Discours
de François Hollande
lors de la rencontre
" Développement et environnement au service de tous "
à Rennes

 
 

Cher(e)s Camarades,

Nous voulions tenir ce premier colloque à Rennes pour être dans un lieu, une ville, qui a su préserver à la fois son environnement et son dynamisme économique, qui a su donc allier développement et écologie.

Nous voulions faire ce colloque en Bretagne, car nous pensions qu'il y avait là des questions persistantes en matière d'environnement et que les Bretons, de surcroît, avaient à la fois cette confiance dans l'avenir et ce souci du présent… Ils étaient à la fois fiers de leur identité de bretons et conscients de la nécessité d'un cadre national en même temps qu'européen. Nous ne pensions pas que l'actualité viendrait, une nouvelle fois, confirmer notre intuition ; car ce qui s'est passé, notamment dans cette région, confirme - s'il en était besoin - toute la thématique qui est la nôtre :
Comment réussir aujourd'hui, dans le cadre d'une économie mondialisée, à préserver ce qui est pour nous l'essentiel, c'est-à-dire la qualité de notre vie et la sécurité des transports ?

Pourquoi les socialistes, après avoir évoqué de grands thèmes, de grands sujets - notamment le développement économique, le rôle de l'entreprise, la démocratie, l'Europe - devraient se préoccuper des territoires ? Nous considérons que ce thème est essentiel à notre identité, parce qu'à travers le territoire nous posons trois questions :
 Quel environnement voulons-nous pour la décennie qui vient ?
 Quelle démocratie voulons-nous favoriser ?
 Quelle solidarité voulons-nous faire prévaloir ?
Quel territoire
voulons-nous modeler
pour la décennie
qui vient ?


Nous constatons, et tous les rapports hélas le confirment, un déséquilibre dans la répartition de la population sur le territoire, une inégalité dans la localisation des activités, voire dans la présence des services publics, une disparité dans la gestion des ressources rares et même de forts écarts dans la protection dont chacun pourtant doit être bénéficiaire par rapport à son propre environnement. Nous constatons aussi la nécessité d'une vision longue, d'une perspective, d'un cadre. Dans les années 60, un certain nombre de spécialistes de l'aménagement du territoire avaient dressé un scénario de l'inacceptable, c'est-à-dire avaient essayé d'imaginer ce que serait le territoire français si rien de cohérent, rien de durable, de programmatique n'était engagé par rapport à l'organisation de l'activité.

Et ils avaient donc établi ce scénario qui laissait penser que la population serait concentrée dans certaines zones, que le désert rural continuerait à progresser et qu'il y avait même un risque de coût collectif par rapport à des modes de transports anarchiques.

Pour partie, mais peut-être même pour une grande partie, ce scénario s'est hélas vérifié. Et ce que nous devons faire, en tant que force politique, c'est tracer et définir un scénario non pas de l'acceptable, mais un scénario du souhaitable et du possible. C'est le sens même de notre Convention. Ce qui suppose une politique de territoire qui soit une forme de réponse à la mondialisation.

Nous le savons maintenant, la mondialisation a ses effets sur les territoires. Elle les structure, notamment à travers les réseaux de transports. Elle les déstructure à travers une certaine forme d'organisation spatiale de l'activité économique. Elle les banalise surtout, quand on songe à ce que sont aujourd'hui toutes les entrées de villes dans tous les points du territoire français, toute cette même organisation de la distribution ; quand on songe aussi à ce qu'a été la place de la voiture ces dernières années, on voit que notre territoire ressemble de plus en plus à d'autres, et pas simplement européens. Nous avons aujourd'hui une grande ambition qui est de peser sur les choix immédiats par rapport à une vision de long terme de ce que doit être notre propre territoire.

Favoriser
la démocratie


Il y a eu l'étape fondamentale de la décentralisation, en 1982, qui a incontestablement rapproché les lieux de décisions des citoyens, qui a plus harmonieusement réparti les compétences. Et en même temps, nous en faisons le bilan, il y a eu une confusion des responsabilités entre les différents échelons territoriaux ; il y a eu aussi l'opacité dans les choix. Alors, il est vrai, nous avons essayé d'imaginer d'autres structures, et notamment les structures de l'intercommunalité, et qu'il y a là de nouveaux enjeux de pouvoir qui justifieront de nouveaux enjeux de citoyenneté.

