Discours
de François Hollande,
le jeudi 27 septembre 2001

 

Chers camarades,

Je remercie bien sûr Jean-Marc Ayrault pour son accueil, mais surtout pour son rôle parmi nous depuis plus de 4 ans. Je crois que son autorité amicale pour encadrer - le mot est mal choisi - le groupe socialiste qui affirme son souci d’unité chaque fois que c’est nécessaire, mais aussi la nécessité d’une diversité, d’une pluralité. Et Jean-Marc a su, à chaque fois qu’il a été appelé à exercer sa présidence, justement maîtriser nos excès et en même temps faire vivre la liberté de notre groupe. Je voudrais, presque au terme de notre législature, lui dire combien le Parti lui est reconnaissant du travail qu’il a pu mener à la tête de notre groupe.

Nos journées parlementaires se situent, chacun l’a rappelé, à un moment exceptionnel fait de gravité - au regard de la situation internationale -, d’émotion - face aux victimes de New York et de Toulouse - et d’inquiétude devant les incertitudes économiques.

Nous affrontons ces épreuves à la fin de la législature, c’est-à-dire dans une période où nous devrions - en temps ordinaire - nous consacrer à la valorisation de notre bilan, à l’achèvement de notre programme législatif et à la préparation de notre projet.

Ces tâches plus que jamais demeurent et devront être menées à bien. Mais, les Français attendent de nous dans ces circonstances encore davantage. Ils attendent de nous de la responsabilité et de la dignité. C’est-à-dire une conception de la politique.

I - LA RESPONSABILITÉ

Elle tient d’abord à la place éminente qui est la nôtre, force principale de la majorité, force directrice du Gouvernement. Mais, elle est fondée aussi sur une ligne de conduite que nous devons faire prévaloir dans la réponse aux trois priorités de l’heure : la lutte contre le terrorisme, la protection de nos concitoyens et la conduite de la politique économique

La lutte contre le terrorisme

Nous nous sommes rassemblés autour de principes simples et de modalités évidentes qui ont été présentés par Lionel Jospin :

Principes :
     Solidarité à l’égard du peuple américain ;
     Nécessité d’une réponse, adaptée, ciblée, appropriée, c’est-à-dire frapper les auteurs et protecteurs du système terroriste, mais ne pas punir un peuple après l’agression d’un autre ;
     Maîtriser nos choix et être associés aux décisions à prendre.

Modalités :
     Réaffirmer l’approche multilatérale de la crise. Son règlement ne dépend pas que d’un seul pays, même du plus fort, même de l’agressé ;
     Croire dans le rôle de l’ONU dans la lutte contre le terrorisme ;
     Organiser au niveau des Etats, au niveau de l’Europe, au niveau du monde, une politique d’assèchement du financement du terrorisme.

La protection de nos concitoyens

Les attaques de New York, la catastrophe de Toulouse - phénomènes d’une ampleur et d’une nature différentes - ont accentué les peurs, avivé les angoisses, réanimé des appréhensions. Notre réaction ne doit être ni de les nier ni de les amplifier, mais de les apaiser, dans un contexte déjà lourd et marqué, en outre, par le passage à l’euro.

Nous avons donc, là aussi, approuvé les mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour affirmer l’exigence de sécurité, à travers la mobilisation des forces de police, de gendarmerie, de l’armée ; nous avons souhaité une vigilance accrue, notamment sur les lieux publics ; nous avons demandé l’association des collectivités locales à cet effort et nous devons –à bien des égards- continuer à ne pas baisser la garde.

Toulouse, à d’autres points de vue, souligne la nécessité de multiplier les contrôles des sites dangereux. Nous avons demandé qu’il y ait, le cas échéant, un renforcement de la réglementation sur les établissements classés, notamment dans les sites urbains. Et nous avons préconisé une intervention plus rapide, plus facile des représentants du personnel.

