Une addition de refus, une expression des peurs et une exigence de changements

François Hollande
Intervention de François Hollande, premier secrétaire, lors du Conseil national du Parti socialiste du 4 juin 2005.


 
Chers Camarades,

Nous sommes aujourd’hui réunis pour tirer toutes les conclusions du référendum du 29 mai, de la campagne comme de son résultat. Mais, nous sommes aussi réunis pour engager dès à présent la préparation de l’alternance.

Une majorité de Français vient de rejeter le Traité constitutionnel. Ils l’ont fait après des semaines de débat intense. Au-delà du « Oui » et du « Non », au-delà de nos positions collectives ou personnelles, cette décision engage notre pays et a d’ores et déjà des conséquences sur l’Europe.

Ce n’était pas la position de notre Parti, telle qu’elle s’était exprimée par la consultation militante du 1er décembre. Je regrette donc ce résultat, mais j’en prends toute la mesure. Je veux d’abord remercier tous les militants socialistes qui ont défendu, tout au long de cette campagne, la ligne de leur parti. Ils l’ont fait dans un contexte difficile et dans une grande confusion. Ils l’ont fait au nom d’une double fidélité. Une fidélité à leur engagement européen et une fidélité au vote militant. Je rends également hommage à ceux qui, ayant défendu le « Non » dans notre débat interne, ont tenu leur engagement de discrétion et de réserve. Je déplore la division qui s’est installée en notre propre sein et sur laquelle nous aurons collectivement à revenir, car elle porte sur les fondements mêmes de notre vie collective. En disant « Oui », les socialistes répondaient à la question posée, celle relative à la ratification du Traité constitutionnel. Ils considéraient que c’était un progrès réel et en plus partagé par l’ensemble des socialistes européens. C’était, à nos yeux, la bonne position. Mais l’ampleur du vote « Non » au référendum montre bien qu’une partie de nos électeurs a d’abord jugé un contexte plus qu’un texte.

Notre premier devoir est donc de comprendre. Le vote du 29 mai est à la fois une addition de refus, une expression des peurs et une exigence de changements.

1. Addition de refus :
     Le premier refus, c’est celui du texte qui a été jugé par beaucoup trop long, trop compliqué, trop en continuité avec les traités antérieurs que nous avions nous-mêmes élaborés et votés. Bref insuffisamment protecteur pour être lui-même protégé de la vindicte à l’égard de la droite ;

     Le refus du pouvoir, du pouvoir qu’incarne Jacques Chirac demeuré sourd à toutes les interpellations du pays, à tous les avertissements électoraux, à toutes les souffrances sociales (précarité, RMI, abandon…) ;

     Le refus du libéralisme, à travers la politique de la droite depuis trois ans qui a augmenté le chômage, accru la précarité et aggravé les inégalités sociales, mettant les classes populaires et une partie des classes moyennes en situation de rupture à l’égard du libéralisme dans toutes ses déclinaisons, aussi bien européenne que française ;

     Le refus de l’Europe telle qu’elle est, et dont nous sommes sur beaucoup de points les auteurs. C’est-à-dire essentiellement une Europe économique, monétaire et insuffisamment démocratique. Le paradoxe aura voulu que le Traité constitutionnel qui était supposé répondre à ses insuffisances fasse les frais de l’insatisfaction à l’égard de l’Europe d’aujourd’hui.
Voilà les refus ; ils sont multiples, ils ne sont pas forcément cohérents les uns les autres, mais ils se sont exprimés de la même manière à travers un « Non » majoritaire dans le pays.

2. Expression des peurs
     Peur de l’avenir, à travers la crainte de la perte de leur propre identité : sociale, nationale ; c’est vrai que notre peuple est en quête - et depuis longtemps - de repères, de sécurité, de références stables ; cette crainte touche des catégories sociales déboussolées par le libéralisme et par la crise ; peur des ouvriers par rapport à la mondialisation ; angoisse des ruraux par rapport à la dislocation des territoires, à l’effacement des traditions, des modes de vie, des cultures ; inquiétude des agents publics par rapport aux menaces sur les services publics. L’identité européenne est apparue trop vague pour donner une cohésion face à une identité nationale elle-même en crise ;

     Peur de l’autre : l’élargissement mal expliqué et mal préparé, conjugué au spectre complaisamment entretenu de l’adhésion de la Turquie a été aussi un vecteur du « Non ». Je ne parle pas de sa version xénophobe dont le plombier polonais a pu être un moment l’expression, mais de l’appréhension d’une compétition entre salariés à travers les délocalisations, entre systèmes sociaux, entre peuples, alors même que le Traité fournissait un élément de réponse Les angoisses existent et il ne servirait à rien de les nier. Encore faut-il savoir, ensemble, les dominer, les maîtriser et être capables d’y répondre. Je considère, aujourd’hui, qu’une course de vitesse est engagée entre la gauche et les extrémistes sur le bon ou le mauvais usage de ces peurs.
3. Exigence de changements :
    Le résultat du 29 mai, venant après d’autres consultations, sert de révélateur. Il exprime aussi des attente  :

