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Ce colloque, dont l'initiative revient à Alain Bergounioux, avait été à l'origine conçu pour célébrer le 30ème anniversaire du Congrès d'Epinay de juin 1971. Il s'agissait de revenir sur ce qui avait fondé l'unité des socialistes et qui avait, à bien des égards, permis la victoire 10 ans plus tard. Il s'agissait aussi d'analyser la permanence de notre message après autant de temps passé - depuis 30 ans - dans l'exercice des responsabilités que dans l'opposition. Mais, il nous est apparu plus fructueux d'élargir à la fois les références et la perspective. Le congrès d'Epinay avait été une vrai rénovation partisane et un choix stratégique tout à fait décisif mais il n'avait pas été un acte fondateur au sens idéologique. ![]() L'idée socialiste, celle dont nous allons débattre tout au long de la journée, court depuis le milieu du XIXème siècle, sans avoir perdu son pouvoir d'attraction. Un sondage récent laissait entendre que le mot " socialiste " était encore la valeur la plus partagée par les Français. Aussi avons-nous voulu donner à la rencontre d'aujourd'hui un triple enjeux : ![]() ![]() ![]() En 2001, que reste-t-il d'une idée née au milieu du XIXème siècle et qui a scandé l'histoire du XXème en créant un espoir aussi grand pour les uns que la peur qu'elle inspirait chez les autres ? Avouons-le : au cours de ce siècle écoulé, un socialisme est mort. Celui qui s'était identifié à un système économique, celui qui avait confondu un mode de propriété avec un mode de vie, celui qui avait fait l'impasse sur la liberté réelle au nom d'une égalité souvent formelle. Les plus lucides l'avaient prévu dès 1920 (ce qui fait l'honneur de l'engagement aujourd'hui des socialistes) et avaient condamné les déviations de la Révolution russe au nom même des idéaux de la Révolution française. Et c'est pourquoi, l'idée socialiste a survécu au siècle qui vient de s'écouler, aux tragédies, aux guerres, aux crises. Elle est même apparue comme la réponse la plus appropriée aux grands défis de la période. Le service public a été la riposte la plus achevée à la prétention des marchés de couvrir l'ensemble de la sphère sociale. La redistribution directe des revenus -ou indirecte par les prestations sociales- a permis bien sûr d'améliorer la situation du salariat, mais surtout de juguler les crises. La couverture des risques sociaux a abouti - dans la plupart des pays - à la construction de " l'Etat providence " qui doit beaucoup à l'influence des socialistes et des syndicalistes inspirés par ce mouvement. Les grands progrès, les grandes réformes, les grandes évolutions du siècle, en France notamment, ont été décidés ou par des socialistes et la Gauche (à leur initiative) ou sous la pression d'un mouvement social où nous étions un des éléments sans être forcément l'élément principal. Il reste que, malgré ces succès, malgré ces avancées, malgré ces conquêtes, le capitalisme est toujours là. Et que l'idée socialiste, si elle a prospéré socialement et politiquement, n'a pas été capable de lui substituer un autre système. L'avenir, donc, de l'idée socialiste dépend du rapport que le socialisme pourra établir avec le capitalisme d'aujourd'hui. Or, de nos jours, il y a un nouvel âge de ce système économique, et donc de nouveaux défis, notamment : ![]() ![]() ![]() Par rapport à ces menaces, par rapport à ces défis, c'est l'idée socialiste qui paraît encore motrice et féconde pour les conjurés. Nous récusons toute forme d'accompagnement social du libéralisme. Nous récusons aussi une forme de contestation qui, pour être alternative, n'en est pas moins limitée, dépourvue de perspective politique. Aussi, la condition de réussite de l'avenir du socialisme repose sans doute sur un retour vers le fondement même de notre projet et sur un retour à l'originalité de notre méthode. Il y a quatre fondements majeurs du socialisme : 1 - La citoyenneté de plein exerciceLa démocratie jusqu'au bout affirmée par Jaurès reste encore, toujours, une perspective à l'aube du siècle nouveau. Il s'agit de parfaire l'ensemble des droits politiques, mais surtout d'élargir les droits économiques et sociaux tout en donnant à chacun les droits civils qui lui permettent de vivre sa liberté dans le respect de celle des autres. Le droit, dans cette conception là, dans la nôtre, devient plus qu'une protection individuelle, plus qu'une formalisation juridique d'un progrès social, mais un instrument de contestation du pouvoir et du marché, une forme d'équilibre dans une société où le pouvoir n'est pas équitablement partagé. Le droit devient donc, avec l'Etat, un instrument de régulation et la citoyenneté un moyen de faire avancer la société dans son ensemble. 