Une société inquiète, inégalitaire et fragmentée

François Hollande
Intervention de François Hollande, premier secrétaire, lors du Conseil national du Parti socialiste du 20 mars 2005.


 
Chers Camarades,

Notre Conseil national ouvre la réflexion sur notre projet, à travers la première étape : le diagnostic, et qu'il est temps de le faire. Nous avons une responsabilité - les uns et les autres : préparer l'alternance de 2007.

Nous sommes, en effet, à deux ans - presque jour pour jour - des grands rendez-vous électoraux de 2007. Nous sentons monter le besoin d'alternance à mesure que l'impopularité du pouvoir se confirme, que ses échecs se révèlent, que ses mystifications apparaissent et que ses impuissances sont reconnues.

Nous voyons aussi s'affirmer la volonté de changement et il n'est pas encore dit, il n'est pas encore écrit que c'est forcément la gauche qui en saisira toute l'opportunité, dès lors qu'au sein de la droite un faux-semblant s'organise autour d'un libéralisme dissimulé sous la flatterie individuelle et la flagornerie communautaire.

Il revient aux socialistes de préparer un projet qui démontre d'abord que nous avons collectivement tiré les leçons de nos gestions passées, tout en reconnaissant avec fierté ce que nous avons fait. Cet exercice, d'ailleurs, sur l'échec, convenons que nous l'avons aussi engagé lors de notre Congrès de Dijon. Mais, il faut y revenir autant de fois qu'il sera nécessaire, à la condition d'en tirer les enseignements utiles pour l'avenir.

Nous devons, ensuite, comprendre la réalité de notre société, les aspirations de nos concitoyens mais aussi leur désenchantement à l'égard de la démocratie. C'est l'objet du diagnostic d'aujourd'hui.

Nous devons, enfin, porter une vision, une perspective, pas seulement pour le quinquennat qui vient, pas nécessairement pour le prochain siècle -ce serait trop loin, mais au moins pour la prochaine décennie. Les Français veulent connaître le sens de l'action que nous voulons conduire ; ils veulent aussi en connaître le contenu, mais les deux vont de pair. Pour répondre à un tel cahier des charges et pour associer - et c'est notre volonté commune - les adhérents à notre travail collectif - et plus que les adhérents, aussi les Français - notre agenda doit forcément être maintenant précisé et resserré.

En 2006, nous avons, au-delà de l'approbation de notre projet, à tenir un congrès, à élaborer un éventuel contrat de gouvernement avec nos partenaires et, enfin, à désigner nos candidats pour les élections majeures de 2007 (présidentielle, législatives). Dès lors, il n'y a pas de temps à perdre.

Notre Conseil national porte sur la première étape de notre projet : celle du diagnostic. C'est un moment important, car il faut savoir d'où l'on part si l'on veut fixer le point d'arrivée ; il faut dire lucidement le présent pour vouloir sincèrement l'avenir. Bref, il faut comprendre ensemble pour décider, le moment venu, ensemble.

Je veux saluer le travail qui a été mené par le Secrétariat national au projet : Martine, Dominique et Jack qui présentent le texte dont nous allons débattre aujourd'hui. Je veux saluer aussi le travail de toutes les commissions qui se sont réunies pendant plusieurs mois sous la houlette d'Alain Bergounioux qui en a fait la synthèse, le travail des fédérations dont François Rebsamen dira l'importance de leurs contributions.

Je veux aussi dire que lors de la Commission nationale du projet de mardi, nous avons reçu des textes qui seront aussi évoqués aujourd'hui et qui enrichissent notre démarche. Nous avons, pour ce Conseil national, des questions à nous poser et des réponses déjà à apporter. Ces questions sont les plus essentielles : dans quel monde sommes-nous ? Comment pouvons-nous le maîtriser ? Quelle est la société dans laquelle nous vivons ? Comment en tirer les aspirations et faire en sorte de la mobiliser sur un projet d'avenir ? Quels atouts majeurs mobiliser ? Quel sens donner à notre projet et quelles priorités retenir ?

