La rupture est une rhétorique
qui ne résiste guère
à l'épreuve du pouvoir
Cité des sciences de La Villette (Paris) - 19 octobre 2002



 Discours de François Hollande, Premier secrétaire, devant le conseil national du Parti socialiste

 
Chers amis, chers camarades,

Chacun le ressent au fond de lui-même, le Parti socialiste est à un moment important de son histoire. La violence de la défaite, le retrait de Lionel, l'épuisement de la gauche plurielle, la gravité de la crise politique, la mutation de la social-démocratie en Europe, les défis de la mondialisation, tout concourt à exiger de notre parti qu'il fixe clairement son identité, qu'il revoit profondément son organisation et qu'il définisse sa stratégie en fonction de la période nouvelle qui s'ouvre. Bref, qu'il fonde une espérance.

Conscient de l'importance de l'enjeu, et soucieux d'associer largement à cette réflexion l'ensemble des militants, j'ai souhaité au lendemain de notre défaite des législatives, ouvrir un large débat plutôt que de convoquer immédiatement un Congrès.

Les adhérents s’y sont pleinement engagés. Partout, et nous en avons eu ici un compte rendu, les fédérations ont organisé des forums, des universités d'été ou de rentrée, la plupart des sections ont largement répondu au questionnaire, tout en le dépassant souvent. De multiples contributions ou expressions ont été élaborées individuellement et collectivement et tous les premiers secrétaires fédéraux ont souligné l'intensité, la richesse de ces échanges à travers les premières conclusions du débat.

Je veux à mon tour dire qu'après une défaite, peut-être était-il courant de donner la parole aux militants mais nous avons néanmoins là fait un progrès considérable, d'abord parce qu'il y a eu cette volonté d’écoute, ce souci de donner le temps nécessaire au débat et aussi de faire suivre le temps du débat par le temps du congrès c'est-à-dire le temps du choix. Il y a aussi - dans notre malheur ne boudons pas des satisfactions - une vitalité de notre parti qui demeure. Nous aurions pu imaginer voir ce parti abattu parce qu'il avait été défait. En fait, il y a un puissant appétit de discussion de débat et d'échange.

J’affirme donc ici, chers camarades, mon attachement à cette méthode et ma volonté de faire vivre cette démarche jusqu'à son terme. Elle a été souhaitée et elle est indispensable. Elle ne doit pas être remise en cause au prétexte que quelques-uns d’entre nous seraient plus pressés.

Il a été suffisamment dit, et à juste raison, que le parti s'était par trop replié sur sa sphère dirigeante, qu'il n'avait pas assez écouté les signaux qui lui venaient de la réalité militante et que collectivement, et cela vaut pour tous ceux qui ont gouverné comme ceux qui n'ont pas gouverné, nous n'avions pas su prendre la mesure des aspirations des réseaux associatifs ou des acteurs sociaux pour aujourd'hui se plaindre du temps du débat et du dialogue citoyen.

Le calendrier sera donc scrupuleusement respecté et notre réunion du 15 décembre permettra la restitution de l'ensemble des réflexions que notre parti, dans toute sa diversité humaine géographique, aura été capable collectivement de produire.

La parole militante a été sollicitée, elle devra être entendue, prise en compte et intégrée jusqu'au congrès. Cette phase n'est pas une décompression commode dans l’attente d'un congrès. Elle est au contraire une forme originale de le préparer pour que les réponses soient fournies par tous et non pas simplement par l'inspiration de quelques-uns. C'est la chance de faire un congrès différent et d'ouvrir aussi une véritable rénovation de notre parti.

Certes, il ne m'a pas échappé que des camarades avaient voulu afficher dès à présent leurs convictions et anticiper sur les enjeux du congrès. C'est leur droit, notre parti a toujours été traversé par des courants divers. Il en a été enrichi chaque fois que la confrontation des idées a servi le projet collectif. Il en a été affaibli toutes les fois où le fracas de la compétition et la caricature des positions personnelles ont donné l'image de la division.

