Je n'exclus rien sur la Constitution européenne

François Hollande


Entretien avec François Hollande, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 11 octobre 2003
Propos recueillis par Pascale Sauvage et Alexis Brézet
 

A la veille d'adopter une résolution formulant leurs exigences sur le contenu de la future Constitution européenne, les socialistes ne sont-ils pas très divisés sur l'Europe ?
Les socialistes sont européens. Et depuis longtemps. Dois-je rappeler le rôle majeur qu'ils ont joué dans la construction de l'Europe ces quarante dernières années, particulièrement François Mitterrand depuis 1981 ? Au moment où s'accomplit – avec la grande Europe – une étape importante du projet né au lendemain de la guerre et où s'écrit une Constitution, il est légitime que les socialistes affirment clairement leurs exigences pour que l'Europe ne soit pas seulement un espace, un marché, mais un cadre institutionnel permettant à l'Union d'être plus démocratique sur le plan politique, plus forte sur le plan diplomatique et plus solidaire sur le plan social. Dans la phase actuelle qui est celle de la CIG, nous n'en sommes pas encore à juger un projet en bonne et due forme, mais à dire l'Europe que nous voulons à la fois en termes de politiques communes et d'évolutions institutionnelles.

Auprès de qui formulez-vous ces exigences ?
D'abord auprès du chef de l'Etat, qui représente la France au sein de la CIG. Je suis d'ailleurs surpris, pour ne pas dire davantage, que le président de la République n'ait pas consulté les principales formations politiques sur un sujet aussi important et à un moment aussi décisif. Je suis également choqué qu'il n'y ait pas eu de débat parlementaire, avant même la conférence intergouvernementale, pour rechercher les améliorations à apporter au texte issu de la Convention. Je suis enfin étonné que le ministre des Affaires étrangères n'ait pas rendu compte des premières discussions qui se sont déroulées à Rome ces derniers jours. Il serait utile de connaître la position exacte de la France sur les avancées possibles par rapport au texte de la Convention. Il n'est d'ailleurs pas trop tard: je demande solennellement au premier ministre de saisir le Parlement avant la fin de l'année. Jacques Chirac ne peut pas se contenter de demander que le texte ne change pas. Dès lors que certains pays ont leurs propres demandes, il me paraît légitime que la France puisse avoir les siennes.

Jacques Chirac le voudrait-il, est-ce à lui de faire valoir les revendications des socialistes ?
Nous devons aussi, socialistes français, faire un travail de conviction auprès de nos homologues européens. Nous le menons au sein du Parti des socialistes européens (P.S.E.), lequel est plus une juxtaposition de forces qu'un véritable ensemble politique. J'ai fait connaître nos exigences. Beaucoup les partagent. Et nous prendrons, dans les semaines qui viennent, des initiatives communes pour les porter. Et, aux élections européennes, je souhaite que nous menions campagne sur le même projet.

Vous demandez l'instauration d'un gouvernement économique de l'Europe. S'il se mettait en place, ce gouvernement ne serait-il pas plutôt libéral que socialiste ?
Il ne s'agit pas de préempter ce que serait l'orientation politique d'un tel gouvernement. Ce sont les citoyens qui, par leur vote, la détermineront. Encore faut-il qu'ils puissent en décider. Une Constitution, c'est un choix de vie commune, mais pas le choix d'une idéologie commune. Nous ne pouvons pas laisser la Banque centrale européenne seule mener la politique économique de l'Europe, pas plus qu'on ne peut laisser les Etats seuls – et on en voit aujourd'hui toutes les contradictions – déterminer leur politique budgétaire sans considération aucune de l'intérêt commun. Dès lors que nous avons fait le choix de l'euro – choix judicieux pour l'Europe comme pour la France –, il est indispensable que puisse se former ce gouvernement économique.

Mais vous prenez le risque que cette politique ne soit pas socialiste ?
C'est le risque de la démocratie. En France, nous assumons le fait qu'un gouvernement libéral baisse, à tort, les impôts des plus favorisés et menace, bien injustement, les acquis sociaux. En Europe aussi, la démocratie doit prévaloir sur toute autre considération. Il y a aujourd'hui en Europe une majorité de gouvernements conservateurs. Je ne désespère pas que, dans quelques années, la gauche puisse redevenir majoritaire en Europe. Mais nous avons un défi ensemble à relever. Nous avons réalisé le rêve européen de l'après-guerre, nous avons réunifié le continent européen, ce projet-là est accompli. Il faut, aujourd'hui, une Europe plus volontariste et plus solidaire. C'est pourquoi la future Constitution européenne doit être, de ce point de vue, la plus ouverte possible, avec des mécanismes de révision permettant une avant-garde pour aller plus loin en matière économique et sociale.