Le monde

Nous l'avons caractérisé, ce n'est pas la première fois. Il est aujourd'hui instable et déséquilibré. Un monde où le libéralisme planétaire s'est imposé, l'unilatéralisme politique aussi, comme s'ils marchaient de concert, où la marchandisation a creusé des inégalités profondes, où de nouvelles puissances émergent -ce qui est un bien pour le développement, mais aussi une concurrence nouvelle qui s'affirme à travers la Chine ou l'Inde, où des violences nouvelles apparaissent au lendemain même de ce qui nous avait paru être l'annonce de la paix avec l'effondrement du mur de Berlin, où le terrorisme a eu des manifestations horribles partout dans le monde et pas seulement sur le territoire américain, et enfin, où les défis climatiques, énergétiques posent à nos sociétés mais aussi à nos projets la question essentielle de savoir si nous voulons collectivement maîtriser notre destin planétaire.

Une société inquiète

Face à ce monde-là, nous sommes également dans une société inquiète. Inquiète parce qu'elle appréhende l'avenir ; inquiète parce qu'elle ne sait plus si les repères politiques suffisent à décider de son avenir ; inquiète parce qu'il ne s'agit plus simplement -pour les classes populaires- de savoir quelle est leur place dans le monde du travail, le risque étant maintenant celui de l'exclusion, mais l'inquiétude est également celle des couches sociales - nombreuses - et qui ne se réduisent pas aux classes moyennes et qui s'interrogent sur les risques de la ségrégation urbaine et de la séparation sociale, voire même du déclassement, d'où l'importance que revêtent des thèmes comme l'école, le travail, le logement, puisque, précisément, aucun de ces éléments n'est devenu sûr dans la société d'aujourd'hui.

Une société inégalitaire

Nous sommes également dans une société profondément inégalitaire, et nous en faisons tous le constat. Ce ne sont pas simplement des inégalités de revenus, de patrimoines, de statuts, de formation, mais également des inégalités dans l'habitat mais aussi dans la localisation dans l'espace.

Une société fragmentée

C'est une société où l'individualisation est au coeur des classes sociales, sans les faire disparaître, mais ou l'éclatement du travail, la multiplication des statuts affaiblissent les solidarités sans pour autant gommer les communautés de destin. Il y a des diversités qui fracturent un certain nombre de valeurs communes, mais en même temps une demande générale d'intervention régulatrice de la part de l'Etat.

Nous sommes devant une situation où le monde appelle une maîtrise politique, où les sociétés inquiètes, inégalitaires, demandent du sens et de l'intervention publique et où, précisément, l'action pour les responsables est devenue à la fois plus difficile et encore plus nécessaire.

C'est pourquoi, il y a aujourd'hui deux modèles possibles.

Celui que propose la droite, autour d'un discours compassionnel, au mieux, moralisateur, souvent, accusateur, toujours, et qui fait de la compétition et de la séparation urbaine une forme de destin fatal, où chacun devrait accepter son sort, où devrait être vantée sa réussite, mais également où chacun devrait admettre son échec, sans porter la moindre responsabilité de sa situation sur les pouvoirs publics.

En face de ce modèle, il y a le choix de la gauche qui consiste - et c'est le sens du projet qui déjà s'esquisse - d'abord à mobiliser les atouts de notre pays - et ils sont nombreux, au-delà de l'inquiétude, des inégalités. Il faut refuser le message du déclin que la droite réactionnaire veut imposer dans l'esprit public. Ces atouts sont nombreux : la main-d'œuvre, la démographie, la qualité de nos services publics, la forme que revêt le contrat social dans notre pays, le modèle républicain...

Nous devons faire de l'égalité des chances une chance supplémentaire pour la réussite collective. Et, de ce point de vue, la redistribution et la production de richesses vont de pair. C'est la deuxième conclusion de notre diagnostic. Faire en sorte que l'égalité soit mis au service de la prospérité.

Enfin, nous devons affirmer des priorités fédératrices qui concernent une grande majorité de Français et qui intéressent les classes populaires comme les classes moyennes :
     1er chantier : l'Education, formation, société de la connaissance
     2ème chantier : la préparation de l'avenir, la Recherche, l'innovation, le développement durable
     3ème chantier : le travail et l'emploi pour sécuriser les parcours et assurer la réussite pour tous
     4ème chantier : le vivre ensemble, à travers le logement, l'organisation du territoire et la sécurité.
La méthode que nous retenons, et qui doit être au cœur même de nos propositions, c'est la démocratie. Ce qui suppose au préalable une rénovation profonde de nos institutions, de la démocratie sociale, de la place des citoyens dans nos propositions.

