Université d'été 2004
29 août 2004

Intervention de François Hollande, premier secrétaire.
 


 
Notre Université d'été est toujours un moment de joie partagée. Celle de nous retrouver à la Rochelle. C'est un moment de travail, notamment à la veille d'une rentrée incertaine pour la France. Ce fut aussi, cette année, un moment d'émotion avec la présence chez lui, chez nous, de Lionel Jospin. C'est un moment de colère pourtant, lorsque nous apprenons l'enlèvement de deux journalistes Français en Irak (Georges Malbrunot, Christian Chesnot), parce que la vie de deux hommes est en jeu et que tout doit être fait pour les libérer. Parce que ce sont deux journalistes. Et, qu'à travers eux, c'est la liberté et le droit à l'information qui sont visés. Parce que la pression qui est faite sur la France touche à notre conception même de la République. Et c'est la raison pour laquelle, au-delà de ce que doivent faire les pouvoirs publics pour obtenir leur libération, c'est la société Française dans son ensemble, dans toute sa diversité, qui doit réagir. Et, ici, en même temps que nous crions notre indignation, nous appelons à la mobilisation de tous.

Notre Université d'été se tient après nos victoires électorales du printemps dernier, mais à un moment où nous sommes encore loin des échéances décisives de 2007. C'est tout le défi qui nous est lancé. Nous devons prendre la mesure de nos réussites mais préparer d'ores et déjà les conditions de nos succès futurs.

UTILISER LE TEMPS
ET NON PAS L'USER

Les scrutins de mars et de juin 2004 ont créé une nouvelle donne politique :
     La droite, contrairement à ce qu'elle a voulu croire, n'avait gagné en 2002 que par défaut. Et ses idées n'étaient pas majoritaires dans le pays. Elles le sont encore moins aujourd'hui.
     La gauche a été choisie par une majorité de Français pour exprimer leur mécontentement, leur colère et leur volonté de sanction. Et, ils n'ont été tentés ni par le retrait civique ni par les extrêmes. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler les pronostics et la commisération dont nous étions l'objet.
     Le Parti socialiste est devenu non seulement la première force du pays, mais a retrouvé son niveau électoral de 1981. Le 21 avril n'a pas été effacé. Mais, il y a eu un contre 21 avril à travers un vote efficace et clair.
Ces résultats n'ont pas été obtenus par un hasard heureux, par un concours de circonstances, par un effet de balancier, une juste compensation du destin ou simplement par rejet. Ils sont le fruit de plusieurs choix décisifs qui sont autant de leçons pour l'avenir :
     La Crédibilité : stratégie de Dijon. Réformisme de gauche autour d'un projet possible et d'une volonté sociale ;
     L'unité : celle des socialistes, celle qui permet de fédérer ensuite toute la gauche, même à son corps défendant ;
     L'utilité : Être dans l'opposition n'est pas une relégation, une punition ou une attente ; c'est une fonction essentielle en Démocratie pour résister, mais aussi pour construire. Et nous sommes, désormais dans 20 régions et 50 départements, en responsabilités. Il nous revient de les exercer pleinement.
La gauche a, en cette rentrée, un devoir d'interpellation et d'action.

En cette fin d'été, la droite - c'est-à-dire le pouvoir - affronte une triple crise :
     Une crise de confiance : le gouvernement ne s'est pas remis de ses défaites du printemps dernier. Ses reculs sont apparus comme des ruses, ses aménagements comme des rafistolages, ses actes de contrition comme autant de confirmations de ses choix. Et que dire de ses résultats ! : un chômage structurellement élevé, malgré les exonérations de cotisations ; une croissance fragile, car sans création d'emplois et sans redistribution de pouvoir d'achat. Si bien que la seule croissance que l'on connaisse aujourd'hui est celle des profits. Des déficits considérables qui ne seront réduits que par la hausse des prélèvements sociaux et locaux, et ceux plus insidieux comme sur le carburant (1 milliard d'euros depuis 6 mois). Un endettement record. L'emprunt sert même à faire les fins de mois de la Sécurité Sociale.

    Dès lors, le Premier ministre connaît une impopularité dont il ne peut sortir qu'en quittant Matignon. Ce serait là, convenons-en, la meilleure décision qu'il prendrait depuis sa nomination. En attendant, il fait semblant de diriger, d'arbitrer… Bref de gouverner. C'est un Premier ministre factice. Une apparence, une fiction, presque un leurre, comme pour dissimuler la responsabilité principale, celle du Président de la République. Alors Jean-Pierre Raffarin en est réduit à la gestion chaotique de sa propre parole, et ce n'est déjà pas facile. Il contredit en août ses propos de juillet, tout en préparant déjà le démenti de septembre. D'où ce climat de défiance dans le pays, dans la majorité réduite pourtant à la seule UMP, et même au cœur de l'Etat.

