Mondialisation :
du débat à l'action politique




Tribune signée par François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste et Poul Nyrup Rasmussen, ancien premier ministre du danemark, président du forum progressiste mondial parue dans le quotidien Le Monde daté du 13 novembre 2003



François
Hollande


Poul Nyrup
Rasmussen




Les occasions ne manquent plus pour débattre de la mondialisation. Depuis quelques années, ce sujet a pénétré le cœur du débat public. Avec l'éclosion de cette société civile internationale, bien sûr, qui se rassemblait déjà au Brésil en 1992 lors de la Conférence mondiale pour l'environnement à Rio.

Mais aussi parce que, depuis la chute du mur de Berlin, le monde, en voie d'unification désordonnée, repose sur un équilibre par nature instable : la financiarisation et la marchandisation de toutes les sphères de l'existence.

Le doux commerce cher à Montesquieu en lieu et place de l'équilibre de la terreur... L'idée est séduisante, sauf que la mondialisation actuelle n'a rien de doux, bien au contraire.

Elle consacre souvent le droit du plus fort, accroît les inégalités entre le Nord et le Sud, ignore les préférences collectives des peuples et alimente des sentiments de peur et de repli dans les opinions publiques. Au pire, les extrémismes s'en nourrissent, avec leurs logiques sécuritaires et réactionnaires. Au mieux, des revendications nouvelles, qui prennent souvent la forme de contestations globales de l'état du monde, montent.

Les nombreuses organisations non gouvernementales qui composent le mouvement social international sont les révélateurs de ce mouvement critique. " Notre monde n'est pas à vendre ", proclament-elles fort justement dans leur réseau. Les débats s'organisent, les initiatives se multiplient, les slogans font florès, les publications qui dénoncent l'ordre des choses abondent. Tout cela est vif et stimulant pour nos démocraties. La société civile est pleinement dans son rôle quand elle interpelle les pouvoirs publics. Mais ses combats resteront inachevés s'ils ne trouvent pas de réels débouchés politiques. La contestation sans l'action ne produit jamais rien de neuf. Même les manifestations les plus impressionnantes - tels le Forum social mondial ou son pendant européen - se mueront en routine annuelle. Déjà, l'opinion publique s'est habituée aux manifestations altermondialistes qui accompagnent chaque sommet international, des G8 aux conférences de l'Organisation mondiale du commerce. Ce qui interpellait hier sera ignoré demain. Sauf à jouer la surenchère. De plus en plus de monde au Forum social ou sur le plateau du Larzac. Mais une telle escalade a ses limites.

Comprenons-nous bien : il ne s'agit pas ici d'enlever quoi que ce soit au mérite du mouvement altermondialiste et de la société civile mondiale. Au contraire. Ils ont réussi à provoquer un sursaut salutaire de l'opinion publique et de la politique, surtout à gauche. Le chemin parcouru en peu d'années est impressionnant. Cette pression exercée sur les décideurs est nécessaire, sinon vitale, et le restera à condition d'entrer dans une nouvelle forme de dialogue et de coopération avec ceux-ci. Nous pouvons témoigner qu'au sein de notre propre famille politique l'effet de Porto Alegre ou de Gênes a été celui d'une prise de conscience pour beaucoup d'entre nous. Nous devons avoir la franchise d'admettre que nous avons été très longtemps en retard. Mais ce temps est derrière nous. Celui d'une gauche véritablement mondiale est devant nous.

L'invasion de l'Irak et ses déconvenues actuelles ou la débâcle récente des négociations commerciales à Cancun sont autant d'échecs du système mondial qui nous imposent un défi historique après la décennie hésitante de l'après-guerre froide : celui de dégager une vision nouvelle du monde de demain. Changer le monde tel qu'il est n'est plus une utopie, mais une nécessité imposée par l'histoire et par l'impératif d'humanité.

Cette nécessité est la même pour le Nord et le Sud. Nous sommes loin du temps où un monde occidental de plus en plus prospère se devait de soutenir un Sud pauvre et démuni pour des raisons éthiques. La mondialisation des deux dernières décennies a donné naissance à un monde où l'avenir de tous les pays est de plus en plus lié et où les destinées nationales et régionales s'interpénètrent progressivement. Ce monde nouveau, celui du XXIe siècle, est celui d'un avenir commun à tous, d'une humanité imbriquée, à la fois une et diverse.

Cet avenir, nous devrons tous, de par le monde, apprendre à le maîtriser ensemble. A la fois en régénérant et en renforçant un système multilatéral plus indispensable que jamais, à l'heure même où il est au plus mal, et en reconnaissant la complexité profonde de l'action politique dans un monde ouvert, nécessitant une démarche à niveaux multiples combinant les politiques nationales, régionales et mondiales en un ensemble aussi cohérent que possible. L'enjeu est considérable et la tâche immense.

Nous n'en apercevons aujourd'hui que les balbutiements et, pour paraphraser Edgar Morin, nous vivons l'" âge du fer "de la mondialisation. Mais cela ne doit pas nous inquiéter. Si nous dégageons une vision suffisamment forte et ambitieuse, et si nous réussissons à la mettre en pratique au cours des deux à trois prochaines décennies, alors un monde pacifié, solidaire et durablement prospère est possible. Même si rien, jamais, ne sera acquis.

Pour réussir ce pari, une véritable communauté progressiste mondiale doit émerger. Fondée sur des valeurs de portée universelle - justice, solidarité, liberté et paix -, elle doit être animée par la volonté de traduire cette vision en pratique.

A l'évidence, la famille socialiste en Europe et dans le monde y jouera un rôle essentiel, et nous y veillerons. Mais cela ne suffira pas. Une mobilisation plus large est nécessaire, adaptée au monde actuel, faite de transparence, de démocratie participative et de réseaux multiples. De part et d'autre, partis politiques progressistes, ONG, syndicats, acteurs économiques, cercles de réflexion seront mobilisés.

Des convergences sont possibles dans la recherche de réponses politiques à la fois ambitieuses et réalistes à la mondialisation actuelle. Dans le respect de l'autonomie de chacun, de la parole de l'autre, de son histoire, le débat et la confrontation d'idées doivent avoir lieu. Evitons les postures ou les procès d'intention qui nourrissent plus les affrontements stériles que la recherche de solutions aujourd'hui urgentes pour permettre l'avènement d'un monde plus juste et plus équilibré.

L'organisation de débats, le lancement d'invitations réciproques, l'acceptation de la rencontre doivent y contribuer utilement. Telle est notre volonté. A Paris, Saint-Denis, Bobigny dans les prochains jours pour le Forum social européen. Mais aussi à Bruxelles, où aura lieu à la fin de ce mois le premier Forum progressiste mondial. Sachons ensemble ouvrir une dynamique nouvelle vers une action politique mondiale et réformiste durable.
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