Université d'été 2005
28 août 2005

Intervention de François Hollande, premier secrétaire.
 


 
Chers Camarades,

En cette rentrée,les Français sont inquiets. Les sujets ne manquent pas.

Il y a l’état du monde avec la lèpre terroriste qui se répand - encore il y a peu à Londres,avec la prolifération nucléaire qui s'étend (songeons à l'Iran), avec les foyers de tension qui demeurent,malgré - et tant mieux et ce n'est pas fini je l'espère - le retrait israélien de Gaza.

L'inquiétude, c'est aussi la hausse continue d prix du pétrole qui révèle d'ailleurs l'ampleur des changements qui s'annoncent et qui,d'ici là,imposent une vie plus chère.

L'inquiétude qui taraude les Français,c'est la persistance du chômage - et notamment celui des jeunes,la montée de la précarité,l'amputation du pouvoir d'achat,la violence qui n' a pas disparu des quartiers - loin sans faut - au-delà des gesticulations de l'n ou de l'autre,toujours le même d'ailleurs ;il y a la dureté sociale dont le gouvernement,au-delà des changements de casting ou de marketing,est l'expression la plus achevée.

A l'occasion de cette rentrée, les Français s'interrogent aussi sur la politique.Ils voient les dégâts du libéralisme,constatent le peu de considération qui est accordé à leur suffrage scrutin après scrutin et,en même temps,au fond d'eux-mêmes,ils espèrent une alternative.

Ils s'interrogent aussi sur nous-mêmes, sur la gauche, sur le Parti socialiste.Et, convenons que nous leur avons donné quelque matière à réfléchir. Alors que rien ne semblait nous résister après les victoires considérables de 2004, la controverse européenne d'abord, les formes qu'elle a prises dans la gauche et en notre sein ont créé le doute. Les socialistes seront-ils capables de préserver leur unité ? Pourront-ils résister à la compétition qu'inspire la préparation de l'élection présidentielle ? Porteront-ils un projet susceptible de redonner confiance et espoir ? Telles sont les interpellations dont nous sommes l'objet.

C’est nous, et nous seuls, qui donneront confiance et donc la réponse. Et je vais vous parler franchement : rien n’est acquis, mais tout est à notre portée.

Tout dépend de nous. Je n’ai pas de doute sur l’unité du Parti socialiste. C’est notre bien le plus précieux. Pas de socialisme possible sans un parti pour le représenter. Nous venons de fêter notre centenaire. Notre histoire nous rappelle les tumultes, les querelles qui ont pu traverser notre grande famille. Certes, nous ne pensons pas tous la même chose. Nous pouvons parfois exacerber nos différences - encore récemment sur le référendum, tomber dans les surenchères - à gauche le plus souvent, encore que rare sont ceux, en notre sein, qui veulent être plus à droite que les autres. Nous pouvons nourrir des ambitions plus nombreuses que les postes à pourvoir. Et c’est là que l’élection présidentielle complique un peu la donne. Mais, nous savons tous que de notre unité dépendent le rassemblement de la gauche et l’alternance dans la République. Cette conviction est partagée par tous. Et s’il venait à tel ou tel d’entre nous de l’oublier, vous, les militants, le leur rappelleriez durement. Et, la réalité aussi. Car, le destin de ceux qui ont quitté notre Parti n’est pas tel qu’il puisse servir d’exemple. Ils peuvent faire perdre, jamais gagner. Le mot de scission n’a pas sa place ici. Mais, Michel Rocard, lui, l’a.

Alors, si notre parti n’est pas en cause, convenons que nos comportements le sont quand nos confrontations, légitimes, sur les idées se transforment en polémiques déplacées sur les personnes ou en procès d’intention, quand nous réservons nos talents d’artificiers -et nous pouvons aller jusqu’à l’excellence- à nous-mêmes plutôt qu’à la droite, quand nous manquons à la fraternité élémentaire rendant presque factice l’usage du mot « camarade ». Mais, surtout, nous manquons à notre devoir premier : je n’ai pas d’adversaire au Parti socialiste, car nous sommes tous socialistes.

Quant à nos règles et à nos procédures, notre parti n’a jamais fonctionné sur le mode disciplinaire et militaire. Il a toujours laissé large place au débat, à la liberté d’opinion, à la confrontation des idées. Il peut parfois faire des choix différents de ses électeurs - ce n’est pas toujours en son déshonneur. Il peut aussi se tromper. Mais, je ne connais pas d’autres principes dans un parti démocratique comme le nôtre que le vote des militants.

