Les socialistes doivent être plus clairs dans leurs choix

François Hollande

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste.


Entretien paru dans le quotidien Le Monde daté du mardi 11 février 2003
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Le PS maintient-il sa position sur le refus d'une guerre en Irak et le recours au droit de veto de la France pour l'empêcher ?
L'administration américaine veut la guerre. Il dépend donc de la communauté internationale de faire prévaloir le droit. La position française, aujourd'hui, n'est pas encore dénuée de toute ambiguïté. Certes, nous nous retrouvons dans l'affirmation du rôle des Nations unies, dans la volonté de prolonger et renforcer le travail des inspecteurs en Irak et dans la recherche d'une initiative diplomatique d'envergure, mais, dans le même temps, le ministre des affaires étrangères évoque le recours à la force. Le PS appelle aux manifestations du 15 février et fait signer une pétition dans un mouvement qui va bien au-delà de la gauche, pour faire en sorte que le président de la République ne s'exonère pas de sa responsabilité d'utiliser le droit de veto. L'objectif de la diplomatie française ne peut être simplement celui de gagner du temps. Il s'agit d'empêcher la guerre.

Pour justifier les difficultés du PS, les socialistes évoquent souvent le manque de leadership. Cela vous touche-t-il ?
J'ai le sentiment que le PS se fait de plus en plus entendre à mesure que le gouvernement n'écoute lui-même que ses groupes de pression habituels, notamment le Medef. Le temps est venu des premiers bilans. Le chômage remonte fortement, les plans sociaux se multiplient et le plus gros licenciement collectif sera celui des emplois-jeunes (+ 40 000). Il en porte l'entière responsabilité puisqu'il défait ce que nous avions fait. Nous avions préservé pendant cinq ans les Français de tout plan de rigueur ; le gouvernement, lui, vient de décider de geler 4 milliards d'euros - et ce n'est sans doute qu'une première étape. Au moment où il allège l'ISF, il rogne sur l'APA - allocation personnalisée d'autonomie -. Ainsi, l'histoire retiendra que c'est avec Jean-Pierre Raffarin qu'un gouvernement aura pris aux vieux pour donner aux riches !

Mais s'opposer, ce n'est pas seulement alerter l'opinion et critiquer une politique ; c'est offrir une perspective. Ce sera l'enjeu de notre congrès et c'est là que sera réglée aussi la question du leadership, puisque les socialistes éliront directement leur premier secrétaire.

Vous vous sentez plus à l'aise sur la question de la sécurité ?
Je ne vois pas pourquoi nous aurions à nourrir je ne sais quel complexe ou réserve. Quand le gouvernement revendique comme seule réponse la sanction et que la prévention devient un accessoire inutile, sont créées les conditions d'une insécurité plus forte. Plus globalement, c'est une communication gouvernementale fondée sur la récupération des mots (développement durable, solidarité, proximité, décentralisation), qui s'épuise faute d'actes correspondants.

Votre indignation est-elle sincère sur la réforme des modes de scrutin, qui pourrait favoriser le PS ?
Ce serait mal comprendre notre intérêt que de soutenir un mode de scrutin fondé sur l'écrasement des autres et l'affaiblissement du pluralisme. Le rassemblement de la gauche se fera avec un PS fort et respectueux de ses partenaires. Comment imaginer que la crise de la représentation politique puisse être réglée à coup de changements de modes de scrutin ? Nous mènerons cette bataille bien au-delà de la gauche, pour faire céder l'UMP, le gouvernement et M. Chirac, confondus dans la même tentation d'une réforme électorale de pure convenance.

A lire les contributions pour le congrès du PS, les socialistes ont l'air de croire à un retour mécanique au pouvoir...
Revenir au pouvoir est possible. Redonner espoir dans la politique est indispensable. Voilà pourquoi il nous faut tirer toutes les leçons du 21 avril, et fixer en conséquence la démarche, les pratiques et les objectifs d'un grand Parti socialiste. Ensuite, nous aurons trois ans pour préparer notre programme et choisir le moment venu notre candidat. Il serait illusoire de penser que les difficultés de la droite, par une sorte de balancier, feront le bonheur de la gauche. Le risque, c'est la dépolitisation, l'abstention, le populisme. Je ne veux pas faire du congrès du PS une simple rénovation statutaire, mais procéder à un profond renouvellement - dans ses liens avec les syndicats, les associations et les mouvements sociaux, puis dans sa capacité à représenter toute la société française, avec sa diversité et toutes ses couleurs.

Si le PS revenait au pouvoir, rétablirait-il les 35 heures ?
Cette réforme a été interrompue et altérée par la droite. Nous la reprendrons avec l'objectif des 35 heures pour tous.

Regrettez-vous l'usage du terme de " réformisme de gauche " pour définir votre ligne ?
Non. Qui propose une autre formule ? Les socialistes ont toujours été des réformistes. Et je n'éprouve aucune mauvaise conscience par rapport à l'extrême gauche avec ses révolutionnaires de pacotille, pas plus qu'à l'égard de la " radicalité ", qui recouvre souvent le conservatisme. Les socialistes doivent être plus clairs dans leurs choix : une Europe fédérale et sociale, un projet éducatif sur toute la vie, le développement de l'économie de besoin par rapport à l'économie de marché, l'écologie comme dimension de toutes les politiques publiques...

Vos concurrents, Nouveau Monde et le Nouveau Parti socialiste, prônent aussi la rupture...
La rupture, ce n'est pas vraiment " nouveau " au sein du PS. Nous avons entre nous des différences sur l'élargissement de l'Europe, les institutions, ou sur la stratégie politique. Je les respecte, même si lorsque je vois fleurir le retour du protectionnisme à NPS, ce n'est pas ma conception du socialisme. Les militants choisiront. Une fois qu'ils l'auront fait, ce qui aura été écrit dans la motion majoritaire nous engagera tous. Nul ne pourra s'en distraire à l'aune de sa préoccupation personnelle ou de son ambition. J'y veillerai. Ce qui est normal dans la phase de préparation d'un congrès doit être maîtrisé après. Je ne veux plus revoir des positions différentes sur la sécurité, les retraites ou les services publics. Il y va de notre crédibilité, de notre capacité à nous faire entendre.

Vous espérez, in fine, vous retrouver dans la majorité avec Martine Aubry ?
Je le souhaite et je ferai, avec elle comme avec d'autres, tous les efforts nécessaires. Il faut au PS une majorité forte et diverse, une direction solide et solidaire : c'est une question d'entraînement de toute la gauche.

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