2 - L'égalité humaineLéon Blum, dans un texte devenu célèbre qu'il avait adressé au lendemain de la première guerre mondiale à la jeunesse -et notamment à son fils, posait cette question simple : " De quoi est né le socialisme ? ". Il répondait : " Il est né de la conscience de l'égalité humaine. Il n'est pas le produit de l'envie, qui est le plus bas des mobiles humains, mais de la justice qui en est le plus noble ". Aujourd'hui, cette aspiration égalitaire est toujours la nôtre. Elle n'a pas varié alors même que les domaines où elle peut trouver sa place sont, aujourd'hui, devant nous : le savoir, l'éducation - d'où notre proposition, qui scandera notre projet, d'éducation tout au long de la vie. Nous avions, au début du siècle, au temps de Léon Blum, le débat sur l'obligation scolaire. Ne faudrait-il pas aujourd'hui avoir une obligation de formation sur toute la vie ? Le deuxième domaine est celui de la santé. Des progrès considérables ont été accomplis, et notamment par nous avec la CMU, avec la préservation d'un service de qualité. Et pourtant, les technologies nouvelles, le rôle de l'argent dans la santé obligent à repenser l'égalité de tous à ce service essentiel qui est le droit à la vie par la prise en charge de nouveaux risques et l'accès égal aux soins de qualité. Je pourrais également évoquer l'emploi. Sans doute avons-nous contribué fortement à la baisse du chômage, et pourtant il reste encore aujourd'hui ceux qui sont les plus loin de l'activité et donc de la dignité. Au nom de l'égalité humaine, nous ne pouvons pas accepter un chômage encore aujourd'hui à 8 % de la population active. C'est pourquoi, nous devons avoir une priorité pour le reclassement, pour l'insertion, pour la requalification. C'est ce qui, là aussi, se retrouvera dans notre projet. 3 - L'équilibre des pouvoirsAu moment où le marché s'étend et se renforce, l'idée d'une intervention publique n'a jamais été aussi pertinente et aussi complexe à mettre en œuvre. Nous croyons, nous, au rôle de l'Etat dans un cadre national. Nous croyons aussi à la Nation comme cadre pertinent de la démocratie. Mais nous savons aussi que nous ne serons efficaces dans nos choix publics que s'il y a une Europe plus forte et des institutions internationales dotées de la capacité de définir des normes, des taxes et aussi de favoriser des actions communes au service d'une véritable régulation. Cette prétention régulatrice est sans doute plus délicate à organiser qu'hier, lorsque nous avions l'illusion de penser que la seule réponse au marché était la socialisation des moyens de production. Non que la propriété soit devenue secondaire, mais l'expérience a montré qu'il est des domaines où des règles pertinentes sont plus efficaces que le contrôle direct par l'Etat. 4 - L'internationalismeFace à la globalisation, jamais l'action politique n'a été aussi justifiée qu'au niveau le plus approprié, c'est-à-dire au niveau mondial. Comment résoudre les questions de l'environnement, de l'avenir de la planète, de la circulation des produits, des marchandises, du développement, de la stabilisation des monnaies si nous n'avons pas une gouvernance mondiale, une capacité d'intervention à l'échelle pertinente. D'où tout le débat - sans doute théorique aujourd'hui - d'une Internationale socialiste. Et le fait qu'Antonio Gutterres vienne conclure, avec Lionel Jospin, nos travaux est le signe que nous ne voulons pas simplement parler de l'idée socialiste dans un pays riche, même s'il est inégalitaire, mais que nous voulons porter le message socialiste à travers le monde. Et, ce qui fait la richesse de notre projet, ce n'est pas tant d'avoir des objectifs, des valeurs, c'est aussi d'avoir une méthode spécifique, originale dans le débat public. Nous avons, en effet, nous les socialistes, quatre principes méthodologiques : ![]() ![]() ![]() ![]() Ce colloque a beaucoup de vertus, il a le souci d'identifier notre identité -ce qui est le plus important, de faire en sorte que nous sachions débattre entre nous sur ce qui a été notre passé -sans doute, mais sur ce qui doit être