Et, c’est pourquoi nous aurons collectivement à nous y soumettre à l’occasion de notre Congrès pour définir notre orientation, pour bâtir les fondements de notre projet, pour tracer notre stratégie d’alliance et aussi pour désigner notre équipe de direction. Ce n’est pas une épreuve. Il ne faut pas en avoir peur. Il ne faut rien redouter. C’est une chance si nous savons être à la hauteur des enjeux et exemplaires dans l’organisation de nos délibérations. Au cours de ce congrès et avant les échéances principales, nous saurons, j’en suis sûr, nous rassembler dans la clarté.

Cet appel à la responsabilité s’adresse à tous. Il m’engage directement comme Premier secrétaire du Parti socialiste.

Les Français nous regardent. Beaucoup, une majorité je l’espère, nous attendent. Ne le décevons pas. Ceux qui souffrent d’une politique injuste, ceux qui voient chaque jour leurs conditions de vie se dégrader leur acquis sociaux fondrent, ceux qui n’en peuvent plus de la politique de la droite et nous le disent veulent que nous soyons au rendez-vous de 2007. C’est une exigence impérieuse pour le Parti socialiste, pour la gauche, mais aussi pour la politique, et surtout pour la démocratie, tant est dégradée la situation du pays et profond le besoin de changement.

C’est pourquoi une telle responsabilité pèse sur nous. Nous ne sommes pas dans n’importe quel moment historique et nous ne sommes pas devant n’importe quelle échéance et devant n’importe quelle droite.

Depuis trois ans et 100 jours (93, soyons précis et justes), l’échec de la droite est général et je ne pense pas que, dans les 7 jours qui restent, le diagnostic sera inversé.


L'ECHEC EST ECONOMIQUE

 
La croissance est molle, largement au-dessous des prévisions (qui était le Ministre de l’économie et des finances il y a un an ? Nicolas Sarkozy. Il l’est peut-être encore aujourd’hui, je n’en sais rien), plus faible que celle de nos principaux partenaires, inférieure de moitié à celle que nous affichions pendant les cinq ans du gouvernement de Lionel Jospin. En fait, ce sont tous les feux de l’activité qui ont été éteints. La consommation est en repli, faute de pouvoir d’achat. L’investissement est en recul, faute de demande soutenue et les exportations stagnent faute d’une compétitivité suffisante des entreprises, faisant apparaître un déficit record du commerce extérieur souvent passé sous silence. Jamais la compétitivité des entreprises ne s’est aussi rapidement dégradée.

Si la croissance est molle, le chômage est dur. Il touche un Français actif sur dix, un jeune sur quatre. Il n’a cessé de progresser depuis 2002. Et, s’il a paru baisser, le temps de l’été, c’est non par une reprise des embauches, mais par une accumulation des radiations statistiques. Voilà la voie choisie par le gouvernement pour diminuer le chômage; convenons qu’elle est originale ; il fallait y penser. Pour faire diminuer le chômage, il suffisait de supprimer les chômeurs. Pendant ce temps-là, l’économie française détruit plus d’emplois dans l’industrie qu’il n’en crée dans les services. Le nombre d’heures travaillées aujourd’hui dans notre pays par l’ensemble des actifs est inférieur à celui constaté en 2002. Nous avions réduit le temps de travail de chacun en créant des emplois. La droite réduit le travail de tous en augmentant le chômage.

Et voilà que le gouvernement Villepin redécouvre les vertus du traitement social du chômage dont le gouvernement Raffarin avait pris soin systématiquement de démolir un à un les dispositifs, à commencer par les emplois jeunes. Mais, au lieu de les rétablir, et notamment dans l’Education nationale comme nous l’avions fait, ce sont des formules précaires de 6 mois à 2 ans qui sont proposées avec des rémunérations très largement inférieures au SMIC. Entre temps, l’Etat a perdu toute marge de manœuvre.


L'ECHEC EST FINANCIER

 
Depuis trois ans et 100 jours, l’endettement de la France a progressé de plus de 20 % et de 200 milliards d’euros. Les services publics se contractent, les droits sociaux se rétractent, les prestations sont réduites et, partout, les déficits se sont creusés à un niveau jamais atteint dans notre pays :
     Déficit de l’Etat : largement supérieur aux règles déjà transgressées du Pacte de stabilité européen ; le gouvernement est obligé de recourir à des expédients comme le bradage de GDF, EDF en pleine crise énergétique. Il est aujourd’hui irresponsable de la part d’un gouvernement de recourir, dans ce contexte, à la privatisation des autoroutes qui va priver à terme l’Etat de 40 milliards d’euros à terme pour en recevoir tout de suite 10 milliards. Avec ce curieux troc, le gouvernement vient d’infliger un nouveau péage aux générations futures. Nos enfants et petits-enfants n’ont pas fini de payer cher le libéralisme et les libéralités du gouvernement UMP.