     Demande de sécurité sociale : d’abord l’emploi, à travers la préparation des mutations industrielles, l’organisation des parcours professionnels, l’effort en matière de formation ;

     l’éducation, à travers la garantie de l’accès de tous au savoir ;

     le logement, comme première garantie personnelle… Bref, tout ce qui fonde le pacte social a été une, une nouvelle fois, une exigence portée par les électeurs du « Oui » comme du « Non ».

     Exigence de solidarité territoriale : la fracture territoriale saute aux yeux ( centre des villes / périphérie – métropoles / zones rurales – centres technologiques / régions industrielles). C’est une revendication d’égalité mais aussi d’avenir : accès aux services publics, aux technologies. Nous devons donc répondre à ce sentiment d’abandon dans les zones rurales comme dans les quartiers populaires.

     Expression d’un projet collectif : il ne peut y avoir d’ambition européenne sans projet national. Il ne peut y avoir de confiance dans l’élargissement de notre horizon démocratique sans participation à la vie collective. Il ne peut y avoir d’adhésion à un grand ensemble institutionnel qu’est l’Europe sans rénovation du lien démocratique, en France notamment.

     Volonté d’une Europe plus protectrice : Dans le « Oui » comme dans le « Non », c’est cette même demande qui s’est exprimée : une Europe plus politique - nous disions que c’est avec le Traité qu’elle était possible-, une Europe plus responsable - nous disions que c’est avec le Traité qu’elle était organisée -, une Europe plus maîtrisée pour son avenir - nous disions que c’est avec le Traité qu’elle était ainsi introduite -, une Europe plus régulée, plus sociale.
Ces exigences sont lourdes. Et nul ne peut prétendre y répondre par des slogans, par des incantations ou par des illusions. Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas une alternance, ce n’est pas de savoir qui d’entre nous aura la responsabilité de nous conduire jusqu’en 2007, mais un approfondissement ou un coup d’arrêt à la crise démocratique. Voilà le sens, maintenant, de notre travail collectif.

Nous sommes en effet dans une crise.

1. Elle est d’abord européenne
.
    Il est trop tôt, encore, pour mesurer les conséquences du « Non » français au référendum. Il faudra d’ailleurs en faire régulièrement l’évaluation. Mais, d’ores et déjà, il apparaît que le Traité constitutionnel est en train d’agoniser. Certains s’en réjouiront, d’autres le déploreront. Et que, pour le moins, il n’existe à l’heure d’aujourd’hui aucun « Plan B ». Le « Non » français en entraîne d’autres : déjà celui des Pays-Bas. Les plus optimistes y verront la contestation du libéralisme, d’autres pourront y voir son succès, puisque plusieurs pays s’engouffrent dans la brèche pour en finir une bonne foi avec l’Europe politique. Il faudra suivre les conséquences du « Non » de la France sur l’Europe et mettre en regard les propos d’hier avec les résultats de demain.

    Entre la résurgence des nations (et je ne parle pas encore des nationalismes) et l’aspiration fédérale, le combat n’est pas joué.
    Et, quand on voit avec quelle vitesse chacun des pays détricote l’Europe, tire sur son fil pour espérer en avoir davantage au détriment des autres, c’est vrai que la crainte existe.

    Qui peut croire que Jacques Chirac et son nouveau ministre des Affaires étrangères sont les mieux placés pour dénouer la crise ? À tout le moins, il y faudra du temps. Et nous avons tous ensemble à prendre des initiatives. Elles doivent passer par le mouvement socialiste européen, car nous n’avons pas d’autres alliés en Europe. Je demande que le Conseil national s’adresse au PSE pour que soit organisée, dans les meilleurs délais c’est-à-dire avant l’été, une Convention socialiste européenne sur l’avenir de l’Europe politique. C’est à nous de reprendre l’initiative.

    Il ne s’agit plus de débattre entre socialistes français, entre socialistes européens du « Oui » et du « Non », mais de partir de la situation actuelle pour trouver, avec les progressistes européens, les issues conformes à nos propres engagements. Si le mouvement progressiste lui-même ne définit pas les conditions d’une issue de la crise, alors il y aura la crise et elle ne sera ni favorable à l’Europe sociale, ni favorable à l’Europe politique.
2. La crise de la France
    C’est d’abord une crise du système Chirac. Nous vivons l’épilogue d’un mandat fondé sur le mensonge, prolongé par un malentendu et dont le but ultime est sa seule protection.