Ce qu'il nous faut introduire dans nos débats, dans cette Convention, c'est la deuxième étape de la décentralisation qui pourrait reposer sur trois principes : la clarification des compétences, des pouvoirs et des moyens financiers ; la proximité quant aux décisions essentielles pour les citoyens ; la citoyenneté comme un droit supplémentaire qui doit être donné à chacun d'entre nous quant au contrôle et à la participation aux décisions qui nous concernent.

Quelle solidarité
à organiser
sur l'ensemble du territoire ?


Les conservateurs sont devenus, et tant mieux, des partisans frénétiques d'une décentralisation qu'ils ont longtemps combattue. Sans doute parce qu'ils imaginent cette décentralisation contre l'Etat qu'ils n'occupent plus depuis plusieurs années et qu'ils ont peut-être abandonné pour longtemps. En tout cas, leur comportement d'aujourd'hui le laisserait penser. Par rapport à une vision de droite de la décentralisation contre l'Etat, contre la solidarité que représente l'Etat, nous devons faire valoir une décentralisation pour le citoyen. Nous devons faire apparaître que la décentralisation doit être non pas une liberté donnée aux plus forts, aux plus riches, mais au contraire une diversité qui reçoit la solidarité de la Nation.

Car notre sentiment, aujourd'hui, est que les inégalités spatiales renforcent, ou même créent, des inégalités sociales. C'est pourquoi nous essaierons de privilégier dans notre réflexion, dans nos colloques, une réflexion sur les services publics, qui doivent être à l'évidence plus proches, sur l'assouplissement de l'Etat, de ses formes d'intervention et pas nécessairement d'une cure d'amaigrissement que les conservateurs voudraient lui infliger. Nous devrons aussi proposer une répartition différente des moyens et aborder ainsi la question de la péréquation entre collectivités, entre quartiers d'une même agglomération, péréquation aussi entre les différentes formules d'aides publiques. Nous aurons, enfin, l'éternel débat de réforme de la fiscalité locale, de la fiscalité écologique qui est au cœur même des choix collectifs.

Ce que nous devons donc faire prévaloir, c'est à la fois une vision : le long terme ; un objectif de citoyenneté : que les Français soient non pas simplement propriétaires ou occupants de leur territoire mais acteurs véritablement de l'environnement ; une solidarité qui doit concerner tous ceux qui vivent sur notre territoire, ainsi que les collectivités.

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L'environnement est une priorité que les socialistes ont depuis longtemps affirmée. Avant 1981, combien de colloques ont été organisés sur ce thème du cadre de vie, de l'écologie ; nous sommes peut-être d'ailleurs les seuls à appréhender cette exigence. Et puis, nous avons au pouvoir, en 1981 mais aussi en 1988, traduit cette priorité au travers de nombreux actes. Mais, insensiblement, la question du chômage, celle des inégalités ont été tellement pressantes, tellement exigeantes que nous avons pu peut-être considérer comme secondaires les questions pourtant majeures du cadre de vie et de l'écologie. Oubliant peut-être que c'était aussi une des façons de répondre aux questions de la lutte contre les inégalités.

C'est pourquoi aujourd'hui, dans un contexte de croissance qui reprend incontestablement mais qui en même temps produit aussi d'autres formes d'inégalités, d'autres formes d'agressions, d'autres formes de pollutions, nous devons reprendre la question de l'environnement et justifier qu'elle est devenue essentielle pour trois raisons :
 Une raison de solidarité entre les générations, entre les citoyens, car les plus exposés aux pollutions et aux agressions sont toujours les plus démunis ; une solidarité entre les pays riches et les pays pauvres, car nous savons que les pays riches rejettent sur les autres une grande part de leurs déchets, de leur pollution au détriment même des conditions du développement du tiers-monde ;

 Une raison économique : l'environnement est un atout pour l'organisation des activités à venir. Je ne sais pas exactement ce que sera cette fameuse " nouvelle économie " ; mais ce que je pressens, c'est que cette " nouvelle économie " a besoin paradoxalement d'un environnement, d'une qualité de la vie pour connaître son développement. La nature est un patrimoine. C'est aussi un capital, au sens où ce seront les pays, les territoires, les régions, qui sauront au mieux organiser la qualité de la vie et qui bénéficieront de la localisation des nouvelles activités. L'écologie, l'environnement c'est un champ d'innovation, de création d'emplois, de nouveaux services qui, à l'évidence, participera à la fois d'une tâche d'intérêt général et d'une obligation de création d'emplois;

 Une raison de sécurité : on constate une aspiration grandissante à plus de sécurité alimentaire, de sécurité dans les transports, de sécurité par rapport à l'air que nous respirons, à l'eau que l'on boit… Bref à ce qui est notre environnement immédiat ; c'est pourquoi le principe de précaution est essentielle. Et que nous devons avoir une politique qui consiste non pas à réparer les dégâts lorsqu'ils se produisent, non pas simplement à faire payer mais à empêcher, à prévenir, à dissuader, à préserver. Or, nous dépensons beaucoup plus, et l'exemple de la tempête ou de la marée noire est criant, à réparer ce qui a été détruit, cassé, brisé plutôt qu'à prévenir.

