Le gouvernement a voulu engager une épreuve de force. La facture lui sera présentée



Entretien accordé par François Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste, au quotidien quotidien Les Échos, paru le 10 juin 2003.
Propos recueillis par Françoise Fressoz et Michèle Lécluse


 

A l'ouverture du débat parlementaire, le Parti socialiste exige-t-il toujours le retrait du plan Fillon ?
Ce que nous demandons avec constance, c'est l'ouverture à tout moment d'une véritable négociation. Pour réussir une grande et nécessaire réforme sur les retraites, il faut savoir mener jusqu'au bout le dialogue avec les partenaires sociaux sur toutes les options possibles. Or le gouvernement ne s'y est jamais vraiment engagé. Il a hésité sur les mots - discussion, concertation, négociation - pour finalement signer un accord avec deux syndicats en une nuit et quelques heures.

Connaissant les positions de F0 et de la CGT, il n'avait de toute façon aucune chance de conclure un accord.
Le gouvernement aurait dû prendre au mot les organisations syndicales car elles avaient signé un texte au début de l'année, souhaitant une réforme et s'accordant sur des principes. Il ne fallait pas clore les échanges avant d'avoir vérifié qu'il n'y avait plus rien à se dire car nous nous trouvons aujourd'hui face à un mouvement social que le gouvernement veut priver de tout débouché et avec un débat parlementaire qui, tout le monde le sait, est joué d'avance. Il en ressort une grande frustration qui peut malheureusement dégénérer, alors qu'une chance existait de faire aboutir une réforme acceptée dans ses principes. La France est le seul pays d'Europe à connaître cette situation. Partout ailleurs il y a eu négociation.

Si le PS n'avait pas, d'emblée, exigé le retrait du plan Fillon comme il l'a fait au congrès de Dijon, il aurait peut-être eu son mot à dire pendant la discussion parlementaire.
Non, car le gouvernement a d'emblée fixé les limites du débat en écartant tout amendement qui n'irait pas dans sa logique. Il a décidé d'utiliser un seul instrument : l'allongement de la durée de cotisation, et il refuse d'admettre l'existence d'autres solutions. Nous, nous pensons exactement le contraire. Selon le conseil d'orientation des retraites, le montant à financer d'ici à 2020 est de 43 milliards d'euros, soit l'équivalent de 2 points de la richesse nationale. Ce n'est pas hors de portée si l'on veut bien accepter de jouer sur plusieurs paramètres à la fois : moduler la durée de cotisation du public comme du privé en fonction de la pénibilité mais aussi mener une politique de l'emploi offensive et accepter d'adapter progressivement les prélèvements. En actionnant un seul levier, le gouvernement se retrouve coincé : il fait porter tout l'effort sur les seuls salariés et il ne règle qu'une partie du problème de financement : 18 milliards d'euros à l'horizon de 2020 sur les 43 milliards requis.

Dix-huit milliards d'euros d'ici à 2020, c'est l'équivalent de ce qu'il devra trouver à la fin de cette année pour financer le déficit de l'assurance-maladie. Le rapprochement est saisissant. On nous présente un scénario catastrophe pour les retraites alors que le plus urgent, c'est le financement du système de santé.

Mais est-il vraiment raisonnable, en matière de retraite, de préconiser, comme vous le faites, une augmentation des prélèvements dans la situation économique actuelle ?
Ce qui n'est pas raisonnable, c'est d'écarter a priori cette voie et de privilégier exclusivement l'allongement de la durée de cotisation avec la diminution du niveau des pensions. Ce qui est raisonnable, c'est-à-dire acceptable, c'est de partager l'effort. Il s'agit de dégager l'équivalent de 2 points du PIB en 2020. Un tel objectif peut être trouvé de quatre façons possibles, au-delà des négociations sur les durées. On peut d'abord jouer sur la cotisation vieillesse, y compris dans la fonction publique. Mieux vaut l'augmenter très faiblement et très progressivement, de l'ordre de 0,2 point par an, que de repousser à plus tard l'effort comme le fait le gouvernement, en faisant le pari improbable que l'évolution de l'emploi permettra une décrue parallèle des cotisations chômage. On peut ensuite augmenter très légèrement la CSG, à hauteur de 0,1 point par an, pour, dès à présent, lisser les effets du choc démographique. On peut enfin concevoir deux nouvelles ressources qui seraient affectées au fond de réserve des retraites: l'une sur l'ensemble de la richesse produite, l'autre sur les revenus du patrimoine, la somme à dégager étant de l'ordre de 15 milliards à 20 milliards d'euros. J'ajoute que, si nous étions aux responsabilités, nous annulerions les allégements d'impôts engagés par le gouvernement pour les affecter au financement des retraites de la fonction publique (15 milliards d'euros sur la législature). Un Etat rigoureux ne peut pas baisser des impôts quand il a des charges futures qui ne sont pas financées.

