Discours
de François Hollande
à l'université d'été,
le 29 août 1999

 
 

Notre université d'été de La Rochelle s'achève pour la première fois sans Michel Crépeau. Son talent, sa fougue, sa franchise nous éblouissaient au moment de conclure nos travaux. Authentiquement radical, profondément de gauche, il appréciait les socialistes, qui le lui rendaient bien. Attaché à sa ville, il l'a profondément transformée, au point de nous surprendre chaque année par la qualité et l'ampleur de ses réalisations.
Maxime Bono, avec son style et sa personnalité, poursuit à La Rochelle l'œuvre commencée en 1971 par Michel Crépeau et l'ensemble de la gauche -  t qui ne s'arrêtera pas, j'en suis sûr, en 2001.
Je salue tous les organisateurs (Henri Weber et les permanents du Parti, Roland Beix et la Fédération de la Charente-Maritime, sans oublier le président du MJS) qui se dévouent pour rendre notre séjour agréable et studieux, et qui font face chaque année à un nombre toujours plus important de participants pas toujours inscrits - ce qui doit nous amener à réfléchir pour l'avenir à l'évolution de notre formule.
Je suis heureux d'accueillir Lionel Jospin, le Premier ministre qui, par sa présence et celle des principaux ministres de son gouvernement, fait de notre rencontre à La Rochelle un moment rare de convivialité, un événement politique, et un moment heureux pour la chanson française. Et Lionel n'a pas perdu la voix, ce qui est toujours rassurant pour un responsable politique.
L'objet de notre université d'été, à la différence d'autres, n'était pas la production de petites phrases, pas plus que l'organisation d'un tour de chauffe avant je ne sais quel scrutin interne. Il consistait essentiellement à apprécier l'action menée depuis 1997 et à fixer nos priorités pour les mois qui viennent. Je me tiendrai donc, comme tous les participants, à cet ordre du jour.

I - LA VICTOIRE DE LA DURÉE

Nous gouvernons le pays depuis deux ans. C'est un temps court à l'échelle d'une législature. Mais c'est déjà un temps plus long que celui dont ont disposé tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1991.
L'heure n'est sans doute pas aux bilans. Ils seront dressés le moment venu. Mais il est de notre responsabilité d'évaluer ce qui a été fait (dans un contexte qui n'a pas toujours été facile : Kosovo, crise asiatique…) pour déterminer ce qu'il nous reste à accomplir.
En 1997, nous nous étions engagés sur trois priorités : la réduction du chômage, la lutte contre les inégalités, la rénovation du pacte républicain. Sur ces trois objectifs, des résultats tangibles ont été obtenus :
  1. Le chômage, ce drame humain qui a fait chavirer tant de destins individuels et fait basculer tant de majorités politiques, est en recul régulier et continu depuis 20 mois. Ce résultat , encore modeste par son ampleur - (300 000 chômeurs en moins) - est néanmoins le plus significatif de ces dernières années. 700 000 emplois ont été créés. C'est la plus forte augmentation depuis le début des années 70. Il est dû à la reprise de la croissance que nous avons su stimuler et qui est supérieure à celle de nos partenaires européens, ce qui permet de démontrer , s'il en était besoin - que la conjoncture internationale ou la chance n'expliquent pas tout.
    Le soutien de la consommation, grâce à une hausse du pouvoir d'achat des ménages, la création d'emplois jeunes et les premiers effets de la réduction du temps de travail ont joué un rôle majeur dans le retour de la confiance essentielle en économie, mais dont les causes sont souvent politiques.
    Souvenons-nous, comme pour nous en défier, des sentiments qu'inspiraient nos prédécesseurs, pas simplement sur les consommateurs - ils avaient des raisons objectives d'être découragés - mais aussi sur les investisseurs, portés généralement à l'indulgence à l'égard de la Droite.

  2. En même temps, nous avons mené une politique vigoureuse de lutte contre les inégalités à travers la loi sur les exclusions, la couverture maladie universelle, la relance du logement social ou le relèvement de certaines prestations comme l'allocation de rentrée scolaire.