Mais, il nous faut également poser les conditions d’efficacité de cette politique de sécurité :
     Dire la vérité sur la réalité, quelle qu’elle soit ;
     Assurer la transparence des choix ;
     Mettre en cause, le cas échéant, la responsabilité de ceux qui dérogent à la loi. Tolérance-zéro, a-t-on entendu ; cela vaut aussi pour les installations classées ;
     Affirmer le rôle de l’Etat : la droite ne découvre les fonctionnaires que les jours des catastrophes et le besoin de normes, de réglementation, de contrôles que les lendemains de drames. Dois-je le rappeler, à Toulouse, comme ailleurs, ce n’est pas l’Etat qui accordait - ces dernières années - les permis de construire ou fixait les règles d’urbanisme. Il ne peut être question de demander, même sous le coup de l’émotion, que d’un seul coup à l’Etat de déménager tous les sites dangereux à la campagne. Là aussi il faut fixer des principes, il faut fixer une ligne : c’est celle de la responsabilité.

La conduite de la politique économique

Depuis six mois, la croissance mondiale ralentit sous le double effet de l’épuisement de ce que l’on a appelé la nouvelle économie et des dérèglements de l’économie américaine. Les événements dramatiques du 11 septembre accélèrent –par la violence du choc- les ajustements en cours.

Avec deux hypothèses contradictoires : soit la transformation du ralentissement en récession américaine ; soit l’anticipation de la reprise - par l’ampleur des mesures décidées, notamment aux Etats-Unis mais aussi en Europe, pour conjurer le pire.

D’un côté, on insistera sur l’impact de la psychologie qui affecte la consommation comme l’investissement.

De l’autre, et c’est notre point de vue, nous pouvons affirmer que la conjugaison d’une politique budgétaire active et d’une politique monétaire accommodante dans un contexte de faible inflation et de bas prix du pétrole peut aussi éclairer l’avenir.

Dans ce contexte où rien n’est joué, l’essentiel revient donc à la politique.

Il faut confirmer nos choix de 1997 (c’est ce qu’a fait Laurent Fabius) :
     Volontarisme dans l’objectif de croissance ; pourquoi aurait-il fallu que le Gouvernement français donne lui-même le signe du repli ? Et à quel niveau ? Quand les économistes eux-mêmes diffèrent dans leurs prévisions, nous devons affirmer que nous ne sommes pas des pronostiqueurs mais des décideurs.

     Soutien à la consommation ; (c’est ce que nous avons entrepris à travers la prime à l’emploi et les baisses d’impôts pour préserver la croissance).

     Priorité à l’emploi. Que ceux qui pensaient en avoir terminé par rapport à la lutte contre le chômage, que ceux déjà affichaient - et c’était louable - l’objectif de plein emploi comprennent que nous n’en avons par terminé avec ce pari.
Et si le scénario le plus gris devait se confirmer - même si nous devons le conjurer, alors c’est au niveau européen qu’il faudrait agir pour relancer l’économie et au niveau national pour lutter plus profondément contre le chômage à travers la mobilisation des formules que l’on connaît bien : CES, stages d’insertion, emplois jeunes, formation, reclassements.

La droite, en contestant l’objectif même de croissance que nous avons retenu, ne cache pas sa joie devant les possibles conséquences économiques des événements internationaux et révèle une nouvelle fois sa nature : la tentation irrésistible à l’irresponsabilité et le goût immodéré pour l’austérité ; déjà on nous demande de diminuer les dépenses publiques et le nombre des fonctionnaires.

Ce qui n’empêche pas les mêmes de défiler dans nos circonscriptions, nos départements, ceints de leur écharpe, pour protester localement contre la fermeture d’un service public ou la mise en cause d’une administration ; quand la présidente du RPR propose, dans le même temps, de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite.

En fait, les événements récents sont une nouvelle condamnation du libéralisme et du retrait de l’Etat.