Il relève donc de la responsabilité de chacun de respecter les formes, le calendrier et les modes d'expression. Il ne peut y avoir place entre nous - et cela vaut pour tout le monde - pour la suspicion ou pour la stigmatisation.

En tant que premier secrétaire, je serai vigilant par rapport à ces débordements ou ces dérives. Nous ne pensons pas tous la même chose aujourd'hui et sans doute depuis longtemps, parlons-nous franchement. Il est clair que nous ne sommes pas d'accord sur les causes de la défaite comme sur les leçons à en tirer et pour autant, nous sommes tous socialistes.

Et si je peux avoir ici des concurrents c'est possible, nous verrons bien, c'est la loi dans toute organisation humaine, et un congrès c'est aussi un enjeu de direction et de pouvoir, je n'ai pas d'adversaire. Pour ce qui me concerne, j'ai compris non sans déplaisir que j'étais sollicité de toutes parts. J'ai été tour à tour sommé de parler pour éviter un attentisme insupportable, mais de me taire pour laisser vivre le débat, de répondre aux uns sans mobiliser les autres, de rester seul ou de sortir accompagné, d'écouter mais aussi de trancher. Bref j'ai été sensible à tant d’égards. J'ai choisi d'être en fait moi-même en assumant tout simplement ma responsabilité de premier secrétaire. Il m'appartient d'abord de faire pleinement vivre le temps militant dont nous avons décidé ensemble l'organisation, de mener bataille contre la droite et de faire en sorte que nous exprimions communément nos positions par rapport au projet de la droite. Il me revient enfin de préserver l'unité de notre parti à laquelle tous les socialistes sont viscéralement attachés au-delà de leurs différentes sensibilités parce qu'ils savent bien depuis toujours, en tout cas depuis Epinay, que c'est leur bien le plus précieux.

Mais, il me revient aussi dans les instances de mon parti, et nulle part ailleurs, de préciser ma pensée sur la première étape de notre réflexion collective et notamment sur les causes de notre défaite du printemps dernier. Je pense qu'il faut, là enfin, donner nos conclusions. Depuis plusieurs mois, nous avons multiplié les explications et une revue, celle des socialistes, y contribue. Aucune n'est à elle seule déterminante et souvent, disons-le franchement, nous interprétons le passé à l'aune de nos positions d'aujourd'hui, de notre vision de l'avenir.

Lorsque nous étions nous-mêmes aux responsabilités, je ne trouvais pas toujours cette lucidité collectivement qui, maintenant, nous étreint.
Là commence pourtant la première clarification que chacun appelle d'ailleurs de ses vœux.

Au-delà de la campagne, ou de son contexte, nous n'avons pas perdu, chers camarades, parce que nous aurions été écrasés par le régime institutionnel ou parce que nous aurions cédé à la mondialisation libérale. Qui peut croire que la cohabitation expliquerait notre déconvenue, alors qu'elle nous a permis de gouverner dans la durée et en parlementarisant, justement, la Vème République ? De même, qui peut prétendre que notre bilan aurait été inspiré, influencé, déterminé par le social libéralisme, alors que beaucoup le présentaient il y a peu et à juste raison comme le plus à gauche d'Europe ?

Ces explications seraient finalement trop simples et trop commodes et elle nous empêcheraient de prendre toute la mesure de ce qui s'est produit le 21 avril.

Je pense que nous avons été défaits par la conjugaison de quatre facteurs.

     La division de la gauche

    Elle fut indéniable. La dispersion des candidatures, le défaut de solidarité, l'incapacité à revendiquer collectivement le bilan et même l'avenir ont favorisé l'émiettement et brisé la dynamique. Mais nos alliés n'en portent pas seuls la responsabilité. C'est un édifice politique qui s'est affaissé. La Gauche plurielle, souvenons-nous en, a été construite par les circonstances et notamment la dissolution.

