles ! Je vais proposer la réunion de forums départementaux de toute la gauche, à l'automne, pour élaborer un projet commun dès les régionales, première étape vers des candidatures communes.

Comment ne pas donner l'impression que vous ressuscitez la gauche plurielle ?
La gauche plurielle était une compilation, une alliance de circonstances et non un rassemblement sur un contenu. Aujourd'hui, c'est le projet qui doit être central. Et il doit être élaboré au plus large, à travers des initiatives citoyennes, des rencontres et des débats. Nous devons innover, aller au-delà des partis politiques.

A travers un parti unique de la gauche ?
L'évoquer, c'est le compromettre ! Faisons déjà ce que nous pouvons mener à bien - une fédération, pourquoi pas ? Ce qui compte, c'est d'aller vers l'unité autour d'un projet et des alliances électorales qui lui correspondent, pas l'inverse. Il y a des inquiétudes et des colères multiples qui montent dans la société française (retraites, éducation, santé, chômage) : notre rôle, c'est de leur offrir un débouché politique. Vont-elles s'agréger, vont-elles converger ? Vont-elles s'essouffler dans la rancœur ? Je n'en sais rien. En revanche, ce qui m'importe, c'est d'exercer notre droit de critique, d'alerte mais c'est surtout de proposer et de formuler des solutions. C'est la meilleure façon de servir la politique et les Français.

Quel visage allez-vous donner au PS qui sortira de Dijon ?
Je serai clair et ferme: ma majorité est diverse, mais unie sur une ligne que chacun a acceptée et devra respecter, ce qui suppose la disparition de tous les brics et les brocs des précédents congrès. C'est ma démarche et je m'y tiendrai. Je dois constituer une équipe de travail à la hauteur de la tâche qui nous attend: ce n'est pas une équipe où je ferai plaisir aux uns et aux autres. Il y aura le renouvellement indispensable et le rajeunissement nécessaire, sans exclure l'expérience au prétexte d'avoir figuré dans tel ou tel gouvernement. Je veux une présence effective du PS à travers une valorisation de l'acte militant, une mobilisation des élus et un parti au service des citoyens. Je compte relancer des groupes d'experts et confier des missions particulières à des personnalités: il sera possible d'animer le parti sans forcément appartenir à l'équipe de direction.

Comment s'opposer à une droite qui paraît donner peu de prise ?
A voir les conflits se multiplier, les prises ne manquent pas. Certes, la droite peut revêtir aujourd'hui une forme différente du passé. A l'évidence, sa communication a changé: hier, la brutalité assumée d'Alain Juppé; aujourd'hui, la rouerie travaillée de Jean-Pierre Raffarin. Les personnalités changent, mais leurs politiques convergent. Après bien des tâtonnements et des prudences, la droite révèle peu à peu son dessein: un Etat minimal, une solidarité réduite à de rares acquis, une « marchandisation » des grandes fonctions collectives : « Vous voulez des droits et des protections: payez-les-vous. » C'est Guizot revisité.

Vous avez longtemps attaqué Jacques Chirac: ne s'est-il pas dégagé du débat national, imposant une stature internationale ?
Jacques Chirac est totalement lié au Premier ministre et donc à son sort ! C'est lui qui l'a choisi, c'est lui qui a composé son gouvernement, toujours lui qui a fixé son carnet de route. La responsabilité du Premier ministre est aussi celle du chef de l'Etat. L'échec de l'un sera l'échec de l'autre, ils ne se protègent pas.

La droite évoque déjà un troisième mandat de Jacques Chirac...
Je ne suis pas sûr que ce soit habile, ni même décent, d'évoquer la prochaine élection alors que le mandat en cours n'a qu'un an… Voilà qui renvoie l'image du candidat permanent plutôt que celle du président réélu. Curieuse communication, dont la seule justification est d'avoir la paix dans sa propre famille.

Et vous ? Quel destin vous voyez-vous ?
J'ai longtemps tenu ma légitimité de Lionel Jospin. Il m'avait désigné pour lui succéder en 1997. Aujourd'hui, je viens de conquérir une majorité sur un projet qui est le mien. Mon objectif est de mettre la gauche en capacité de l'emporter en 2007. Il ne suffit pas d'avoir un bon candidat - nous l'avions en 2002 - ni même un bilan ou des idées: il faut une force susceptible d'être reconnue dans toute la société, beaucoup plus réactive, en prise directe avec les Français. Aujourd'hui, le Parti socialiste affiche une vitalité remarquable, mais aussi une insupportable fragilité : il est capable de faire tantôt 35 % des voix, tantôt 16 % ou 14 % … Le PS sait gagner les élections. Mais il n'est pas parvenu, jusqu'à présent, à durer dans l'exercice même des responsabilités. Face à une droite unie dans la captation du pouvoir, je veux relever un défi : construire un grand Parti socialiste, à l'image des social-démocraties européennes, suffisamment fort pour réduire l'extrême droite et rassembler toute la gauche sans céder à la mauvaise conscience de l'extrême gauche. Pour le reste, je ne crois pas à l'autoproclamation; tout se mérite et tout se conquiert. La meilleure façon de s'accomplir, c'est de réaliser au mieux sa tâche présente.

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