  3. Enfin, nous avons fait franchir des étapes importantes à la rénovation du pacte républicain : la réforme de la justice, les lois sur la nationalité et l'immigration, le PACS. Et je n'oublie pas l'introduction dans notre Constitution du principe de parité, dont il faudra prévoir d'ailleurs une première application pour les prochaines élections municipales.
C'est cette politique-là, respectueuse de nos engagements et portant des résultats concrets qui nous a permis d'affronter dans de bonnes conditions le jugement des Français, à l'occasion des derniers rendez-vous électoraux et d'imposer un rapport de forces défavorable à nos adversaires politiques.
Nous avions, en effet, tout à craindre des élections intermédiaires, souvent ingrates et cruelles à l'égard des partis au pouvoir ; nous avions tout à redouter des scrutins à la proportionnelle, notamment du scrutin européen qui éclate l'offre politique, disperse les suffrages, et ne mobilise pas les citoyens.
Or, nous avons franchi victorieusement l'étape des élections régionales et cantonales et celle - plus délicate encore - des élections européennes.
Le Parti socialiste arrive en tête et s'impose pour la première fois depuis 1979 comme la première force politique du pays, gagnant 7 sièges, au moment où les sociaux-démocrates en Europe connaissent un recul dommageable permettant à la droite d'être majoritaire au Parlement de Strasbourg.
En France, la droite ne s'est toujours pas remise de la dissolution ; non seulement parce qu'elle a perdu - cela peut arriver à tout le monde - mais parce qu'elle se révèle incapable d'en comprendre les raisons et de proposer un projet cohérent alternatif au nôtre.


Et les succès économiques du gouvernement la prive de l'argumentation de la crédibilité dont elle a su faire usage, d'ailleurs injustement, à d'autres époques.
Elle ne parvient pas à se situer par rapport au Président de la République, sans que celui-ci, il est vrai, lui facilite particulièrement la tâche : trop intéressé à son propre sort pour la laisser s'épanouir en dehors de lui, trop distant par rapport à elle pour franchement la porter devant les Français.
Mais, cette incapacité de la droite et cette division qui touche toutes les familles politiques qui la structurent depuis 20 ans ne signifient pas la disparition ou l'effacement de ses électeurs ou de ses relais dans le pays. Je sais bien que vous vous interrogez tous sur la question lancinante de la probable candidature de Nicolas Sarkozy à la tête du RPR ; j'ai bien un sentiment là-dessus, mais je me garderai de l'évoquer, de peur qu'en intervenant dans un sens ou dans un autre, je brise son élan des élections européennes.

Je ne sais quand la recomposition s'opérera, mais je suis convaincu que nous commettrions une erreur majeure de confondre les ressources de la droite avec l'épuisement de ses dirigeants.
Notre bilan politique ne serait pas complet si je n'évoquais le tassement de l'extrême-droite, d'autant plus réjouissant qu'il représente , si je puis dire - deux " tas " à peu près égaux. Je n'aurai pas la forfanterie de penser que ce recul de l'extrême-droite, qui s'explique pour beaucoup par ses querelles internes, tient à notre propre action. Mais comment ne pas souligner qu'il intervient au moment où nous faisons baisser le chômage et que, dans le même temps, les tendances xénophobes semblent en régression dans la société. Ce combat n'est pas terminé, pas plus que celui contre les alliances honteuses entre la droite et l'extrême-droite, lesquelles demeurent dans 3 régions françaises.

De nos résultats économiques et de notre situation politique, le chef de l'Etat a tiré les leçons : sa philosophie de la cohabitation comme son refus du quinquennat ne s'expliquent pas seulement par des arguments institutionnels dont il aurait fini par se convaincre. Si notre politique n'avait pas porté ses fruits, si le chômage par exemple n'avait pas diminué, si nous avions rencontré des déboires électoraux lors des Européennes, qui peut croire que l'on nous aurait laissé poursuivre, que l'on n'aurait pas trouvé d'autres motifs pour justifier une interruption de la partie ?
La durée n'est jamais donnée d'avance. Elle se conquiert, elle s'arrache, elle se mérite. Le rapport des forces que nous avons créé nous offre aujourd'hui la perspective plus que probable de travailler sur une législature. Certains évoquent cette donnée nouvelle comme un risque, voire comme une malédiction ; la durée, pour un gouvernement comme pour un être vivant, est une chance, à la condition de croire à son projet et de porter une volonté collective. C'est notre cas.
Notre objectif, j'insiste, est de travailler à réformer notre pays pour le rendre plus juste et plus prospère et d'être jugés sur la durée du mandat qui nous a été confié en 1997. Bref, c'est accomplir une législature, ce n'est pas de préparer une candidature.

II - POURSUIVRE

Contrairement à l'opinion exprimée par certains commentateurs , sans doute emportés par leurs louanges à notre endroit - qui laisseraient penser qu'en deux ans nous avons exécuté l'ensemble de notre programme, nous n'avons pas encore traduit tous nos objectifs dans la réalité.