     Une crise de successions : Celle du Premier ministre est ouverte. La date de son départ est régulièrement évoquée au sein même de sa propre équipe. Et, chaque ministre devient un prétendant. Il y en a même qui sont restés, nous dit-on, tout au long de l'été dans leur ministère pour saisir toute occasion, d'autres de peur d'être oubliés. Chaque décision de l'Exécutif est une compétition, un enjeu, une épreuve. Le gouvernement est en campagne contre lui-même, sa politique devient illisible : libérale en semaine, sociale le dimanche, dure tous les jours pour les mêmes et tellement accommodante pour si peu ! Les promesses se multiplient autant que les reniements qui les accompagnent. Et que signifie le virage social proclamé à la hâte quand, dans l'été, est démantelée la médecine du travail, sont rognées les allocations familiales, est relevé le coût d'accès à la santé et est engagée une nouvelle offensive contre les 35 heures ?

    Tout devient bluff, truc, artifice de communication, au détriment même de l'intérêt général et du bon sens. C'est le Ministre de la cohésion sociale qui engage un tour de France pour présenter son plan, en commençant par l'Alsace et sans argent. C'est le Ministre des Finances qui, après sa tournée des plages, octroie à Vivendi 3,6 milliards d'euros de cadeau fiscal en contrepartie de la création hypothétique de 3 600 emplois. Ce qui fait 1 million d'euros par emploi. Dans sa campagne interne, N. Sarkozy est bien généreux avec l'argent public.

    Le pouvoir apparaît sans vision, sans cap, sans autre objectif que de durer. Et c'est dans ce contexte que la crise de succession d'Alain Juppé à la tête de l'UMP est devenue une crise au sommet de l'Etat. Alors que le pays est confronté à de très graves difficultés, ceux-là mêmes qui sont chargés de les résoudre ne s'occupent que d'eux-mêmes : le Chef de l'Etat, de sa quiétude ; le Premier ministre de son siège au Sénat et le Ministre des finances de ses parrainages au sein de l'UMP. Situation aussi invraisemblable qu'insupportable, dont les Français font les frais quand l'exercice des fonctions dans l'Etat se confond avec des intérêts de parti, de clan, de personnes. De ce point de vue, cette fin de règne débouche sur une crise institutionnelle.

     Crise institutionnelle : Irresponsabilité du Président de la République, insensible aux mouvements du suffrage universel, indifférent au mandat reçu du peuple, le 5 mai, impavide devant l'échec de sa politique. Inexistence du Premier ministre, dont le seul maintien relève de l'obstination du prince. Indiscipline du parti majoritaire, créé pour soutenir l'action du Président élu et qui s'offre à celui qui le défie. Bref, c'est un système qui s'effondre.

    Cette crise a des conséquences qui dépassent le sort des seuls protagonistes :
       Elle aggrave le risque de rupture civique et sociale
       Elle abîme encore l'image de la politique et de l'action publique
       Elle affaiblit le rapport des citoyens avec les institutions. La Démocratie en est directement affectée.
Cette situation ne peut plus durer et ne doit pas durer.
Le Chef de l'Etat est directement interpellé par ce délabrement et les Français ne vont tout de même pas devoir attendre novembre, et le congrès de l'UMP, pour savoir qui les gouverne. Il doit dire dès à présent avec qui, voire sans qui, il veut diriger le pays. Il doit entendre l'exaspération des Français. Il doit clarifier la politique qu'il conduit. Bref, il doit enfin assumer la responsabilité qui est la sienne. Il est quand même cocasse que ce soit à l'opposition de lui rappeler ses devoirs et de lui demander, au nom même de l'intérêt général, de remettre de l'ordre dans sa propre maison, mais surtout dans l'Etat.

Mais, le pari de Jacques Chirac, c'est de gagner du temps, de jouer sur la lassitude, la résignation, le fatalisme, et de convaincre les Français qu'ils n'ont plus le choix, que leur vote ne sert à rien, que leur colère est vaine et que le mouvement social est inutilement coûteux. Celui de Nicolas Sarkozy est d'un autre ordre : c'est de faire croire à une solution de rechange au sein de la même majorité, de créer l'illusion d'une variante, l'espérance d'un style plus efficace, plus jeune, plus moderne. Vieille recette de la droite française sous la Vème République que de prétendre à un changement dans la continuité pour mieux poursuivre la même politique.

