Européennes 2004
Le socialisme, le plus sûr moyen de faire de l'Europe notre avenir

François Hollande
Intervention de François Hollande, premier secrétaire, à la Mutualité le dimanche 9 mai 2004.


 
Chers camarades,

Nous lançons notre campagne des élections européennes dans un contexte qui justifie, plus que jamais, une volonté d’Europe, la nôtre, celle des socialistes.

D’abord, le contexte international, à travers la gravité du conflit en Irak, la poursuite de la crise au Proche-Orient, soulignant l’échec de l’unilatéralisme américain, y compris pour lutter contre le fléau terroriste. Contexte qui confirme aussi la responsabilité de dirigeants qui ont décidé d’une guerre sans la légitimité de la Communauté internationale et sans la capacité, aujourd’hui, d’y mettre fin. La découverte de pratiques humiliantes, le retour de la torture venant de soldats portant l’uniforme d’une grande démocratie, sont une atteinte intolérable à la dignité humaine qui justifie la mise en cause de ceux qui ont commis ces actes, mais aussi de ceux qui les ont couverts ; c’est une interpellation à l’égard de toutes les démocraties et aussi à l’égard de l’Europe qui doit faire entendre sa voix pour condamner sûrement, mais surtout affirmer son rôle de puissance au service de la paix.

Nous lançons cette campagne dans le contexte heureux de l’élargissement de l’Europe qui efface les séquelles de la guerre et les séparations de l’après-guerre. Mais, une Europe qui, dans ce moment de joie, peine à prendre la mesure de sa puissance : 455 millions d’habitants, 10 000 milliards d’euros de production annuelle, nous sommes la première puissance économique du monde. Qu’en faisons-nous ? Qu’en faisons-nous pour les Européens ? Qu’en faisons-nous pour le reste du monde, et notamment les pays du Sud ? Qu’en faisons-nous pour affirmer l’autorité de la régulation du monde ? Voilà aussi la responsabilité de l’Europe.

Enfin, le contexte économique, celui de la mondialisation libérale, mais aussi de la faible croissance au sein de l’Europe, avec les inquiétudes et les peurs : celle de la perte des acquis sociaux, celle des délocalisations, angoisse face à la dilution des services publics. Et, en même temps, nous le sentons bien, partout où l’Europe dès lors qu’elle apparaît comme une union qui suscite la force impose là encore le respect et fait naître l’espoir. Chaque fois qu’elle parle comme un ensemble politique capable d’agir de manière efficace au niveau du monde, elle est utile. Et chaque fois qu’elle porte un modèle de civilisation, elle permet de concilier la Nation et l’idéal européen.

C’est Marcel Gauché qui évoque cette thèse : la seule manière de dépasser la Nation et en même temps de la respecter, c’est de porter en Europe un modèle de civilisation. Et aujourd’hui, notre ambition, notre dessein, notre projet, c’est de faire de l’Europe non pas une civilisation, non pas simplement un modèle, mais un exemple à faire partager par le reste du monde, parce que l’Europe exprime des valeurs universelles.

Il dépend maintenant de nous, socialistes en Europe, de donner à notre contient l’ambition qui lui manque, c’est-à-dire d’abord la puissance politique pour équilibrer le monde, la force économique pour maîtriser la mondialisation, le modèle social pour promouvoir les valeurs de solidarité et de développement, la démocratie pour associer les citoyens aux décisions qui les concernent.

C’est l’enjeu des élections européennes. C’est d’abord un vote pour désigner une majorité au Parlement européen, pour faire avancer l’Europe pendant les cinq ans qui viennent. Notre campagne s’inscrit dans celle du Parti Socialiste Européen. Et je veux saluer non pas simplement la présence, mais l’engagement de Poul Rasmussen à nos côtés, aujourd’hui. Nous sommes fiers de disposer d’un Président comme toi, Poul (Nyrup Rasmussen), engagé sur une rénovation de notre parti, soucieux de porter des engagements communs dans cette campagne pour les élections européennes, engagé aussi à faire changer nos règles de fonctionnement dans le PSE. J’ai écouté le message que tu as lancé au cours du congrès du PSE à Bruxelles, et que tu répètes aujourd’hui : il sera possible d’adhérer au PSE sans passer par le PS français. Si cela peut donner d’avantage de légitimité au PSE, c’est donc une évolution nécessaire.

