L'Europe est à la fois notre histoire, notre présent et notre avenir

François Hollande
Intervention de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, devant le ClubTémoin, le 10 novembre 2004.


 
Chers Amis,

Je suis conscient que, chez nos amis du Club Témoin, il y a beaucoup de frustration quant au débat du Parti socialiste sur l’avenir de l’Europe, se demandant si c’était bien le droit des socialistes, militants, de décider pour l’ensemble de l’électorat socialiste ce qu’il faut faire par rapport au Traité constitutionnel. Néanmoins, le rôle des membres du Club Témoin n’est ni faible ni minime.

Car, ils ont la capacité de convaincre les adhérents du Parti socialiste du choix qu’ils ont à faire, parce que le choix que les socialistes feront le 1er décembre est un choix qui emportera sans doute l’adhésion du pays, le moment venu. Ce que décidera le Parti socialiste sera sans doute ce que fera le pays le moment venu. C’est donc l’avenir du Traité constitutionnel.

Le rôle donc des sympathisants socialistes est d’aller, dans les quinze jours qui restent jusqu’au 1er décembre, convaincre les militants de l’importance de ce choix.

Mais, il est vrai que les socialistes européens aussi s’interrogent sur notre démarche ; ils m’interrogent chaque fois que je les retrouve. Ils me demandent souvent le nombre d’adhérents du Parti socialiste français et s’étonnent du fait que ce sont les militants socialistes (125 000 adhérents) qui pourraient décider pour tous les socialistes européens par l’organisation d’un référendum interne. Ce sera le cas ; c’est dire la responsabilité qui pèse sur chaque adhérent du PS, peut-être aussi sur le Premier secrétaire car, on m’interroge, on veut savoir pourquoi j’ai décidé d’en appeler à une consultation interne pour déterminer notre position à tous.

Il faut en tirer fierté, car nous avons besoin de confrontation démocratique. On ne peut pas à la fois se plaindre d’une Europe trop lointaine, trop mystérieuse et, en même temps, refuser aux adhérents d’un parti la responsabilité d’en discuter. Ce serait même un paradoxe que d’appeler aux urnes les Français pour adopter ce Traité constitutionnel l’année prochaine et refuser nous-mêmes cette consultation. Elle nous engage donc et elle en engage d’autres car, aujourd’hui, la politique intérieure et la politique extérieure ne font plus qu’un seul et même ensemble. Ce que nous décidons pour nous-mêmes compte pour le reste de l’Europe, et même parfois pour le monde. Il n’y a plus de décision politique nationale qui n’est de répercussion sur l’ensemble du continent, et peut-être plus largement. Tout se tient. Un choix de politique intérieure, dans une certaine mesure, un choix au sein du Parti socialiste, va avoir des conséquences majeures en termes de politique extérieure. La politique intérieure espagnole peut sans doute être affectée par la politique intérieure française. Comme nous l’avons été lorsque ce sont produites les élections du printemps : s’il n’y avait pas eu le vote, dans les conditions que l’on sait, des Espagnols pour porter Zapatero au pouvoir, y aurait-il eu forcément la même mobilisation en France pour les élections régionales et cantonales qui ont permis le succès de la gauche, et notamment du Parti socialiste, que l’on sait. D’ailleurs, s’ils n’avaient pas gagné ces élections en Espagne, il n’y aurait pas de Traité constitutionnel aujourd’hui. Ce qui est un paradoxe, pour des socialistes français, c’est de se poser la question du rejet du Traité que les socialistes espagnols ont permis et que Aznar voulait empêcher.

L’Europe est, pour les socialistes, à la fois notre histoire, notre présent et notre avenir.

C’est notre histoire, parce que l’Europe n’appartient pas qu’aux socialistes mais qu’ils y ont tout de même pris leur part -au lendemain de la guerre notamment. Léon Blum, revenant de déportation, s’adressant aux socialistes lors d’un Congrès, disait qu’il fallait faire l’Europe, mais pas simplement pour les Européens. Il faut faire l’Europe pour penser et changer le monde. C’est ce message-là qui a emporté la conviction des socialistes au temps de la SFIO. Et, quoi que l’on ait pu penser de la SFIO, et parfois le pire, convenons que la SFIO -au moins sur ce point- a tenu bon et a fait toujours prévaloir le choix de l’Europe, y compris parce que ce fut sous un gouvernement de gauche que le Traité de Rome fut signé.

François Mitterrand, au moment de Maastricht, s’enorgueillissait d’avoir toujours voté les traités européens, parce que pour lui chaque fois qu’il en votait un, c’était à la fois être fidèle à son engagement d’européen et de socialiste. Alors, pourquoi en serait-il différemment aujourd’hui ? Quand on regarde le chemin parcouru -et Jacques Delors y a été pour beaucoup, non seulement il y a eu la paix - qui paraît être une évidence, mais il y a eu ce marché intérieur - qui paraîtrait presque aujourd’hui comme une contrariété, alors que c’est ce qui nous permet de vivre ensemble, en Europe, avec les mêmes règles et les mêmes droits, et puis c’est la monnaie unique - qui est aujourd’hui conçue comme une protection - et, dans les turbulences d’aujourd’hui, c’est sans doute une protection d’abord des intérêts français car, avec le gouvernement que l’on a, je ne sais pas quel serait le niveau du franc -sans doute au même niveau que la popularité de Jean-Pierre Raffarin. Il y a eu aussi l’unification de l’Europe. Je pense, là, à tous ceux qui ont tant attendu, tant espéré, tant rêvé et qui, à un moment, n’ont jamais pu penser qu’elle pourrait se faire. Elle est là.

