Discours de François Hollande le 27 septembre 2003 |
Chers camarades, À Limoges, les socialistes sont forcément chez eux. Il n’y a pas tant de territoires en France où, depuis des années (je n’ose dire des décennies), ville, chef lieu, département, région sont dirigés par des équipes socialistes (Alain Rodet, Jean-Claude Peyronnet, Robert Savy). J’ai, en outre, le sentiment d’être aussi chez moi, car Tulle n‘est pas loin. Et le Limousin est ma région, même si je reconnais que la Corrèze n’est pas toujours à l’unisson du vote haut viennois. Mais je m’efforce, depuis quelques années, de réduire l’écart. C’est ma façon de contribuer à la reconquête. En ce début d’automne, et 16 mois à peine après sa nomination, le gouvernement dévisse. Pas seulement dans les sondages où sa chute d’abord lente s’est accélérée, mais aussi dans ses résultats. Tout baisse, sauf les impôts et le chômage. Il décroche en fait faute de trouver une prise. Il a longtemps fait semblant, donné le change, gesticulé, communiqué. Aujourd’hui, il glisse sur les problèmes faute de les résoudre. Ses pronostics se perdent dans le scepticisme, ses choix se contredisent et ses annonces ne sont plus qu’une interminable procession de mauvaises nouvelles. À chaque jour sa taxe injuste ou sa potion amère. Et, chacun sent que le pire est à venir. La perte de confiance atteint même le gouvernement. Des ministres se cachent, d’autres se montrent… Tous supputent, nous dit-on, l’imminence d’un remaniement. Le climat est tel que beaucoup s’interrogent sur la durée du bail du locataire de Matignon. On nous dit même que certains font déjà la visite des lieux et que le Président en prend ombrage. Cette ambiance délétère n’épargne pas la majorité. Je ne parle pas de l’UDF qui, visiblement, n’est d’accord sur rien même si - on le sait d’avance - elle votera tout. Mais, surtout de l’UMP. Ses journées parlementaires étaient visiblement celles du doute. Doute sur le cap, doute sur la suite, doute sur les chefs. Le Premier ministre leur promettait enfin une vision. Les parlementaires de l’UMP n’ont pas été pour autant éclairés. L’agenda 2006 qui leur a été présenté s’est réduit au programme parlementaire du prochain semestre. Comme si l’horizon du gouvernement se limitait désormais aux élections régionales de mars prochain ! Il est vrai que l’attitude du Chef de l’Etat n’est pas de nature à dissiper le malaise. Cet été, son absence s’est ajoutée à la vacance du gouvernement. Aujourd’hui, son silence est d’abord perçu comme une indifférence aux problèmes quotidiens des Français. Et le rappel de ses promesses (c’est la première fois qu’il y songe) vient encore souligner l’incohérence de la ligne suivie. Curieux attelage où les conducteurs se gargarisent d’être en pleine harmonie sans être capables d’indiquer une direction ! Dans ce contexte, les Français expriment leurs inquiétudes et leur colère. Inquiétude pour leurs conditions de vie d’aujourd’hui, et d’abord pour leur pouvoir d’achat, leur emploi, mais aussi pour leur avenir : Education, protection sociale, retraites. Ils comprennent qu’à travers les décisions prises depuis 16 mois - et surtout celles qui se profilent au lendemain des échéances électorales de 2004 - ce sont les principes même de notre modèle social qui sont en cause. Là se situe notre responsabilité. L’échec du gouvernement n’est plus une prévision incantatoire ou un parti pris. C’est un fait. Le mouvement de défiance à son endroit s’est accéléré à mesure de la révélation de ses résultats. Après les mobilisations chaudes du printemps, c’est la colère froide qui a pris la place cet automne. Elle n’est pas plus rassurante pour les gouvernants. Elle ne se mesure plus à l’aune du nombre des participants dans les cortèges. Elle peut prendre toutes les formes des protestations les plus bruyantes jusqu’aux frustrations les plus silencieuses. Sans oublier la plus dangereuse : le désarroi. Nous devons à la fois porter ce refus, cette contestation, cette indignation… Bref, cette opposition. Mais aussi offrir une perspective, une alternative, un espoir. Certes, nous connaissons les échéances et leur calendrier. Nous ne confondons pas les scrutins. Ceux du printemps prochain ne décident pas de l’alternance nationale. Nous devons gérer le temps et celui