    Elle aurait dû être consolidée par un contrat, c'est-à-dire une véritable charte de la coalition et pas simplement, pas seulement en tout cas, par des accords électoraux. L'exemple allemand est éloquent. Pour faire campagne ensemble, ce qui c'est fait en Allemagne, verts et socialistes, il faut au préalable s'être mis d'accord sur un pacte de Gouvernement, sur un contrat de législature et le défendre chacun avec sa spécificité sans se disputer le même électorat. C'est ce qu'ils ont fait, c'est ce que nous n'avons pas fait et c'est déjà une première leçon qu'il faut tirer pour l'avenir.

     L'éloignement des catégories populaires

    Il n'est pas nouveau, mais il est encore plus prononcé que lors de nos précédents revers électoraux. Il est cruel au regard de l'ampleur des réformes sociales que nous avons engagées et de nos résultats, exceptionnels, en matière de lutte contre le chômage. Il est encore plus désagréable à constater, lorsqu'on observe l'ampleur du vote ouvrier sur Le Pen ou la part des jeunes salariés dans l'abstention.

    Loin d'être l'expression d'un vote cohérent, de classe, il correspond à l'accumulation d'insatisfactions, de frustration, et surtout de peurs. Insuffisante valorisation du travail, faible implication dans la portée générale de nos réformes, précarité des conditions d'emploi, crainte de l'avenir, sentiment d'impuissance du politique face à la mondialisation. La crispation sur les questions de sécurité y trouve là forcément son terrain le plus fertile, tant elle est ressentie comme une inégalité de plus et comme la preuve d'un abandon de l'Etat.

    Ces catégories populaires, chers camarades, ne reviendront vers nous que si le Parti Socialiste s'identifie à une politique de protection collective et de promotion personnelle permettant une garantie quant au parcours scolaire, d'abord, professionnel, ensuite, résidentiel en termes de logement, et un espoir de réussite sociale et de progrès tangible. Ce qui suppose un Etat présent pour faire respecter la règle commune, pour assurer les droits, mais aussi les devoirs et pour faire en sorte qu'il y ait des formes concrètes au principe absolu à nos yeux de l'égalité républicaine.

     La gravité de la crise politique

    Notre échec s'inscrit dans une longue séquence engagée depuis une vingtaine d'années et ce qui a frappé la gauche n'est pas un mouvement de rejet comme en 1993, rejet qui, a la fois, concernait et nos résultats et aussi nos pratiques, mais une amplification de la prise de distance des français par rapport à leurs représentants, dont nous sommes. Le niveau de l'extrême droite, la montée de l'abstention, l'éclatement de l'offre politique, la volatilité de l'offre et du vote, la succession cadencée des alternances… Tout confirme le désenchantement qui touche les partis de Gouvernement, mais plus la gauche que la droite, dès lors que la dépolitisation affecte des électorats supposés, par leur âge ou par leur origine sociale, plus proches de nous que de la droite.

    Dès lors, c'est le rétablissement du lien civique dans un véritable projet républicain que nous devons porter qui est la condition du renouveau démocratique, mais aussi du redressement de la gauche.

     L'effacement de notre identité

    Je le dis ici nettement, nous n'avons pas perdu sur notre bilan, même s'il était insuffisant à lui seul pour nous permettre de l'emporter. Nous n'avons pas non plus trébuché sur notre campagne. Nous avions, en 2002, le meilleur candidat possible pour l'emporter et nous avions en face de nous le Président sortant le plus affaibli de la Vème République. Non, ce qui nous a coûté le plus dans un contexte politique miné par les angoisses, le désenchantement, le doute, c'est l'indifférenciation, c'est la relative absence de repères, de références, c'est le défaut d'une ambition collective, d'une vision longue et d'une affirmation forte pour la France, pour l'Europe, pour le monde… Bref un projet spécifique affirmant la singularité du message socialiste pour relever les défis de l'avenir.

Cette compréhension de notre défaite n'est pas indulgente, elle est même exigeante. Elle n'exonère aucune responsabilité, elle souligne bon nombre de nos manquements, elle mesure le fossé démocratique qui peut nous séparer de celles et de ceux que nous avons vocation à représenter. Mais elle nous amène à mener notre travail sur l'essentiel aujourd'hui, c'est-à-dire notre identité, notre doctrine, nos pratiques, notre stratégie, bref de passer de l'inventaire à l'invention.