    Face au désaveu des urnes, à l’impopularité record, à la somme des échecs dont la France et maintenant l’Europe font les frais ; un Président, surtout de tradition gaulliste, en aurait tiré les conclusions immédiates. Jacques Chirac fait le choix inverse. Il ne nous surprend pas. Nous l’avions dit avant le référendum. Ne pas démissionner, c’est la seule promesse aujourd’hui qu’il est capable de tenir.

    Le gouvernement qu’il a constitué est celui du dernier carré, avec ses anciens collaborateurs à l’Elysée aux postes clé, à commencer par le Premier ministre. Mais, il a été obligé, pour la première fois sous la Vème République, d’en nommer un autre qui, lui-même, y a introduit son propre clan. Ainsi, coexiste au sein du même gouvernement deux rivaux, deux équipes et deux politiques. Le seul point commun est le bonapartisme. L’un reconstitue les 100 jours et l’autre prépare le 18 Brumaire. Personne ne peut avoir le moindre doute, la moindre illusion sur la réussite d’un tel attelage.

    Il s’installe dans le manquement aux règles : un Premier ministre dépourvu de tout mandat électif, un ministre de l’Intérieur cumulant la présidence d’un parti majoritaire et chargé de préparer les élections autant que la sienne, et la présidence d’un conseil général. Les moyens de l’Etat au service des protections personnelles et le Parlement abaissé. Mais, surtout, ce gouvernement est incapable de répondre au défi qu’il s’est lui-même posé. C’est la quatrième fois depuis 2002 que Jacques Chirac, avec les mêmes mots impulsion et mobilisation, annonce un nouveau plan pour l’emploi. Et le nombre de chômeurs, dans le même temps, s’est accru de 200 000.

    Il y a donc coexistence d’une crise de régime, d’une crise politique et d’une crise sociale.

    À l’évidence, le système institutionnel n’en sortira pas indemne. Et tant mieux. Un changement rapide s’impose dans l’organisation même de notre République et qui doit aller bien au-delà des pratiques pour porter le pouvoir présidentiel lui-même.

    Mais, dans les prochains mois, toutes les exaspérations sociales vont continuer de s’exprimer d’une façon ou d’une autre. Et les mécontentements ne peuvent s’apaiser dans un contexte de croissance ralentie, de chômage élevé et de pouvoir d’achat atrophié. Tous les ingrédients d’un mécontentement social grandissant sont réunis.

    Dès lors, cette crise doit trouver un débouché politique d’ici 2007 :

       La droite a choisi une stratégie : une stratégie libéralo-sécuritaire. Il s’agit à la fois d’abandonner le modèle social mais aussi le modèle républicain. Puisque le pays a peur, il doit être rassuré non pas par des sécurités sociales renforcées, mais par des politiques sécuritaires spectaculaires : l’éradication des voyous devient un programme politique à lui seul ! Et la question de l’immigration va devenir l’enjeu majeur pour la droite. La droite qui sait que la France n’est pas libérale est en train de chasser sur les terres de l’extrême droite pour retrouver ce qu’elle a perdu sur le terrain social. Elle répond par l’ordre public au désordre social qu’elle crée parallèlement.

       La gauche est devant un choix : ou bien elle agrège la somme des mécontentements, additionne toutes les revendications, les demandes et les aspirations catégorielles. Il n’est pas sûr qu’elle soit entendue. Mais, elle lèvera des illusions qu’elle aura bien du mal à calmer, sauf à ruser, biaiser ou tromper. Enflant encore la crise démocratique. Ou bien, la gauche porte un projet qui répond concrètement, et avec volonté, aux grandes attentes du pays, notamment sur l’emploi, le logement, l’éducation, donne du sens, fixe les étapes, mobilise les financements. Alors, nous pouvons être en situation non pas de profiter de la crise, mais d’en être le débouché politique et démocratique.

    Telle est la tâche du Parti socialiste, au lendemain du 29 mai, au-delà du « Oui » ou du « Non ».

    Notre premier devoir, c’est de nous rassembler.

    Nous le dirons tous aujourd’hui. Mais, faut-il être francs entre nous. Nous ne nous rassemblerons que dans la clarté sur la politique et nos règles de vie collective. Il s’est passé des choses graves dans notre famille, inédites dans notre histoire depuis Epinay. Un engagement de congrès avait posé le principe d’une consultation militante sur le Traité constitutionnel. Un vote a donc été réclamé légitimement au lendemain de l’annonce d’un référendum dans le pays. Il a donné lieu à un débat interne - dont nous sommes collectivement fiers - et à un résultat incontestable. Il a été floué par bon nombre de ceux qui l’avaient réclamé. Et la direction même du Parti socialiste s’est exprimée contradictoirement. Pire même, une campagne a été menée contre celle du parti socialiste. Et des camarades ont pu participer à des réunions avec des mouvements politiques qui n’appellent pas toujours à voter pour nous au second tour des élections législatives. Des militants socialistes ont même vu leurs affiches recouvertes par d’autres camarades. Bref, ces comportements ont heurté, blessé nos adhérents. Ils ont troublé notre électorat et brouillé la position approuvée démocratiquement par notre parti.