Nous avons une exigence : introduire la dimension internationale à notre projet. De ce point de vue, il n'est plus possible de distinguer politique intérieure et politique extérieure. Projet pour la France et projet pour le monde : tout se tient. C'est en ce sens que l'Europe est forcément une réponse essentielle.

Nous avons un effort à faire les uns les autres. L'effort d'abord de nous rassembler sur la démarche qui est proposée. De le faire avec le souci de dire la vérité aux Français sur le monde, sur la France, sur nos propositions ; de dire ce qui est possible mais de dire aussi ce qui prendra du temps ; c'est une précaution utile pour la suite. Et de le faire avec volonté pour montrer qu'il y a là une véritable alternative, que nous savons où nous allons et que nous portons un projet qui a du sens, une direction.

Je propose donc le calendrier suivant pour la suite de nos travaux :

Notre Conseil national débat du texte aujourd'hui ; ensuite, il l'adressera à l'ensemble des adhérents ainsi que les contributions au débat. Jusqu'en juin, les Fédérations - dans les formes qu'elles décideront - feront les amendements, les corrections, les apports et nourriront ce texte à travers les débats avec les Français.

Un nouveau diagnostic enrichi sera présenté au mois de juin au Conseil national. Ce Conseil votera sur la conclusion et je souhaite que nous puissions -par nos efforts respectifs- parvenir, si cela est possible, à une synthèse sur le point de départ si on veut parvenir à une synthèse à l'arrivée. Au terme de cette phase, des rapports seront proposés sur les grands chantiers, les grandes priorités que nous aurons retenues. Les propositions qui en découleront seront, elles aussi, soumises à la consultation des militants à l'automne.

Fin janvier 2006, début février, le projet sera mis en forme par l'équipe de Martine, Jack et Dominique et adopté dans une forme solennelle en mars ou avril.

À chaque étape, nous veillerons à impliquer - au niveau national comme au niveau fédéral ou local - l'ensemble des forces vives de notre pays.

Voilà ce qui nous attend. Je sais aussi qu'il y a une autre échéance et que nous avons, à l'occasion de nos travaux, un rendez-vous à l'esprit : la campagne référendaire. Elle nous mobilisera pleinement. Elle ne doit pas nous détourner de deux exigences collectives :
     Impliquer nos militants, les adhérents du projet, nos concitoyens au travail de réflexion collective car, la seule échéance qui marque l'alternance, c'est 2007 ; la seule échéance sur laquelle les Français nous attendent pour le projet, c'est 2007. Le seul élément sur lequel ils feront leur choix, au-delà des personnes, c'est le projet. A partir de là, c'est notre bien commun ; en tout cas, cela doit le devenir.

     Rassembler les socialistes : chacun ici est attaché à l'unité du parti ; chacun sait qu'il n'y a pas d'avenir -et même pas de présent- en dehors du Parti socialiste ; chacun sait qu'il n'y aura pas de victoire possible en 2007 si le Parti socialiste n'est pas lui-même uni. Chacun sait qu'il n'y aura pas de rassemblement de la gauche, si l'unité des socialistes est froissée. A partir de là, il y a un après-référendum et, contrairement à ce que d'aucun prétende en dehors de nous, les socialistes et la gauche, au-delà du « oui », au-delà du « non », auront à se réunir pour bâtir l'alternative ensemble.
La confrontation majeure est entre la gauche et la droite ; toute la gauche, dès lors qu'elle sait donner du sens, ouvrir de nouvelles étapes pour le progrès et porter un espoir possible. Le Parti socialiste a fait un choix pour le référendum ; c'est le « oui ». D'autres, à gauche, en ont fait un autre ; mais tous devront se rassembler pour gagner ensemble. Mais, il n'y aura de victoire possible que si nous-mêmes, les socialistes, savons être ensemble sur un projet. Nous le préparons aujourd'hui ensemble.

Chers Camarades,

Je ne tirerai pas toutes les conclusions des débats que nous avons eus aujourd'hui.

Nous avons, pour autant, été capables - et c'était déjà vrai au moment de la Commission nationale du projet et cela le sera dans les fédérations - de mener à bien une délibération collective sur ce qui est l'essentiel, c'est-à-dire le projet des socialistes.