C'est là que dans les semaines qui viennent, le débat militant doit porter, en relation autant qu'il sera possible, la question a été reposée, avec les citoyens et avec les forces vives. Là aussi, il faudra chercher la clarification, non pour je ne sais quelle pureté de pensée, mais pour être au net sur la nature de notre parti, son ambition réformatrice, ses lignes de force, son ancrage européen.
Ce sera, bien sûr, l'objet de notre Congrès de fixer cette ligne, je me garderai bien de le clore, il vient à peine de commencer, mais je peux me permettre avec votre autorisation de l'éclairer dès aujourd'hui.

À l’évidence, par rapport au cycle politique des vingt dernières années, nous affrontons des défis nouveaux. Un capitalisme international qui n'a jamais été aussi puissant à l'échelle du globe, mais aussi inapte à éviter la répétition des crises qui l'affectent. Un monde plus instable, plus dangereux qu'au temps de la guerre froide, une Europe, certes plus présente et plus large, mais moins légitime et moins protectrice qu'hier. Une société plus homogène sur le plan culturel, mais plus éclatée, plus inégalitaire que par le passé. Et des Français qui s'interrogent sur leur identité et sur leur capacité de vivre ensemble.

Dans ce contexte, j'estime que les principes, les valeurs les idéaux du socialisme constituent plus que jamais la réponse appropriée à ces nouveaux enjeux, à condition d'en renouveler les instruments, les formes d'action et les points d'application :
     L'internationalisme d'abord constitue toujours la riposte nécessaire pour dominer démocratiquement le capitalisme. Il exige de porter des propositions fortes à l'échelle de la planète, nous les connaissons (les bien publics internationaux, l'impôt mondial, la réforme des institutions financières, la solidarité à l'égard du Sud, etc). Mais il s'agit d'imposer de nouvelles règles et un nouvel ordre du Monde fondé sur le droit, la solidarité et la citoyenneté.
    Pour mener ce combat, nous devons nouer des alliances avec des partis progressistes, il y en a en Europe et dans le monde, mais aussi avec des mouvements dont nous devons être les interlocuteurs privilégiés dès lors que ces mouvements veulent peser directement sur les choses publiques, sur les choix politiques et pas simplement les contester.

     L'Europe a toujours été, pour nous, le levier indispensable pour préserver la paix, pour exprimer un modèle de civilisation et faire pièce à l'unilatéralisme américain, sans doute, mais une compétition est engagée aujourd'hui en son sein pour en faire soit un grand marché, sans dessein politique, soit un espace démocratique capable de porter un modèle social. Il faut mener ce combat en posant nos conditions, en fixant les objectifs, en exigeant des garanties, mais non pas en fonction d'intérêts nationaux, mais au nom de l'Europe et c'est ainsi qu'il faut poser la question de l'élargissement.
    Il ne s'agit pas pour nous, socialistes, de défendre une PAC à bout de souffle ou de vouloir sauver notre part de fonds structurels, il ne s'agit pas davantage de jouer avec les peurs ou avec la perte des repères géographiques habituels, il s'agit de promouvoir une cohérence politique, de demander une organisation démocratique des institutions et de mettre en place une véritable solidarité financière entre européens.
    Et le seul référendum qu'il faut demander ne porte pas sur l'élargissement, mais sur l'ensemble du processus constitutionnel sur lequel se jouera l'avenir de l'Europe, c'est-à-dire aussi le nôtre. Cette bataille sur le sens à donner à l'Europe passe au sein même du parti socialiste européen. Je vous le dis pour ceux qui en douteraient, nous n'y sommes pas majoritaires, loin de la, mais nous y sommes attendus par beaucoup dès lors que l'on affirme notre ambition européenne, c'est-à-dire des partages de souveraineté et une réforme audacieuse des institutions à travers une véritable constitution européenne. Et dans le même temps, nous devons revendiquer un véritable parti socialiste européen et porter nos thèmes en son sein.
Mais nous devons aussi montrer l'originalité, la pertinence de la pensée socialiste par rapport aux solutions libérales dans le cadre national.

