Chirac recule, il ne cède rien

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Libération daté du 3 avril 2004
Propos recueillis par Paul Quinio
 

Après l'intervention de Jacques Chirac, peut-on dire que la gauche a fait plier le gouvernement ?
Heureusement que les Français ont choisi massivement la gauche dimanche. Sinon, le peu qui vient de bouger sur l'Allocation de solidarité spécifique, les « ordonnances » ou la reprise du dialogue avec les chercheurs et les intermittents n'aurait jamais été consenti. La leçon doit être retenue : il n'y a pas meilleure démonstration de l'utilité du vote.
Ne soyons pas dupes, toutefois. Jacques Chirac n'est pas saisi d'un soudain accès de lucidité. Il ne connaît que les rapports de force. Il recule, il ne cède rien. Il désavoue Raffarin 2, mais nomme Raffarin 3. Il évoque la cohésion sociale, mais confirme les baisses d'impôts. Il dit entendre le mécontentement des Français, mais garde imperturbablement le cap à droite. Bref, il gagne du temps pour laisser passer l'orage jusqu'aux européennes pour espérer le calme jusqu'à la fin de son mandat. Sa seule préoccupation, c'est lui-même. Nous sommes dans une fin de règne. Jacques Chirac a été élu sur un malentendu, il a poursuivi son action dans le mensonge, il est aujourd'hui dans le mépris. Et d'abord celui de la vérité.

Il a tout de même remanié son gouvernement...
Ce n'est pas le gouvernement d'un camp, c'est celui d'un clan. Pour mon pays, je ne peux me réjouir d'une telle situation. Les socialistes pourraient y trouver leur compte dans l'espoir que l'impopularité du gouvernement nourrisse leur prospérité. Cependant, il n'est jamais bon que le pouvoir s'écarte à ce point des aspirations d'une majorité de nos concitoyens. En confirmant Jean-Pierre Raffarin à son poste, le chef de l'Etat a pris la grave responsabilité d'ignorer le message du peuple. Il a aussi commis une faute en voulant prolonger une politique qui a été rejetée de manière massive. J'ai une crainte : que cette obstination, même déguisée par les habits de la ruse, produise des conflits, des frustrations, des colères.

Une semaine après, comment analysez-vous le raz-de-marée en faveur de la gauche ?
Remporter 20 régions sur 22 n'était pas prévisible. Néanmoins, ce n'est pas à mes yeux une surprise. Je sentais la contestation monter à l'égard de la politique du gouvernement. La question était de savoir quelle forme prendrait la réaction civique. Elle aurait pu se faire en dehors du suffrage universel, par l'abstention. Ou via des votes protestataires. Que la gauche capte ce mécontentement n'était pas écrit.

Comment expliquez-vous qu'elle l'ait fait à ce point ?
La stratégie de la gauche unie a été pour beaucoup dans la volonté des électeurs de voter utile. Nous avons aussi porté un projet, limité aux régions certes, mais qui présentait des avancées concrètes. Nous avons enfin su faire preuve de modestie et en même temps de persévérance. Nous n'étions pas là pour engager une restauration, mais pour montrer qu'il y avait un retour de la gauche. Il y a sans doute eu aussi une part de remords par rapport au 21 avril.

L'ampleur de la victoire ne vous confie-t-elle pas une responsabilité particulière ?
Elle nous oblige à lever des illusions et à tracer des perspectives. La première des illusions serait de laisser croire que notre victoire nous permettrait de cogouverner le pays. Ce n'est pas vrai. La deuxième serait d'imaginer que le pouvoir va tomber prochainement comme un fruit blet. Même si nous sommes dans une fin de règne, l'exécutif a les moyens institutionnels de durer. Cette double illusion peut créer de la frustration : « A quoi bon voter si rien ne change ? » Il faut donc offrir une perspective. Ce n'est pas simplement celle d'une gauche plus forte, pour protéger les Français contre la remise en cause des acquis sociaux, mais d'une gauche en capacité de gouverner durablement.

Le succès du vote-sanction ne traduit-il pas une demande d'une gauche plus à gauche ?
Ce n'est pas parce que la droite a été rejetée que le PS devrait lui-même changer de cap. Son cap, c'est le mouvement vers la société solidaire. La véritable défense des acquis n'est pas l'immobilisme, et encore moins l'interdiction de la réforme. Notre résultat démontre que nous n'avions pas besoin d'un discours « plus à gauche ». Il nous suffisait d'abord d'être de gauche. Si les Français avaient eu le sentiment que nous n'étions pas en cohérence avec leurs aspirations, ils auraient voté pour ceux qui leur proposaient d'aller encore plus loin... tout en restant sur place.

