Traité constitutionnel
Un oui raisonné

François Hollande


Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Le Nouvel Observateur daté du 26 août 2004
Propos recueillis par François Bazin


 

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette rentrée ?
Un esprit de combat ! Alors que le pays est confronté à de très graves difficultés, ceux-là mêmes qui sont chargés de les résoudre nous offrent un spectacle aussi invraisemblable qu’insupportable : un président désinvolte qui entend poursuivre à marche forcée une politique pourtant sanctionnée par les Français lors des élections du printemps dernier ; un Premier ministre évanescent, qui en août contredit ses propos de juillet sans savoir ce qu’il fera en septembre en préparant, toute honte bue, sa prochaine retraite au Sénat; un ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des Finances moins intéressé par les chiffres de son budget que par le nombre de ses soutiens pour la présidence de l’UMP ; un exécutif en campagne contre lui-même, où les clans s’affrontent sans la moindre considération pour l’intérêt des Français. Et, pour couronner le tout, un pouvoir d’autant plus dur avec les catégories populaires qu’il est lui-même durablement impopulaire.
La Ve République en a beaucoup vu. Mais jamais autant de confusion et d’irresponsabilité au même moment. La crise politique devient ainsi une crise institutionnelle. A la place qui est la mienne, je le dis aujourd’hui avec gravité : cela ne peut plus durer, cela ne doit pas durer.

Qu’exigez-vous du chef de l’Etat ?
D’abord une clarification. Les Français ne vont tout de même pas devoir attendre novembre et le congrès de l’UMP pour savoir qui gouverne le pays... Les choix budgétaires et fiscaux ne peuvent se décider au vu de l’influence supposée de tel ou tel dans la bataille de succession. Ensuite, je demande le respect du pacte républicain. Depuis deux ans est engagé un démantèlement des fondements mêmes de la cohésion sociale: l’égalité devant les impôts, les soins, le service public. Et encore, cet été, l’organisation de la médecine du travail. Le chef de l’Etat, par lassitude ou par calcul, parie sur le découragement, le fatalisme et la résignation devant une politique libérale présentée comme inéluctable. Votez comme vous voulez, de toute façon je n’en fais qu’à ma tête ! Quand un pouvoir est à ce point coupé de la société, quand il dispose de bases politiques aussi étroites et fragiles, il ne joue pas ainsi avec la volonté des Français. Si Jacques Chirac devait poursuivre dans cette voie, s’il devait ignorer les souffrances, les frustrations accumulées, il réunirait alors toutes les conditions d’une rupture sociale et civique dont chacun peut mesurer le danger.

Est-ce sa légitimité que vous mettez en cause ?
Je conteste des comportements. Je combats une politique. Je prépare l’alternance pour 2007 avec, je l’espère, sérieux et méthode. Mon but, c’est le changement, pas la crise. La crise est d’abord au sein de la majorité. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy en sont les protagonistes.

Nicolas Sarkozy est-il devenu le premier des opposants ?
Il siège depuis deux ans au gouvernement à des postes clés. Il inspire la politique économique du pays et il brigue la présidence du premier parti de la majorité. Ce n’est pas un opposant mais un perturbateur.

Porte-t-il, selon vous, une ligne politique originale ?
Nicolas Sarkozy pense comme Balladur et agit comme Chirac.

C’est une synthèse qui peut le conduire très loin !
Au moins jusqu’à la présidence de l’UMP, j’en conviens. Pour le reste, Nicolas Sarkozy a emprunté au premier un libéralisme sans modération et au second un clientélisme sans complexe. Promettre, promettre toujours. La parole - que dis-je, l’image ! - vaut action... Ce libéral corporatisme se moque des contraintes et donc des contradictions. On l’a vu ces dernières semaines quand il a voulu à la fois rassurer les producteurs de fruits et légumes tout en accordant de nouvelles largesses à la grande distribution. Ses visites estivales, il les a d’ailleurs réservées à des catégories électorales, pas aux Français.