    1°/ - Le projet éducatif

    Toute l'histoire de la gauche est liée à la démocratisation de l'enseignement, c'est l'avenir d'autres sociétés qui se joue là pour l'accès au savoir, pour l'égalité des possibles, pour la formation aux métiers, pour l'accomplissement personnel, pour la prévention des violences, pour l'intégration, pour la laïcité.

    L'idéal de l'éducation sur toute la vie doit devenir une des thématiques centrales du socialisme. La droite, comme toujours, et on en a eu des preuves encore cette semaine, combattra cette évidence. Elle s'apprête à vivre des conflits redoutables comme à chaque fois par rapport à la communauté éducative. La gauche, les socialistes doivent en faire l'articulation de leur futur projet de société. L'éducation est l'élément le plus discriminant de toutes les politiques publiques, c'est le premier point sur lequel notre identité doit être réaffirmée.

    2°/ - Le service public

    Il est fini, quand même, le temps où la socialisation des moyens de production valait comme objectif principal d'un projet socialiste. Il y a vingt ans qu'on en a terminé, mais le temps n'est pas venu où le marché devrait tout emporter. Il nous revient de dire politiquement ce qui relève, par choix démocratique, c'est-à-dire par la loi, du service public, c'est-à-dire de l'économie de besoins par rapport à l'économie de marché.

    C'est la façon pour une société de fixer librement les domaines où les principes d'égalité d'accès - garants de la cohérence sociale - doivent l'emporter sur tout autre considération.

    C'est au nom de ces principes que l'Etat exerce son autorité, lève légitimement l'impôt, indispensable pour financer le service public et justifie le contrôle qu'il exerce sur les entreprises qui ont la charge de ce service public. Là, mes chers camarades, nous devons aussi affirmer notre identité.

    3°/ - Le pacte républicain

    Nous devons construire le lien entre le citoyen et la République. C’est tout le débat sur l’évolution de nos institutions, sur l’équilibre des pouvoirs mais aussi l’avenir de la décentralisation qui, pour nous, suppose l’égalité entre les territoires et la clarté dans les responsabilités.

    Mais, c’est aussi une conception de la citoyenneté donnant primauté à l’intérêt général, aux droits et devoirs, à l’intégration. et nous devons aller jusqu’au bout aussi du pacte républicain en donnant toute sa place à la démocratie sociale : changement des règles de représentativité, principe d’accord majoritaire pour les négociations collectives et présence des salariés dans les Conseils d’Administration des entreprises. Le pacte républicain, c'est la démocratie jusqu'au bout, c’est aussi un élément de notre identité.

    4°/ - La solidarité

    C'est là que notre réflexion doit sans doute, dans la période qui vient, être menée avec le plus d'acuité car c'est là que nous avons subi, malgré l'ampleur de nos réformes, notre plus grande déconvenue. Voter de grandes lois –et celle des 35 heures au premier chef qui fait notre honneur et notre fierté- ne suffit néanmoins pas, on le sait. Il faut associer chacun aux progrès collectif et faire en sorte -c'est le grand sujet des années qui viennent- que le droit du travail soit le même pour tous. Il faut valoriser l'emploi, la formation, ouvrir aussi de nouveaux services publics (logement, insertion, intégration qui ne pourra pas se suffire d'un contrat pour être réalisée). Il nous faudra revoir nos mécanismes de redistribution, éviter les effets de seuil, le compartimentage des politiques sociales qui crée une opposition funeste insupportable, entre modestes et pauvres, et rééquilibrer nos prélèvements avant de nous interroger sur leur niveau. La solidarité doit être aussi étendue à toutes les questions de société. Notre identité n'est pas simplement qu'économique et sociale, elle est aussi sociétale et nous sommes, là encore, attendus sur tout ce qui touche aux discriminations, aux violences faites aux femmes et aux atteintes à la dignité humaine.

    Enfin, la solidarité, c'est aussi le cadre de vie, l'environnement, les retraites, la santé, la recherche… Bref, le choix du long terme qui caractérise justement l'identité des socialistes.