Et une politique extérieure ?
Dans la grande Europe, ce sera difficile. Il n'empêche que nous devons passer progressivement de l'unanimité vers la majorité qualifiée. Mais pour faire une Europe de la Défense, une Europe ayant véritablement une politique extérieure susceptible de faire contrepoids à celle des Etats-Unis, il faut un noyau dur, une coopération renforcée. L'Europe de la Défense ne se fera pas à 25 ou à 30, mais entre les pays qui auront décidé de la faire. Les socialistes français y sont prêts. Et nous devons commencer avec nos amis allemands.

Qu'y a-t-il comme autre condition importante à votre soutien à la Constitution européenne ?
La garantie de ce qui nous paraît essentiel, c'est-à-dire les services publics, la laïcité, la cohésion sociale et l'exception culturelle. Nous ne demandons pas aux autres pays d'adopter ce modèle, mais de le rendre possible en Europe.

Jacques Chirac est disposé à défendre la laïcité et l'exception culturelle. En va-t-il de même pour le service public ?
Je ne sens pas la même volonté. Comment défendre les services publics à l'échelle de l'Europe, quand on les affaiblit à l'échelle nationale ? Ce serait le pire service à rendre à l'idée européenne que d'en faire l'instrument de la libéralisation des services publics. La future Constitution doit poser une base juridique claire pour la production et le développement des services publics.

Où placez-vous le curseur de votre soutien ou de votre hostilité à la ratification de la future Constitution européenne ?
Nous sommes dans une phase de négociation, durant laquelle nous devons peser sur le contenu du texte. Si rien n'est demandé, rien ne sera obtenu. Nous souhaitons à l'évidence qu'il y ait une Constitution européenne – nous avons été les premiers à la réclamer – mais nous ne pouvons pas aujourd'hui donner un blanc-seing à la conférence intergouvernementale avec les incertitudes que l'on sait. Le devoir d'une formation politique n'est pas de donner un accord ou d'opposer un refus avant de connaître le texte sur lequel, in fine, chacun aura à se prononcer.

La réponse du PS sera-t-elle donnée par la direction, ou bien par les militants ?
Nous devons d'abord dire l'Europe que nous voulons et mener le débat au sein du PS, et plus largement auprès des citoyens. Je suis d'ailleurs surpris que seul le PS s'engage dans cette démarche, y compris sur le plan militant. On ne peut pas réclamer un référendum en France et ne pas le faire chez soi. Mais la majorité du Parti socialiste issue du Congrès de Dijon s'est engagée sur une ligne européenne. Et c'est au nom de ses principes qu'elle prendra position.

Il se pourrait que ce soit « non » ?
Je n'exclus rien, surtout si le texte final était même en retrait par rapport à celui de la Convention. Mais je veux pouvoir voter pour une bonne Constitution européenne.

L'organisation d'un référendum en France est-elle une exigence absolue ?
L'idéal serait un référendum à l'échelle européenne... Et à tout le moins en France. Nous l'avons dit dès le début du processus. Je le réaffirme aujourd'hui. Mais, là encore, le président de la République garde le silence. Et, c'est Jean-Pierre Raffarin qui, pour se faire pardonner de ses foucades antieuropéennes, se prononce aujourd'hui pour un référendum sans que l'on sache s'il engage l'exécutif dans son ensemble. Mais quelle que soit la voie choisie par le chef de l'Etat, parlementaire ou référendaire, nous jugerons le texte pas une procédure.

La polémique sur les 35 heures est-elle de nature à renouer les liens qui unissaient l'ex-gauche plurielle ?
La manœuvre de la droite consistant à utiliser les 35 heures comme prétexte à ses mauvais résultats économiques n'a eu que des effets heureux pour les socialistes. Les salariés ont montré leur attachement à la RTT ; les syndicats, y compris les plus réticents, ont marqué leur volonté de ne rien céder. Toute la gauche, voire l'extrême gauche, s'est mobilisée et le PS est à l'offensive. Si le premier ministre a d'autres idées du même genre, qu'il ne s'en prive pas! Car soit les 35 heures sont l'abomination des abominations et il les abroge. Soit il pense qu'il ne faut pas les remettre en cause et il ouvre des négociations... pour les étendre à l'ensemble des salariés

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