Donc, pour vous, à droite Nicolas Sarkozy n’invente rien ?
Si ! Il introduit les méthodes de la téléréalité dans l’univers de la droite. Sur le fond, son ambition, son énergie, sa brutalité le conduisent à durcir les traits naturels de sa famille politique. Il se situe dans une logique chiraquienne dont il est à la fois le prolongement et la rupture.
Idéologiquement, il incarne, au nom d’une pseudo-modernisation et d’une prétendue efficacité, une soumission pure et simple aux lois de la mondialisation libérale. Ce qu’il propose, ce n’est pas la société du libre choix, mais celle d’un faux choix dans lequel l’individu a pour seule liberté de consentir à ce que lui impose l’ordre social. Nicolas Sarkozy ne regarde pas vers la République mais vers les Etats-Unis. En ce sens, il opère les clarifications auxquelles se refuse aujourd’hui Jacques Chirac.

En disant cela, ne le désignez-vous pas comme le nouveau leader de la droite ?
Jusqu’à nouvel ordre, c’est Jacques Chirac qui, depuis tant d’années, incarne la droite, au point de la considérer comme sa propriété et de la confondre avec l’Etat. Mais, vu les responsabilités qu’exerce Nicolas Sarkozy depuis deux ans et celles qui seront les siennes demain à l’UMP, vu aussi ses ambitions affichées pour la présidentielle de 2007, je pense en effet qu’il faut le désigner dès maintenant comme le principal adversaire de la gauche.

Rendez-vous donc dans trois ans !
Non. J’ai dit tout à l’heure que cette situation ne pouvait pas durer. Quand le cynisme politique se conjugue avec l’égoïsme social, tout devient imprévisible. Et chaque rendez-vous politique devient un risque. A cet égard, dans l’intérêt même de l’Europe, je ne voudrais pas que le référendum sur la Constitution prévu fin 2005 soit détourné par un pouvoir en quête de légitimité ou utilisé par des électeurs désireux d’exprimer, une fois encore dans les urnes et avec une force accrue, leur colère à l’égard de ceux qui les gouvernent si mal.

Pour ce référendum, le PS n’a-t-il pas, lui aussi, de lourdes responsabilités ?
Il en a à l’évidence. Car de sa propre réponse dépendra sans doute celle du pays. C’est parce que nous avons cette responsabilité pour la gauche, pour la France et pour l’Europe que nous devons être exemplaires. D’abord sur la méthode. Un débat a lieu dans nos rangs. Il est légitime. Les Français s’interrogent. Parfois ils doutent. Pourquoi les militants socialistes seraient-ils différents ? A la fin de l’année, ils trancheront. Leur choix aura été précédé d’une campagne interne d’explication que je veux franche et sereine. Tous les arguments doivent être écoutés dès lors qu’ils visent à faire progresser l’Europe dans le sens que nous souhaitons. Cela veut dire que le PS doit à la fois dire ce qu’il pense du projet de Constitution européenne et fixer ses objectifs pour l’avenir, c’est-à-dire ceux que nous aurons à engager dès 2007.

Quelle est votre position personnelle ?
Je suis favorable à l’adoption du traité constitutionnel. Pour déterminer mon choix, je me suis posé les trois seules questions qui vaillent pour un socialiste conséquent. Ce texte constitue-t-il un recul par rapport aux traités existants ? Non ! Il contient des avancées, parfois insuffisantes, mais néanmoins réelles sur les pouvoirs du Parlement, sur les modes de décision au sein du conseil des ministres et sur la charte des droits fondamentaux. Seconde question : ce texte peut-il brider les capacités d’action réformatrice de la gauche en cas d’alternance en France ? Pas davantage qu’avec les traités antérieurs que nous avons approuvés (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice...) ! Je dirai même que sur les services publics, le rôle des partenaires sociaux ou le gouvernement économique, il met en place des leviers d’action que nous n’avions pas auparavant. Dernière question : sera-t-il possible, demain, de modifier les politiques inclues dans ce traité constitutionnel ? Eh bien, contrairement à ce que j’entends dire souvent, les possibilités de révision ou d’avancées seront plus aisées qu’actuellement grâce au droit d’initiative reconnu au Parlement européen, au droit de pétition accordé aux simples citoyens et aux coopérations renforcées permises aux Etats membres.