Voilà, chers amis, chers camarades, des sujets de réflexion pour les mois qui viennent. Ils susciteront des positions parfois contradictoires, des clivages sans doute, et ils seront nécessaires, ne les dissimulons pas. Faisons des choix, mais faisons aussi ces choix en fonction de ce que nous sommes.

LA NATURE
DU PARTI SOCIALISTE

Ne nous payons pas de mots : le Parti socialiste est un parti de réformes. Il a toujours procédé ainsi dans son histoire. Et elle est suffisamment glorieuse pour que nul ici ne récuse cette démarche. Toutes les grandes réformes sociales dans notre pays sont l'œuvre de la gauche. Et le réformisme est le fondement de notre conception de l'action collective.

Quant à la rupture, c'est une rhétorique qui peut servir pour changer la réalité et même la vie dans l'opposition mais qui ne résiste guère à l'épreuve du pouvoir, et la première rupture à laquelle on procède est souvent celle avec ses propres engagements. Or la leçon que nous avons reçue de Lionel Jospin est celle du respect de la parole donnée. Elle ne doit pas être perdue dans la défaite car elle est la condition de la prochaine victoire.

Mais le Parti socialiste doit être un parti de transformation au nom d'un volontarisme renouvelé, d'une vision de l'humanité, d'une exigence démocratique, d'une utopie d'harmonie, d'émancipation et d'égalité. Telle est notre identité : le réformisme de gauche, être à gauche autant qu'il est souhaitable, être réformateur autant qu'il est possible.

A l'heure, où j'entends fleurir de nouveaux concepts et de nouvelles catégories ajoutant " social " à de nombreux substantifs en ismes, pourquoi aurions-nous besoin de nous appeler autrement que ce nous sommes : des socialistes ?. Et notre identité, c'est de porter un idéal universel dans un monde qui change et de prendre la responsabilité de gouverner pour le traduire en actes concrets. Parce que nous suscitons plus d'attentes que la droite, nous ne recueillons aucune indulgence. Raison de plus pour comprendre les attentes des Français et réinventer nos outils politiques et notre relation avec eux. Chaque fois que nous avons perdu, ce n'est pas d'avoir été moins à gauche, c'est de nous être isolés d'eux.

Mais ma conviction, c'est qu'au-delà de nos vicissitudes électorales, c'est notre pensée, la pensée socialiste, qui à gauche est fondatrice. Ce n'est quand même pas au moment où le communisme comme modèle de société s'est effondré, que le gauchisme est devenu son substitut, en moins démocratique, et que nos amis Verts peinent à se construire politiquement, qu'il faudrait renoncer à être nous-mêmes. Mais cela exige paradoxalement de nous remettre profondément en cause dans nos pratiques et dans nos relations avec la société.

LA RÉNOVATION DU PARTI

Comme vous sans doute, je me suis fixé un engagement, je me suis fait une promesse : ne plus jamais revoir un nouveau « 21 avril ». Or, ce résultat est aussi le produit de notre fragilité électorale et de la faiblesse structurelle du Parti socialiste.

À côté de nos homologues sociaux-démocrates, nous sommes une formation de taille réduite en nombre de militants et dépourvue de tout lien - c'est l'histoire - avec le mouvement syndical. Notre électorat est fluctuant et ne dépasse qu'exceptionnellement 25 ou 30 %.

Dans un contexte où nous occupons aujourd'hui, et peut-être pour la première fois dans notre histoire, le rôle de la principale force d'opposition et où aucun de nos partenaires ne fait, pour le moment, beaucoup plus que 5 % des électeurs, nous avons le devoir de construire une grande force socialiste dont l'ambition doit être d'influencer à moyen terme, peut-être à long terme, un tiers du corps électoral.

Un tel objectif exige de profondes transformations.
     D'abord, un parti plus ouvert. Nous l'avons tous dit, la venue de nouveaux adhérents (Alain CLAEYS l'a souligné) est une première étape. Elle doit être confirmée. Ce qui signifie un accueil plus facile, des débats plus nombreux, une vie militante plus active et parfois une frilosité moins prononcée à l'égard de tout ce qui vient de l'extérieur.