     Déficit de la Sécurité Sociale (10 milliards d’euros), laquelle vit désormais à crédit. Et permet à la droite de justifier de nouveaux déremboursements ou les suppressions de lits hospitaliers.

     Déficit de l’UNEDIC (16 milliards cumulés), au point de menacer rapidement les droits des chômeurs. L’imprévoyance est ainsi mise au service de l’injustice.
La droite met la France en faillite. Il n’y a pas d’autre mot - et elle serait patente si l’euro n’offrait un bouclier car, en d’autres temps le franc en aurait fait les frais. Cette situation ne relève pas d’une conjoncture malheureuse -la croissance mondiale ne s’est pas brutalement ralentie à partir de 2002, ou de l’incompétence personnelle - encore qu’elle est une hypothèse de travail et un facteur aggravant. Thierry Breton est en effet le quatrième Ministre des finances depuis 2002 et l’on ne sait d’ailleurs pas s’il va finir l’année, tant il paraît empêtré dans un inextricable conflit d’intérêt dans le cadre d’un scandale - car cela en est un - qui a consisté, par une entente sur les prix, à opérer un prélèvement sur les usagers du téléphone, en faussant les règles de la concurrence. Avec Jean-Marc Ayrault et Jean-Pierre Bel, nous avons demandé une Commission d’enquête parlementaire.

Ces mauvais résultats relèvent d’erreurs stratégiques dont le pouvoir porte seul la responsabilité :
     Il a baissé les impôts des plus favorisés, perdant ainsi des ressources budgétaires précieuses, sans impact sur l’activité économique ;
     Il a multiplié les exonérations de cotisations sociales, sans contrepartie en termes d’emplois et de salaires ;
     Il a amputé les dépenses d’avenir (Recherche, Education…), sans rendre le présent plus facile à vivre.
On savait la droite injuste, certains pouvaient la croire efficace. Mais, c’est parce qu’elle est injuste qu’elle est inefficace. La confiance ne peut se créer sur la désespérance.


L'ECHEC EST SOCIAL

 
Depuis trois ans et 100 jours, le pouvoir a fait de la précarité une fatalité et des inégalités une opportunité. Là où il fallait mettre de la stabilité, les gouvernements Raffarin et Villepin ont introduit le risque dans l’ensemble des relations sociales : la précarité est devenue la règle, la sécurité l’exception. Tout est conçu maintenant sous le régime de l’intermittence. 70 % des embauches dans notre pays se font en CDD ou en intérim. Le salarié porte désormais tous les risques, l’actionnaire plus aucun. Le salarié et l’emploi sont devenus la variable d’ajustement.

Le code du travail, dès lors qu’il a été présenté par le MEDEF comme une atteinte à la liberté, est devenu une cible. Le Contrat Nouvelle Embauche (CNE) en est la première étape. Le patronat obtient par ordonnance, après 20 ans de pression - il n’y croyait même plus : la liberté de licencier sans motif un salarié pendant deux ans et la suppression des seuils sociaux pour la représentation du personnel dans l’entreprise. Une ordonnance, deux coups : l’un contre le droit individuel, l’autre contre le droit collectif.

Et l’Etat se fait le promoteur de cette simplification du licenciement. Sur le site internet du Ministère de l’Emploi, il est indiqué aux chefs d’entreprises : « N’hésitez plus. Pour rompre le CNE, il suffit de notifier à votre salarié la fin du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception ». Licencié ! Aussi simple qu’une lettre à la poste ! Bientôt comme un coup de fil ! Peut-être même comme un SMS ! Ce n’est plus le Ministère de l’emploi, c’est celui du licenciement.

Et, tant pis pour les exclus. Le nombre de Rmistes a augmenté de 10 %. Déjà Nicolas Sarkozy s’indigne de cette société d’assistance, comme si les pauvres étaient d’abord coupables de l’être, pauvre. D’une manière générale, tout ce qui est acquis social est devenu, aux yeux du pouvoir, exorbitant, excessif, superflu quand, dans le même temps, on s’apitoie sur le sort des plus favorisés.