Vous ne craignez plus l'extrême gauche ?
Nous en avons fini avec la mauvaise conscience. L'extrême gauche est apparue pour ce qu'elle est : un égocentrisme électoral. « Votez pour moi, rien ne changera. » Mais les Français veulent que ça change.

Vous avez gagné les régionales, toutefois vous n'avez pas de projet pour 2007...
Je considère que notre projet ne peut pas se limiter à un quinquennat. Il doit être de longue portée, pour définir la société que nous voulons bâtir. Comme les instruments pour y parvenir. Je préfère fixer l'objectif de long terme pour définir, après, des propositions, plutôt que d'offrir une plate-forme minimale qui limite l'ambition sans identifier politiquement le projet. Nous ne partons pas de rien. Il faut d'abord affirmer ce qui pour nous n'est pas acceptable : les inégalités, les discriminations, les blocages institutionnels, les gâchis humains, financiers, environnementaux. Nous devrons définir ensuite en matière d'éducation, d'écologie, d'économie, d'institutions, des mesures qui correspondent à cette ambition.

C'est vous qui définirez ce projet ?
C'est le PS dans son ensemble, autour de son premier secrétaire. Il ne peut y avoir d'autre lieu. Il faut aussi changer la méthode. Notre projet doit être socialiste. Ce qui n'empêchera pas de travailler avec l'ensemble de la gauche. Car nous savons que si nous restons entre nous, nous ferons ce que nous savons déjà faire. Il faut appuyer nos propositions sur une large consultation des forces vives, des syndicats, des acteurs économiques, des mouvements culturels, des associations, des intellectuels. Il faut que ces forces participent, je ne dis pas co-élaborent, à la constitution de notre projet. Après, nous prendrons nos responsabilités en votant ce texte à la fin de l'année 2005. Toutefois, il faudra, en 2007, venir devant les Français avec un programme qui aura déjà été l'objet d'une large consultation. Cela permettra d'éviter des malentendus et de gagner du temps.

La présidentielle, vous y pensez ?
Je suis premier secrétaire, je ne m'investis pleinement que dans cette tâche. On ne peut pas préempter notre victoire pour d'autres objectifs. Une fois que nous aurons adopté notre projet, il faudra désigner notre candidat en 2006.

C'est quoi la patte Hollande ?
C'est toujours de rassembler. C'est la clé de tout. C'est aussi de faire plus simple. Et ne pas penser que la présidentielle est une question de rapport exclusif entre une personne et la Nation. Ce n'est plus vrai. Encore moins avec le quinquennat. L'important, c'est d'être en capacité de mobiliser tous ceux qui peuvent construire ensemble un projet.

La gauche plurielle est-elle ressuscitée ?
Je n'ai jamais proposé un parti unique de la gauche. Ce qui ne me paraissait pas approprié au lendemain d'une défaite ne me paraît pas plus justifié au lendemain d'une victoire. En revanche, je ne voudrais pas qu'après une telle réussite de la gauche rassemblée, nous partions, comme si de rien n'était, dispersés lors des européennes sans avoir eu un débat entre nous. Et surtout chacun pour soi en 2007. Le succès électoral de la gauche l'oblige moralement à travailler ensemble. Je propose donc un comité de liaison pour riposter à la droite. Cependant, nous avons aussi à construire une plate-forme commune pour 2007. Nous pouvons commencer dès à présent à ouvrir sur les grands sujets le débat de fond.

Les élections ont-elles validé votre « accord historique » avec les Verts ?
« L'accord historique », c'était de faire prévaloir le principe d'union à des partenaires qui n'en étaient pas convaincus et qui en sont les grands bénéficiaires. Nous devons convaincre nos alliés que le PS ne peut pas et ne veut pas gagner seul. Eux-mêmes feraient une grave faute en pensant que c'est avec un PS amoindri qu'ils pourraient aller vers la victoire. Nous avons besoin les uns des autres. Nous n'avons pas que des sièges à répartir. La gauche n'est pas là pour se retrouver au moment de partager les dépouilles après des victoires. Ou les restes après une défaite. C'est ce qui a fait l'échec de la gauche plurielle.

Le 28 mars, Jospin a vraiment pris sa retraite ?
Non, il a pris cette décision le 21 avril 2002. Mais il a pu trouver dans le 28 mars une forme de fierté. Son départ a conduit beaucoup de ceux qui n'avaient pas été là, il y a deux ans, à faire cette fois-ci le choix utile. Qu'il y ait eu du remords de la part des électeurs, oui. Un retour de sa part, non.

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