Un congrès pour quoi faire ?

François Hollande
par François Hollande,
premier secrétaire du Parti socialiste.


  Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du jeudi 23 novembre 2000

 
Les socialistes tiennent leur congrès dans quelques jours à Grenoble. Ils ne participent pas là à un rite baroque ou à un pugilat obscur. Ils veulent, au contraire, en faire un moment utile pour le pays et pour la politique. Ils y entrent donc unis et rassemblés, loin d´un passé dont ils ont su tirer les leçons. Ils regardent le travail mené depuis 1997 sans autosatisfaction, mais avec le sentiment d´avoir tenu parole, notamment par rapport à la lutte contre le chômage. Ils relèvent que leur stratégie d´alliances, la gauche plurielle, a tenu bon, malgré les vicissitudes liées à la vie d´une majorité riche de cinq composantes.

Les socialistes ont donc traversé pire moment dans leur histoire, en particulier lorsqu´ils furent déjà confrontés à l´épreuve de la responsabilité, qu´ils connurent la désaffection des électeurs ou que - revenus dans l´opposition - ils vécurent les affres tenant à l´avenir même de leur organisation.

Aujourd´hui, le Parti socialiste, certes dans un contexte où les Français continuent de porter un jugement sévère à l´égard de la politique, est la formation qui inspire encore le plus confiance à nos concitoyens et celle dont ils se sentent le plus proches à gauche. La performance, qui n´est d´ailleurs que relative, n´a de sens que si elle est rapportée à notre présence au gouvernement depuis plus de trois ans et demi, dans le cadre d´une cohabitation exceptionnellement longue, ce qui ne la rend pas plus tranquille.

Un congrès réussi n´est jamais un simple constat. Non qu´il ne soit pas utile d´évaluer le chemin parcouru ou de porter un jugement critique sur tel ou tel aspect de notre politique. Mais, aussi significatifs que soient ses résultats, la gauche est toujours attendue sur sa capacité de faire inlassablement renaître des espérances.

Elle doit donc partir de ses acquis, de ses avancées, de son bilan pour ouvrir de nouveaux horizons. La période n´est déjà plus la même qu´en 1997. La croissance est là, avec sa lumière : les créations d´emplois qui atteignent un niveau historique ; mais aussi sa part d´ombre : de nouvelles inégalités qui justifient un partage différent des surplus. Le capitalisme, dans le même temps, poursuit sa mutation, toujours plus mondialisé, plus financier, plus concentré. Et les dégâts du productivisme prennent désormais figure de catastrophes : de l´Erika à la vache folle, du réchauffement de la planète à la brevetabilité du vivant ; ce sont les mêmes logiques qui sont à l´œuvre, celles des rendements à court terme fondés sur l´ignorance des coûts collectifs.

Face à de tels enjeux, la réponse se situe à l´évidence à l´échelle internationale. C´est pourquoi la démocratie joue son avenir moins dans un comté de Floride que dans la volonté d´organiser une régulation au niveau mondial et une puissance publique au niveau européen. Sans ces leviers, l´Etat-nation s´épuisera, au risque de distendre les liens civiques et de désagréger les solidarités. Les socialistes en sont parfaitement conscients : ils militent pour une politique extérieure qui renforce le pouvoir des institutions internationales d´édicter des règles et des normes contraignantes et pour une accélération de la construction politique de l´Europe qui dote, au moins une avant-garde, des moyens de peser davantage sur le destin du monde. Mais cette lucidité ne les éloigne pas de leur responsabilité dans le cadre national.

La question aujourd´hui n´est plus de remettre un pays sur les rails, après bien des erreurs d´aiguillage, ni de redonner confiance à un peuple découragé par deux décennies de crise. De ce point de vue, l´essentiel est fait, au-delà des fragilités conjoncturelles, l´appétit de la croissance est revenu, même si tout n´est pas ragoûtant. C´est déjà un autre défi qu´il faut relever : celui du sens à donner à une nouvelle période, celui de la perspective à tracer pour mieux vivre ensemble. Celui du vide à combler pour imposer des valeurs à un capitalisme qui ne les mesure qu´au trébuchet des marchés financiers. Il revient à la gauche d´y répondre en conjuguant trois objectifs essentiels : le plein emploi, la pleine citoyenneté et la pleine égalité.