Sacrifices sociaux pour les uns, cadeaux fiscaux pour les autres. Ainsi va désormais notre République. Les inégalités ne sont plus des injustices qu’il faudrait combattre, mais des opportunités qu’il faudrait saisir. La condition des pauvres dépendrait désormais essentiellement du bonheur des riches. Ainsi, le gouvernement a-t-il décrété l’urgence sur l’allègement de l’ISF, supposée être un frein à l’investissement, une spoliation insupportable de l’épargne, un découragement à la propriété. Au nom de la patrie économique en danger, de nouvelles baisses d’impôts sur les successions devraient être consenties aux plus favorisés pour qu’ils daignent, s’il leur plait, laisser leur argent fructifier dans le capital de leur entreprise !


L'ECHEC EST MORAL

 
En trois ans et 100 jours, les écarts salariaux se sont considérablement élargis, les avantages exorbitants en matière de rémunération des dirigeants (stocks options, indemnités de départ, retraites dites chapeaux) se sont multipliés, les inégalités de patrimoine dans un contexte de spéculation immobilière se sont creusées. Il n’y a pas deux France, mais plusieurs. Et l’une est désormais dans un autre monde, avec des avantages qui n’ont plus rien de commun avec la situation de la décennie précédente. D’où ce sentiment de révolte, de rejet, de refus.

Au nom du mérite, le gouvernement, la droite décourage le travail et l’effort. Les uns, même en travaillant dur ou « en se levant tôt », ne peuvent accéder au premier barreau de l’échelle de la promotion sociale ; les autres - plus nombreux - restent bloqués et pour longtemps dans l’ascenseur, quand une infime minorité s’est installée en haut de la pyramide sociale et n’entend sous aucun prétexte s’en laisser déloger.

A ce cynisme économique correspond une insupportable irresponsabilité politique que le Chef de l’Etat a érigé en principe institutionnel. Dissolution manquée, élections régionales perdues, référendum raté, impopularité record. Sa seule réponse est la même : « Je reste et je maintiens ». Cette attitude n’est pas simplement une protection personnelle. C’est aussi une stratégie fondée sur le découragement civique, la désespérance, la communication compassionnelle, l’effacement des clivages.

La majorité connaît l’ampleur de son échec. Elle en fait elle aussi le constat. Pas simplement à L’UDF où la lucidité de Bayrou n’a d’égale que sa solidarité avec l’UMP lors de chaque vote important au Parlement. Avant de parler de rupture, qu’elle commence par voter la censure.

Alors, la droite dans ce contexte-là n’a d’autre salut que de pratiquer le brouillage et la mystification :
     Le brouillage, c’est la manière d’agir du Premier ministre. Utiliser d’autres mots que son prédécesseur pour faire la même politique. Donner l’apparence du neuf pour faire du vieux. Le lyrisme le plus incandescent cache le libéralisme le plus indécent. Et le patriotisme économique n’est que la face cocardière du clientélisme. Cet artifice n’a pas duré 100 jours. Le Premier ministre est déjà entré dans la morne plaine des sondages.

     La mystification, c’est celle du Président de l’UMP. Faire croire qu’il n’est pour rien dans la politique qu’il inspire depuis trois ans et 100 jours, alors que comme numéro 2 du gouvernement, Ministre de l’Intérieur et peut-être toujours Ministre de l’économie, il participe aux choix essentiels. Faire penser que l’échec, c’est les autres et que lui, et lui seul, est l’unique solution pour le pays - vieille technique que l’on connaît bien de la droite sous la Vème République - qui, pour se sauver et parfois y parvenir, feint d’organiser une alternance en son propre sein pour poursuivre en accéléré la même entreprise idéologique.
Ces manœuvres de confusion sont grossières. Mais, je ne les sous-estime pas. Car nous connaissons - et pas seulement depuis le 21 avril 2002 - l’ampleur de la crise démocratique. Tout cela offre un terreau aux simplifications, aux stigmatisations, à la démagogie. Et il y a, convenons en, un spécialiste.

Certes, scrutin après scrutin - et le référendum du 29 mai, d’une certaine façon, l’a exprimé - le libéralisme est rejeté.

Alors, la droite l’habille de tous les oripeaux possibles : souverainisme pour les uns, autoritarisme pour d’autres, voire étatisme mais « l’Etat pénitence » à la place de « l’Etat providence ». Nicolas Sarkozy ne pratique pas simplement la karchérisation des cités populaires, mais aussi celle des esprits. L’utilisation des peurs plutôt que leur apaisement ; l’énonciation des problèmes plutôt que les solutions ; l’agitation plutôt que l’action. Telle est sa méthode.

