M. Raffarin, vous n'avez plus la confiance des Français

François Hollande
Intervention de François Hollande, premier secrétaire, à l'Assemblée nationale dans le cadre du débat suivant la déclaration de politique générale du gouvernement Raffarin III, le 5 avril 2004.


 
Il y a un mois, presque jour pour jour, notre Assemblée débattait déjà de l’avenir de votre gouvernement. Nous contestions vos décisions et vos résultats. Vous les défendiez âprement. Et votre majorité unanime vous suivait à travers le rejet de notre motion de censure.

Mais, le 28 mars dernier, c’est une majorité de nos concitoyens qui a clairement sanctionné votre politique. Ils l’ont fait massivement, avec une participation électorale particulièrement élevée.

Ils l’ont fait nettement en choisissant d’accorder à la gauche la responsabilité de la quasi-totalité des Régions.

Nul ne peut nier la portée politique d’un tel vote ! Le Chef de l’Etat lui-même ne prétend-il pas avoir entendu le message des électeurs ?

Et pourtant, il vous a reconduit et vous êtes de nouveau devant l’Assemblée nationale pour solliciter sa confiance.

Permettez, au-delà du respect que je porte à votre fonction et à votre personne, que l’on s’interroge ici sur votre autorité. Le Président de la République l’a lui-même sérieusement entamée en prenant l’exact contre-pied de plusieurs décisions de votre précédent gouvernement. Sur la suspension de la réduction de l’Allocation Spécifique de Solidarité (ASS), sur le renoncement aux ordonnances pour réformer la Sécurité Sociale, sur l’ouverture du dialogue avec les chercheurs et les intermittents du spectacle, il vous a demandé d’admettre le bien fondé de ce que l’opposition - et pas seulement l’opposition - vous réclamait depuis de long mois et que vous refusiez obstinément.

Il est d’ailleurs heureux que les Français aient voté comme ils l’ont fait, car il n’est pas sûr que la lucidité ait jailli aussi vite au sommet de l’Etat avec un autre résultat électoral. Vous nous parlez aujourd’hui de cohésion sociale, de justice, de dialogue. Mais, comment pourriez-vous, mener une politique différente de celle que vous avez conduite depuis deux ans ? Sauf à vous contredire, sauf à reconstruire ce que vous avez défait, sauf à corriger vos propres erreurs. Vous avez donc décidé de reconduire votre politique comme si de rien n’était.

La crédibilité de votre gouvernement est également écornée. Plus d’une douzaine de vos ministres viennent d’essuyer les foudres du suffrage universel. La tradition républicaine n’y trouvera guère son compte, la cohérence politique non plus.

À quoi bon changer si c’est pour mettre les mêmes ministres dans d’autres ministères. Ou ils avaient réussi et ils fallaient les garder ; ou ils avaient échoué, alors pourquoi sont-ils encore là. Et pour combien de temps ? Quelle est la durée en effet de votre nouvelle mission ? Trois mois, trois ans ? Cette incertitude prive votre gouvernement de force dans l’action que vous prétendez engager. Mais, ce n’est pas l’essentiel. Car, l’essentiel, c’est votre politique.

J’imagine la déception de beaucoup de nos concitoyens qui espéraient un changement et découvrent, à quelques ajustements près, le même gouvernement, les mêmes équipes et les mêmes choix. Le Chef de l’Etat et vous-mêmes avez pris vos responsabilités et donc un risque. Celui de l’incompréhension, de la défiance, voire de la colère. Je ne l’appelle pas, car j’en sais les dangers et le coût pour la Nation. Mais, je vous demande, en revanche, d’en prendre la mesure. Il y faudra plus que du dialogue et de l’écoute, mais des compromis, des concessions, des abandons.

Vous dites avoir entendu le message des Français. Alors, écoutez-les jusqu’au bout et renoncez aux habiletés, aux demi-mesures, aux faux-semblants :
     sur l’indemnisation des chômeurs, il ne suffit pas seulement de suspendre la réforme de l’ASS, mais surtout de régler le sort des « recalculés » de l’UNEDIC (265 000 - depuis le 1er janvier - qui seront 600 000 d’ici la fin de l’année) bientôt privés de toute compensation autre que l’assistance ou le RMI ;

     sur la Recherche, il ne convient pas seulement de rétablir les crédits qui ont été précédemment gelés ou de modifier la répartition des postes entre statutaires et contractuels, mais de dégager sur les trois prochaines années les moyens budgétaires pour redresser l’effort de recherche publique ;

     sur l’intermittence dans la Culture, il ne s’agit pas seulement de maîtriser les conséquences du nouveau régime UNEDIC sur les jeunes artistes, mais de le renégocier purement et simplement ;

     sur le Service public, il ne vous est pas demandé un report du changement de statut d’EDF-GDF, mais un renoncement à leur privatisation.
Aujourd’hui, vous avancez des priorités dont vous n’avez ni les moyens suffisant ni la politique appropriée pour les atteindre.

D’abord, le bilan que vous vous léguez à vous-même est pour le moins encombrant, en tout cas paralysant.