En matière de chômage, nous avons fait le plus difficile : inverser la courbe et créer des emplois à un niveau historique grâce aux 35 heures. Mais, paradoxalement, le plus dur reste à faire : il s´agit nécessairement de favoriser le retour à ce qui paraissait être hier une chimère, le plein emploi et de permettre l´accès au « bon emploi », pour éviter que le bonheur statistique ne cache le malheur individuel : celui des travailleurs pauvres qui ne pointent plus que sporadiquement à l´ANPE, mais ne gagnent plus que partiellement leur vie.

Les socialistes doivent donc avancer de nouvelles propositions : au-delà de la pénalisation financière des entreprises qui recourent abusivement aux formules précaires, il convient d´engager une vaste réforme de la formation permanente pour donner à chacun, à tout moment de sa vie, le droit d´accéder aux qualifications nouvelles dans le cadre d´une éducation conçue sur toute la vie. La véritable politique de l´offre, c´est, en effet, celle qui valorise le capital humain, en portant haut l´exigence de savoir et en diversifiant toutes les formes d´apprentissage aux technologies de demain, le reste n´est que littérature patronale pour quémander de nouveaux abaissements du coût du travail.

Mais il faut dans le même temps traiter l´urgence. Celle exprimée par les jeunes qui aspirent à une autonomie financière pour mener leurs études ou pour faire face à la recherche d´emploi. L´idée serait d´attribuer une allocation-formation permettant, en contrepartie d´un parcours qualifiant, aux jeunes de construire leur avenir. C´est tout de même une autre perspective que la débrouille dans l´attente du RMI ! L´urgence, c´est aussi le chômage de très longue durée, qui ne peut plus être traité par des mesures d´assistance, fussent-elles complétées par des primes de Noël. C´est un véritable contrat de retour au travail qu´il faut proposer à ces personnes pour les ramener, sans doute sur plusieurs années, vers l´activité. Ce que le marché ou le PARE, même amélioré, ne parviendront jamais à finaliser. C´est à ces conditions, ajoutées à une politique de croissance fondée sur une demande vigoureuse et une offre stimulée par un effort supplémentaire de recherche et de développement, qu´une nouvelle étape sera franchie pour assurer à chacun une place dans la société à un moment où le marché du travail, s´il est laissé à lui-même, efface les frontières entre l´activité et le chômage. Le plein emploi, véritable nouvelle frontière pour les socialistes est une façon d´aller vers la pleine citoyenneté.

Nos institutions, ces dernières années, ont fait la démonstration certes de leur plasticité face aux alternances répétées, mais aussi de leur lourdeur et de leur inadaptation à agir vite et dans la transparence. Les socialistes qui ont déjà fait avancer les esprits sur la parité, la limitation du cumul des mandats ou l´indépendance de la justice, voire le quinquennat, ont désormais d´autres ambitions : l´affirmation du président citoyen et le renforcement des droits du Parlement, pour rééquilibrer exécutif et législatif ; le lancement du 2e acte de la décentralisation pour plus de démocratie de proximité, plus d´efficacité dans la prise de décision, plus de clarté dans la responsabilité mais aussi plus de solidarité entre les territoires.

Enfin, la reconnaissance de principes fondamentaux à travers l´exercice du vote aux élections locales pour les résidents étrangers, la lutte contre toutes les formes de discrimination, au nom du principe de la laïcité, le droit à une justice rapide et impartiale – et dotée de moyens accrus pour agir contre toutes les formes de délinquance et de trafics, et pour ne pas faire des prisons les nouvelles « oubliettes ».

La citoyenneté, c´est aussi mieux vivre dans notre société avec l´introduction de droits nouveaux : en faveur des salariés, afin qu´ils soient plus informés des décisions qui les concernent, davantage respectés dans leur travail et présents – par leurs représentants – dans les organes de direction des entreprises d´une certaine taille ; pour les consommateurs, afin qu´ils soient plus associés aux contrôles de l´origine des produits et de leurs conditions de fabrication ; pour les usagers des services publics, en matière de santé, d´éducation, de transports collectifs, d´énergie afin qu´ils soient consultés sur la qualité du service rendu et sur les implications des décisions prises sur les générations futures et sur l´environnement. Enfin, pour les familles, afin qu´elles puissent plus facilement concilier vie professionnelle et vie privée et bénéficier d´un socle de droits incompressibles (chauffage, eau, services bancaires).