La nôtre doit être de répondre avec volonté et vérité aux préoccupations des Français. Ils recherchent une direction, un cap, un sens. Nous devons répondre à cette aspiration de changement en offrant une alternative crédible et durable.

Notre première tâche est bien sûr de nous opposer. Depuis trois ans et 100 jours, nous n’avons pas manqué à cette responsabilité démocratique. Nous l’avons fait d’ailleurs avec constance et cohérence. Et, quand les Français ont eu à sanctionner la droite aux élections de 2004, ils ne s’y sont pas trompés de bulletin de vote. Voulant punir le pouvoir, ils nous ont choisi, nous les socialistes, parce qu’ils ont considéré que nos victoires seraient les plus sûres défaites de la droite et qu’elles nous conféreraient des responsabilités directes dans 20 régions et la moitié des départements. C’est cela « L’opposition utile ».

Pour nous, s’opposer, ce n’est pas simplement dénoncer, critiquer, protester. C’est déjà beaucoup. Et il faudra soutenir les mobilisations syndicales qui s’annoncent. Mais, nous ne sommes pas un mouvement de résistance ou d’empêchement. Nous sommes le parti qui doit gouverner demain.

Nous avons donc l’obligation, sur chaque sujet, de proposer. C’est ce que nous avons fait lors de cette Université d’été. Et je vais en prendre trois exemples :

    1/ - La relance de la croissance

    Elle s’impose aujourd’hui. On nous dit que le Premier ministre y travaille, que le Président de l’UMP aussi, et qu’il y a même surenchères. Il y a tout à craindre : alors que beaucoup de Français n’ont d’autre choix que l’usage de l’automobile pour aller travailler et qu’ils redoutent le prix du fuel au moment de l’hiver, le gouvernement s’obstine à refuser de réintroduire la TIPP flottante au prétexte que ce serait la gauche qui en aurait pris l’initiative et Dominique De Villepin a même eu cette formule provocatrice : « Si les Français ne veulent pas payer plus cher leurs carburants, ils n’ont qu’à rouler moins vite ». Il aurait pu d’ailleurs aller plus loin : « S’ils veulent même gagner de l’argent, ils peuvent même ne plus rouler du tout » ! C’est la formule Guizot revisitée : « Pour devenir riche, ne consommez plus » !

    Notre raisonnement est tout autre. C’est le pouvoir d’achat qu’il faut redresser et l’investissement qu’il faut relancer. Nous faisons quatre propositions :
       Utiliser les surplus fiscaux de la hausse du prix des carburants (1 milliard d’euros) en doublant l’allocation de rentrée scolaire, afin de favoriser le pouvoir d’achat des familles.
       Réunir une conférence avec l’ensemble des partenaires sociaux en conditionnant les exonérations de cotisation sociale à des négociations sur les salaires et sur l’emploi.
       Contrat entre l’Etat et les Régions pour une accélération des programmes d’infrastructures ferroviaires et de ferroutage.
       Lancer un plan immédiat d’investissement dans les nouvelles technologies et notamment dans les économies d’énergie.

    2/ - L'énergie

    Le prix du baril atteint près de 70 $. Nous ne vivons pas une nouvelle crise pétrolière, mais un changement de cycle, celui de l’énergie rare et chère. Elle appelle dès à présent des décisions fortes :
       Doublement des efforts budgétaires en faveur des énergies renouvelables : éoliennes, solaire...
       Mise en place avec les constructeurs automobiles français d’un plan de fabrication des véhicules à moteur hybride. Une proposition mobilisatrice consistant en l’obligation pour l’ensemble des services de l’Etat et des collectivités locales de s’équiper exclusivement en voitures propres dans une période de dix ans.
       L’urgence d’un Programme d’isolation des logements sociaux, parce que le coût de l’énergie est une charge supplémentaire pour les plus modestes.

    3/ - Le logement

    Combien de mal logés faudra-t-il « recenser » - c’est le mot de Nicolas Sarkozy - pour prendre la mesure de la crise de l’habitat dans notre pays ?

    Combien de drames comme celui de l’incendie de l’immeuble du XIIIème arrondissement de Paris faudra-t-il déplorer pour répondre à l’urgence ?

    Ce problème touche aujourd’hui une très grande majorité de Français : les exclus qui ne peuvent même pas accéder à un logement, les familles modestes qui ne peuvent même pas accéder à un logement social, les jeunes qui ne peuvent même pas poursuivre leurs études dans de bonnes conditions mais aussi les classes moyennes trop favorisées pour accéder au logement social ou intermédiaire, mais trop modeste pour accéder à la propriété. D’où la ségrégation urbaine pour les plus pauvres et la montée des loyers pour tous.