En ce sens, nos priorités ne changent pas :

1°/ - En matière de lutte contre le chômage :
Il nous faut d'abord relever le grand défi des 35 heures. Ce sera notamment l'objet de la deuxième loi qui promet d'être une bataille parlementaire de grande envergure, car l'opposition , encadrée, que dis-je organisée, structurée par le MEDEF - n'aura de cesse que de vouloir retarder, entraver, polluer le vote d'un texte attendu par des millions de Français, par ceux qui ont un emploi, et surtout par ceux qui aspirent depuis longtemps à en trouver un, comme un moyen de mieux vivre et de mieux travailler.
Nous devons rappeler notre perspective : le temps libéré constitutif d'un changement de société, notre objectif : la création d'emplois (déjà plus de 100 000 l'ont été en 1999), et nos conditions : le respect des droits des salariés.
Voilà pourquoi nous serons vigilants sur trois points essentiels :
  • La limitation du recours aux heures supplémentaires
  • La réduction des maxima hebdomadaires qu'il faut adapter aux 35 heures
  • La prise en compte des aspirations des cadres à bénéficier de la RTT.

Mais, au-delà de ces corrections et de ces améliorations, nous devons faire en sorte d'adopter ce texte avant la fin de l'année, pour que l'An 2000 corresponde au lancement d'un processus qui identifiera une nouvelle fois la gauche à une conquête sociale et à un fait de civilisation.
Parallèlement, il nous faut faire en sorte que les emplois créés par la croissance et la réduction du temps de travail soient des emplois durables et que la précarité (CDD, temps partiel contraint, intérim) soit limitée. Nous avions souhaité, et Martine Aubry avait entendu cette demande, que s'engage une négociation entre partenaires sociaux sur cette question au niveau des branches. Le MEDEF, d'habitude toujours prompt à réclamer le dialogue direct et à récuser toute intervention de l'Etat, n'a pas donné de suite concrète à cette initiative.
Aussi, si rien ne vient d'ici à la fin de l'année, le Parti socialiste reprendra sa proposition de renvoyer vers la loi la responsabilité d'éviter que la précarité soit l'horizon indépassable du travail, notamment des plus jeunes.
De même, nous proposons que dans le cadre de la prochaine loi sur la formation professionnelle une allocation de formation soit accordée aux jeunes chômeurs qui acceptent de se mettre, pour une durée longue, dans une filière de qualification. Cela nous paraît bien préférable au slogan du RMI pour les moins de 25 ans !

2°/ En matière de réduction des inégalités :
La même volonté doit nous animer pour continuer à réduire les inégalités. L'évocation, d'ailleurs agréable à entendre, de ressources fiscales exceptionnelles pour l'année 1999 crée un débat légitime sur l'affectation de ces éventuels surplus.
Constatons d'abord que c'est le signe le plus patent de notre réussite en matière économique et qu'il y a quelque suavité à entendre Jacques Chirac nous dire que l'argent rentre abondamment dans les caisses, même si ses expertises en matière de finances publiques l'ont surtout conduit à prendre des décisions irréfléchies. Mais la droite nous a reproché pendant tant de décennies de vider les caisses que, lorsqu'elle nous accuse de les remplir exagérément, elle ne peut pas nous rendre meilleur hommage.
Attendons néanmoins la fin de l'année pour constater l'importance de ce bonus avant d'en déterminer l'usage. Mais pour nous, il nous apparaîtrait naturel de le restituer, sous une forme ou sous une autre, aux Français eux-mêmes.
C'est d'ailleurs pourquoi nous approuvons les décisions du Gouvernement pour le budget de l'An 2000 de baisser, de façon forte, la TVA sur les travaux au logement ; d'abord parce que la fiscalité indirecte, et notamment la TVA, est la plus injuste qui soit puisqu'elle touche toutes les catégories sociales, quels que soient leurs revenus ; ensuite parce qu'elle stimulera un secteur économique créateur d'emplois, enfin parce qu'un tel dispositif contribuera à la lutte contre le travail au noir.
Tous les socialistes sont pour la baisse d'impôts. Et Laurent Fabius a eu raison de le rappeler récemment ; il a eu raison de nous mettre en garde contre des formes d'allergie fiscale ; Il a même évoqué le risque d'être battus par les impôts plutôt que par la droite , même si j'ai rarement vu un impôt gagner les élections et prendre seul le pouvoir. Mais puisque baisse des prélèvements il doit y avoir, priorité doit être donnée à la diminution de ceux qui concernent tous les contribuables, plutôt que ceux de quelques-uns.
Voilà pourquoi nous avons eu raison, après avoir rééquilibré - en 1998 - la fiscalité sur les revenus du capital par rapport à celle sur les revenus du travail, à travers la CSG, après avoir réduit en 1999 les impôts qui découragent l'emploi avec la réforme de la taxe professionnelle et le changement d'assiette des cotisations patronales, de privilégier pour l'an 2000 les consommateurs dans nos choix budgétaires.
Cette priorité ne nous dispensera pas d'alléger les impôts directs en 2001. Nous présenterons donc à la fin de la législature une cohérence d'ensemble qui nous aura permis, non seulement de diminuer le poids des prélèvements mais d'en changer les structures dans un sens favorable à la justice sociale et à l'emploi.
Mais, la lutte contre les inégalités ne passe pas seulement par la politique fiscale. C'est aussi une action qui doit porter sur les causes mêmes des processus d'exclusion : l'école bien sûr, mais aussi le logement, les conditions d'habitat, les nuisances de toute nature et au premier rang desquelles l'insécurité, la violence et les pollutions.
Enfin, nous devons poursuivre l'approfondissement de notre démocratie. Donner une traduction concrète à la parité, assurer l'indépendance comme la responsabilité de la justice. L'une ne va pas sans l'autre.
Mais la démocratie, c'est aussi le droit à la culture, ce qui suppose de donner des moyens supplémentaires à l'audiovisuel public, sans quoi la réduction du temps de diffusion des publicités n'aurait servi qu'à accentuer la disparité des ressources entre les chaînes commerciales et celles dites de service public.