notre avenir, parce que nous portons en nous l'exigence du politique. Le grand enjeu démocratique c'est l'avenir même de la politique. Nous portons toujours une part d'utopie. Et, à l'aube du siècle qui s'ouvre cette part d'utopie s'appelle la société du temps libéré. Est-ce que nous serons capables, nous qui avons remporté la victoire historique contre le travail contraint, d'organiser une société du temps choisi ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque aujourd'hui de voir les forces du marché -qui contraignaient le travail- tenter de contraindre les loisirs, le temps offert, le temps perdu ? Voilà la première part d'utopie que nous devons porter, enjeu de civilisation. Mais il y aussi l'utopie de la société apaisée. Le marché crée de la violence, du conflit. Et nous avons ici toutes les marques, tous les stigmates de cette violence-là : ségrégation sociale, exclusion, urbanisation inhumaine, insécurité, harcèlement moral. Notre perspective doit être de créer une société apaisée. Au début du XXème siècle, c'était la société sans guerre -et elle fut hélas au rendez-vous deux fois. Aujourd'hui notre défi c'est encore la guerre - on la voit poindre, mais c'est d'abord de faire de la violence un adversaire. Nous devons nous battre contre toutes les formes d'agressions sociales ou individuelles et faire reculer les peurs et la violence. Il est nécessaire, pour notre part d'utopie, de faire une société vivante. L'idéal socialiste, c'est celui de la citoyenneté. Donner des droits sans doute, mais aussi des repères, des références, des valeurs. C'est le principe de confiance dans l'avenir que nous devons poser dans le progrès, dans l'humanité. En ce sens, Léon Blum avait raison de dire que l'idée socialiste c'était une croyance dans une civilisation faite par les hommes et non par les forces qu'ils mettent en œuvre. Le grand enjeu du siècle qui s'ouvre c'est l'avenir de la politique entendue au sens de l'engagement, de la mobilisation civique et des projets collectifs. Le XXème siècle a été celui des grandes idéologies qui ont souvent versées dans le totalitarisme. Le XXIème siècle ne doit pas être le siècle de l'effacement des idées, au contraire. C'est pourquoi, il nous faut renouer avec les confrontations intellectuelles, doctrinales, idéologiques - notamment aux grands systèmes de pensée concurrents au nôtre, le libéralisme notre adversaire, l'écologisme qui est aussi une forme de réponse qui commence à émerger même si elle ne traite que d'un aspect de la réalité ou le néo-communisme qui est toujours à l'œuvre. Dans cette confrontation, il faut affirmer clairement l'identité des socialistes. Osons être ce que nous sommes. C'est ainsi que nous donnerons de la force à notre message et de la dignité à la politique. En commençant à évoquer le congrès d'Epinay, j'ai relu les grands discours qui y ont été prononcés, afin de savoir si finalement nous étions encore dans la " ligne ". Le meilleur discours, forcément, sur le plan stratégique, sur le plan de la vision politique, c'était celui de François Mitterrand. Le discours le plus habile, c'était celui - comme toujours - de Guy Mollet, mais qui finalement n'aboutissait à aucune conclusion pratique. Le discours sans doute plus sincère au moment où il s'exprimait était celui d'Alain Savary, dans l'espoir qu'il pouvait y avoir un dialogue idéologique avec les communistes. Le discours le plus socialiste, c'était celui de Jean-Pierre Chevènement - en congrès aujourd'hui on peut le lui rappeler. Mais, le discours le plus optimiste à l'égard du socialisme, de l'idée socialiste, a été prononcé par un homme qui a conclu le Congrès à la demande de François Mitterrand, un homme qui n'avait pas eu d'histoire socialiste et qui venait là pour la première fois en socialiste. Cet homme avait été démocrate chrétien, ministre du Général De Gaulle. Cet homme-là, qui n'est pas dans notre tradition, s'appelait Robert Buron. Et il concluait ainsi son discours : " Nous ne réussirons, Chers Camarades, que si nous inspirons confiance par notre entente amicale, par notre dynamique et, permettez de le dire au socialiste peut-être le plus nouveau mais le plus gai de tous, par la joie que nous avons d'être ensemble pour le seul combat qui vaille : grâce à vous, demain, la politique retrouvera tout son sens ". Chers Camarades, aujourd'hui, ce que nous faisons, c'est de donner du sens à la politique. |