Ta responsabilité maintenant, et c’est celle de tous les candidats socialistes pour les élections européennes, c’est d’obtenir une majorité de gauche au Parlement européen. Cela voudra dire que nous devrons, non seulement avoir de bons résultats, nous les socialistes, mais être capables de nouer des alliances avec tous les progressistes d’Europe (les Verts, la gauche européenne et tous ceux qui voudront nous rejoindre). L’union, elle est en France, elle est aussi pour l’ensemble de l’Europe à travers le rassemblement de la gauche, à condition que nous portions les mêmes exigences, la même volonté.

Nous nous réunissons autour de quatre grands objectifs :


1/- Nous voulons une Europe
de croissance et d’emploi

 
L’Europe aujourd’hui, faute d’une politique économique coordonnée et d’une stratégie d’emploi, connaît des résultats qui ne sont pas à la hauteur de nos atouts et surtout des attentes des citoyens. La croissance y est faible et le chômage élevé.

Le grand marché, à lui seul, la monnaie unique, à elle seule, sans stratégie de croissance et d’emploi, ont montré leurs limites. Il nous faut donc enfin constituer ce véritable gouvernement économique européen pour coordonner les politiques budgétaires, pour peser sur les choix monétaires, pour remplacer l’actuel pacte de stabilité qui a le double défaut d’être à la fois trop rigide et pas respecté. Nous devons en faire un pacte de croissance et d’emploi et soutenir l’investissement public et les dépenses d’avenir, parce que nous savons que c’est à travers ces choix-là, ces priorités-là que nous construisons la croissance de demain.

Ce gouvernement économique devra également harmoniser la fiscalité, permettre notamment en matière d’impôts sur les sociétés une harmonisation des taux, permettant d’en faire un véritable impôt européen, à la fois pour financer l’Union, mais aussi pour lutter contre le dumping fiscal et les délocalisations.

Enfin, nous militerons pour qu’au niveau européen se définisse, s’élabore et s’applique une véritable politique industrielle qui ne peut se confondre avec une politique de la concurrence, et qui doit donner à l’Europe sa place en matière de nouvelles technologies, en matière de pôle d’excellence, en matière de Recherche. C’est pourquoi nous faisons de la construction européenne une volonté de porter les dépenses d’Education, de formation, d’enseignement supérieur et de Recherche à un niveau élevé. C’est pourquoi, aussi, nous disons, contrairement à Jacques Chirac et à la droite européenne, qu’il n’est pas possible, si l’on veut l’Europe, si l’on veut une Europe forte, si l’on veut une Europe de croissance, de laisser à 1 % de la richesse nationale le budget européen.

Il nous faut donc assumer cette volonté d’un impôt européen et de dépenses véritablement consacrés à l’objectif de croissance et d’emploi. Le libéralisme est en fait contradictoire avec l’idéal européen. Parce que le libéralisme prive l’Europe de sa seule dimension qui vaille : sa dimension humaine. C’est pourquoi, nous voulons l’Europe sociale.


2/- Nous voulons l’Europe sociale

 
Nous avons été capables de faire l’Europe économique, de faire l’Europe monétaire. Le temps maintenant est venu de l’Europe sociale. C’est le prolongement d’actions déjà engagées depuis des années à travers la négociation collective européenne, à travers les objectifs de Lisbonne, mais aussi à travers la Charte des droits fondamentaux.

Mais, il faut franchir une nouvelle étape : le traité social qui doit donner à l’Europe des règles, des objectifs et une convergence.

Il ne s’agit pas de communautariser les politiques de protection sociale. Chaque Nation, chaque pays doit rester maître de son système de retraite ou des mécanismes de la protection sociale. Mais nous devons ensemble, tout pays européen, nous fixer des critères de convergence sociale, nous fixer des objectifs d’harmonisation, nous fixer des règles en matière de salaire minima, en matière de droits du travail, en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, en matière de taux de chômage - et notamment des plus jeunes -, en matière de niveau de formation. Pourquoi existerait-il des critères de convergence en matière budgétaire, en matière monétaire et n’y en aurait-il pas en matière sociale ?

