Chirac s'est cyniquement
écarté de son mandat de 2002

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 27 mars 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Quelles leçons tirez-vous de la campagne des élections régionales et cantonales ?
Cette campagne a été l'occasion pour la gauche de retrouver son électorat, celui-là même qu'elle avait perdu il y a deux ans, et notamment dans les couches populaires. Mais elle a également été un révélateur de la détresse, de la souffrance, de la colère de beaucoup de nos concitoyens qui l'ont dit, peut-être même crié, à travers le vote. L'explication du sursaut civique est sans doute là : dans le refus de l'injustice et le rejet du mépris.

C'en est fini du 21 avril 2002 ?
Le 21 mars 2004 est une réplique inverse du 21 avril 2002. Mais nous aurions tort d'en oublier les leçons. Pour une part, notre stratégie de rassemblement de la gauche, notre démarche participative et le projet que nous avons porté dans l'ensemble des régions ont permis de conjurer ce qui, il y a deux ans, nous avait fait perdre. Aujourd'hui, il faut changer de numéro : ce ne sont plus les 21 qui comptent, mais les 28 ! C'est en effet dimanche que nous mesurerons l'ampleur de la sanction infligée à la droite et l'adhésion, même limitée, à l'enjeu régional et départemental que nous aurons su créer.

Comment est née l'idée du vote-sanction ?
Dès que j'ai posé l'enjeu de l'élection régionale comme un rendez-vous éminemment politique parce que jouant le rôle de scrutin intermédiaire, la consultation devenait nécessairement un jugement sur l'action du gouvernement depuis deux ans. Il n'y avait pas de raison de penser que tous les mécontentements additionnés depuis la constitution du gouvernement Raffarin ne se traduisent pas par un vote clair et fort. J'ajoute que l'absence de débouché politique des mouvements sociaux conduisait - à condition d'offrir l'occasion et le sens - beaucoup de citoyens à préférer les urnes à la rue.

Vote-sanction ne signifie pas vote d'adhésion...
Le vote PS, de gauche, a été utilisé par les électeurs pour faire entendre leur voix. Mais nous avons été d'autant plus écoutés que nous avons su convaincre de l'utilité du vote pour les citoyens eux-mêmes. En affirmant qu'il était possible, dès à présent, de changer la vie quotidienne avec des emplois associatifs, la gratuité des livres scolaires, la priorité à l'éducation et à la formation, la carte transport..., nous démontrions que la traduction du mécontentement pouvait être un progrès, que la sanction pouvait devenir une protection et un instrument d'action.

Si le second tour confirme le premier, quelles en sont, selon vous, les conséquences ?
La première sera d'installer des exécutifs qui travailleront à la mise en œuvre de nos engagements et qui montreront, dans les limites des compétences dévolues aux régions et aux départements, qu'une autre politique est possible. La seconde, c'est qu'en fonction des résultats le président de la République sera obligé de tirer des leçons. D'abord, pour ses équipes - c'est son problème, et il n'est pas mince, puisque, aujourd'hui, il y a deux premiers ministres : un réel et un virtuel. Ensuite, sur la politique qu'il inspire et qu'il sera forcé de corriger à la mesure des scores. Notre objectif est de le faire revenir au mandat du 5 mai 2002 dont il s'est écarté, cyniquement - ce qui explique la secousse du premier tour.

La gauche se rassemble, mais quelle est la ligne du PS ?
C'est celle que nous avons portée dans chacune de nos régions. Nous mettrons en œuvre des priorités qui correspondent aux fondements de notre futur projet pour 2007 : une éducation égale pour tous ; une formation professionnelle permettant une deuxième, voire une troisième chance ; un contrat avec les entreprises fondé sur des contreparties sociales et environnementales ; la priorité donnée aux transports collectifs ; la solidarité à travers des services publics présents et efficaces ; le plein-emploi comme obligation sociale et morale ; la lutte contre toutes les discriminations ; la démocratie participative comme méthode. Bref, il y a dans cette échéance de mars comme une anticipation mais aussi l'obligation d'ouvrir très largement la réflexion pour construire un projet neuf avec tous ceux qui le voudront.