Le temps, c'est aussi le défi qui est lancé à la gauche. Elle ne peut considérer ses succès électoraux comme un capital garanti à vie. La confiance ne se thésaurise pas. Elle se renouvelle et donc se mérite. La gauche ne peut se contenter d'exploiter un rejet qu'elle pressent, mais qui peut prendre tant de formes inattendues. Elle ne peut rester spectatrice des déchirements et des délitements du pouvoir. Elle sait trop bien ce que peut provoquer une rupture civique. Elle ne peut spéculer sur une confrontation sociale. Elle aspire au changement pas à la crise.

Bref, la gauche doit agir. Et la politique, ce n'est pas seulement les élections - elles n'en sont que la consécration - c'est le service de la population.

Aussi, en cette rentrée si incertaine et si dure pour les Français, le rôle des socialistes est-il de défendre les citoyens, de proposer un espoir au pays et de fédérer les énergies.

DÉFENDRE LES CITOYENS

Et d'abord en exerçant les missions qui nous ont été confiées par le suffrage universel.

Certes, Régions et Départements ne peuvent, par leurs seules compétences, compenser les effets des désordres et des reculs nés des choix gouvernementaux. D'autant que le retrait de l'Etat et sa défausse sur les collectivités locales qu'organisent les lois dites de décentralisation déséquilibrent gravement leurs finances.

Et pourtant, nous ne pouvons pas laisser les citoyens affronter seuls les conséquences d'une politique injuste et inefficace.

À cet égard, les socialistes ont pris des engagements. Ils les tiennent en cette rentrée, dans trois domaines essentiels :
     L'éducation : avec la gratuité des manuels scolaires qu'il faudra élargir à l'ensemble des outils éducatifs, et notamment l'informatique et l'accès aux langues vivantes.
     L'emploi : avec de nouvelles chances données aux jeunes, aux personnes sans qualification ou aux victimes de plans de licenciements, avec un effort considérable accordé à la formation, au reclassement, à la réinsertion.
     Le logement : avec des décisions immédiates sur les réserves foncières, les cautions immobilières et les coups de pouce au logement étudiant.
Mais, défendre les citoyens, en cette fin d'été, c'est peser sur les choix du gouvernement, c'est le contraindre à aller là où il ne voudrait pas et l'empêcher d'avancer là où il le voudrait. Il y a urgence sur trois sujets :
     Le pouvoir d'achat : Il est, depuis deux ans et demi, affecté par le chômage, la modération salariale et la montée des prélèvements de toute nature, sans oublier le comportement de la grande distribution. Les statistiques ne révèlent que partiellement l'ampleur du phénomène ressenti directement par les consommateurs. Nicolas Sarkozy a fait une nouvelle fois mine d'agir ; pour lui, agir c'est s'agiter, c'est-à-dire a convoqué les caméras pour sceller un accord avec les grandes surfaces, leur permettant de lancer des opérations publicitaires sur des baisses de prix aussi partielles que fictive. Malheureux producteurs de fruits qui ont cru, le temps d'une rencontre avec Nicolas Sarkozy, à une réglementation des marges et qui découvrent aujourd'hui l'annonce d'une Commission qui rendra ses conclusions le lendemain du Congrès de l'UMP. Or, aujourd'hui, c'est une politique de transparence qui s'impose : transparence des marges, des prix, des profits. Pour la distribution, comme pour les banques, les assurances ou la téléphonie.

    Le capitalisme français demande la liberté, mais a une sainte horreur de la concurrence qui n'est pas, contrairement à ce que certains imaginent, opposée aux intérêts des consommateurs.

    La hausse des carburants depuis 6 mois vient encore altérer davantage le pouvoir d'achat et menace directement la reprise de la croissance. L'attitude du gouvernement qui refuse de réintroduire le mécanisme de la TIPP flottante, préférant ajouter un prélèvement fiscal à la montée du prix de la ressource, est une faute sociale et une erreur économique. Et que dire de la morale, quand le profit de Total augmente de 30 % au premier semestre, dans l'indifférence des pouvoirs publics ! Il faut donc exiger une baisse immédiate de la fiscalité sur les carburants et une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des groupes pétroliers.