Le temps est venu maintenant de mettre la volonté des Européens au service de l’espace social.

Nous le savons, le progrès social ne se fait pas tout seul. Et l’Europe est à la fois un moyen de le préserver et une chance de l’élargir.

De la même manière, l’Europe doit reconnaître, face aux règles de la concurrence, le rôle des services publics est essentiel, à travers une directive cadre, un statut européen des services publics. Nous connaissons les menaces. Les libéraux utilisent une nouvelle fois l’Europe pour réduire les droits et les acquis des périodes antérieures. Nous savons qu’aujourd’hui se discute, au niveau de la Commission, un projet de directive qui pourrait avoir des conséquences en matière de services publics. Si nous sommes majoritaires au Parlement européen, les services publics pourront avoir une loi cadre, une protection, une garantie, un statut en Europe. C’est là aussi l’enjeu de cette consultation.

Les libéraux utilisent l’Europe beaucoup plus qu’ils ne la construisent. Ils utilisent l’Europe pour en faire une machine à broyer les services publics, la privant ainsi de la cohésion indispensable à toute politique de développement et de croissance. Ils utilisent l’Europe aussi en matière culturelle pour niveler, banaliser, uniformiser, marchandiser, alors que nous le savons, nous Européens : la culture n’obéit pas aux règles du marché. C’est pourquoi, il faut que l’Europe la protège, la soutienne, l’encourage. Et, à cet égard, le combat juste des intermittents du spectacle est aussi en France au service de l’Europe, car c’est aussi une manière de défendre l’exception culturelle, une manière de reconnaître qu’il y a là un travail qui mérite soutien et considération.


3/- Nous voulons l'Europe écologique

 
Nous voulons faire de l’Europe un « Éco continent ». Nous considérons que c’est à l’échelle de l’Europe que ce combat se mène. Nous avons à agir pour lutter contre l’effet de serre, pour préserver la bio diversité du monde, pour respecter les grandes forêts, pour protéger la mer dont les ressources - si nous n’y prenons garde - finiront par s’épuiser.

C’est un défi, c’est le nôtre en tant que socialistes qui avons toujours prôné le progrès non pas simplement de la science ou des techniques, mais le progrès en fait de l’humanité. C’est pourquoi, nous devons dans cette campagne être mobilisés sur la question de l’environnement et de la santé, car tout se tient.

Nous devons être les défenseurs acharnés de tous les engagements internationaux qui ont été conclus, en particulier ceux qui concernent la lutte contre le réchauffement de la planète. Et pour être en capacité de porter ce message au monde, et aux États-Unis notamment, il faut que l’Europe devienne le premier « Éco continent » et adopte un plan pour l’environnement, avec une politique volontariste d’économie d’énergie et de diversification des sources d’énergie, à travers le développement des énergies renouvelables. Nous devrons donner une priorité aux transports publics sous toutes leurs formes. Et quand on mesure le rôle de la pollution urbaine dans la propagation et la diffusion du cancer, on se dit que les transports publics, ce n’est pas simplement une facilité, un service que l’on rend aux usagers, c’est aussi un droit à la santé. Ici, à Paris, en Ile de France, on met la priorité aux transports publics, c’est une grande cause qui honore les socialistes. Il nous faudra appliquer le principe « pollueur-payeur » pour ne plus voire ces catastrophes uniquement déterminées par la loi du profit, que ce soit Erika, Prestige ou plus récemment Metalleurop. Il nous faut des règles, des sanctions. Il nous faut affirmer que la Politique Agricole Commune (PAC), c’est aussi un moyen de lutter contre le productivisme, l’utilisation des sols et de respecter le principe de précaution. A cet égard, il ne faut pas se plaindre des décisions des Présidents de régions socialistes, avec toute la gauche, de faire voter un certain nombre de dispositions concernant les OGM sur nos territoires.