On est quand même saisi par le contraste entre des socialistes qui, quand ils sont au gouvernement, se convertissent aux baisses d'impôts et qui, dès qu'ils sont dans l'opposition, ne jurent que par les prélèvements obligatoires.
Il n’y a ni changement de cap ni reniement : quand il a fallu, en 1997, assurer la qualification de la France à l'euro dans une conjoncture très dégradée, le gouvernement Jospin n'a pas hésité à augmenter les prélèvements. Notamment par une hausse exceptionnelle de l'impôt sur les sociétés. Il les a ensuite baissés quand la croissance le lui a permis. C'était un juste retour des choses. Convenez qu'aujourd'hui nous ne sommes pas dans une situation d'aisance financière et que le gouvernement a fait des choix irresponsables. Il a baissé les impôts des plus favorisés et multiplié les cadeaux à ses clientèles. Ce qui conduit Bruxelles à condamner la France pour déficit excessif. Il a laissé se creuser le trou de l'assurance-maladie et, à force d'exclure toute mesure correctrice, il finit par placer les Français devant un choix cruel : ou augmenter tout de suite la CSG ou renvoyer la couverture des dépenses de santé sur les assurances privées qui, en plus, le demandent. Si ce scénario se confirme, il y aura des prélèvements supplémentaires mais sous forme de primes d'assurance ou de déremboursements, c'est-à-dire sans la solidarité qui va avec

Il y a quand même une chose que vous pouvez difficilement reprocher au gouvernement : il a osé agir sur les retraites, contrairement à Lionel Jospin.
Souvenons-nous de l'héritage Juppé sur cette question. La promesse de Lionel Jospin était d'engager des négociations après l'élection présidentielle. Mais, c'est vrai, nous aurions pu alimenter plus substantiellement le fonds de réserve des retraites avec la « cagnotte » que nous offrait la croissance.

Vous acceptez aujourd'hui l'hypothèse d'un allongement de la durée de cotisation, mais vous ne voulez surtout pas que cet allongement aille au-delà de quarante ans. Pourquoi ?
Parce que les salariés du privé ont déjà fourni, à travers la réforme Balladur, un gros effort et parce qu'il n'est absolument pas crédible, dans la situation actuelle du marché du travail, de leur faire croire qu'ils vont pouvoir travailler plus longtemps pour garantir leurs retraites : actuellement un salarié sur deux qui part en retraite est sans emploi ou en inactivité (invalidité ou préretraite). Le gouvernement aurait été nettement plus convaincant s'il avait obtenu du Medef un engagement concret et massif sur l'emploi des plus de 50 ans. C'est le vice caché du projet Raffarin : faute de maintien dans l'emploi des salariés âgés, on va transformer des jeunes retraités en vieux chômeurs. Je ne sais pas où sera l'économie.

Il y a eu de sérieux débats au PS entre ceux qui rejettent violemment le projet gouvernemental et ceux qui, au nom du réalisme, refusent de le condamner. Un an après l'échec de Lionel Jospin, quelle est la ligne du parti  ?
La ligne est celle qui est sortie du congrès de Dijon et que j'appelle le « réformisme de gauche ». C'est la synthèse entre nos deux cultures : une culture de transformation sociale et une culture de responsabilité. Si nous oublions la volonté politique, si nous ne montrons pas que sur chaque sujet une alternative est possible, alors nous laisserons une part de nos électeurs, les plus modestes, douter du progrès et de la démocratie. Mais si, en même temps, nous ne faisons pas preuve de responsabilité, alors nous nous murerons dans une attitude qui peut nous conduire à rester durablement dans l'opposition au détriment de ceux qui espèrent un changement. Je veillerai scrupuleusement, sur tous les sujets, à ce que cet équilibre soit maintenu.

Quelle sera l'attitude du PS pendant le débat parlementaire ?
Ce sera une attitude ferme mais responsable. Il faut que le débat soit digne, clair et utile, même si nous en connaissons déjà le résultat. Nous ferons apparaître qu'il y a deux conceptions différentes de la réforme des retraites, sans pour autant faire d'obstruction. Et nous prendrons date. Le gouvernement aurait en effet tort de penser que, s'il parvient à faire adopter son texte, il sera quitte. Il a voulu engager une épreuve de force. À un moment ou à un autre, la facture lui sera présentée. Le climat social est tendu, la récession n'est pas loin, des échéances difficiles se profilent : décentralisation, assurance-maladie, préparation de la loi de Finances pour 2004. Le gouvernement va sortir d'un printemps agité pour affronter un automne difficile.

Certains syndicats de l'Education menacent de faire grève jeudi, jour des épreuves du bac, s'ils n'obtiennent pas le retrait des réformes gouvernementales. Que pensez-vous de leur attitude ?
Si le gouvernement avait entendu l'appel à la négociation depuis plusieurs semaines, nous n'en serions pas là. Aujourd'hui le bac, comme tous les examens, doit se tenir. Il faut utiliser les heures qui viennent pour écarter toute menace. Je souhaite que les syndicats, comme cela a été le cas, depuis le début du conflit, fassent preuve de responsabilité. Celle du gouvernement est déjà engagée.

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