     Les 35 heures : Cible du MEDEF depuis leur introduction, obsession idéologique pour la droite, les 35 heures sont devenues aujourd'hui le prétexte à un véritable chantage à l'emploi pour démanteler l'ensemble du droit du travail. Pas une semaine sans que des entreprises n'exigent de leurs salariés de travailler plus pour gagner autant, voire moins, au risque sinon de perdre leur emploi au mépris des règles de la négociation collective. J'accuse le gouvernement d'être moralement et politiquement responsable de ce désordre social. C'est lui qui a encouragé le processus, à travers la stigmatisation rituelle de la RTT, et l'a même justifié en proposant - par la voix du Ministre des Finances - de rémunérer moins les heures supplémentaires ou d'augmenter leur contingent au-delà même de ce que prévoit la loi Fillon, voire de supprimer les allègements de charges associés aux 35 heures.

    En politique, les mots comptent. Et le gouvernement doit être tenu pour responsable du passage à l'acte des chefs d'entreprises qui ont compris que la chasse aux 35 heures était ouverte sous la protection de l'Etat.

    Dès lors, nous ne devons pas défendre les 35 heures parce que ce serait notre réforme, notre bilan et notre fierté, mais parce qu'il s'agit d'un acquis social majeur des salariés et qu'au-delà de la remise en cause du temps de travail, c'est l'ensemble du droit du travail qui est en jeu : sa durée toujours trop longue, son organisation toujours trop lourde, sa rémunération toujours trop chère.

    Chacun sait que la discussion ouverte au niveau des partenaires sociaux n'aboutira pas et que le risque est de laisser les salariés affronter seuls la dénonciation d'accords déjà signés et les manquements à l'ordre public social.

    Nous devons donc nous opposer non seulement à un démantèlement législatif des 35 heures, mais exiger du gouvernement le respect de la loi et je demande à tous nos élus locaux sur les territoires concernés par des actes de chantage à l'emploi et se mettre à la disposition des salariés menacés.

    Bataille politique de grande envergure avec toute la gauche et les organisations syndicales. C'est un combat commun.

    Quant à la lutte contre les délocalisations, qui peut croire qu'elle peut passer par la mise à niveau des salaires et des conditions de travail par rapport aux pays de l'Est, voire du Sud ! Elle exige un soutien aux entreprises de main d'œuvre, par un changement du mode de calcul des cotisations sociales. Elle appelle une politique industrielle pour développer des pôles d'excellence et des actions de formation et de reclassement sur les bassins d'emplois les plus exposés. Et surtout, une politique économique de soutien de la croissance créative d'emplois qualifiés. Celle qui manque aujourd'hui.

     Les services publics : Cette rentrée est aussi celle de leur affaiblissement : près de 10 000 postes en moins dans l'Education nationale, des tensions budgétaires dans les hôpitaux, la disparition pure et simple de la moitié des bureaux de poste sur le territoire. La mystification sémantique avec laquelle La Poste et Jean-Pierre Raffarin -comme conseiller en communication- tentent de nous faire passer des points de contact en bureaux de poste en est la plus récente illustration. Les collectivités locales devront, désormais, payer La Poste pour disposer de sa présence. Et les usagers devenir clients de services privés pour espérer accéder aux prestations du service public.

    Là aussi, je demande à nos élus et à nos militants de mobiliser largement les citoyens pour défendre, bureau de poste par bureau de poste, les principes mêmes de la solidarité territoriale.

    Mais, l'affaiblissement des entreprises publiques, c'est aussi la manière avec laquelle le gouvernement nomme ou éconduit leurs dirigeants. Ainsi en est-il du sort d'EDF dont la présidence est l'objet de tous les enjeux : promotion d'amis, reclassement d'anciens ministres ayant dépassé la limite d'âge… Et qu'importe la compétence, l'expérience ou la confiance des salariés ! Le fait d'avoir servi sous la gauche suffit à être suspect. Et, disant cela, je crains même de desservir l'intérêt d'EDF, en rappelant que son président actuel a le défaut majeur d'avoir été nommé par Lionel Jospin.

    Défendre le service public, c'est aussi défendre les principes de continuité, de compétence et de neutralité, en rappelant que les entreprises publiques sont au service de la Nation et non d'un clan.

    En cette rentrée, nous devons prendre conscience de notre force électorale d'abord, mais aussi de notre capacité à agir avec notre réseau d'élus ; nous devons aussi prendre la mesure de l'attente portée vers nous, non seulement pour l'alternance de 2007, mais pour le service du pays dès à présent. Une telle démarche suppose une évolution de nos méthodes : mobilisation de nos réseaux d'élus, présence plus visible auprès de la population, appui aux mouvements revendicatifs, soutien aux victimes du chantage à l'emploi. Bref, un Parti utile, pas le temps des élections mais tous les jours.