Après le ralentissement de 2002, la stagnation de 2003, la croissance sera, selon l’INSEE, « sans éclat et sans entrain » en 2004.

Le chômage continue de se situer à un haut niveau, malgré l’augmentation de près de 30 % des radiations de l’ANPE. Et l’économie depuis un an et demi détruit davantage d’emplois qu’elle n’en crée. La précarité se développe rapidement. Le nombre de Rmistes a augmenté de 5 % en 2003 et les familles sur-endettées dépassent désormais les 500 000.

La dette publique atteint aujourd’hui 1 000 milliards d’euros, alors même que les prélèvements obligatoires n’ont pas baissé. La Sécurité Sociale - qui était à l’équilibre en 2001 - est aujourd’hui en faillite (près de 30 milliards d’euros de déficits cumulés) ; ce qui pulvérise tous les plafonds de découvert autorisé auprès de la Caisse des Dépôts.

Vous n’avez cessé depuis deux ans de promettre aux Français comme aux autorités européennes un rétablissement qui s’est chaque fois traduit par un nouveau dérapage. Aujourd’hui, les déficits publics dépassent 4,1 % du PIB et votre nouveau Ministre des Finances vient, contre toute évidence, de maintenir lors d’une réunion des Ministres européens des Finances l’engagement du retour du déficit sous 3 % en 2005. Ce qui, si cette promesse était tenue, briserait la croissance pour les deux ans qui viennent.

Nos comptes publics sont dans un tel état de délabrement et d’opacité qu’un diagnostic impartial devient indispensable. Je vous demande donc, au moment où s’installe votre nouveau gouvernement, d’engager dans la transparence et sous le contrôle du Parlement un audit global de nos finances publiques.

Mais, ligoté par votre héritage, votre gouvernement est également entravé par vos contradictions.

La première se situe au cœur même de votre politique financière. Vous avez réaffirmé votre volonté de baisser les impôts, et notamment celui sur le revenu. Je ne parle même pas de la promesse de baisse de TVA sur la restauration, dont je ne sais ce qu’elle deviendra. Mais, vous découvrez, plus que la quadrature du cercle, un triangle infernal. Vous prétendez à la fois augmenter la dépense sociale, réduire le déficit public, diminuer les prélèvements et le tout sans croissance significative. Le plus probable est que vous ne réaliserez aucun de vos objectifs.

La seconde contradiction consiste, sur le sujet majeur de l’assurance maladie, à laisser croire que, face à l’ampleur du déficit, vous éviterez toute nouvelle hausse de la CSG et du CRDS tout en proclamant que vous ne privatiserez pas la Sécurité Sociale. C’est donc sur les modalités de remboursement que vous entendez agir, ce qui revient à accepter les deux risques que vous prétendez conjurer.

Mais, votre contradiction la plus insoluble réside dans l’affirmation d’une orientation plus sociale de votre gouvernement et dans le maintien d’une politique économique libérale. D’un côté vous voulez rassurer, apaiser, calmer, de l’autre vous flexibilisez, déréglementez, privatisez. Ceci rend illisible votre stratégie. Votre gouvernement paraît sans boussole, sans cap, sans perspective. Vous ne donnez aucun sens à votre action.

Là se situe la difficulté pour retrouver la confiance des citoyens comme des acteurs sociaux et économiques, sauf - j’en conviens - celle du Président du MEDEF qui vient du bord de la touche de la manifester à l’égard d’un des joueurs de votre équipe, comme s’il était son entraîneur.

Monsieur le Premier ministre, vous engagez aujourd’hui la responsabilité de votre gouvernement. Je ne suis pas sûr que vous soyez vraiment celui qui « conduit et détermine la politique de la Nation ». Avec le quinquennat, nos institutions sans doute ont changé et le Président de la République est désormais le seul véritable chef de l’Exécutif. La fonction de Premier ministre s’en trouve forcément diminuée.

Aussi, serait-on aujourd’hui les uns les autres en droit d’attendre du Chef de l’Etat surtout, en raison du mandat qui lui a été confié le 5 mai, des orientations claires, un projet global et une implication personnelle pour le mettre en œuvre. En ne les donnant pas à la Nation, il vous laisse, vous aussi, sans repères, au point de vous demander de faire, en quelques mois, une chose et son contraire.

Aussi, dans ce contexte, l’opposition doit prendre à sa place toutes ses responsabilités pour répondre à l’attente des Français.

D’abord, dans les collectivités locales dont la gauche assume la direction. Nous entendons travailler dans le cadre des compétences prévues par les lois de décentralisation et dans une relation franche avec l’Etat. Faut-il que les règles soient claires, aussi bien pour les transferts de responsabilités que pour les ressources financières.

Vous aviez prévu, dès les premiers jours d’avril, le vote solennel sur le projet de loi dit de décentralisation. Vous en annoncez le report. Nous en prenons acte. Un nouveau débat s’impose, car nous n’acceptons pas les transferts de charges tels qu’ils sont prévus, notamment pour les personnels techniques, ouvriers et de service de l’Education nationale qui doivent rester fonctionnaires de l’Etat.