Raison de plus pour prendre toutes nos responsabilités dans la conduite de la politique économique, dans la lutte contre le terrorisme, dans l’affirmation d’une politique d’état pour assurer la protection de nos concitoyens, et de continuer résolument notre travail parlementaire, mener nos réformes jusqu’à leur terme (Allocation Personnalisée à l’Autonomie, droits des malades, décentralisation, sécurité, Corse –quelles que soient les déclarations des uns ou des autres). Car, nous nous déterminons en fonction de principes (Dialogue avec les élus et respect de l’état de droit) et non en fonction des positions successives, versatiles de tel ou tel interlocuteur.

J’ajouterai à ce programme de travail des thèmes qui nous sont chers : le départ des salariés ayant cotisé plus de 40 ans, les retraites complémentaires pour les agriculteurs, une première étape dans le financement des organisations syndicales. C’est en tout cas le message que je ferai passer au Gouvernement.

Telle est aujourd’hui notre responsabilité d’acteurs politiques. Nous devons assumer cette tâche avec dignité.

II - LA DIGNITÉ

Les circonstances dramatiques, comme les aspirations des Français, commandent non pas une quelconque réserve et encore moins un effacement des lignes politiques, mais simplement une attitude républicaine fondée sur une conception exigeante de la politique. Il s’agit de respecter l’émotion de nos concitoyens, mais surtout de répondre à leurs interrogations.

Dignité dans les mots utilisés

Que ce soit pour caractériser la riposte attendue : elle n’est ni une croisade, ni un choc de civilisation, ni un affrontement entre le bien et le mal ; Il s’agit simplement de l’affrontement hélas plus que séculaire entre l’humanité et la barbarie ;

Que ce soit aussi pour rappeler la nature de notre République : elle ne connaît que des citoyens et non des communautés et elle est fondée sur la laïcité, c’est-à-dire sur le respect de la liberté confessionnelle, mais aussi la séparation absolue entre le religieux et le politique.

Dignité dans les actes

Il s’agit de traiter l’urgence sans doute, mais aussi de se situer à la hauteur des enjeux : paix - solidarité - développement. Ce qui suppose de traiter les causes mêmes des phénomènes que nous dénonçons : la misère - l’aveuglement des riches - le maintien de dictatures accommodantes - l’argent sale - les conflits jamais réglés au Proche-Orient ou ailleurs.

Et de situer, à la hauteur voulue, nos réponses politiques :
     La régulation des marchés
     La construction d’une Europe politique dotée d’une véritable politique étrangère et de sécurité
     La nécessité d’harmoniser nos systèmes de justice et de sécurité
     La place de l’Etat et le rôle des acteurs publics, la démocratie qui doit être rénovée et la démocratie sociale qui doit être réformée.
Nous avons donc là aussi à marquer la dignité du débat politique en affirmant la force de nos propositions.

Dignité dans les comportements

Chacun l’aura compris : les événements justifient une cohérence de l’action et une unité d’expression au sommet de l’Etat. Et, ce serait renvoyer une bien piètre image de notre pays que de porter à toute force une compétition - qui viendra à son heure - dans un moment où notre action collective est appelée sur l’essentiel. Chacun doit plus que jamais faire son travail là où le suffrage l’a placé.

La vie politique n’a pas à disparaître pour autant. Et ce serait là aussi un bien mauvais service à rendre à la démocratie que de gommer les clivages et les nécessaires confrontations. Mais elles doivent porter sur les idées, les propositions, les perspectives.

J’ai bien relevé que cette retenue n’était pas partagée par tous et, qu’à droite, l’inclinaison était grande d’interpréter les événements actuels à l’aune de leur supposée influence sur l’image de leur champion, ou pire, d’utiliser l’émotion et les peurs à des fins de politique intérieure. Ce serait faire un bien mauvais usage des drames et surtout faire un misérable calcul. Je fais confiance à la lucidité de nos concitoyens qui savent distinguer les genres, les moments les rôles institutionnels. J’invite d’ailleurs chacun au-delà de nos rangs à éviter les glauses sur les retombées électorales possibles d’événements de cette dimension.