    Alors, il faut :
       Mettre sur le marché 120 000 logements sociaux et imposer, dans chaque ville et pour chaque opération urbaine, la mixité sociale (quota de logements HLM).
       Rendre plus attractif le livret A pour dégager des ressources financières supplémentaires pour le logement social.
       Créer un établissement foncier national pour permettre, en liaison avec les villes et les Régions, une reconquête des territoires et des terrains à bâtir.
Voilà ce que nous ferions, en cette rentrée, si nous étions au pouvoir. Mais, je ne vous apprends rien. Nous n’y sommes pas. Et si j’en connais parmi nous qui ont, à un moment, pensé à une démission du Président de la République après le 29 mai - c’est mal le connaître - ou à une dissolution de l’Assemblée nationale - il a déjà donné, le prochain grand rendez-vous démocratique est au printemps 2007.

C’est bien loin pour tous ceux qui souffrent, qui n’en peuvent plus. Mais, c’est suffisamment proche pour être prêt dès la fin de l’année à jeter les bases de notre projet. C’est tout le sens de notre Congrès de novembre.

Ce congrès n’est pas la répétition de nos débats antérieurs - ils ont été tranchés par les faits, même s’ils nous imposent des obligations ; ce n’est pas non plus la pré désignation de nos candidats aux législatives et à la présidentielle. Il doit se situer à la hauteur des circonstances et prendre la mesure des enjeux :
     L’avenir de la planète, avec les deux questions majeures :
       Les ressources naturelles, leur épuisement (matières premières, biodiversité), leur protection (eau, air)
       Le développement des pays les plus pauvres. C’est la solidarité humanitaire. C’est l’organisation des flux migratoires et c’est la Paix. Le partage des richesses est un impératif économique et politique. Il n’y a pas de projet socialiste sans cette dimension internationale.

     La mondialisation. Cette nouvelle configuration du capitalisme n’interdit pas la politique. Au contraire, elle induit une confrontation planétaire entre le libéralisme et le progressisme et appelle de nouveaux compromis, comme hier dans l’Etat-Nation. En Europe et dans le monde, il nous faut des alliés.

     L’Europe : au-delà du vote du 29 mai, tous les socialistes - qui sont forcément tous européens - ont le devoir de redonner un sens, un contenu et des frontières à l’Europe. Convenons que l’Europe est en panne. Elle n’était pas bien orientée avant le 29 mai. Elle est désorientée depuis. Le « Plan B » se fait attendre. Et le mouvement social à l’échelle du continent qui devait l’accompagner aussi. Mais, l’élection présidentielle française de 2007 sera un moment important pour la relance du processus. Notre responsabilité est engagée. C’est au sein du PSE, c’est-à-dire notre famille, qu’il faudra convaincre. Il n’est pas flamboyant. Et nous n’y brillons pas de mille feux. En d’autres termes, nous n’y sommes pas majoritaires, mais avec l’appui de certains partis et du mouvement syndical, nous pouvons reparler de l’Europe concrète, celle des projets industriels, de l’augmentation du budget, de la croissance pour revenir, le moment venu, à l’Europe politique.

     La France : redonner confiance en elle, en ses atouts (vitalité démographique, diversité de la population - ce qui est une chance, technologie, qualité des services publics…) et en ses valeurs républicaines de lutte contre toutes les discriminations, de liberté, mais aussi de règles, de droits et de devoirs. Retrouver l’idée du progrès et de lui redonner cette perspective.
A chaque époque correspond un nouvel âge du socialisme. Il ne s’agit pas de défendre bec et ongles et avec les mêmes outils ce qui a été. Il s’agit de répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain avec les mêmes valeurs et de nouveaux leviers pour les atteindre.

Dans l’état du pays, dans la crise démocratique, face à l’urgence et à la préparation de l’avenir, nous avons un double devoir de volonté et de vérité.


LA VOLONTÉ

 
     C'est de fixer clairement les priorités et de leur accorder les moyens nécessaires :
       Société du plein emploi : formation, reconversion, reclassement, outils industriels ;
       Société de la connaissance : Education (enfance jusqu’à l’université), Recherche, Culture ; c’est par la connaissance, le savoir et la technologie que nous serons des pôles d’excellence ;
       Société écologique : environnement, transports collectifs, ville, logement.