    Durant la campagne, j’ai voulu éviter l’irréparable qui aurait créé l’irréversible. On me l’a reproché. Je l’assume. Aujourd’hui, nous nous retrouvons et nous avons à redéfinir ensemble les règles de notre vie collective. Et la première est de rappeler le rôle d’un parti, sans lequel, il n’y a pas de démocratie représentative. Il n’y a pas deux légitimités, celle de l’extérieur et celle de l’intérieur. Il y a la décision libre de militants informés et responsables. Et il y a le jugement des électeurs. Ils ne coïncident pas toujours. Sinon, nous serions à l’abri de toutes les défaites. Nous avons donc à rassembler nos électeurs, mais nous avons aussi des positions à prendre, des choix à faire, des engagements à assumer et des convictions à faire partager, qui n’épousent pas toujours l’air du temps, et qui ne conduisent pas toujours la colère de choisir une mauvaise cible.

    Aussi, le rassemblement doit se faire sur une conception du parti qui consiste également à choisir, comme il l’entend, ses candidats. Nos candidats seront choisis par le Parti socialiste et pas par d’autres.

    Notre second devoir, c’est de rassembler la gauche
    .

    Elle s’est divisée entre les familles de la gauche plurielle et au sein des familles de la gauche plurielle. D’autres regroupements ont eu lieu à ses franges. Je ne sais ce que sera leur devenir. C’est l’affaire de ces groupes. Si leur démarche permet de reposer la question d’une participation au pouvoir avec toute la gauche, c’est-à-dire avec le PS, le dialogue est possible. S’il s’agit d’une confrontation avec le PS lui-même, les électeurs trancheront souverainement, mais le risque d’un nouveau malentendu à gauche n’est pas exclu.

    Mais, la réponse est d’abord de notre côté pas du leur.

    Et, là aussi, la clarté est nécessaire. C’est le PS qui doit fixer la ligne du rassemblement, son contenu et ses formes et non se les faire imposer de l’extérieur. Il doit affirmer lui-même ses idées pour ouvrir, ensuite, un dialogue avec tous ceux qui veulent exercer la responsabilité du pouvoir avec nous.

    Dès lors, si nous voulons répondre au défi politique qui nous est posé, celui des changements attendus, si nous voulons dépasser le « Oui » et le « Non » tout en prenant nos responsabilités européennes, si nous voulons proposer un contrat durable au pays et rassembler la gauche autour de lui si nous voulons confirmer le respect de nos règles collectives, il faut ouvrir un débat entre nous et donner la parole aux militants. La seule méthode est celle de la démocratie.

    Je propose donc un congrès sur le projet.

    Il portera donc sur l’essentiel, les orientations sur lesquelles sera fondée l’alternance. Il ne s’agit donc ni d’un retour sur le passé, ni d’une désignation avant l’heure, mais d’un exercice de vérité entre nous sur nos grandes propositions de réforme et notre stratégie de rassemblement. Il n’y a pas de temps à perdre sur le projet. Nous devons être prêts, peut-être plus tôt qu’il n’est prévu. Aussi, j’estime que ce congrès sur le projet devrait se tenir en novembre.

    Pour préparer cette échéance consacrée au projet, à l’orientation et à la stratégie de rassemblement, je reconstituerai une direction du Parti socialiste sur un principe simple : la cohérence. La majorité de Dijon s’est séparée, non pas tant sur le « Oui » et sur le « Non » que sur le respect du vote des militants.

    Mais, c’est au congrès que nous aurons à reformer les équipes et les majorités. Je souhaite que nous nous retrouvions tous dans cette perspective et que nous fassions les choix utiles à notre pays et conformes à nos valeurs de gauche. Ce seront les militants qui décideront. Ils restent, pour moi, la seule référence dans une démocratie de parti. Et ils ont montré, dans des moments heureux comme malheureux, leur sens des responsabilités. Ils savent que le seul objectif, c’est de convaincre les Français et non pas de gérer un appareil. Ils savent qu’il faut être majoritaire dans les élections et pas simplement dans leur parti.

    Il nous revient donc, avec eux, de nous tourner vers le seul enjeu qui compte : le changement dans le pays. C’est le seul enjeu qui vaille. Le seul qui nous rassemble tous.

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