Mais, Monsieur le Premier ministre, je vous demande également d’ouvrir en préalable la discussion sur le projet de loi organique sur l’autonomie financière des collectivités locales et sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle. C’est le sens de la démarche des Présidents de Région en votre direction. Je vous remercie d’avoir accepté de les recevoir prochainement. Mais, ils attendent une réponse rapide à la requête que je viens de vous adresser. D’abord les finances ensuite les compétences.

Mais, au-delà de notre action territoriale, l’opposition doit jouer pleinement son rôle pour montrer qu’il existe sujet après sujet une politique alternative fondée sur la solidarité.

D’abord sur l’emploi. Là où vous éteignez les feux de la croissance, il faut les rallumer. Ce qui suppose un soutien immédiat au pouvoir d’achat des ménages, notamment par une hausse des prestations familiales et une revalorisation des allocations logement. L’ampleur prise par les délocalisations exige ensuite une véritable politique industrielle à l’échelle nationale et européenne. Pour les chômeurs de longue durée, plutôt que de les renvoyer au RMI et au RMA, nous vous proposons un contrat d’insertion unique d’une durée de 3 ans et qui soit lié à un effort de qualification. L’emploi est la première préoccupation des Français. Elle doit être la première priorité, y compris dans les moyens financiers qui y sont consacrés et qui doivent être évalués (les exonérations de cotisations sociales).

Sur l’assurance maladie, vous venez enfin de renoncer à légiférer par ordonnances. Il y aura donc un débat parlementaire sur ce qui constitue, à nos yeux, l’un des fondements du pacte social. Nous sommes prêts à nous y engager pleinement. Nous l’avons déjà montré pour l’établissement du diagnostic dans le cadre du Haut Conseil de l’Assurance Maladie. Mais, la démocratie, c’est la clarté. Le lieu de la décision, c’est le Parlement.

Et c’est là que gouvernement et opposition prendront leur responsabilité devant les Français. L’union nationale en forme de SOS ne se décrète pas. Seul compte pour nous l’intérêt général, c’est-à-dire la garantie des fondements de la Sécurité Sociale.

D’ores et déjà, nos principes sont clairs :
     La solidarité à travers une prise en charge qui doit être égal pour tous ;
     La qualité par une amélioration de la formation des personnels et une évaluation des structures publiques comme privées ;
     L’égalité dans l’accès aux soins sur le plan territorial comme sur le plan individuel ;
     La justice dans le financement : la CSG comme contribution des ménages et une cotisation sur l’ensemble de la richesse produite, c’est-à-dire aussi le capital, pour les entreprises.
Mais, nous serons également vigilants sur la manière avec laquelle vous comblerez le trou financier de 40 milliards d’euros que vous avez laissé creuser depuis deux ans. Ce ne peut être par une ponction sur les assurés sociaux qui déprimerait encore davantage la consommation.

Enfin, la cohésion sociale - nous lui préférons d’ailleurs le terme d’égalité républicaine. D’abord dans l’école de la République qui doit se voir donner les moyens de relever ce défi, notamment pour accompagner les élèves les plus en difficulté du fait de leurs origines sociales ou géographiques.

Ensuite, dans la priorité accordée au logement : un plan massif de construction et de réhabilitation doit être engagé par une mobilisation de crédits budgétaires pour rendre effectif le droit opposable au logement qu’il faut introduire.

Enfin, la lutte contre les discriminations doit être accélérée. Elle complètera la loi sur la laïcité à l’école.

***

Nous avons tous à tirer les leçons du vote de nos concitoyens. La première et qu’il n’y a pas de confiance possible sans projet collectif. Celui que vous proposez avec Jacques Chirac est celui de « l’adaptation » à la mondialisation libérale. Mais, l’adaptation n’est pas une ambition. Les Français acceptent l’ouverture, mais ils veulent défendre un modèle social, culturel fondé sur des garanties collectives.

La seconde est qu’il n’y a pas de réforme sans justice. Réformer ce n’est pas défaire les acquis sociaux, c’est les préserver durablement. C’est la régression qui dévoie la notion même de réforme. Nous entendons la réhabiliter.

Enfin, il n’y a pas de changement durable sans démocratie participative. Les Français veulent être associés aux décisions qui les concernent ; les partenaires sociaux veulent un véritable dialogue; les Français demandent, lorsque c’est possible, à être consultés ; ils aspirent à voir leur Parlement jouer tout son rôle. L’opposition a été, malgré vos proclamations initiales, oubliée dans toutes vos initiatives. Vous avez eu tort. Les Français ont eu plus d’indulgence envers elle.

Cette confiance, vous n’avez pas su pendant deux ans la faire vivre. Vous l’avez d’abord laissé s’éroder pour ensuite s’écrouler. Vos orientations d’aujourd’hui ne peuvent la reconstruire. Alors, certes vous la trouvez ici auprès de votre majorité, mais elle sera arithmétique. Une chose est déjà sûre : vous n’avez plus celle des Français. Vous n’aurez donc pas la nôtre.

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