III - UN PARTI ACTEUR

Mais, au-delà de ce que nous avons déjà engagé et qu'il faut faire voter et faire passer dans la réalité, au-delà de ce que nous avions avancé dans la campagne électorale de 1997, venue comme chacun sait un an avant la date prévue, il nous faut ouvrir de nouvelles pistes et lancer de nouveaux chantiers. Une politique ne vaut que par sa capacité à répondre aux problèmes d'aujourd'hui - voire même de demain - et le rôle d'un parti comme le nôtre ne se réduit pas à la fonction de veille quant au respect scrupuleux de toutes les lignes de nos textes, mais d'éveil sur les questions d'avenir, voir de réveil quand la nécessité de traiter l'urgence peut sembler oubliée.
Ainsi, je me limiterai à trois thèmes qui ressortent des travaux de notre université d'été.

1°/- L'éducation tout au long de notre vie
Dans une société où les évolutions technologiques se succèdent rapidement, l'accès au savoir est une des conditions d'insertion sur le marché du travail. Il faut donner à tous les salariés qui n'ont pas eu la formation initiale suffisante une deuxième chance, un droit à la requalification, à l'adaptation, à la promotion.
Or, le constat établi par Nicole Pery est accablant : la formation professionnelle ne permet qu'à une infime minorité de salariés (70 000 par an) d'accéder à une qualification reconnue. L'injustice est d'autant plus grande que ceux qui en profitent sont d'abord les hommes qui ont la formation initiale la plus élevée et qui travaillent dans les grandes entreprises. C'est cela qu'il ne faut plus accepter et qu'il faut donc changer. La formation doit devenir un droit pour tous les salariés avec des garanties concrètes sur l'ensemble de la vie professionnelle.

2°/- La cohésion des territoires
Les premiers résultats du recensement révèlent ce que nous pressentions : une montée démographique des agglomérations, une désertification qui s'étend, un creusement des inégalités entre les territoires.
Les élections européennes ont confirmé ce malaise : exigence de qualité de vie dans les centres urbains, exacerbation des préoccupations des zones rurales, indifférence civique des banlieues.
Nous devons donc, après les lois Chevènement et Voynet et dans la perspective des élections municipales, définir un modèle territorial fondé sur la maîtrise, l'aménagement des espaces comme des quartiers et la réduction des inégalités. Nous n'avons pas à défendre de façon corporatiste telle ou telle zone, mais à dessiner un modèle de vie à l'échelle du territoire.
Le Parti socialiste va lancer sa prochaine Convention sur ce thème : ville et territoire. Celle-ci s'attachera également à préparer une nouvelle étape de la décentralisation, avec une réforme des moyens financiers accordés aux collectivités.
Il ne s'agit pas, comme le propose la droite qui découvre la décentralisation chaque fois qu'elle perd le pouvoir central, de dépouiller l'Etat en aggravant les disparités entre collectivités, mais de favoriser une véritable démocratie de proximité pour les citoyens.