4/- Nous voulons l’Europe politique

 
Nous avons trois défis à relever :
     Celui de la politique étrangère et de sécurité commune.
    L’Europe doit être un acteur de la scène internationale et pas un accompagnateur. Accompagnateur de l’ONU - dans le meilleur des cas ! Accompagnateur des États-Unis, dans le pire et de manière discordante !
    Nous sommes favorables à des mesures politiques et institutionnelles qui permettent d’avoir l’autorité et l’efficacité indispensables pour que l’Union puisse avoir une politique étrangère. Ce qui veut dire vote à la majorité qualifiée avec le risque - y compris pour la France - de ne pas imposer son point de vue, ce qui veut dire nomination d’un Ministre des affaires étrangères européen, un accord pour une Agence européenne de défense, la possibilité d’une coopération renforcée pour faire l’Europe de la défense avec qui voudra nous accompagner dans ce sens. Ce choix n’est pas évident pour la France, soucieuse de sa souveraineté ; ce choix est pourtant indispensable pour l’Europe. L’Europe doit se défendre sans avoir à dépendre d’autres pour sa sécurité ; l’Europe doit intervenir à l’extérieur pour rétablir la paix et mener des actions humanitaires dans le cadre de l’ONU. Notre souveraineté aujourd’hui, c’est l’Europe, à condition qu’elle soit une puissance politique et donc militaire.

     Celui des frontières en Europe
    Ce défi était posé avant l’Europe à 25. La réponse institutionnelle n’a pas été à la hauteur de l’enjeu historique. L’élargissement a été vécu comme une obligation, pire - par certains - comme une machine infernale dont on ne sait qui l’a programmé et quand. Cette improvisation mécanique a suscité une crainte au sein des États déjà membres et, plus grave encore, une déception - et peut-être même une désillusion- dans les pays qui nous rejoignent. L’Europe doit définir ses frontières. Ce sujet ne se résume pas au cas de la Turquie. Nous devons savoir combien nous serons à la fin du processus. Nous devons nous organiser en conséquence au plan institutionnel et au plan de l’aide au développement. Ses frontières doivent être connues de tous, de tous les Européens et approuvées bien sûr par les peuples eux-mêmes.
    Avec la Turquie, dont la droite européenne et française voudraient faire l’enjeu de la consultation, respectons à la fois nos engagements et nos règles tout simplement. La Turquie a été considérée, depuis longtemps et plus récemment en 1999, comme un possible candidat. Il n’y a rien d’anormal, sauf à invoquer des critères religieux ou démographiques, à la regarder comme tel encore aujourd’hui. Mais, la vérité, c’est aussi de considérer que la Turquie ne respecte pas, en matière de démocratie et de Droits de l’Homme, les conditions de l’adhésion pour le moment. Travaillons donc avec elle dans une association renforcée, le temps qu’il faudra, pour rendre possible un jour l’adhésion dans des conditions institutionnelles qui devront, elles-même, être prévues. Mais, le pire aujourd’hui, serait de faire de la Turquie, dans cette campagne, un épouvantail et de la laisser, au lendemain du scrutin, venir subrepticement dans un cadre de processus qui n’aurait pas été admis par les peuples eux-mêmes. Je mets en cause ceux qui aujourd’hui, à droite, la Turquie non pas pour faire progresser l’Europe, mais pour faire peur et pointer, stigmatiser des populations.

    Mais, au-delà de nos frontières, de cet élargissement qui se fait, nous devons considérer que nous avons à travailler différemment au sein de l’Union. Nous avons proposé une avant-garde, à partir de la zone euro et sans exclusive à l’égard de quiconque, pour pouvoir aller plus loin sur les plan économique, social, de défense, et de faire en sorte que nous puissions bâtir dans la grande Europe une union fédérale qui nous engagera tous et qui affirmera encore davantage nos convictions européennes.

     Le troisième défi, c’est celui de la future Constitution
    Une Constitution de l’Europe est nécessaire. Déjà des avancées ont été obtenues : extension des pouvoirs du Parlement européen, désignation du Président de la future Commission en fonction des résultats électoraux –faisons en sorte qu’ils soient les meilleurs possibles pour la gauche si nous voulons influencer demain la Commission-, extension du vote à la majorité qualifiée, coopération renforcée rendra plus simple.