     Un parti plus représentatif, nous l'avons tous dit aussi. Oui, mais il faut d'abord mener jusqu'au bout le principe de parité. Mais nous avons tous ressenti le décalage qui s’est installé entre ce qu'est notre parti et ce qu'est la société. Renouvellement des générations, présence des milieux populaires, des cités, des quartiers, des jeunes issus de l'immigration… Tout cela est aujourd'hui posé. Nous devons montrer, dès les élections de 2004 -régionales et européennes- un changement radical dans la constitution de nos listes et il faudra aller au-delà des pétitions de principe et faire en sorte que l'engagement soit tenu, quoi qu'il en coûte pour les positions acquises.

     Il faut aussi un parti plus militant et, là, nous avons encore beaucoup à faire, même si nos adhérents sont pleins de dévouement. Il faut aller au plus près, par un travail autour, peut-être, d'une presse de parti et par une meilleure utilisation de notre réseau d'élus, qui est quand même une de nos forces dans le paysage politique français.

     Enfin, il faut un parti plus mobilisé. C'est vrai, et j’en fais l'expérience depuis plusieurs années, nos instances (Conseil National, Conventions), comme nos modes de débat (Congrès), ne correspondent plus forcément à ce qui est l'exigence d'un grand parti démocratique. Les militants s'en tiennent éloignés, ce qui aggrave le sentiment d'une certaine confiscation du débat au sommet. D'où la nécessité aujourd'hui d'assurer une meilleure représentation des sections et des Fédérations dans les instances du parti, fédérales comme nationales, et de favoriser une consultation régulière des militants sur les grandes questions thématiques.

     Il faut aussi un parti plus en lien avec les acteurs sociaux. Dans le mouvement syndical, les choses bougent, des convergences d'analyse et d'approche sont possibles à la condition de respecter l'autonomie de chacun et les champs spécifiques de responsabilité. Mais ne laissons pas passer aussi cette occasion-là.

     Il faut un parti plus européen, ce qui suppose un nouveau parti des socialistes européens.
D'autres contributions dans le débat militant viendront sans doute enrichir cette première vision de notre rénovation, mais d'ores et déjà j’affirme ma volonté de faire de notre Congrès de Dijon un congrès d'orientation politique, de choix de direction, mais aussi de réformes statutaires profondes et applicables immédiatement. C'était la démarche que Lionel Jospin avait engagée en octobre 1995. C'est aussi la mienne.

Mais un parti fort n'a de sens que dans une stratégie de rassemblement de la gauche.

Nos électeurs veulent l'union et, si on les entendait jusqu'au bout, l'unité sans doute de la gauche dans un seul parti. Nous connaissons les difficultés d'une telle entreprise et ce qu'elle déclenche immédiatement chez nos partenaires. Rien n'empêche pour autant de procéder par étapes. J'ai cru comprendre que le Parti Radical de Gauche, par la voix de son Président, souhaite engager avec nous une discussion sur un possible regroupement. Nous y sommes prêts.

Avec les Verts et les communistes, c'est la formule de l'accord sur un projet qu'il faut privilégier. C'est la seule qui respecte chacune des composantes, c'est la seule qui engage la parole de tous, c'est la seule qui justifie des accords électoraux. Il ne peut plus y avoir d'accord électoraux s'il y a pas, au préalable, un accord de gouvernement.
C'est là aussi que la clarification doit se faire.

Je le dis ici, mais également pour être entendu au-delà, il n'y a rien de possible, à mes yeux, avec une extrême gauche politique dont le seul objectif, pour le moment, est de nous combattre, que l'on soit au pouvoir, au nom d'une pseudo trahison, ou dans l'opposition, au nom d'une insupportable récupération. Sauf à accepter ses orientations, c'est-à-dire en fait le refus de la réforme et donc du pouvoir. Nous devons, chers camarades, engager une vraie confrontation politique avec elle, en défendant nos idées, car ce sont elles qui font progresser la société. À nous d'être convaincants et sûrement pas repentants à l'égard de l'extrême gauche. Que le Parti Communiste soit dans cette ambiguïté devrait d'abord nous conduire à ne pas l'être à notre tour, en tout cas, c'est son affaire et pas la nôtre.