3°/- L'épargne salariale
Dans ce mouvement de restructuration, de concentration, d'OPA, dont on a vu à la fois les excès et les limites tout au long de l'été, la nécessité s'est confirmée de donner aux salariés la capacité d'intervenir - De manière collective - dans les décisions qui les concernent au premier chef et dans la propriété même de leur entreprise.
C'est un enjeu décisif si l'on veut dépasser le débat nationalisation/privatisation. Cette formule qui viserait à amplifier et à étendre les accords de participation et d'intéressement, et donc à les mettre sous le contrôle des partenaires sociaux, est bien préférable à ces fameux fonds de pension " à la française " que réclame à hauts cris la droite française et qui épousent les mêmes critères de rendement et de rentabilité à court terme que leurs homologues d'outre-atlantique. La leçon des événements récents justifie la mise en chantier d'une telle réforme : l'intérêt social peut donc rejoindre l'intérêt national.

Pour mener dans la durée et avec succès une telle politique de réformes, deux conditions me paraissent devoir être réunies :
  1. Une majorité plurielle solide et unie
    Je voudrais ici rappeler l'attachement irréductible du Parti socialiste à la majorité plurielle.
    Car la gauche plurielle n'est pas - pour nous - un choix de circonstance, un moment de la vie politique limité à cette législature ; c'est un axe stratégique de long terme qui a été compris par les Français et qui s'est révélé victorieux. Toutes les composantes de la majorité sont, bien sûr, comptables de sa pérennité. Car comment pourrions-nous inspirer la confiance aux Français si la méfiance s'introduisait en notre sein ?
    Les socialistes constituent le pôle le plus vaste de cet ensemble ; certains nous le reprochent, toujours prêts à nous taxer d'hégémoniques, même quand - durant tout l'été - nous gardons le silence. Mais heureusement que nous sommes forts et que l'on s'emploie à le rester. Ce n'est pas un défaut. C'est même une ardente obligation car si nous ne l'étions pas, il n'y aurait pas de majorité du tout.

    Mais cette position centrale exige de nous des devoirs:
    • l'attention à nos partenaires, à tous nos partenaires, sans en privilégier aucun, même si on doit regarder qui pèse quoi dans les différents scrutins;
    • Le respect à l'égard de leurs propres positions, de leur thématique, de leur identité, de leurs demandes : celles qui concernent le social comme celles relatives à l'énergie.
    Nous pouvons d'autant plus le faire que, sur cette dernière question, le Parti socialiste n'a jamais été un partisan du " tout nucléaire ". Nous avons toujours considéré que, si au milieu des années 70, le choix de la filière nucléaire avait été rendu nécessaire pour réduire notre dépendance à l'égard du pétrole, nous n'avions pas vocation à rester indéfiniment et seulement lié à ce mode de production, et que s'il faut maîtriser notre sécurité d'approvisionnement, la diversification des sources d'énergie est un impératif. De plus, nous souhaitons autant que d'autres l'affirmation de la transparence et un large débat démocratique sur l'avenir de la filière nucléaire, qui ne suppose d'ailleurs aucune décision majeure durant cette législature.

    Telle doit donc être notre attitude : respect des identités, dialogue sur les propositions, recherche des compromis.

    Voilà pourquoi nous proposerons à tous nos alliés de la gauche plurielle des rencontres dans les prochaines semaines pour évaluer le travail fait en commun depuis deux ans en fonction de nos accords Je ne crains rien de cet exercice, par exemple avec les Verts. Sur le seul sujet de l'environnement, les actes ont été nombreux : arrêt de Super phénix, abandon du canal Rhin-Rhône, budget augmenté sur deux ans de 25 %, introduction de la fiscalité écologique, relance de la lutte contre l'effet de serre, développement des énergies renouvelables, précautions sur les OGM, loi sur l'aménagement durable du territoire, transparence sur le nucléaire. Autant d'acquis qui confirment la validité de notre stratégie commune.
    Je leur proposerai de préparer des listes d'union de la Gauche plurielle pour les prochaines élections municipales.
    C'est l'intérêt de chacune de nos formations politiques, à condition que le partage des responsabilités dans la composition comme dans la conduite des listes soit effectif ; c'est l'intérêt de la majorité plurielle dans son ensemble car l'opinion aurait sans doute du mal à comprendre que nous gouvernions ensemble le pays et que nous fassions des listes séparées pour tendre au gouvernement du plus grand nombre de villes en France. Mais chacun est bien sûr libre de ses choix. Nous devons respecter les positions prises et refuser tous les ultimatums.