L'environnement ne résume pas toute la démarche politique des socialistes. Mais, en même temps, cette démarche qui est la nôtre intègre l'environnement désormais dans toutes ses dimensions. Ce n'est pas un résidu, un reliquat de l'action publique à côté de l'économie, mais le sens même de l'action que nous conduisons, parce que si nous devons résumer ce que nous voulons faire, à travers une politique économique, une politique sociale, une politique du cadre de vie, une politique du territoire, c'est améliorer la qualité de la vie.

C'est en ce sens que " Environnement " et " Economie " ne sont pas incompatibles comme certains voudraient le laisser penser. On peut avoir une bonne économie et un développement durable. On peut avoir un environnement préservé et des entreprises prospères. Il n'y a donc pas là de contradictions, à la condition d'y mettre des règles et de la régulation.

Je voudrais illustrer mon propos à travers deux thèmes évoqués aujourd'hui : celui du transport et celui de l'eau ; tous deux peuvent illustrer ce que peut être une politique socialiste en matière d'environnement.

I - LES TRANSPORTS

1°- Que ce soit les transports maritimes, routiers ou ferroviaires, nous avons l'obligation de prendre en compte tous les coûts et pas simplement les coûts privés, les coûts marchands, les coûts supportés par les entreprises ; tous les coûts, c'est-à-dire les coûts supportés par les collectivités, mais aussi ceux qui sont supportés par les citoyens à travers les nuisances. Pour cela, nous devons regarder du côté des pollutions, des équipements nécessaires à la bonne marche de certains transports, des dégâts provoqués par l'insécurité -et je pense, notamment, à l'insécurité routière.

Le libéralisme, à ce moment-là, apparaît comme peu approprié à la gestion des modes de transports et à l'environnement en particulier. La nécessité d'une régulation s'impose, d'une définition de règles, de normes -et c'est particulièrement évident pour le transport maritime qui doit se maîtriser à l'échelon européen ou mondial. C'est aussi vrai pour les transports routiers et ferroviaires ; nous attendons beaucoup de l'Union européenne. C'est également juste à l'échelle d'une agglomération où l'on ne peut pas non plus exclure la question du transport, parce qu'elle serait maîtrisée ailleurs.

2°- En matière de transports, il faut des investissements lourds. C'est-à-dire qu'il faut une méthode - les contrats vraisemblablement - ; il faut l'intervention de l'Etat - à l'évidence - dans sa fonction de solidarité ; il faut aussi l'intervention des collectivités publiques - les contrats de plan ont, d'une certaine façon, répondu à une attente, et je pense notamment à la multiplication des crédits ferroviaires. Mais il faudra aussi de grands projets européens en matière de transports et c'est là que l'on verra la légitimité de l'Europe et son efficacité.

3°- Il faut une cohérence entre modes de transports, c'est-à-dire entre transports collectifs et transports individuels. Il n'est pas vrai que l'on arrivera à convaincre les Français de ne pas se servir de la voiture. Il n'est pas vrai que l'on arrivera à le mettre, par discipline, par obligation ou par incitation, dans des transports collectifs dans tous les points du territoire. Mais, il n'est pas vrai non plus que l'on pourra, dans les centres-villes, continuer à faire coexister tous les modes de transports dans n'importe quelle condition.

Nous devrons proposer une cohérence entre les modes de transports, ce qui supposera une nouvelle forme d'investissements et d'équipements.

II - L'EAU

Nous sommes favorables à une Agence nationale de l'eau pour expertiser, évaluer, réguler l'ensemble de l'organisation et de la distribution de l'eau. Nous sommes aussi partisans d'une péréquation du prix de l'eau, péréquation au moins des redevances des agences.

Nous sommes pour le principe " pollueur / payeur ". Nous sommes pour que les secteurs économiques qui ont des rôles à jouer en matière de propreté de l'eau soient appelés à intervenir financièrement.