Voilà, chers camarades, ce que je voulais livrer à ce stade de notre débat. Je le fais librement mais avec la volonté de respecter la parole militante. Je le fais franchement car je souhaite, au moment de l'ouverture de la procédure du Congrès et après avoir tiré tous les enseignements de nos échanges, entendu tous les comptes rendus des Fédérations, pouvoir rassembler sans exclusive mais sans arrangement factice, tous ceux qui le voudront sur une ligne capable d'identifier clairement les socialistes, de mobiliser la gauche et de convaincre les Français.

Il est légitime et même nécessaire que tous ceux qui ont ou qui auront d'autres analyses, d'autres orientations, d'autres démarches les soumettent au vote des adhérents. Il faut sortir de la logique des courants d'hier et avoir dans ce Congrès un vrai débat stratégique, avec la nécessité au final de constituer une direction cohérente, renouvelée et capable de créer la dynamique nécessaire.

Au moment où la droite rencontre ses premières difficultés économiques (et elles seront sérieuses avec la remontée du chômage), budgétaires (et elles seront de toute façon présentes dès le printemps prochain, pacte de stabilité ou pas), sociales (et l'on voit bien les mouvements qui sont à l'œuvre), à l'heure où Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, pour faire diversion, multiplient les effets d'annonce en utilisant des mots qui, souvent, nous appartiennent (décentralisation, intégration, développement durable), sans les traduire en actes - j'ai vu que cela impressionnait certains… nous, on pourra leur dire ce que nous savons de Jacques Chirac quant aux mots qu'il prononce - les socialistes doivent mesurer leur responsabilité.

Les Français veulent une opposition forte et combative, marquant à chaque fois nos différences -et elles sont sur tous sujets, de l'éducation au service public, sans oublier la sécurité- capable aussi d'incarner une alternance, c'est-à-dire une espérance. Nous avons montré nos capacités de reconquête, y compris contre le Front National ou le MNR à Vitrolles. Nous devons faire de nos débats internes non une joute incompréhensible, une dispute interminable, mais un bel exercice de vitalité démocratique et d'échange d'idées. Ouvrons-nous largement, c'est le moment, évitons, de grâce, la tentation du repli sur soi et fixons au bout du processus une ligne qui vaille non simplement pour nous, socialistes, mais aussi pour la gauche et, surtout, pour les Français.

CONCLUSION

Nous vivons en effet une situation politique paradoxale et ce sera mon dernier mot. La gauche a essuyé une défaite mémorable et, en même temps, elle n'est ni rejetée ni bannie par les Français sans que, pour autant, nous bénéficiions encore d'une dynamique de regrets.

Tout dépend donc de nous. Le débat que nous engageons n'est pas qu'un simple exercice interne à des fins de savoir qui a raison ou qui a tort. La forme qu'il prendra, la qualité de nos conclusions, la maîtrise de nos échanges seront aussi déterminantes que de savoir qui sera le prochain dirigeant.

Si nous utilisons les mois qui viennent pour définir de nouveaux caps, ouvrir de nouveaux champs de réforme, affirmer de nouveaux engagements conformes à nos valeurs, à notre identité et aux aspirations des citoyens, alors, je vous le dis, tout sera de nouveau possible et de notre défaite, finalement, sera sorti un Parti socialiste renforcé dans l'épreuve et capable de nouveau de prétendre à l'exercice de la responsabilité.

Et c’est pourquoi dans cette démarche que j’estime essentielle pour l’avenir de notre Parti et donc de toute la gauche, je ne poursuis aucun intérêt personnel, sauf à penser qu’ils se confondent avec l’intérêt général du Parti socialiste.

Je vous appelle donc, chers camarades, au débat, à la rénovation, à la clarté, à l’unité. C’est la meilleure façon pour nous de servir le socialisme mais aussi la politique et la démocratie.



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