PROPOSER

Pendant les deux ans qui viennent, nous n'avons pas de bataille électorale à engager ; nous sommes face à nous-mêmes -et parfois il faut nous méfier de nous-mêmes. Nous nous connaissons bien- et surtout face aux Français. La seule campagne que nous ayons à lancer et à gagner est celle de notre projet. 500 jours pour offrir une nouvelle chance à la France. 500 jours pour élaborer des propositions nouvelles, 500 jours pour convaincre du bien fondé de la politique et donner aux citoyens confiance dans la République. 500 jours ne seront pas de trop pour créer ce mouvement.

C'est un enjeu qui dépasse nos seules préoccupations partisanes ou celles de la gauche. Car il s'agit rien de moins que de reconstituer le lien civique, de conforter la démocratie, de mobiliser la jeunesse et de faire reculer encore l'extrémisme. Nous ne préparons pas une revanche. Et nous ne sommes pas simplement dans une banale alternance. Nous voulons donner à notre pays une perspective à 10 ans, à partir de laquelle il pourra comprendre la direction à suivre, les changements à espérer, les efforts à consentir, les richesses à partager… Bref, un contrat à partir duquel les engagements sont tenus, les rythmes fixés et les objectifs délibérés -à chaque étape- démocratiquement.

Le défi qui nous est lancé est simple à énoncer, audacieux à relever. Face à la fragmentation sociale, produite par la mondialisation libérale, sommes-nous capables de proposer un projet de cohésion sociale permettant l'affirmation d'une France solide et solidaire, c'est-à-dire une société qui valorise les destins individuels, garantisse les risques sociaux et donne la priorité aux générations futures?

C'est l'identité du socialisme qui conjugue l'accomplissement personnel avec l'exigence du vivre ensemble.

Au moment où le libéralisme ne conçoit la réforme ou le changement que dans l'adaptation, c'est-à-dire l'amincissement des droits, la réduction des protections, l'effacement des services publics, la privatisation des biens collectifs, dans la perspective d'une croissance hypothétique et toujours inégale, le socialisme doit faire le choix de l'investissement pour l'avenir : l'Éducation, la Recherche, l'Environnement, le Logement et les Services publics. C'est en mettant le marché à sa place qu'on le rend paradoxalement plus productif et davantage créateur de richesses. C'est par l'excellence que la France et l'Europe assureront leur place dans la division internationale du travail et non en cédant à l'économie du chantage et au désarmement social. Une nouvelle chance pour la France, une France qui donne toutes ses chances à chacun, tel est le sens du projet que nous avons à bâtir.

Il doit respecter trois principes :
     La vérité sur le diagnostic, les marges de manœuvre, les ressources publiques à mobiliser ;
     La volonté sur les priorités essentielles à engager et les urgences à traiter. Il faut hiérarchiser nos choix, aller à l'essentiel, refuser l'adoption des demandes catégorielles et assurer une cohésion d'ensemble ;
     La clarté sur nos orientations et nos engagements, mais aussi sur nos outils d'action. La place de la loi et surtout son application. Combien de législations généreuses sont restées lettre morte faute d'avoir été correctement appliquées ? Le rôle de la négociation sociale, la place des forces vives, l'implication des citoyens. Combien de réformes audacieuses ont été édulcorées, faute d'implication des acteurs sociaux ?
C'est là que la question démocratique prend toute sa place. La démocratie, pour les socialistes, est à la fois un instrument d'action, une manière de faire, une méthode et un objectif en tant que tel. Partager le pouvoir pour l'exercer différemment.

Cette exigence ne se réduit pas à la seule réforme ou refondation de nos institutions. Puisqu'elle touche à la démocratie sociale, à l'égalité homme/femme, au respect des droits individuels et des libertés publiques, à l'indépendance de la Justice, à l'expression civique, à la démocratie participative. Mais tout n'est pas affaire que de pratiques ; il faudra redéfinir le cadre et les règles, y compris celles concernant notre système institutionnel.

Il convient de tirer toutes les conséquences du quinquennat, d'en finir avec l'irresponsabilité présidentielle, l'abaissement du Parlement, la confusion des pouvoirs et des systèmes électoraux iniques. Voilà pourquoi notre projet comportera un volet institutionnel dont on sait bien que l'adoption supposera, au lendemain de notre victoire, la consécration par un référendum. Nous devons en prendre dès à présent l'engagement.