du programme de gouvernement n’est pas encore venu. En revanche, nous devons dire la société que nous voulons, les priorités qui sont les nôtres, les instruments que nous privilégions et les propositions que nous faisons sur les problèmes de l’heure. C’est l’opposition alternative dont a parlé Jean-Marc Ayrault, celle qui marque ses différences, mais indique ses références pour une action future. Notre opposition, nous la portons d’abord sur le contenu de la politique gouvernementale. Celle-ci est la conjugaison de l’injustice et de l’impuissance. L’injustice, elle est la marque de fabrique, le sceau de la machine UMP. Elle caractérise tous les choix de l’Etat aujourd’hui et avec une insolence proche du cynisme social. C’est une redistribution à l’envers qui est revendiquée. Jamais une droite gouvernementale n’a voulu s’assumer à ce point. L’injustice est partout : Injustice dans les choix fiscaux : où l’impôt est baissé pour les fortunés et les prélèvements augmentés pour tous (gaz oil, tabac, impôts locaux). Les modestes payent pour les riches, au prétexte qu’ils sont les plus nombreux ; Injustice dans les priorités budgétaires : où les budgets de l’emploi, du logement, de la Ville, de l’Education sont sacrifiés ; Injustice dans les faveurs données à l’épargne : le PEP est supprimé, le Livret A menacé, dans la seule perspective de mettre en place, à grands coups d’avantages fiscaux, des fonds de pension pour les plus favorisés ; Injustice dans les politiques sociales : « Malheur aux pauvres » était le slogan de Madame Thatcher. C’est la politique de Monsieur Raffarin. L’indemnisation des chômeurs est réduite (dès janvier, 130 000 prestataires de l’ASS sont renvoyés au RMI), la couverture sociale est amputée (hausse du forfait hospitalier et les déremboursements de médicaments), l’emploi est précarisé et le CDD va être facilité au détriment du CDI (projet de loi Fillon), les jours fériés des salariés sont menacés, l’APA est rognée. Et, il a fallu la tragédie de la canicule - dont on connaît aujourd’hui l’ampleur (15 000 morts) et pas encore les responsabilités précises même si elles concernent désormais plusieurs ministères - pour découvrir que le plan de médicalisation des maisons de retraite avait été subrepticement remis en cause ; Injustice aussi dans la philosophie de l’Education, laquelle n’est plus une priorité budgétaire mais pas davantage une volonté nationale. Les inégalités scolaires sont désormais justifiées. Au-delà d’un socle minimal de savoir, c’est la sélection précoce qui l’emporte et les filières fonctionnent comme des tunnels et non comme des ascenseurs. L’école privée est présentée en exemple dans les banlieues et les formations en alternance comme le destin scolaire des jeunes les plus défavorisés ; Injustice dans la conception de la décentralisation, considérée désormais comme un vaste marché d’acteurs locaux venant acheter, en fonction de leur richesse fiscale, des compétences que l’Etat vendra à l’encan, faute de moyens pour les exercer. Les inégalités territoriales s’en trouveront aggravées et la péréquation promise se transformera en RMI pour les collectivités locales appauvries. C’est dur d’être la « France d’en bas » sous Raffarin et Chirac. « France d’en bas », Il y a des formules qui reviennent comme des boomerangs. Je ne sais ce que celle-ci a rapporté à son auteur quand elle fut prononcée. Je sais ce qu’elle lui coûtera quand il partira. Flatter n’est pas servir, c’est vivre aux dépends d’autrui. Les Français connaissent la morale des fables de la Fontaine. Mais, cette politique n’est pas seulement injuste. Elle est inopérante. Et c’est tout aussi grave. Le gouvernement a perdu tous ses paris. L’économie française est au bord de la récession. La consommation a chuté au mois d’août. L’investissement ne repart pas et les importations souffrent de la faiblesse du dollar. Bref, alors que la croissance durant la législature précédente s’était située au-dessus de celle de nos partenaires européens, c’est l’inverse aujourd’hui. Pour la première fois depuis 1993, l’économie recommence à détruire les emplois (60 000 depuis le début de l’année) et malgré l’explosion des radiations de l’ANPE (100 % en un an), le chômage atteindra 10 % de la population active à la fin de l’année. À