Votre oui est sans nuances ?
Il n’est ni résigné ni aveugle. Il est raisonné. On aurait pu avoir un meilleur traité si les autorités françaises avaient été à la hauteur de la situation. On doit pouvoir aller plus loin, demain, avec nos amis socialistes européens, et constituer avec les pays qui le voudront une sorte d’avant-garde. C’est tout à fait possible dans le cadre de ce projet de Constitution. Dès à présent je prends d’ailleurs l’engagement, si nous revenons au pouvoir en 2007, de promouvoir un traité social qui s’ajoutera aux dispositions actuelles. Ce faisant, je propose au PS une ligne claire et crédible qui est d’engranger les acquis de ce texte sans renoncer à des avancées ultérieures conformes à nos valeurs.

Cette position sera-t-elle celle de toute la direction du PS ?
Je le souhaite. Plus largement, je veux qu’au-delà du choix binaire qui nous est proposé l’ensemble des socialistes porte les mêmes objectifs pour l’avenir de l’Europe. Ils devront nous engager tous pour 2007. Ne proposons donc pas des crises que nous ne sommes pas sûrs de régler positivement si nous revenons au pouvoir.

Les hésitations de votre numéro deux, Laurent Fabius, mettent-elles en péril l’unité de la direction du PS ?
Que chacun dise sa vérité. Que chacun prenne ses responsabilités de socialiste et d’européen. Je ne veux pas contraindre. Je veux convaincre. Tout le monde me dit au PS que dans cette affaire il ne doit y avoir ni considérations tactiques, ni désignation cachée, ni congrès bis. Tant mieux. J’entends être, comme premier secrétaire, le garant d’un débat maîtrisé et le premier militant d’un choix éclairé.

Confirmez-vous que les militants penchent aujourd’hui pour le non ?
Je me souviens qu’avant le congrès de Dijon certains me promettaient une défaite assurée ! Alors...

Revenons à Jacques Chirac. Ne vous complique-t-il pas la tâche en organisant ce référendum sur la Constitution européenne en 2005 ?
Nous avons exigé ce référendum. Le président de la République s’y est résolu. Pourquoi se plaindre ? En fait, Jacques Chirac ne pose pas un problème au PS mais au oui. Tout d’abord parce qu’il n’a pas respecté le mandat que les électeurs lui ont confié au second tour de la présidentielle. Beaucoup, à gauche, s’en souviennent. Ensuite parce qu’il n’a rien fait ces dernières années pour promouvoir l’idée européenne. Le visage de la nouvelle Commission, la place ridicule qui y est accordée à la France, l’orientation libérale que les autorités françaises ont encouragée par calcul ou incompétence accentuent encore la confusion. Je demanderai d’ailleurs à nos députés européens de ne pas voter l’investiture de la Commission Barroso. Mais ne confondons pas l’Europe de demain avec ses dirigeants d’aujourd’hui, une institution avec des politiques, l’idéal européen avec la réalité politique française.

Que faire, dans ces conditions ?
Le PS ne jouera pas la politique du pire. Que Jacques Chirac, en retour, ne choisisse pas la pire des politiques. Il faut donc qu’il fasse preuve de la plus extrême retenue dans l’organisation d’un scrutin qui engage le destin de l’Europe et non le sien.

C’est-à-dire ?
Le PS fixera sa position en décembre sur le traité constitutionnel. Je souhaite qu’il dise oui à l’Europe. Mais si, au bout du compte, la question devait porter sur le sort de Jacques Chirac, que celui-ci ne se fasse aucune illusion: ce sera non, avec toutes les conséquences que cela suppose pour la poursuite de son mandat.