Mais, le contenu de notre projet dépendra aussi beaucoup de la méthode choisie pour leur élaboration : l'expérience, bonne pour les régionales, cruelle pour la dernière présidentielle, conduit à un profond changement d'approche. A chaque étape (diagnostic, choix des priorités, formulations des principales propositions), nous devons associer largement le Parti, les organes de direction, les fédérations, les sections, les militants.

Des Commissions du projet seront installées dans chaque département, des consultations -et donc des votes- seront prévue. Mais, ces formes - nécessaires dans une organisation démocratique comme la nôtre - ne peuvent suffire :
     Mobilisation de nos élus : recenser les innovations, les pratiques nouvelles, les services pour répondre aux exigences (logement, environnement).
     Forces vives : syndicats comme associations sont attachés à leur indépendance et n'entendent pas co-élaborer avec nous je ne sais quelle plateforme. Ce serait le plus mauvais service à rendre à la démocratie sociale. En revanche, nous devons confronter avec les partenaires sociaux nos analyses, nos réponses mais aussi le champ respectif de nos responsabilités.
     Les Français eux-mêmes : Au bout du compte, ils auront leur dernier mot. Le mieux serait de leur donner en premier la parole. Non pour s'en remettre à eux pour écrire ce que nous avons à faire. Le rôle du politique c'est d'abord d'éclairer l'avenir, de prendre ses risques, et parfois de bousculer la donne. Il y a des partis qui, pour ne vouloir qu'écouter les gens, finissent par ne plus trouver leurs électeurs. Mais, nous devons interroger les citoyens sur leurs attentes, les intéresser à nos propositions, leur démontrer par notre démarche notre volonté de faire aussi avec eux au lendemain de notre accession aux responsabilités. C'est pourquoi, nous lancerons une grande campagne de dialogue, en octobre prochain, autour d'un questionnaire qui mobilisera tous nos militants et donnera lieu à une évaluation autour du diagnostic de la France que nous établirons au début de l'année prochaine.

FÉDÉRER

Nos résultats électoraux, la démarche retenue pour l'élaboration de notre projet, notre volonté de mettre la gauche non seulement en situation de gagner, mais de gouverner durablement exigent un grand Parti socialiste.

Le PS est le premier parti de France en termes de votes et de nombre d'adhérents. Mais, le chemin est encore long pour garantir la pérennité de notre influence : 30 % des voix, c'est loin de la majorité, même avec l'addition de nos partenaires. Et 125 000 adhérents, c'est beaucoup, en comparaison des effectifs des autres partis, mais bien peu par rapport à la population. Et, si l'on s'est réjoui de l'arrivée de 25 000 nouveaux membres à la suite du 21 avril, je suggère que nous ne comptions pas sur nos défaites pour nous renforcer. Surtout si l'on sait que la participation militante est une condition indispensable pour la victoire.

Le Parti socialiste va, en avril prochain, fêter son centenaire. Et s'il est une constante de notre Histoire : c'est que de 1905 à aujourd'hui, notre parti a toujours compté - sauf variations liées à des circonstances exceptionnelles - le même nombre d'adhérents. Certes, il y a eu des renouvellements. Tous ne sont pas restés, malgré l'espérance que crée notre vie militante. Mais, cela révèle aussi la réalité du PS et surtout sa vulnérabilité.

C'est pourquoi nous allons lancer, au cours des prochains mois, une grande campagne d'adhésion et une meilleure association de beaucoup de nos sympathisants à notre parti. Permettre que de nombreux citoyens marquent plus facilement leur soutien, faciliter la participation de beaucoup d'acteurs sociaux à nos débats, simplifier les formes d'adhésion dans le respect de l'identité de notre parti. Des révisions statutaires seront proposées dans ce sens. Elles bousculeront peut-être certaines habitudes ou traditions, mais elles sont indispensables si le Parti socialiste veut prétendre refléter la diversité de la société. Et c'est un engagement que nous avons pris ; il s'est traduit dans l'élaboration de nos listes pour les Régionales, ce qui permet aujourd'hui la présence -dans nos assemblées- de jeunes et de camarades issus de l'immigration. Mais, c'est encore bien insuffisant, tandis que sur la parité, nous sommes loin de l'objectif.

J'indique d'ores et déjà que, pour la désignation de nos candidats aux prochaines élections législatives, nous appliquerons le principe de parité et veillerons à la diversité des couleurs et des origines, à l'image de la réalité de notre société.