    Mais, nous connaissons aussi les limites du texte : des dispositions sociales et économiques du projet restent insuffisantes, des politiques inscrites qui n’ont rien à voir avec les institutions, et des mécanismes de révision rigides et lourds, puisque fondés sur la règle de l’unanimité.

La France, hélas, porte une responsabilité dans cette situation : le Président de la République ne s’est pas engagé pour un véritable gouvernement économique de l’Europe ; il n’a pas pesé d’aucune manière sur la Constitution, aucune initiative n’a été prise, ni sur le vote à la majorité qualifié, ni sur les modalités de révision du traité constitutionnel, si sur les modes de ratification. Et, encore aujourd’hui, le Président de la République ne dit toujours pas si les Français seront consultés sur cette question par voie de référendum, comme s’il donnait le sentiment de craindre ou le texte ou plus simplement le peuple.

Notre proposition est que la France porte l’exigence d’un référendum à l’échelle de l’Europe - le même jour. Je suis sûr que si cette proposition était portée fortement, elle permettrai d’abord de donner à cette future Constitution la légitimité nécessaire, mais surtout elle permettrait d’éviter un processus de ratification étalé sur plusieurs mois, peut-être sur deux ans, avec cette attitude d’attendre qu’à un moment le processus lui-même ne finisse par dérailler quelque part, la Grande-Bretagne ayant déjà la faveur des pronostics.

Si l’on veut donner une force à l’Europe, si l’on veut lui donner des institutions solides, si l’on veut affirmer le principe de la démocratie, il faut non seulement un référendum en France, mais il faut ce processus de consultation à l’échelle de l’Europe, et le même jour.

C’est pourquoi, nous voulons que le Parlement européen joue tout son rôle par rapport à ce processus. Il devra se prononcer sur le projet de Constitution et disposer d’un droit d’initiative sur les révisions ultérieures.

Ces élections européennes constituent donc un enjeu politique essentiel. Elles vont décider non seulement des politiques, non seulement des hommes et des femmes qui dirigeront l’Europe de demain, mais aussi décider de la future Constitution. Avons-nous suffisamment pris en compte que 50 % de notre législation est européenne ? Avons-nous même perçu que le Parlement que nous allons élire au mois de juin sera le même que celui que nous allons rencontrer lorsque nous reviendrons aux responsabilités en 2007 ?

Le clivage oppose toujours la gauche de la droite. Le souverainisme n’est pas une alternative tant il dessert et l’Europe et la Nation. Nous ne combattons pas le souverainisme, nous défendons l’Europe.

Notre responsabilité de socialiste n’est pas d’accuser ceux qui ne croient pas en l’Europe et qui, parfois, ont des raisons d’être inquiets pour leur emploi, pour avenir. Ce que nous devons faire, c’est leur donner un sens, une perspective, une vision, de les amener à penser que l’Europe peut être demain une protection et une chance.

La droite en France ne voit dans l’Europe « qu’un supplément d’âme », ce soupçon d’idéal qui assaisonne la salade du marché. La droite européenne a d’une certaine manière atteint son objectif : une zone de libre échange, une coopération intergouvernementale, une normalisation des diversités, une mondialisation des choix.

Telle est sa conception de l’Europe. Une communauté réduite au marché.

La gauche européenne doit affirmer son projet, sinon c’est l’idée même de l’Europe qui sera perdue pour longtemps. C’est la politique qui doit garder le dernier mot.

Le débat est donc bien entre Europe sociale et Europe libérale. L’Europe n’est pas une géographie ou une construction institutionnelle, c’est un ensemble de valeurs et un projet collectif, c’est-à-dire un espace politique.

Les élections européennes constituent la deuxième occasion, mais aussi la dernière avant 2007, d’adresser un message à l’égard du pouvoir.

Les élections régionales et cantonales ont été utiles aux Français.

Elles ont confié à la gauche la responsabilité de nombreuses collectivités territoriales (24 régions sur 26, 53 départements sur 100) permettant d’agir, dans la limite des compétences prévues par les lois de décentralisation. Nos élus ont tenu à respecter dans un délai rapide leurs engagements : gratuité des livres à la rentrée, des délibérations se préparent pour les emplois associatifs, pour les établissements fonciers, pour la protection de l’environnement (OGM).

