Nous vivons un règne, mais il est déjà sur sa fin. Cela le rend plus absolu encore

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Monde daté du 13 juillet 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Avec la nomination annoncée de Philippe Seguin à la présidence de la Cour des comptes, le président de la République nomme un proche de plus à la tête d'une institution de l'Etat. Comment réagissez-vous ?
Jacques Chirac a retrouvé depuis 2002 la pratique monarchique de la Ve République mais sans le principe de responsabilité si cher à de Gaulle et avec tous les comportements liés à un règne finissant.

Il y a d'abord le recyclage des anciens ministres qui fait de M. Delevoye un médiateur de la République le jour même de son éviction du gouvernement et de M. Ferry un président d'un comité de plus dont le gouvernement prétendait, il y a peu, faire la chasse. Mais le plus choquant est à venir, avec l'adoption, au Sénat, d'une disposition de circonstance permettant de relever la limite d'âge de la présidence des entreprises publiques. Le premier ministre est bien aujourd'hui le seul à prétendre que cette loi de circonstance n'est pas faite pour Francis Mer.

La monarchie c'est aussi de récompenser d'anciens dignitaires du RPR, Yves Guéna à l'Institut du monde arabe, Jacques Toubon, nous dit-on, pour le futur musée de l'immigration et Philippe Seguin à la présidence de la Cour des Comptes. Je n'oublie pas le Conseil constitutionnel et le CSA entièrement contrôlés par des proches du président. Nous vivons donc un règne, mais il est déjà sur sa fin. Cela le rend plus absolu encore.

Ressentez-vous ces nominations comme une fin ?
Oui, tous les comportements attestent d'une forme d'indifférence à l'égard de l'expression de la démocratie et du pluralisme : obstination à maintenir le premier ministre malgré son impopularité record ; protection des proches dans la gestion de l'affaire Juppé ; méfiance à l'égard du prétendant, le ministre d'Etat qu'il a lui-même choisi ; et enfin nomination des fidèles à tous les postes. L'idée est bien celle de la protection personnelle et de l'irresponsabilité collective.

En d'autres temps, la gauche n'avait-elle pas cédé à cette pratique de nominations ?
Il est courant que chaque alternance soit suivie de changements dans l'appareil d'Etat mais le phénomène a pris une tournure différente car il est devenu général. Un président élu au premier tour avec moins de 20 % des suffrages contrôle 100 % des responsabilités relevant peu ou prou de l'Etat. Il n'y a aucun partage en fonction des compétences, aucun contre-pouvoir indépendant, aucune nomination de personnes proches de l'opposition. Et cet Etat UMP trouve maintenant sa prolongation dans la presse...

Les mouvements autour du groupe Socpresse vous inquiètent-ils ?
Oui. L'accession de Serge Dassault à la tête de la Socpresse est la confirmation du lien entre une entreprise étroitement dépendante des commandes de l'Etat et un groupe de presse dont l'influence, notamment dans la presse régionale, est considérable. Dois-je rappeler que M. Dassault est, par ailleurs, élu UMP et candidat aux élections sénatoriales pour ce parti selon une tradition familiale qui se poursuit puisque son fils est aussi député UMP ? Ce n'est pas simplement une question qui intéresse les journalistes de ce groupe. Elle devrait être posée au président de la République lui-même car elle justifie sans doute de nouvelles règles sur la concentration des entreprises de presse et de communication, et une plus claire relation entre l'Etat et les entreprises vivant de ses commandes et disposant d'un pouvoir dans la sphère médiatique.

Que vous inspire la réforme des 35 heures proposée par Nicolas Sarkozy ?
J'y vois une volonté de revanche politique. Je devine une intention d'utiliser les 35 heures à des fins de compétition interne au sein de la majorité et j'aperçois l'avantage déjà offert au Medef puisqu'il s'agirait d'abaisser le taux majoré des heures supplémentaires pour les salariés et d'accorder de nouvelles exonérations de charges pour les employeurs.

Le 14 juillet, vous espérez que M. Chirac précise ses intentions sur la Constitution européenne ?
J'attends qu'il précise le calendrier et le mode de ratification, car il est important que les Français soient consultés et que les grandes familles politiques soient éclairées sur les conditions du débat.

Alors que le président de la République vient d'appeler au sursaut des Français contre l'antisémitisme, une femme a été victime d'une terrible agression. Que proposez-vous ?
La parole du chef de l'Etat pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme est nécessaire et le sursaut auquel il a appelé est encore plus indispensable après cette agression odieuse. Mais les discours ne suffisent plus. Il faut une politique sévère contre les auteurs et les promoteurs de la haine. Il faut aussi une politique d'éducation à l'école et, enfin, agir sur le terreau sur lequel prospère la violence avec une politique effective contre les ghettos et les discriminations. En ces circonstances douloureuses pour notre pays, je m'honore de voir l'opposition adopter une attitude consensuelle. J'imagine ce qu'aurait été le discours de certains à droite, et au plus haut niveau, si des faits de cette nature s'étaient produits lorsque la gauche était au pouvoir. N'auraient-ils pas parlé de l'urgence de restaurer l'autorité de l'Etat ?

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