Le premier parti de France doit être le parti de toute la France.

Un grand Parti socialiste, c'est une chance pour la gauche. Son rassemblement n'est pas une addition qui ne tombe pas toujours juste. C'est une dynamique autour d'une force motrice et d'un contrat commun. Nos partenaires ont pu en faire le constat lors des élections du printemps dernier. C'est l'union déjà faite au premier tour ou déjà annoncée pour le deuxième tour qui a fait le succès collectif. Le Parti socialiste seul n'y serait pas parvenu. Un Parti socialiste faible non plus. Une simple alliance électorale pas davantage.

C'est cette leçon que nous devons tirer pourfixer nos relations avec nosalliés dans la perspective des rendez-vous qui nous attendent en 2007.

D'abord partir d'une évidence : les scrutins présidentiel et législatif, par leur concomittence et leur cohérence, forment un bloc ; c'est un ensemble qu'il faut bien considérer.

Ensuite, prendre en compte l'expérience : les accords électoraux, à travers des circonscriptions réservées sans accord programmatique sont incompréhensibles pour les militants et pour l'électorat. C'est pourquoi, nous devons proposer un contrat global à nos partenaires comportant un volet électoral, l'engagement de l'introduction d'une part de proportionnelle pour les législatives, mais autour d'une plateforme pour gouverner ensemble le pays dans la durée. C'est la seule contrepartie exigée, mais elle est majeure. Car, c'est elle qui crée la vraie dynamique de victoire qui, elle, doit être partagée. Quant à la possibilité pour chaque parti de présenter un candidat à la présidentielle, c'est la liberté de chacun… Mais point trop s'en faut.

Mais, fédérer, c'est aussi rassembler les Français sur des grandes causes, sur une conception commune de la République, sur la laïcité, sur la défense des humiliés, des fragiles, des victimes de l'intolérance et de la barbarie. Et c'est pourquoi les socialistes devront être exemplaires dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Les communiqués de protestation, les condamnations ne suffisent plus. Nous avons notre rôle à jouer : rappel de l'Histoire, lutte contre l'extrémisme, dénonciation du communautarisme, combat contre les discriminations et unité dans l'antiracisme, car la haine -qu'elle vise un musulman ou un juif- a le même visage. Et ses victimes deviennent frères de combat. Le nôtre, celui de la République. Celui de l'égalité et de la dignité humaine. Les socialistes multiplieront des initiatives unitaires à l'occasion du centenaire de la loi sur la laïcité. La date anniversaire de son centenaire doit être une journée de grande mobilisation de toute la famille socialiste. Elle doit être le point d'orgue de la lutte contre l'intolérance. C'est notre responsabilité, c'est à nous de le faire.

Dans notre agenda de rentrée, le sujet de la Constitution européenne est venu se glisser. J'ai compris qu'il avait alimenté les conversations, ici, ailleurs et que nous n'étions pas tous d'accord. C'est légitime et compréhensible, même si nos interrogations, voire nos controverses ne sont pas nouvelles.

C'est un débat important : il y va de la future architecture institutionnelle de l'Europe à 25, du contrôle démocratique de ses décisions, des engagements de la France dans la construction de ce nouvel espace, du choix de nos politiques futures.

C'est un débat nécessaire, puisque le Chef de l'Etat - à notre demande - a décidé de l'organisation d'un référendum sur la ratification du traité et que la réponse des socialistes déterminera en large partie le choix des Français et donc l'avenir même de la Constitution européenne.

Nous ne réglons pas une question interne ; nous décidons largement la position de la France et le rythme de la construction européenne. Nous en avons tous conscience.

Ce débat doit être exemplaire :
     Dans ses formes : c'est le respect. Le respect des convictions, des interrogations compréhensibles, des doutes sincères. Ce qui doit écarter la caricature, la simplification, les facilités verbales. Ce qui suppose aussi le respect de la vérité ; la vérité des textes, la vérité des faits, la vérité des choix. Ce qui justifie de ne pas réduire le débat au schématisme binaire, même si -au bout du compte- il convient bien de répondre clairement à la question posée.
     Dans sa conclusion : c'est la démocratie. J'avais pris l'engagement, lors du congrès de Dijon, de consulter les militants sur la Constitution européenne. Le moment est venu. Je propose donc que, d'ici la fin de l'année, le Parti se prononce selon des formes qui seront précisées dans un Conseil national du 9 octobre. Nous n'avons rien à craindre de cette délibération, dès lors que chacun prend soin de le déconnecter d'enjeux internes, de direction, voire de désignation. C'est la volonté exprimée par tous. Tant mieux.
Comme Premier secrétaire, je me porte garant d'un débat maîtrisé. Mais, comme militant et comme responsable, j'ai le devoir de faire connaître - comme d'autres - mon point de vue et d'éclairer notre choix.