Le débat sur l’Europe ne risque-t-il pas d’obnubiler le PS au point de lui faire oublier la refonte de son projet, d’ici à 2007 ?
Trois ou quatre mois de débat sur la Constitution européenne, c’est à la fois nécessaire et suffisant. Pour ce qui est du projet socialiste, nous avons près de deux ans devant nous. La question qui nous est posée est assez simple dans sa formulation. Dans le processus de mondialisation, comment passer de l’économie du chantage à celle de la volonté ? Comment rénover notre pacte républicain ? Comment construire cette société solide et solidaire qui est notre principal atout dans la compétition internationale? Comme nos amis espagnols, je pense qu’il nous faut commencer par traiter la question démocratique parce qu’elle est centrale et qu’à partir de là tout s’enchaîne: la nouvelle donne institutionnelle, la participation des citoyens, le dialogue social, la résorption des déséquilibres territoriaux, l’Europe aussi. Ensuite nous aborderons les questions d’environnement, d’énergie et plus généralement de développement durable, parce qu’elles déterminent notre avenir et qu’au fond elles éclairent le sens de notre démarche. C’est-à-dire donner systématiquement la priorité aux investissements du futur: éducation, recherche, culture, logement...

Toutes ces questions n’avaient-elles pas été déjà traitées dans le précédent projet socialiste ?
En 2002, les Français avaient apprécié l’action du gouvernement Jospin, mais ils percevaient mal le sens du nouveau mandat que nous sollicitions, d’autant que la gauche apparaissait divisée pour le porter. Vieux problème des socialistes, qui en 1986, 1993, 2002, après cinq ans d’exercice des responsabilités, ont été battus parce que la dynamique de leur projet paraissait – à tort ou à raison – épuisée. Ce cycle d’alternances doit nous servir de leçon. Nous devons être totalement novateurs dans le mode d’élaboration de notre projet. Nous avons du temps devant nous. Profitons-en pour associer très étroitement les Français. Faisons surtout en sorte que les perspectives ainsi ouvertes soient valables pour les dix ans à venir, l’objectif étant non seulement de gagner en 2007 mais aussi de transformer notre société sur la durée, sans pause, sans rupture... et sans échec.

Dans le passé, de 1981 à 2002, le candidat à la présidentielle a toujours pris ses distances par rapport au projet élaboré par le parti. N’est-ce pas le sort qui est promis à ce nouvel exercice de style ?
Je n’accepte pas cette formule. Mon but n’est pas d’occuper le PS en attendant qu’un candidat et ses experts sortent, le moment venu, un programme clé en main. Ce serait d’ailleurs la recette garantie de l’échec. Je fais un lien direct entre l’élaboration du projet et le choix de notre candidat à la présidentielle. La procédure de désignation commencera au lendemain de l’adoption de ce texte. Tous les responsables du parti auront été associés à son écriture. Chacun aura pu avancer ses idées et ses propositions. Celui ou celle d’entre nous qui sera choisi le sera en fonction naturellement de ses qualités personnelles et de son impact électoral, mais aussi de sa capacité à porter le projet collectif du parti. J’y veillerai personnellement.

En étant vous-même candidat ?
Comme premier secrétaire, et donc plus que tout autre, je m’interdis tout mélange des genres et toute confusion des calendriers. D’abord le projet, ensuite le choix du candidat.

Vous ne rejetez donc pas l’hypothèse d’une candidature ?
Par principe, par fonction, par tempérament, je ne me prête jamais au petit jeu des hypothèses. Je soutiendrai, en son temps, celui ou celle qui sera le mieux placé pour faire gagner nos idées. Pour le reste, y a-t-il d’ailleurs meilleure préparation à l’exercice des responsabilités que d’être premier secrétaire, pleinement premier secrétaire ?

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