C´est déjà le combat pour une pleine égalité. La gauche, depuis sa longue rémission des années 80, a déjà montré qu´elle savait mieux que d´autres produire, redresser et gérer. A tel point qu´elle a pu paraître presque dépourvue face à la découverte de cagnottes qui pèsent pourtant encore bien peu sur la balance des déficits nés de la crise. Il lui revient, dans un contexte économique nouveau pour elle – tant elle a fini par s´habituer à n´être appelée qu´en temps de disette sociale – à changer les mécanismes de la répartition. D´abord en introduisant un lien plus fort entre salaires et croissance : même si beaucoup dépend de la négociation entre partenaires sociaux, le message pourrait être repris au cours d´une grande conférence sur les revenus. Ensuite en refondant notre système de prestations pour que nul ne puisse vivre dans ce pays au-dessous du seuil de pauvreté et que chacun soit progressivement conduit à une activité. En abaissant les prélèvements qui frappent la consommation et le travail : c´est le sens de l´allégement de la CSG sur les bas salaires et de la baisse ciblée de la TVA et qui ne doit pas nous exonérer d´une réforme plus profonde de la fiscalité locale. En ces domaines, il n´y a pas de grands soirs, juste une détermination à rechercher obstinément la synthèse entre l´économie et le social, celle qui permet la justice sans entraver l´initiative.

La « pleine égalité » passe également par une réhabilitation des services collectifs que la dynamique aveugle des marchés rend encore plus nécessaire. L´éducation et la santé constituent des éléments majeurs du pacte social. Elles révèlent, par leurs insuffisances ou leurs progrès, l´état d´une société. Les socialistes, depuis 1997, n´ont pas – sur ce terrain-là – à rougir de leur action : l´augmentation continue du budget de l´éducation comme la création de la couverture maladie universelle en témoignent. Mais les disparités en matière sanitaire entre catégories sociales comme entre régions, comme la persistance de l´échec scolaire et de son corollaire, la reproduction sociale, obligent à faire un formidable effort quantitatif et qualitatif pour personnaliser davantage l´intervention publique, pour accompagner les plus fragiles et pour utiliser plus massivement l´apport des technologies nouvelles.

Au moment où la dictature du court terme s´impose, c´est la démocratie du long terme qui doit trouver sa place. Et si le Plan a encore une utilité, même s´il est pour beaucoup un souvenir rangé pieusement au musée des illusions, c´est bien pour programmer les moyens financiers, humains, matériels à allouer dans le temps aux services publics de l´égalité. Cette politique doit, notamment, trouver sa traduction sur les territoires les plus déglingués par le libéralisme, les quartiers comme les zones désertifiées. Les populations qui y vivent ne retrouveront leurs chances que par une solidarité fondée sur la localisation d´activités et par un saut accéléré dans les technologies nouvelles.

Enfin, l´aspiration à l´égalité ne peut s´arrêter aux frontières de l´Hexagone et du continent ; elle exige d´appréhender avec une autre intensité, une autre ampleur et une autre méthode l´atteinte aux droits de l´homme que représente la pauvreté dans le monde, et notamment de l´Afrique : l´annulation de la dette est la première étape, le codéveloppement à travers le partage des « biens publics internationaux », la seconde.

Voilà pourquoi, à l´occasion de leur congrès de Grenoble, les socialistes veulent montrer que l´engagement n´est pas vain, qu´il garde – plus que jamais – sa grandeur et sa force face à la tentation de la facilité comme de la fatalité. Que la politique est utile et même salubre face à la privatisation croissante des destins individuels et la maîtrise du progrès scientifique. Et que l´honneur d´une société, c´est de répondre collectivement à l´importance des défis qu´elle affronte. Voilà pourquoi les socialistes ont la naïveté ou l´immodestie de penser qu´en affirmant leurs idéaux, ils servent d´abord la cause de la démocratie.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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