La force du suffrage universel a fait reculer le pouvoir : si les résultats des 21 et 28 mars avaient été différents, y aurait-il eu recul sur l’ASS ? Est-ce que les recalculés seraient aujourd’hui réintégrés dans les comptes de l’UNEDIC ? Est-ce que les chercheurs auraient trouvé enfin le chemin du dialogue ? Est-ce que les ordonnances n’auraient pas été prises ? C’est le vote des Français qui a fait reculer le pouvoir. C’est la force du suffrage universel qui a donné à la gauche la capacité de jouer tout son rôle, qui a fait que la gauche aujourd’hui a une double responsabilité : un devoir de protection, mais aussi un devoir d’action dans les régions et dans les départements. Plus un devoir de proposition.

Mais, la droite n’a remis en cause ni son dispositif ni sa politique. Jacques Chirac a confirmé Jean-Pierre Raffarin. Et Jean-Pierre Raffarin a confirmé la politique de Jean-Pierre Raffarin.

Le pouvoir cherche à gagner du temps. Averti par l’orage des régionales, il craint l’averse des européennes. Alors, il temporise, il embrouille, il parle mais ne dit rien, il communique mais dissimule surtout la gravité des décisions qui se préparent, notamment sur l’assurance maladie.

Ainsi, depuis une semaine, c’est à une véritable sarabande médiatique à laquelle se livre le sommet de l’Etat. Cette frénésie désordonnée, amorcée par le Président de la République, conclue par le Premier ministre, révèle néanmoins l’incapacité de la droite à rétablir la confiance avec les Français. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, c’est le gouvernement de l’incohérence et de l’injustice.

1/- L’incohérence :
     Elle est partout et d’abord à l’Elysée.
    Quand Jacques Chirac désavoue son Premier ministre pour le nommer tout aussitôt. Quand il installe Nicolas Sarkozy à Bercy pour s’en défier tout aussi vite. Quand il crée un ministère de la cohésion sociale, pour le priver immédiatement de moyens budgétaires pour agir. S’installe donc ce sentiment d’absence, d’indifférence, de vide, incompatible avec la logique même du quinquennat qui exige action, responsabilité, vision.

     L’incohérence est ensuite à Matignon.
    Jean-Pierre Raffarin est un Premier ministre sans crédit, sans autorité ni durée, sans cap, sans boussole, enfermé dans un cockpit qu’il croit être un airbus du haut duquel il regarde la France d’en bas en lui demandant de se serrer la ceinture. Impression de fuite en avant, d’improvisation surtout. Incompatible avec la gravité des temps et des problèmes.

     Elle est au cœur du gouvernement.
    Entre un ministre d’Etat qui voudrait jouer tous les rôles et des ministres réduits à des annonces contradictoires. Chacun joue sa partition dans un ensemble désarticulé, dans l’attente d’une crise que chacun pressent, mais que nul ne prévient.

     L’incohérence est au sein même de la droite, où le seul enjeu est devenu non pas le pays mais la présidence de l’UMP, où les jeux des uns et des autres ne s’expliquent que par ce seul dessein d’en conquérir la tête, donnant cette impression étrange, pénible, coupable de fin de règne.

    Ce climat politique délétère rend encore plus illisible la ligne gouvernementale. La confiance ne peut être au rendez-vous. Le seul ressort de la droite qui fonctionne c’est encore le service de ses clientèles.

2/- Les injustices

 L’injustice, c’est de considérer que la seule relance de l’économie, c’est celle des cadeaux fiscaux. Après avoir fait baisser l’impôt sur le revenu des plus favorisés, accordé des largesses à ceux touchés par l’impôt sur la fortune, donné des avantages aux employeurs de personnels de maison, Nicolas Sarkozy a maintenant inventé la déduction des intérêts d’emprunts pour les contribuables qui peuvent recourir aux crédits et obtenir la facilité grâce à leur imposition élevé d’un nouveau cadeau fiscal. Et puis, il y a cette mesure de donation qui ne vise qu’à favoriser des arrangements successoraux en franchise de droit, alors que ceux qui souffrent de taux usuraires en matière de crédit à la consommation attendraient tellement de consommer et pas forcément le dimanche. Et quand tant d’autres voudraient obtenir un soutien, une aide à travers un relèvement de prestations familiales ou des allocations logement !