     C'est de réformer les instruments de l'action : je ne connais pas de socialistes plus audacieux lorsque nous sommes dans l'opposition sur la question de la fiscalité et d'aussi timoré lorsque nous sommes au pouvoir.
       Prélèvements :
         Fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG
         Fiscalité locale
         Cotisations sociales : richesse produite plutôt que les salaires
       Pôle financier public pour financer les services publics
       Mobilisation de l’épargne : logement, collectivités locales, infrastructures.

     C'est rénover la démocratie autour de deux principes : Responsabilité - Représentation
       Démocratie politique : rôle du Parlement, responsabilité de l’Exécutif.
       Démocratie locale : clarification des compétences, modes de scrutin
       Démocratie sociale : accords majoritaires et représentation dans les Conseils d’administration.


LA VÉRITÉ

 
     La dire sur les marges de manœuvre : la situation que nous laissera la droite sera calamiteuse. On ne peut pas souligner l’ampleur des déficits et additionner toutes les revendications sans fixer les priorités, les limites et les rythmes. Au risque, sinon, de décider de pauses ou, pire, de consentir à des reniements.

     La dire sur le rôle de l’Etat : il doit agir, et résolument dans de nombreux domaines, mais il ne peut pas tout faire. Il doit être responsable, mais pas de tout. Un programme n’est pas un catalogue, c’est un choix de priorités. C’est un principe de précaution politique, mais c’est aussi une exigence d’action.

     La dire sur les compromis à passer : avec les partenaires sociaux, avec les collectivités locales, avec les associations. Démarche contractuelle, car il n’y a pas de réussite sans mobilisation de la société, y compris des citoyens. C’est le sens de la démocratie participative.
Dire la vérité n’est donc pas un renoncement, une prudence, une tiédeur. Ce n’est pas l’abandon de l’utopie. Au contraire, c’est la morale politique qui permet d’être conforme à l’idéal et d’agir durablement. C’est une exigence de réussite. L’objectif est bien sûr de gagner une élection, mais aussi la suivante pour rompre avec cette fatalité qui voudrait que la gauche ne reste au pouvoir que le temps d’une législature.


L'UNITÉ

 

Notre Congrès déterminera aussi notre stratégie

Celle du rassemblement des socialistes : elle suppose de savoir dépasser le « oui » et le « non ». Il ne s’agit pas d’abandonner nos convictions, d’oublier les votes, celui des militants, celui des Français. Mais, le débat a été tranché et répéter la controverse serait reproduire une séparation qui n’a plus d’actualité et dont le seul effet serait de réduire nos débats à une question à laquelle il nous faut maintenant apporter, ensemble, la réponse.

Le rassemblement se fera sur notre projet. A lire les contributions, je vois la diversité ; je vois aussi les convergences et les synthèses possibles.
Le rassemblement exige aussi de nous retrouver sur nos règles collectives, sur notre démocratie interne, sur le principe majoritaire, sur le rôle et la représentation des minorités. Mais, il y a un seul Parti socialiste. Celui de ses adhérents.

L’unité, c’est là notre force. C’est la condition aussi du rassemblement de la gauche

Le rassemblement de la gauche est notre stratégie et je n’en connais pas d’autre. Si nous sommes d’accord sur l’objectif, alors parlons de méthode. C’est autour du Parti socialiste, sur sa ligne et pas sur une autre, que le rassemblement doit se faire. C’est à nous de guider les autres. Et dans le respect de nos partenaires, à travers un contrat de gouvernement qui nous engagera tous, tout au long de la législature.

Quant à l’extrême gauche, ce sera sa responsabilité, le moment venu, de savoir si, pour combattre la droite, elle peut faire l’impasse de voter pour nous au deuxième tour. Respectons ses choix, mais évitons de lui courir après. Sur bon nombre de sujets, nous ne la rattraperons jamais car, la différence entre elle et nous, c’est qu’elle ne se pose pas la question de l’exercice du pouvoir. Il ne peut pas y avoir de compromis sur ce point. Alors, marchons devant et créons la dynamique pour convaincre les Français de la nécessité de l’alternative. C’est la force qui crée le mouvement, qui produit le rassemblement. C’est une leçon que j’ai tirée de François Mitterrand.

Le Congrès fixera aussi la composition de notre direction. Dans une organisation démocratique, la compétition est normale, que dis-je, légitime, mais sur des lignes politiques et sur des idées.

J’en appelle à la clarté et à la cohérence

     La clarté, c’est de dire dès la phase des motions autour de quelle équipe, sur quelles orientations et avec quelles alliances dans le Parti on entend animer le Parti.