Est-ce à dire que le PS prépare dès à présent l'élection de 2007 ?
Quel que soit notre résultat, dimanche, la gauche est forcément interpellée. Le PS doit se consacrer, pendant au moins un an, à bâtir, avec une méthode nouvelle et ouverte, des propositions. Il devra rassembler toutes ses énergies, toutes ses sensibilités mais surtout accueillir les idées qui nous seront présentées par les acteurs sociaux et les forces intellectuelles. L'idée est d'ouvrir tous les chantiers à la fois : l'égalité dans notre République, l'éducation, l'écologie, l'avenir de la protection sociale, la place de la jeunesse, le droit au logement, l'Europe dans la mondialisation. Ensuite, nous présenterons un projet cohérent à l'automne 2005.

Vous-même, serez-vous candidat à la candidature ?
La question du choix du candidat viendra en son temps. Je ne vais pas, moi, participer à cette course - qui a sa légitimité mais qui me paraît prématurée.

Et Ségolène Royal ?
Vous lui poserez la question. Mais elle sera peut-être bientôt présidente... de Poitou-Charentes.

La " nouvelle alliance " que vous proposez peut-elle être incarnée par Dominique Voynet et Robert Hue, que vous avez sollicités pendant la campagne ?
La nouvelle alliance ne se réduit pas à des questions de personnes. C'est une construction politique qui doit tirer les enseignements de la précarité de la " gauche plurielle ". Il faut procéder différemment en rassemblant la gauche non pas simplement le temps des élections, mais dans l'élaboration de politiques communes pour gouverner ensemble. C'est pourquoi je propose la création d'un comité de liaison de toute la gauche, au lendemain du scrutin, afin d'organiser la riposte parlementaire et politique de l'opposition face à la droite, et des rencontres régulières sur des thèmes précis pour dégager les convergences entre nous. La première réunion, en avril, portera sur l'Europe.

Le succès des listes autonomes du PCF et des Verts ne change-t-il pas un peu la donne ?
Au premier tour, il y a eu un succès de toutes les composantes de la gauche. Les listes d'union ont permis d'arriver en tête dans la plupart des régions. Si nous avions été séparés, la dynamique n'aurait pas été au rendez-vous. Si les listes autonomes ont pu recueillir des suffrages, c'est précisément parce qu'il y avait un engagement de rassemblement au second tour et une union au moins partielle au premier. Le PS ne peut pas gagner seul et la gauche a besoin d'un PS fort. Pour moi, c'est la clef de la réussite.

Je ne crois pas à la possibilité d'un parti unique de la gauche, ni même à sa nécessité. L'expérience de l'UMP est, de ce point de vue, cruelle. Nous avons besoin d'un pluralisme qui correspond à des cultures politiques enracinées. En revanche, l'union de la gauche est indispensable, sinon c'est le 21 avril bis.

N'êtes-vous pas redevable au PCF d'avoir contenu l'extrême gauche ?
L'extrême gauche a fait une faute politique, stratégique, morale même, majeure. En laissant entendre qu'elle renvoyait gauche et droite dans le même champ politique ; en refusant, encore aujourd'hui, de donner la moindre consigne de battre le gouvernement, elle s'est mise dans une impasse alors qu'elle voulait nous faire tomber dans un piège. Les électeurs ne s'y sont pas laissé prendre et ont préféré aller vers des listes des Verts, du PCF et même du PS. Le PS est d'autant plus attrayant qu'il n'est pas seul : c'est ça qu'il faut faire comprendre - même aux socialistes.

Comment allez-vous préparer les élections européennes ?
Elles sont doublement difficiles : d'abord parce que l'enjeu paraît lointain alors qu'il est essentiel, ensuite parce que le mode de scrutin favorise l'éparpillement et altère la mécanique du vote utile. L'objectif, c'est que la gauche puisse être majoritaire au Parlement européen alors que deux gouvernements sur trois sont à droite. Nous défendrons la nécessité d'une Constitution avec un contenu social et politique. Et, selon les conclusions tirées par le président de la République des élections de dimanche, nous aurons aussi à formuler un jugement national.

Un couple aux avant-postes du même parti, c'est possible ?
La vie privée ne doit avoir aucune influence sur la vie politique, sur les destins individuels et collectifs. Ségolène et moi, nous avons construit nos parcours séparément. Nous avons, l'un et l'autre, une légitimité qui vient des urnes et des militants et nous croyons à la parité, à l'égalité et à la liberté.

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