Je suis favorable à l'adoption du traité constitutionnel.

Pour déterminer ma position, je me suis posé les trois seules questions qui vaillent pour un socialiste et un européen conséquent. Ce texte constitue-t-il un recul par rapport aux traités existants ?
Non ! Il ne contient que des avancées, parfois insuffisantes, mais néanmoins réelles sur les pouvoirs du Parlement, sur les modes de décision au sein du Conseil des ministres et sur la Charte des droits fondamentaux. C'est ce qu'ont constaté l'ensemble des partis socialistes européens.

Seconde question : ce texte peut-il brider les capacités d'action réformatrice de la gauche en cas d'alternance en France ? Pas davantage qu'avec les traités antérieurs que nous avons approuvés (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice…) ! Je dirai même que, sur les services publics, le rôle des partenaires sociaux ou le gouvernement économique, il met en place des leviers d'action que nous n'avions pas auparavant. C'est ce qu'a considéré la Confédération Européenne des Syndicats.

Dernière question : sera-t-il possible, demain, de modifier les politiques inclues dans ce traité constitutionnel ? Eh bien, contrairement à ce que j'entends dire souvent, les possibilités de révision seront plus aisées qu'actuellement grâce au droit d'initiative reconnu par le Parlement européen, au droit de pétition accordé aux simples citoyens et aux coopérations renforcées permises aux Etats membres.

Mon oui n'est ni résigné ni aveugle. Il est raisonné. On aurait pu avoir un meilleur traité si les autorités françaises avaient été à la hauteur de la situation. On doit pouvoir aller plus loin, demain, avec nos amis socialistes européens, et constituer avec les pays qui le voudront une sorte d'avant-garde. C'est tout à fait possible dans le cadre de ce projet de Constitution. On doit poser des conditions, et notamment sur la négociation relative au pacte de stabilité.

Ce faisant, je propose d'engranger les acquis de ce texte sans renoncer à des avancées ultérieures conformes à nos valeurs. L'Histoire de l'Europe est toujours faite de compromis et, avant de provoquer une crise, faut-il encore dire comment on la dénoue.

Quant à la réponse au référendum de la fin de l'année 2005, tout dépendra de la question posée et de l'attitude de Jacques Chirac. S'il était tenté de l'utiliser à d'autres fins et de rechercher, par une manipulation, une légitimité atteinte jusque dans son propre camp, ce serait non, avec toutes les conséquences pour la poursuite de son mandat.

Il dépendra de nous que ce débat soit un piège ou un atout. Le piège serait de faire de ce sujet la seule activité du Parti socialiste et de donner de nous-mêmes la pire des images : celle du repli identitaire et de la division. Bref, de l'oubli des Français au nom de l'Europe. Ce serait un comble. Faisons donc de cette discussion un atout : suscitons l'intérêt par la qualité de nos échanges, le sérieux de nos arguments, la pertinence de nos interrogations. Intéressons par notre débat les Français à l'Europe, c'est-à-dire à leur avenir.

CONCLUSION

En politique, nous n'en finissons jamais de faire nos preuves. Un combat s'achève, un autre commence. Et nous savons bien qu'il n'y a pas d'étape ultime et de dernière haie. Il faut les franchir toutes. Et lorsque l'on tombe, savoir se relever et reprendre la course. C'est une affaire de volonté collective et de responsabilité personnelle. Savoir faire la part entre ce qui relève du débat indispensable entre nous et ce qui correspond à l'objectif essentiel : donner espoir dans le changement, dans un autre possible. Prêts à convaincre, prêts à gouverner. Prêts à tenir nos engagements.

L'alternance se prépare dès aujourd'hui. Par notre projet, pas nos idées, par nos actes, par nos démarches. Les Français sont inquiets. Ils ont raison de l'être, quand leur protection sociale, leur salaire, leur retraite, leurs services publics sont menacés. Et quand la droite poursuit, dans le désordre politique, le chaos social.

Ils attendent beaucoup de nous. Ils l'ont exprimé. Alors qu'ils sachent bien que les socialistes sont là, à leurs côtés, au travail, conscients des enjeux qui viennent. Et prêts à y répondre. La gauche n'est pas de retour, comme je le disais à Dijon. Elle arrive.


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