Nous sommes conscients, enfin, que la directive relative à la qualité de l'eau -entrée en vigueur au début de cette année- va nécessiter des investissements importants qui seront supportés, là encore, par les collectivités publiques. Il faut aussi faire participer ceux qui distribuent l'eau dans ce cadre-là.

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En prenant ces deux exemples, transports et eau, nous en tirons la conclusion suivante : la gestion de l'environnement, la protection de la nature, le service public qui y correspond, l'écologie renvoient aux valeurs et aux principes qui sont les nôtres.

Finalement, lorsque l'on aborde toutes les questions liées à l'environnement, c'est toujours la nécessité de la régulation par rapport au marché qui pourrait être, de ce point de vue, déstructurant. C'est toujours la question du service public qui s'affirme, on le comprend pour les transports, on le sent pour l'eau.

C'est toujours l'égalité qui est en cause et c'est tout le sens des propositions que l'on peut faire en termes de péréquation. Ce sont des investissements publics qui doivent être mis en œuvre.

C'est le contrat qui paraît être la forme la plus adaptée : contrat entre collectivités, contrat aussi entre citoyens ; c'est la culture du compromis qui, je le crois, est en question… même sur le sujet peu abordé ici de la chasse, sujet quelquefois qui traverse les socialistes : chasseurs, non-chasseurs ; chasseurs qui souhaitent une régulation de la chasse, non-chasseurs qui comprennent qu'il faut laisser les autres chasser.

Nous avions d'ailleurs souhaité, au Parti socialiste, qu'il y ait une loi sur la chasse pour que, précisément, chacun puisse connaître le cadre et admettre une liberté, mais une liberté organisée. Et entre ceux qui passionnent le débat -cultivant toutes les angoisses- et ceux qui voudraient simplement dénoncer une pratique, je crois que nous devons être les artisans d'une synthèse supposant une charte, un compromis, un cadre, et c'est la loi que nous proposons.

Si je voulais résumer l'ensemble de ces principes (régulation, services publics, égalité, investissements, contrats, proximité, décentralisation), je dirais - selon la belle formule de Philippe Duron - qu'il faut " penser globalement et agir localement ".

Agir localement, c'est le débat que nous aurons au moment des prochaines élections municipales. C'est vrai, nous devrons utiliser les travaux de notre Convention pour nourrir nos projets, nos programmes, nos propositions.

Il y a, bien sûr, la frénésie qui va s'emparer, d'ailleurs pas inéluctablement de nous, pour désigner nos candidats ; mais on peut quelquefois n'en choisir qu'un ; il peut y avoir un vote quand il y en a plusieurs, et tout cela est organisé par le Parti socialiste… En tout cas, il n'y a pas là d'inquiétude à avoir.

Je vous rassure aussi : dans toutes les villes de France, mêmes les plus grandes, il y aura un candidat socialiste ; parce qu'à lire les journaux, on peut s'étonner ; on se prend même à rêver : il y aurait peut-être des endroits où la Gauche ne présenterait pas de candidat. Eh ! non. Il y aura partout de bonnes candidates et de bons candidats. Seront-elles ou seront-ils des personnalités connues ? Peut-être pas ; mais celles qui ne l'étaient pas le seront ainsi un jour, alors que les personnalités connues n'auront pas cet espoir de ne pas l'être.

Il faudra avoir une ambition plus lointaine, plus haute, qui est d'identifier le socialisme pour les dix années qui viennent. Ce sera l'enjeu de notre Congrès, mais aussi le rendez-vous électoral que nous aurons avec les Français en 2002.

Mais ce que nous préparons ici, ce n'est pas simplement une charte pour les élections locales, ce n'est pas simplement le rendez-vous de l'alternance. Ce que nous préparons ici, c'est véritablement l'identification du socialisme français, du socialisme européen puisque nous sommes dans cette Union, par rapport aux grands enjeux qui nous concernent tous : le territoire, la nature, l'environnement et la mondialisation.

Nous avions en 1981, on s'en souvient, le beau rêve, la belle ambition de " changer la vie ". En 1981, certains ont changé de vie, mais la vie a-t-elle changé pour tout le monde

Aujourd'hui, nous avons une autre ambition et elle est finalement plus belle encore car plus réaliste : changer les conditions de vie des Français et peut-être même changer la France. Cela vaut la peine de faire six colloques pour arriver à cette conclusion-là.