Nous l'avons fait avec le souci de trouver une cohérence au-delà de la description que nous pouvons faire de la société et du monde, et de trouver une ligne directrice de ce que sera le coeur de nos propositions.

Je ne sais ce que donneront les débats à l'extérieur de cette salle car, apparemment, cela n'a tourné qu'autour du projet. Je verrai ce soir à la télévision que d'autres se sont exprimés sur d'autres sujets ; ce serait regrettable, parce que ce serait amoindrir la réalité de ce qu'a été notre réunion. Et si j'ai tenu à ce que nous n'abordions que ce seul sujet dans ce Conseil national, c'est pour éviter que d'autres sujets soient évoqués dans l'arrière-salle.

Je veux terminer sur trois points :
     Nous avons souhaité - et cela a été rappelé plusieurs fois - insister sur la gravité du monde, sur le libéralisme financier dans toutes ses dimensions, sur la gravité de la compétition internationale qui est en cours et nous avons aussi mis en évidence les dérives climatiques, énergétiques qui nous menacent.

    Au-delà de ce constat, je veux vous mettre en garde. Si nous concevons le monde d'aujourd'hui comme un monde - et il l'est - à ce point effrayant, dans lequel le capitalisme est à ce point invulnérable, où le libéralisme est la règle fatale, alors ce que nous décrivons comme un monde qu'il faut dominer deviendra - sans que nous en soyons nous-mêmes conscients - un monde que nous ne parviendrons pas à maîtriser aux yeux de nos électeurs.

    Il faut donc donner cette double dimension : un monde qui, bien sûr, a des forces contraires aux valeurs que nous portons, mais en même temps, il faut démontrer que les valeurs qui sont les nôtres, que les idéaux que nous partageons avec les forces progressistes de la planète permettent précisément de dominer les forces qui pourraient nous submerger.

     Nous avons beaucoup insisté sur la fragmentation et les classes sociales, avec une question tout à fait pertinente qui est de savoir s'il n'y a que de la fragmentation ou que des classes sociales. Et, bien, il y a les deux. Il y a des classes sociales qui demeurent et qui sont d'ailleurs plus structurées que par le passé et, au sein de ces classes sociales, il y a des éclatements, des fragmentations, des individualisations. C'est là qu'il y a danger pour la gauche. Car la droite peut utiliser l'individualisation pour démontrer qu'il n'y a plus de solidarité de classe, qu'il n'y a plus de nécessité de l'affrontement et qu'il suffirait de s'adresser à chaque individu pour lui démontrer qu'il a un avenir ou qu'il a été entendu par les responsables publics.

    Nous devons donc mettre en évidence le fait qu'il y a des fragmentations qui altèrent l'idée même de solidarité ; qu'il y a des classes sociales qui demeurent structurées, mais qu'il y a un souci de conciliation et de fédération.

     Le projet des socialistes est d'arriver à fédérer. On peut nous dire que nous revenons aux idées d'exclus, de classes populaires, de classes moyennes... Je ne veux pas simplement faire des additions. Je veux dire, aujourd'hui, que les classes populaires sont menacées par l'exclusion, mais que les classes moyennes ne sont pas à l'abri du déclassement et de la perte de situation ou de statut. Il y a donc une manière d'unir les Français, sans que l'on ait besoin de chercher un groupe central. Nous n'avons pas besoin d'identifier une cible. Nous devons dire qu'il y a une très grande majorité de Français, ou plus exactement de citoyens qui vivent en France, qui attendent beaucoup de nous.

    C'est pourquoi, les priorités qui se dégagent du projet sont des priorités qui unifient et non qui séparent : l'éducation, la formation, le développement durable, le logement, la localisation des activités et la question majeure de la démocratie... Tout cela unifie bien plus que cela ne s'épare. Alors, face à une société qui individualise, qui fragmente, face à une droite qui veut séparer, qui veut ghettoïser socialement un certain nombre de réalités, nous devons être la force politique qui unifie, qui fédère et qui réconcilie. Voilà le sens du projet que nous devons porter.

    Ce texte est maintenant à la disposition du Parti, les différentes contributions seront adressées ; je souhaite qu'il y ait un débat, au-delà de la campagne sur le référendum, et qu'au mois de juin, nous nous retrouvions pour adopter définitivement ce texte.

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