Cette fois, il n'y aura pas de second tour

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Libération daté du 23 mai 2005
Propos recueillis par Renaud Dely et Paul Quinio


 

A une semaine de l'échéance, notre sondage, comme tous les autres, donne le non gagnant. Qu'est-ce qui peut encore sauver le oui ?
Les sondages indiquent un résultat serré et révèlent la permanence d'une indécision. Le scrutin est totalement ouvert. Ce qui se joue le 29 mai, ce n'est pas le gouvernement Raffarin : il est déjà condamné. Ce n'est pas le sort de Chirac : il sera là jusqu'en 2007. La seule chose en cause, c'est l'avenir de l'Europe.

Quelles sont les conséquences du non ?
Si le non l'emporte, le pseudo « plan B » existe, c'est le maintien pur et simple des traités actuels. La renégociation est une mystification. Il faudra des années avant qu'il puisse y avoir un nouveau texte. Le statu quo sera une grande victoire pour les Anglo-Saxons. L'Europe des marchés sera consacrée, le couple franco-allemand désarticulé, il n'y aura pas de politique étrangère commune, la relation transatlantique en sortira renforcée. Les seuls qui en tireront arguments, ce seront les plus libéraux, comme les souverainistes de tout poil. Et l'ultragauche qui pourra continuer de stigmatiser la mondialisation, sans jamais prendre sa part à un changement possible.

Comment convaincre l'électorat du PS, très divisé, qui fera la différence ?
Je veux m'adresser à eux. Jusqu'ici, vous avez toujours fait les choix qui ont permis à l'Europe d'avancer. Ne pas être là le 29 mai, c'est prendre le risque, non pas de créer une crise à droite ­ Sarkozy a déjà raflé la mise ­, mais une crise en Europe. Partageons la décision de toute la gauche européenne et syndicale qui vote oui dès lors que nos valeurs, comme la défense des services publics, la place des syndicats, l'égalité hommes-femmes sont intégrés dans le traité. Enfin, vous êtes plus que d'autres conscients, après ce qui s'est passé le 21 avril 2002, qu'il ne faut pas se tromper de scrutin. Le 29 mai, il n'y aura pas de second tour. Soit il y a un traité, soit il n'y en a plus.

Peut-on voter non et être pro-européen, comme le répète Fabius ?
Je ne fais pas de procès d'intention aux électeurs. En revanche, il est difficile de prétendre être socialiste et européen, et ne pas être avec tous les socialistes européens. C'est une contradiction insoluble. Tous les partis socialistes européens, la quasi-totalité des syndicats, les Verts européens approuvent le traité. Et il serait possible pour un socialiste français de s'y opposer au nom de la partie III, c'est-à-dire des traités existants ? Et qui les a écrits, qui les a négociés, qui les a votés si ce n'est ceux-là même qui, aujourd'hui, les considèrent comme un carcan !

Dans le non de gauche, il y a aussi la crainte des délocalisations, voire de l'élargissement ?
Je comprends les peurs, mais la réponse n'est pas d'opposer les salariés européens entre eux ou de faire du Polonais ou du Tchèque un bouc émissaire. Comment un socialiste peut-il les considérer comme trop pauvres, trop mal payés, trop impatients pour avoir leur place en Europe ? C'est pour éviter la concurrence faussée et le « dumping » qu'il faut donner à l'Europe des 25 des règles de fonctionnement et à tous les salariés européens les mêmes droits sociaux...

Selon notre enquête, les tenants du non rejettent le carcan libéral...
Mais, alors, il faut déchirer tous les traités existants et en finir avec le marché commun, la monnaie unique et le libre-échange ! Qui peut prétendre que l'on pourra trouver un accord à 25 sur cette base ? Et si on ne le peut pas, il faut aller jusqu'au bout et sortir de l'UE. Je pense au contraire que l'Union est une réponse à la mondialisation, pas un cheval de Troie. Le traité nous offre de nouveaux leviers. A la gauche européenne de savoir les utiliser.

Laurent Fabius a imposé dans le paysage que la gauche, c'est le non. Que lui répliquez-vous ?
Quand le PS, les Verts, les radicaux se mobilisent pour le oui, c'est bien la gauche, celle qui veut venir au gouvernement du pays, en cohérence avec son histoire, ses engagements et ses alliances. Certes, il y a un non de gauche. Il était déjà là au moment de Maastricht avec les communistes, l'extrême gauche et Chevènement. S'y ajoutent aujourd'hui des électeurs qui n'en peuvent plus de la politique gouvernementale et qui pensent sincèrement frapper le pouvoir, sans imaginer que l'Europe en sera la seule victime. Le non ne peut l'emporter qu'avec le non souverainiste et l'extrême droite qui représente la moitié du potentiel du non. Là est tout le dilemme du non de gauche : sa victoire n'est possible qu'avec l'appui des adversaires de l'Europe.

Fabius prétend être sur une position qui rassemblera la gauche en 2007.
Pour gagner en 2007, il faut d'abord rassembler les socialistes. Et pour y parvenir, mieux vaut avoir été capable de respecter leur vote. Ensuite, il faut un PS fort. C'est le bien commun de la gauche, nous l'avons démontré aux régionales. Quand il est amoindri, divisé, attaqué, le 21 avril n'est pas loin. Enfin, il ne peut y avoir de rassemblement de la gauche qu'autour du PS, et pas contre lui. On ne rassemble pas la gauche à côté du PS, encore moins quand on en est un responsable.

Vous avez des regrets de ne pas avoir été plus ferme ?
J'ai veillé à préserver notre unité et à éviter l'irrémédiable. Ceux qui ont manqué au respect du vote ont manqué à leur parti. Ils devront en répondre devant les militants après le 29 mai. Il y aura nécessité d'une clarification politique et d'un rappel de nos règles de vie communes.

Lionel Jospin doit à nouveau intervenir demain à la télévision. C'est lui le chef du oui ?
Nous avons besoin de tous les socialistes. Ils se sont d'ailleurs pleinement mobilisés, les responsables comme les militants qui ont préféré faire prévaloir l'enjeu européen sur toute autre considération, en étant tenaces face la démagogie, à la mystification, à la caricature. Lionel Jospin s'inscrit dans ce mouvement sans rien rechercher pour lui-même. Nous devons être sans reproche dans cette bataille, car nous servons à la fois notre idéal européen, la place de la France et nos valeurs. Quand on se bat en cohérence, en respect et en fidélité avec soi-même, on ne peut rien redouter du combat que l'on mène.

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