     La cohérence, c’est le respect du vote. Il y aura une majorité et une minorité. Et une synthèse, si elle est possible, doit être conforme à l’expression des adhérents. Le temps des rebondissements ou des coups de théâtre au sein des commissions des résolutions est révolu. Le temps du vote militant est venu.
Le débat sur les personnes est donc légitime. J’ai compris que la mienne avait bénéficié d’un certain nombre d’attentions et d’égards. J’en ai même beaucoup entendu. Il m’a été fait le reproche d’être Corrézien. Heureusement que j’y compte des électeurs. Il n’était pas si facile d’y gagner, en son temps, une circonscription et une ville. Je veux ici les en remercier.

J’ai entendu que l’on me rendait responsable du résultat du référendum du 29 mai. Je suis prêt à en prendre ma part. J’y ai défendu la décision prise par la majorité des militants. C’est mieux que de s’en écarter. Mais, il ne m’a pas semblé que c’était le Parti socialiste qui était jugé.

J’ai été plus surpris que l’on revienne à la défaite de 2002. Je n’avais pas l’impression d’être le seul concerné. Nous avons tiré de notre échec collectif les leçons utiles. Mais, surtout, je suis fier, moi, du travail fait avec Lionel Jospin de 1997 à 2002. Quant au 21 avril, ce fut un moment difficile pour nous tous.

Mais je m’honore d’avoir repris le drapeau et tenu bon pour, ensuite, ensemble, redresser notre Parti. Et puis, si l’on parle des défaites, n’oublions pas les victoires. Et parfois je me demande moi-même qui était Premier secrétaire au printemps 2004.

Alors, Chers Camarades, confrontons nos points de vue. Recherchons les convergences. Ne dissimulons pas nos différences. Mais, faisons ensemble avancer notre Parti. Et, le vote effectué, mobilisons-nous pour la réussite collective.

Il doit en être de même pour l’élection présidentielle. Le temps de la désignation n’est pas venu. Je proposerai un calendrier pour le deuxième semestre 2006 une fois adopté notre projet et conclu notre éventuel accord de gouvernement avec nos partenaires.

Je ne me plains pas de l’abondance des talents. Toutes les ambitions aussi légitimes soient-elles ne pourront pas être toutes servies. Mais, nous connaissons la procédure : le vote des militants. Il s’imposera à tous. Nous n’aurons qu’un seul candidat : le ou la candidate du projet.

Evitons cependant de penser qu’aussi essentiel soit le choix de notre candidat(e), ce serait la seule échéance décisive. La politique crève de ce narcissisme qui consiste à réduire le débat politique aux personnes. L’essentiel, c’est le projet, la capacité d’agir ; c’est le mouvement collectif ; c’est la confiance des Français. Ce qui compte, c’est ce que l’on veut faire avant ce que l’on veut être.


CONCLUSION

 
Prenons la mesure de la période que nous traversons où se conjuguent les déséquilibres planétaires, la faiblesse européenne et la crise française. Tout exige un retour de la politique. Chacun, à sa place, doit y prendre sa part et avec espoir, car rien n’est écrit, rien n’est fatal. Rien n’est irréversible.

Certes, les forces du marché n’ont jamais été aussi puissantes. Mais, le libéralisme lui-même a créé l’instabilité qui justifie et qui alimente le combat contre lui. C’est pourquoi le socialisme, dans des formes renouvelées, demeure l’idée motrice pour maîtriser notre destin. A nous d’en convaincre le monde et pas simplement notre peuple.

L’élection de 2007 en France, dans ce contexte, est une échéance importante pour notre pays, mais aussi pour l’Europe et au-delà.

Telle est notre responsabilité. Et nous devons en prendre toute la dimension.

Je veux donc, pour conclure, m’adresser d’abord aux adhérents du Parti socialiste. Vous allez, à l’occasion de notre Congrès, faire des choix importants sur nos propositions, notre démarche, notre conception de la politique, la configuration de la gauche. Faites les librement et en conscience. Ils seront décisifs pour la suite. Et vous ne devez les faire que par rapport aux Français et non à nos intérêts partisans ou à nos affinités personnelles ou électives. J’ai confiance en vous.

C’est parce que j’ai confiance que je veux m’adresser aux Français. Je veux leur dire que nous serons présents, unis et forts au rendez-vous de 2007. Nous savons ce qu’il a coûté à la démocratie et au progrès social de manquer une échéance. Alors, soyez sûrs, au-delà des débats qui font l’honneur de la politique, nous proposerons, nous les socialistes, le changement en 2007.

Il vous appartiendra alors d’en décider. Et, à nous de nous en montrer dignes. C’est l’engagement que je prends ici avec vous à La Rochelle.


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