l’impuissance, le gouvernement ajoute l’imprévoyance puisque les déficits atteignent des records historiques. C’est vrai pour celui de l’Etat avec 55,5 milliards d’euros, soit 360 milliards de francs (le précédent record était détenu par Edouard Balladur en 1993 : 342 milliards). C’est confirmé pour le déficit de la Sécurité sociale qui, après 6 milliards en 2002, dépasse 11 milliards d’euros cette année, et près de 15 pour l’année prochaine, soit un déficit cumulé de plus de 30 milliards à la fin 2004. Soit presque autant que le déficit prévisionnel de la branche vieillesse en 2020 qui avait justifié le plan Raffarin. À tous les sens du terme, ces déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Ces mauvais résultats, liés à une inquiétude légitime par rapport aux charges qui hypothèquent sur l’avenir, créent une véritable crise de confiance : l’épargne de précaution gonfle, les choix d’investissement sont reportés, l’attentisme s’installe. Et, c’est une véritable spirale de l’échec qui s’engage. Les mauvaises décisions d’aujourd’hui préparent les douloureux ajustements à venir. Et il est à craindre que la France, même en cas de reprise internationale, soit incapable d’en tirer avantage. La pente de Jean-Pierre Raffarin conduit décidément à une impasse. Toute la méthode du gouvernement est d’en dissimuler la réalité : a) Par le faux-semblant Faire croire qu’il baisse les impôts alors qu’il augmente les prélèvements ; faire croire qu’il réhabilite « le travail » alors qu’il avantage le capital (plus values, immobilières); faire croire qu’il traite les problèmes à travers un usage immodéré de commissions alors qu’il les repousse ; b) Par le mistigri Jeu bien connu qui consiste à transférer à d’autres les charges qui lui incombent. C’est le sens du contenu du projet dit de décentralisation qui vise à transférer les déficits aux collectivités locales, mais aussi les problèmes. C’est le cas avec la réduction du nombre de bénéficiaires de l’Allocation Spécifique de Solidarité qui aboutit à renvoyer vers le RMI les demandeurs d’emploi. Cette relégation sociale est aussi une manipulation financière, puisque ce sont les collectivités locales qui - désormais - en assumeront le coût. C’est aussi sa méthode pour la dépendance et le handicap. L’Etat n’entend plus être responsable des victimes de sa politique. c) Par la fuite en avant L’accumulation des déficits n’est pas seulement une impuissance, c’est aussi un choix consenti -celui de mettre en faillite un modèle de protection sociale- et en crise une conception de l’Etat. Puisque les caisses sont vides et que l’impôt est impopulaire, le marché peut retrouver sa place et la responsabilité individuelle se justifie faute d’une impossible régulation sociale. Car, derrière les échecs, les maladresses et les trucages, les intentions de la droite sont bien de rendre irréversible le modèle libéral : Education, Santé, Services publics, ce sont les fondements même du pacte républicain qui peuvent être soumis à la marchandisation. Face à de tels enjeux, je l’ai dit, le rôle des socialistes est essentiel. La perte de crédibilité de la droite crée une pression légitime sur les socialistes. J’ai connu pression plus désagréable. C’est la preuve que nous sommes redevenus non seulement la seule opposition crédible, mais déjà l’instrument possible d’une alternative. Face au doute, et parfois au désarroi, il faut redonner de la confiance et de l’espoir. Nous avons à maîtriser le temps et les étapes. Nous connaissons les échéances. Et nous les respectons. Les élections intermédiaires sont l’année prochaine, mais le rendez-vous décisif est en 2007. Les premières auront un enjeu politique national, mais ne décideront pas de notre retour. Les secondes sont loin, mais se préparent dès aujourd’hui. Il nous revient donc de fixer notre rythme et notre calendrier. Nous avons à faire connaître dès à présent nos propositions sur les grands sujets de l’actualité et, dans le même temps, nous avons à engager un « nouveau projet pour la France » en en déclinant les grandes lignes au fur et à mesure de notre travail collectif. Nous avons à concilier le court terme et le moyen terme, à conjuguer le présent et le futur. « Que feriez-vous |
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