J’ai bien noté aussi l’incroyable propension de l’opposition - chaque fois qu’elle tient meetings ou universités d’été - à se livrer à des distributions de poste ou des compétitions pour l’obtention d’honneurs futurs. Pas une réunion de la droite sans que ne s’ouvre la valse des ambitions et la sarabande des prétentions. Autant de Premiers ministrables que de participants ! En " haut lieu ", on s’est, paraît-il, affligé du spectacle donné. Même Jean-Louis Debré s’en est effrayé.

Je ne veux pas croire pour autant que la crainte de se montrer tels qu’ils sont serait la raison de l’annulation de leurs journées parlementaires. Il est vrai que le rassemblement de Périgueux, la semaine dernière, avait dépassé toutes les limites. Alain Juppé s’était fait ovationner par ses amis comme chef d’un nouveau parti, celui du président, et emporté dans son élan, avait dénoncé à notre sujet " notre incapacité congénitale à assurer la sécurité intérieure ou extérieure ".

Il n’a donc pas changé. Mais, quand celui qui a tout raté comme Premier ministre nous fait des critiques, il faut les prendre comme des hommages. Et ne s’inquiéter de notre politique que lorsqu’il nous en fera compliment. Ce moment n’est pas venu.

III - NOTRE CONCEPTION DE LA POLITIQUE

La politique ce n’est pas seulement de la compassion - elle est nécessaire - et de la solidarité - elle est impérieuse. C’est une vision du monde, une explication de la société, une volonté de la transformer. Elle est plus que jamais impérieuse dans le contexte que nous traversons :
     Le marché produit des richesses, mais ne génère, en lui-même, ni la démocratie ni la paix ;
     La religion devient un fardeau quand elle se confond avec un projet politique ;
     Ce qui menace aujourd’hui les démocraties, c’est le vide, c’est-à-dire le défaut de références, de sens, de volonté qui laisse la place à la loi du plus fort ou à la violence.
Tel est donc notre devoir : donner à la politique sa place, à l’Etat sa légitimité, à la solidarité sa vertu civique, à l’engagement citoyen son honneur.

Ce sera pour les prochains mois la ligne de notre Parti

     Valorisation de notre bilan où nous montrerons que nous avons respecté nos engagements;(un document élaboré entre le groupe et le Parti sera publié en Novembre).

     Promotion du projet (celui que Martine Aubry élabore en essayant d’associer tous ceux qui veulent bien y contribuer) ;

     Désignation de nos candidats avec l’objectif de parité (40%). Et nous prendrons nos responsabilités comme nous les avons prises pour les listes au Sénat, même si nous aurions pu –là aussi- faire mieux.

     Stratégie de la Gauche plurielle est la seule possible : l’union nous a toujours permis de gagner (encore au Sénat dimanche). Chacun a pris sa part dans cette majorité à la fois au bilan que nous est commun mais aussi aux réussites électorales. Et que ceux qui ont tendance à en oublier les règles ou la dynamique réfléchissent à deux fois avant de changer de rive. Nous aurons, nous socialistes, à renouveler nos choix de Gauche plurielle pour la préparation des prochaines élections législatives. Ce qui supposera entre nous un respect mutuel quant à nos réalités électorales dont nous connaissons les forces mais aussi certaines faiblesses.


CONCLUSION

Nos journées parlementaires de Nantes sont les dernières de la législature. Je voudrais vous dire ma fierté, quoi qu’il se produise en 2002 même si, au-delà de notre candidat, beaucoup dépendra de nous, d’avoir été membre d’un groupe parlementaire comme le nôtre qui a permis des avancées historique aussi décisives que celles de 1981 comme les 35 heures, la Couverture Maladie Universelle, la parité ou le PACS.

Le travail que nous avons mené, le soutien dont nous avons fait preuve à l’égard de Lionel Jospin et notre envie intacte de réformes qui est encore la nôtre… Tout cela me conduit à affirmer, sans exagération déplacée, ma confiance dans l’avenir, à condition que : responsables du présent, nous restions dignes des aspirations des Français.


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