L'avenir de l'Europe se prépare aujourd'hui

François Hollande



Point de vue signé par François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Libération, daté du lundi 22 mai 2000.


 
Le discours prononcé par Joschka Fischer, le 12 mai, sur l'avenir de l'Europe, est non seulement une initiative bienvenue mais il constitue un acte politique majeur.

D'abord parce que ce discours confirme la volonté européenne de l'Allemagne réunifiée. Et malgré les précautions de son auteur, qui a insisté sur le fait qu'il s'exprimait à titre personnel, il engage bien plus que lui, puisque le chancelier Schröder a, en effet, fait savoir immédiatement que les idées présentées par son ministre montraient «le chemin de l'avenir au débat sur la forme future de l'intégration européenne». Cela, au moment même où de nombreux commentateurs et responsables politiques français s'interrogeaient ouvertement sur les intentions de l'équipe gouvernementale allemande en matière européenne, et mettaient en doute le bon état de fonctionnement de ce qu'il est convenu d'appeler le moteur franco-allemand. La réponse est là : l'Allemagne redit son attachement définitif à la construction européenne, et affirme son souhait d'accorder une place centrale à la relation franco-allemande dans le rapprochement des peuples et des Etats-nations, réalisé sous l'égide de la Communauté européenne et maintenant de l'Union. Cette réaffirmation d'un objectif et d'une stratégie pour l'atteindre ouvre indiscutablement la voie à une relance, par les deux pays, du débat sur l'avenir de l'Union. Elle n'allait pas de soi. Les sociaux-démocrates et les Verts allemands ont longtemps douté de la nécessité de la pérennité du couple franco-allemand. Ils y voyaient un vestige des relations Mitterrand-Kohl et un risque d'embarras pour les autres partenaires, notamment les Britanniques.

C'est en ce sens que l'initiative de Joschka Fischer est heureuse. Nous ne l'avons pas sollicitée ou pressée. Nous l'avons espérée. Elle vient au bon moment, à la veille de la présidence française de l'Union.

Cette prise de position est également décisive parce qu'elle prend parti d'une manière claire sur le sens à donner à l'Europe unie. Dans les jours qui précèdent le discours de Joschka Fischer, on s'interrogeait volontiers sur «l'Europe en quête de sens». A cette question à la fois légitime et récurrente dès que l'on parle de cette étrange aventure qu'est la construction européenne, Joschka Fischer apporte une réponse simple : l'avenir de l'Union, c'est la construction d'une fédération, dotée d'un Parlement, d'un gouvernement et d'un traité constitutionnel qui regrouperait et organiserait les Etats-nations par un partage de la souveraineté entre l'Europe et l'Etat-nation. On peut objecter, discuter, critiquer cette thèse, aussi vieille que la construction européenne puisqu'elle prend sa source dans la déclaration fondatrice de Robert Schuman, mais elle a l'immense avantage de la simplicité. Et c'est à partir d'elle, contre elle, pour la dépasser ou pour la préparer, qu'il faut que les uns et les autres se situent.

Ce choix, les socialistes français l'ont fait depuis plusieurs années : ils voient l'Europe comme une fédération d'Etats-nations, reposant sur une charte des droits fondamentaux et, à terme, sur une Constitution fixant les responsabilités de chaque niveau de compétence. Et ils reconnaissent la nécessité de mettre en place, en même temps que la monnaie unique, un véritable gouvernement économique.

Enfin, la déclaration de Joschka Fischer est bienvenue parce qu'elle arrive à la veille de l'élargissement. L'Union européenne va s'élargir à vingt puis à trente. Comment va fonctionner cet ensemble d'Etats-nations dans des institutions prévues à l'origine pour six pays ? Nous savons tous, et nous le répétons à l'envie, que cet élargissement va changer la nature de la construction européenne.

Est-ce qu'il se traduira par la lente dissolution des politiques communes et le maintien d'un marché unique seulement organisé autour d'une monnaie commune, ou bien provoquera-t-il une prise de conscience des Etats membres qui veulent continuer à se rapprocher les uns des autres, pour se doter de nouvelles institutions et politiques communes dans le domaine de la Défense, de la politique extérieure, de la Justice, créant ce noyau dur ou cette avant-garde que prône Jacques Delors ? Dans ce débat, très présent en France depuis deux ans, Joschka Fischer nous dit, et dit aux autres Etats membres, que l'Allemagne prend parti en faveur de la constitution d'un «centre de gravité» où se retrouveraient ceux qui veulent aller de l'avant. Cette prise de position, qui peut en effet être ressentie comme une menace par les opinions publiques ou les dirigeants qui se contenteraient bien d'une Europe minimale, va indiscutablement peser sur le déroulement de la négociation communautaire dont la France va avoir la charge dans les semaines à venir.

Mais c'est là qu'il convient de mettre les discours du ministre allemand en perspective et de veiller à ne pas confondre les horizons. N'essayons pas de faire rentrer le propos de Joschka Fischer dans l'agenda de la présidence française. Ce serait la certitude de faire échouer l'une sans réussir l'autre. L'essentiel aujourd'hui, c'est de réformer les institutions pour préparer les évolutions nécessaires et ouvrir une nouvelle étape de la construction européenne.

Nul n'a intérêt à ce que la Conférence intergouvernementale n'aboutisse pas, et le pire serait de se projeter dans les débats théoriques et généraux au lieu de se mettre d'accord sur les questions plus modestes mais si difficiles qui sont inscrites à l'ordre du jour de l'Union, à savoir, l'approfondissement avant son élargissement. Le bon usage du discours de Joschka Fischer est ailleurs : il peut servir d'éclairage à un rapprochement des points de vue de ceux qui veulent sincèrement la réforme des institutions ; il peut alimenter une réflexion en profondeur des dirigeants allemands et français sur leurs perspectives communes dans l'union européenne ; il peut faciliter l'engagement de l'Allemagne auprès de la France, au cours du prochain semestre de sa présidence, afin que l'Union soit en mesure d'accueillir dans les meilleures conditions des pays candidats et, en même temps, poursuivre l'aventure ouverte en 1950 par des Français et des Allemands qui avaient décidé d'en finir avec la guerre et les violences et qui, aujourd'hui, veulent promouvoir un modèle politique, économique et social original.

Oui, l'avenir de l'Europe, parlons-en sans doute. Mais construisons-la dès à présent ensemble.

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