Ce modèle conservateur aura des imitateurs

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 5 novembre 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

La réélection de George Bush est-elle pour vous une surprise compte tenu de la forte participation des électeurs ?
Essayons d'abord de comprendre ce qui s'est passé.
L'Amérique, depuis le 11 septembre 2001, est un pays en guerre. Son armée est engagée en Irak et subit jour après jour des pertes importantes. Dans ces circonstances, la tentation de faire bloc autour du président sortant, malgré les mensonges, les erreurs ou les manquements, a été particulièrement forte. Le surcroît de participation a donc d'abord bénéficié au candidat républicain et au réflexe de la peur.

Dans une élection, l'issue dépend de la mobilisation respective de chaque camp. En Espagne et en France, lors des élections régionales, c'est la gauche qui en a tiré profit sur le thème du rejet et de la morale. Aux Etats-Unis, ce sont les conservateurs sur le ressort du patriotisme et des valeurs conservatrices.

Le vote utile n'a donc pas bénéficié aux démocrates ?
Il est évident qu'une partie du vote populaire, loin d'être favorable aux démocrates, l'a été aux républicains, sur le terreau, encore une fois, de l'angoisse et du besoin, légitime, de sécurité.

Quelles conséquences la victoire de M. Bush implique-t-elle ?
A l'échelle mondiale, elle a des conséquences économiques puisqu'elle hypothèque la croissance avec un prix du pétrole élevé et sans doute une remontée des taux d'intérêt. Et elle amplifie les déficits budgétaires et commerciaux américains.

Mais elle est aussi un défi lancé à l'Europe. Ou bien celle-ci est capable dans les quatre ans qui viennent d'avoir des institutions stables et efficaces, de faire le choix d'une défense intégrée et d'une politique extérieure commune, ou bien l'Amérique impériale décidera seule du sort du monde et ramènera les Européens au rang de spectateurs critiques, d'acteurs impuissants ou d'alliés soumis.

Vous tirez argument de la réélection de M. Bush pour appeler à voter la Constitution européenne, mais les partisans du " non " l'utilisent aussi en sens inverse...
Ce qui est sûr, c'est que si l'Europe est privée de Constitution, empêtrée dans une négociation interminable sur son avenir et incapable d'assumer une union à 25 pour aller plus loin et plus vite en matière de politique étrangère commune, ne prétendons pas qu'on pourra inventer une autre Europe. Il n'y a plus de temps à perdre, d'arguties à répéter, il faut créer le mouvement, le rendre irréversible, sinon une partie de l'Europe regardera ailleurs et considérera que sa protection dépend d'une puissance extra-européenne.

Et en France ?
Sur le plan idéologique, le modèle conservateur américain aura certainement des imitateurs qui voudront introduire le caractère religieux dans la politique, utiliser le ressort communautariste et en appelleront aux valeurs néoconservatrices, y compris dans le domaine des mœurs.

Tout cela peut inspirer l'UMP sous la direction de Nicolas Sarkozy qui essaiera de tirer les enseignements dans le style de campagne, le rapport à la société, l'éloge de la réussite, l'instrumentalisation des peurs, les postures de communication...

Et vous, quelles leçons retenez-vous ?
La première, c'est qu'il faut imposer son thème. Nous en avons fait, nous aussi, la douloureuse expérience en 2002. La deuxième, c'est qu'il faut faire campagne en montrant bien les différences entre les programmes ; la troisième, que le camp qui a le plus impliqué son électorat l'emporte.

Enfin, la gauche doit répondre au besoin de sécurité. Pour combattre la peur, il faut d'abord la reconnaître et traiter ses manifestations comme ses causes.

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