Et que dire de cette mesure annoncée par Jean-Pierre Raffarin une nouvelle amnistie fiscale : décision immorale et inefficace, symbole même d’une politique où l’argent de la fraude doit financer la solidarité, où l’aumône pour solde de tout compte pour les fraudeurs doit être mise en regard avec cette journée de solidarité qui est demandée à tous les Français pour soutenir l’effort par ailleurs nécessaire pour les personnes âgées.

Pour les uns des avantages fiscaux, pour les uns des amnisties fiscales, et pour les autres la corvée, le tribu et la contribution obligatoire.

Injustice également à travers cette révérence à l’égard du MEDEF qui aboutit à ce que l’on refuse d’augmenter les cotisations UNEDIC, à ce que l’on ne cède rien aux intermittents et à ce que l’on veuille démanteler les 35 heures. Injustice toujours dans ce qui se prépare sur l’assurance maladie où une franchise d’une petite pièce - nous avait-on dit - de deux euros (la plus grosse) nous annonce-t-on aujourd’hui, ces déremboursements de médicaments qui s’ajouteraient là encore au forfait hospitalier qui lui-même a déjà été relevé, sans parler de cette perspective de contribution sur tous les revenus.

Le gouvernement ne cherche pas à responsabiliser les Français, mais à les culpabiliser, à leur faire porter la décision de ne plus accéder à la santé selon les règles qui avaient été fixées au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’avenir de la protection sociale figurera bien au cœur des élections du 13 juin. Quand il s’agit du pacte social, quand il s’agit d’éléments aussi essentiels que le droit à la santé, que le droit à un remboursement, que le droit à avoir partout sur le territoire les mêmes protections, les mêmes garanties, il y a là un enjeu national et même européen.


 
Jean-Pierre Raffarin, l’autre soir, a prétendu que les élections européennes ne figuraient pas dans son calendrier. Nous allons essayer de réparer cet oubli. Les 21 et 28 mars non plus ne devaient pas y être inscrits. Il avait d’ailleurs à l’époque nié la portée politique nationale de la consultation. Il n e dit pas autre chose aujourd’hui.

Les Français ne doivent pas lui apporter une autre réponse, le 13 juin, que celle du 28 mars dernier. C’est vrai, il a fallu du courage pour faire l’Europe, du courage au lendemain de la guerre pour convaincre les Français et les Allemands de travailler ensemble, du courage pour dépasser les séquelles de l’Histoire, du courage pour briser les conformismes, du courage après ce qui s’était produit avec le nazisme de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, courage qu’il faut encore avoir aujourd’hui quand tant d’agressions, de profanations heurtent la conscience humaine et exigent, et pas simplement des socialistes mais de tous les républicains, de partager la cause de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

Il a fallu du courage ensuite pour construire une identité européenne, il a fallu du courage pour faire l’Europe économique, il a fallu du courage même pour convaincre de l’euro, il a fallu du courage pour faire en sorte que nous soyons unis dans cette Europe large, avec tous.

Il faudra du courage pour lutter contre toutes les menaces qui nous assaillent ; il faudra encore du courage pour maîtriser la mondialisation ; il faudra du courage pour mener des politiques de progrès social, il faudra du courage pour convaincre les Européens, il faudra même du courage pour les socialistes Français pour convaincre les autre socialistes en Europe de faire davantage, comme eux-mêmes essaieront de nous convaincre de faire différemment.

C’est ce courage-là qui est nécessaire encore aujourd’hui. Ce courage doit s’investir aujourd’hui dans l’Europe sociale ; le progrès social ne se fera pas tout seul ; les socialistes en Europe doivent en être les promoteurs et les citoyens les acteurs. A nous, socialistes Français, de convaincre nos compatriotes que le socialisme, comme le disait François Mitterrand, est le plus sûr moyen de faire de l’Europe notre avenir, notre avenir commun.


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