  2. Un parti vivant
    Dans ce contexte, nous devons situer la responsabilité propre du Parti socialiste.

     Le Parti de la cohérence. C'est notre capacité à être ordonnés qui assure l'équilibre d'ensemble. Il s'agit de favoriser la stabilité pour faire le mouvement. De notre propre cohérence dépend le bon fonctionnement de la majorité plurielle. Et c'est pourquoi elle peut agir, réformer et transformer.

     Nous devons être aussi le Parti du débat. Nous avons besoin de toutes les contributions, de toutes les idées, de tous les articles, de toutes les suggestions qui peuvent être faites par les uns et par les autres, dès lors qu'ils le font dans l'esprit de la réussite collective. Nous devons, surtout nous socialistes, montrer que nous nous intéressons au contenu de la politique. Nous devons montrer que nous faisons la politique autant que de la politique.

    C'est pourquoi nous devons incarner le renouvellement, cette recherche permanente des idées nouvelles et cette interrogation sur l'avenir.

     Le Parti socialiste doit être le parti de la globalité. Même si nous représentons environ un quart de l'électorat, nous ne sommes pas pour autant un grand parti social-démocrate comme il en existe en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Malgré tout, nous devons être le parti de la synthèse, c'est-à-dire celui qui prend tous les thèmes, qui n'en concède à personne ,ce qui n'empêche pas, bien entendu, les autres de vouloir investir tous les sujets qui leur tiennent à cœur. Nous considérons que nous devons réfléchir aux questions économiques, sociales, aux questions de société…

     Nous sommes aussi le Parti de toute la société. Le message est simple : lorsque nous ne sommes pas capables de faire l'alliance entre les classes moyennes et les classes populaires, alors nous connaissons la défaite - qui parfois peut se révéler cinglante. Chaque fois que nous manquons à nos engagements et à nos valeurs, les premiers à partir sont d'ailleurs nos électeurs les plus modestes. De même, chaque fois que nous nous révélons incapables d'attirer les classes moyennes, alors nous connaissons l'échec économique et donc l'échec politique. Nous devons nous adresser à toute la société sans privilégier aucun des segments et sans oublier les exclus et les plus démunis.

    Enfin, chers camarades, nous aurons à accueillir le Congrès de l'Internationale Socialiste à Paris, sous la présidence de Pierre Mauroy, en novembre prochain. Ce rendez-vous nous fournira l'occasion de confronter notre conception du socialisme à d'autres visions, je pense bien sûr à la " troisième voie ".
    Nous devons le faire avec une démarche offensive et de conviction. Notre politique nous le permet mais, sans caricature, chacun a ses traditions, ses alliances et son identité. Ayons le souci de démontrer que le socialisme est plus qu'un accompagnement social du marché, que les valeurs d'égalité dans la liberté sont celles de la modernité, et que ses instruments supposent une confiance dans les mécanismes de l'action collective.

CONCLUSION

Nous avons gagné par notre travail commun ces derniers mois, mais ce qui est essentiel en politique, c'est la durée. Il nous revient de la mettre au service de nos objectifs essentiels de transformation sociale et de la réussite économique.
Après deux décennies de crise presque ininterrompue, nous sommes en train de réhabiliter la notion de progrès dans notre pays ; c'est-à-dire de faire entrer dans l'esprit de nos concitoyens, et notamment des plus jeunes, l'idée que demain peut être meilleur qu'aujourd'hui - ce qui a été tout de même le doute profond de ces dernières années et qui a introduit tant de désespérance et tant de chagrins civiques.
De nouveau s'installe la conviction que la société va progresser, s'enrichir , au sens culturel du terme, au sens social aussi - et que, par exemple les 35 heures peuvent être à la fois une formidable machine à créer des emplois mais aussi une autre façon de vivre.
Mais dans le même temps, il nous revient de maîtriser ce progrès qui revient, car il porte aussi les dangers de la technologie non contrôlée, de l'insécurité sous toutes ses formes et de la perte du sens démocratique.
Vous mesurez l'ampleur de notre tâche et celle de Lionel Jospin. Nous n'aurons pas trop des trois années qui viennent pour l'accomplir, au point sans doute de demander, le jour venu, à nos concitoyens de la poursuivre au-delà.
D'ici là, réussissons les réformes parce qu'il faut réformer pour réussir.