Retraites :
mes quatre vérités

François Holland

Point de vue de François Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du jeudi 12 juin 2003


 
Des milliers de Français sont en mouvement. Les uns pour défendre, au prix de plusieurs semaines de grèves, une conception républicaine de l’Education nationale, les autres – parfois les mêmes! – pour exiger une véritable négociation sur l’avenir des retraites. Depuis un an, le gouvernement multiplie à l’égard de l’école les coups de canif devenus des coups de sabre. Il invente, sous le faux nom de décentralisation, un vrai démantèlement de l’Etat. Sur l’épineuse question des retraites, après une partie de cache-cache de trois mois, il boucle en une nuit une discussion avec les partenaires sociaux pour convoquer aussitôt un débat parlementaire en affirmant, d’entrée de jeu, qu’il n’acceptera aucun amendement.

Dans un tel contexte, les flèches les plus acérées devraient être réservées à la droite. C’est elle qui cherche l’épreuve de force et joue le pourrissement. Et pourtant, il en est encore qui, jamais fatigués de charger le même baudet - lequel, à l’expérience, ne s’est pas révélé une si mauvaise monture ! -, continuent de faire la leçon aux socialistes. Hier soupçonnés d’avoir abandonné les catégories populaires, ils sont accusés aujourd’hui de suivisme à l’égard du mouvement social, identifié, bien légèrement, au statu quo. Curieux procès dont la vérité serait l’enjeu. Alors voilà la mienne.

Oui, il faut une réforme des retraites.

Partout en Europe, elle est engagée. Mais toujours négociée avec les partenaires sociaux. Jamais votée avant que toutes les options n’aient été vérifiées. Ce n’est pas ainsi qu’a été élaboré le texte Fillon. Demander son «retrait», ce n’est pas refuser d’agir. C’est au contraire faire pression pour qu’une véritable négociation s’engage sur tous les paramètres et notamment sur les ressources (cotisations, CSG et prélèvements sur la richesse produite). C’est mettre un terme à un affrontement dont ne sortiraient que des vaincus: le syndicalisme, la politique et même l’idée de réforme.

Oui, la gauche aurait pu agir lorsqu’elle en avait les moyens.

Reconnaissons que les malheurs du plan Juppé ne poussaient pas à une réouverture du dossier. L’engagement premier de la gauche, c’était la baisse du chômage. Il a été tenu et n’était pas sans lien avec l’avenir des comptes sociaux. Quant aux effets des dispositions Balladur, à l’évidence ils ont été sous-estimés et c’est maintenant qu’ils se révèlent douloureux. Il faut donc les corriger. Le projet Fillon, même amélioré par la CFDT, ne le fait pas en portant le minimum contributif à 85% du smic contre 82% aujourd’hui. C’est à 100 % qu’il conviendrait de le hisser.

Oui, les socialistes font des propositions alternatives.

Elles reposent sur quatre piliers. Un pacte pour l’emploi et notamment pour les plus de 50 ans. Car comment allonger la durée de cotisation quand le taux d’activité des 55/64 ans est de 34 % et qu’un salarié sur deux accède à la retraite en situation de non-emploi ? Une négociation sur les durées de cotisation dans le public comme dans le privé, fondée sur la pénibilité, l’espérance de vie et le temps de formation. Un effort partagé à travers la mobilisation des financements ne portant pas sur les seuls salaires. J’ajoute, enfin, la nécessité d’apporter des formules plus souples de passage de l’activité à la retraite.

Oui, les socialistes respectent tous les syndicats.

Ceux qui signent des accords et qui doivent démontrer que ces derniers constituent un progrès et pas seulement un moindre mal ; ceux qui ne les signent pas et qui doivent faire la preuve qu’ils pourront, le moment venu, prendre eux aussi leurs responsabilités. Cela suppose l’avènement d’une démocratie sociale fondée sur des accords majoritaires. Le Parti socialiste n’a pas plus choisi Thibault que Chérèque n’a choisi Raffarin. Cessons ces confusions et respectons l’autonomie de chaque acteur.

Les socialistes ont tiré les leçons du 21 avril. Ils savent que le pire pour la démocratie, c’est l’indifférenciation des projets, l’effacement des clivages et l’uniformité des solutions. Le populisme se nourrit de cette supposée fatalité qui voudrait laisser accroire que la mondialisation décide désormais de tout et qu’une bonne grève vaut mieux qu’une mauvaise alternance. Mais les socialistes savent aussi que rien de durable ne peut se construire sans le respect des engagements, la cohérence des choix et la réhabilitation des réformes. C’est sur cette ligne que s’est gagné le congrès de Dijon. Et sur aucune autre ! Les retraites, la protection sociale, l’éducation ne sont pas des problèmes techniques. Elles touchent au fondement même de notre conception de la société. Aussi, face à de tels enjeux, les socialistes n’ont pas à coller aux masses en lutte, pas plus qu’aux élites éclairées, mais d’abord à leurs propres valeurs.

© Copyright Le Nouvel Observateur


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]