C’est ce présent qui fait que nous savons que l’Europe sera notre avenir. Notre avenir pour l’équilibre du monde ; notre avenir pour le développement durable, pour l’écologie ; notre avenir pour porter les valeurs de solidarité. Si nous sommes européens, c’est parce que nous avons cette conscience que c’est par l’Europe que nous pouvons non pas devenir plus puissants, mais plus utiles à notre condition d’Européens, mais aussi à notre citoyenneté à l’échelle du monde. Mais, en même temps, comme socialistes, l’Europe ne résume pas, ne réduit pas notre projet politique. Ce serait un comble d’imaginer que nous ne pourrions faire avancer nos projets, nos réformes, nos ambitions qu’en fonction de l’état de l’Europe. En fait, nous avons notre propre responsabilité.

Dans le projet que nous présenterons pour 2007, nous aurons, sur l’emploi, sur les services publics, sur la fiscalité, sur la lutte contre les délocalisations, des propositions à faire. Ce serait d’ailleurs grave et dangereux si les socialistes pensaient qu’ils ne pourraient réussir -dans la lutte contre les délocalisations, dans la lutte contre le chômage, pour une fiscalité plus juste ou pour des services publics plus présents et plus efficaces- que par l’Europe. Bien sûr, l’Europe peut nous y aider ;, mais nous avons notre propre responsabilité, sinon pourquoi continuer à militer dans le cadre de l’Etat-Nation ? Vouloir confondre les questions européennes et les réponses nationales me paraît être une faute politique majeure.

Le Traité constitutionnel ne comporte que des avancées et aucun recul. Nous pouvons d’ailleurs les relever aussi bien dans les chapitres institutionnels que dans ceux sur les valeurs proclamées, les droits civils, les droits sociaux. Si nous avons des critiques à nous faire, si nous avons un débat à avoir entre socialistes -et c’est légitime- ce n’est que par rapport aux insuffisances, aux limites, aux regrets. Sauf qu’arrivent des arguments qui ne portent pas sur le Traité ou que le Traité ne sert que comme prétexte. Ce serait l’euro qui, aujourd’hui, finalement, donnerait à la Banque Centrale Européenne trop de pouvoirs ! Il faudrait donc mettre un gouvernement économique -ce que nous ne cessons de dire. Mais, quelques progrès ont été faits : le fait qu’il puisse y avoir aujourd’hui, dans l’euro groupe, une autorité politique qui s’affirme ; la meilleure preuve de progrès, c’est que le gouverneur de la Banque Centrale Européenne a protesté contre cela ! Ce qui donc, pour nous, est un bon critère !

Nous pourrions avoir le même raisonnement sur l’élargissement ! On peut dire que l’élargissement aurait dû, beaucoup plus tôt, être accompagné de l’approfondissement. On aurait pu même contesté l’élargissement tant que l’approfondissement n’était pas là. Cela aurait pu être une position. Lorsque nous étions au gouvernement, nous avons fait voter un Traité, celui de Nice, pour permettre ce que l’on pensait être un premier approfondissement -certes insuffisant. Si nous contestions l’élargissement, c’est à ce moment-là qu’il fallait le dire et ne pas l’accepter. Nous avons même voté au Parlement, il y a peu, l’élargissement aux pays qui nous ont rejoint. Si nous voulions le contester, nous pouvions le dire. Pourquoi saisir, donc, l’occasion du Traité constitutionnel pour vouloir remettre en cause l’élargissement.

De même, sur la concurrence. Terrible mot, il est vrai, introduit dans le Traité constitutionnel ! Mais, il y figurait dans tous les autres traités. Terrible mot qui, pour certains esprits, consacrerait le marché ! Curieuse conception qui voudrait que les socialistes soient hostiles à la concurrence ! La concurrence est pourtant partout -même au Parti socialiste ; personne n’en a donc le monopole ! Mais, que permet l’Europe ? Elle permet d’organiser la concurrence, de lutter contre les concentrations, d’éviter les monopoles, les cartels ou autres. Ne faisons pas comme si le “ diable ” s’était engouffré dans le Traité au nom de la concurrence.

Et, sur l’unanimité fiscale - sujet réel que nous ne découvrons pas car nous avons milité longtemps pour qu’elle ne soit pas dans le traité. Elle est aussi dans les traités d’hier ; cela veut dire que nous l’avions laissé faire et nous en portons donc, nous aussi, la responsabilité.

Je ne voudrais pas qu’au nom d’un débat utile, nécessaire, légitime, nous revenions en définitive sur ce que je pense être un acquis de la construction européenne et qui doit beaucoup à François Mitterrand et à tous les premiers ministres socialistes qui se sont succédés.

Ce qui me frappe, c’est que l’on veut faire peur sur le traité constitutionnel ; traité qui remettrait en cause la laïcité, les règles sociales, qui pourrait même faire surgir les délocalisations, ou les amplifier.

On veut faire peur sur le Traité, mais on ne veut pas faire peur sur les conséquences du rejet du Traité. Il y aurait d’un côté un émoi suscité et de l’autre un calme à imposer. Ce serait donc banal de le rejeter, mais ce serait grave de l’accepter.

Il faut donc revenir à l’importance du choix qu’auront à faire les socialistes. Nous avons à faire un choix de cohérence et de volonté à faire. Le choix de cohérence est d’être en harmonie avec notre histoire ; c’est d’être en confiance et en solidarité avec les socialistes européens ; c’est d’être en fidélité avec notre électorat et c’est d’être simplement en identité avec nous-mêmes. C’est pourquoi, en étant cohérent, on peut être volontaire. Si les socialistes français, si les socialistes européens ne sont pas au rendez-vous des prochaines étapes de l’Europe, il y aura peut-être une Europe, mais elle ne sera pas celle que nous voulons.

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