Rassemblement des secrétaires de section
La France va mal

François Hollande
Discours de François Hollande, Premier secrétaire du Parti socialiste, prononcé à la tribune le 30 janvier 2005
 
Chers Camarades,

Je veux vous remercier, secrétaires de section, animateurs du parti socialiste tel qu'on le veut (un parti de militant, un parti fraternel, un parti respectueux des autres). Vous êtes l'image du parti partout en France ; c'est vous qui donnez aux premiers adhérents leur carte et j'espère qu'ils seront nombreux à nous rejoindre ; c'est vous qui structurez les débats ; c'est vous qui mobilisez nos concitoyens pour les grands rendez-vous électoraux. Je veux vous remercier pour le travail accompli, pour ces victoires électorales. Un an à peine s'est déjà écoulé ; cela peut paraître très loin, et pourtant il faut toujours en garder les leçons.

Je pense que notre stratégie était la bonne ; je pense que nous avions raison de faire entendre la voix des socialistes pendant ces élections régionales, cantonales, européennes et, d'une autre façon, élections sénatoriales, avec à la fois le refus de la droite mais aussi, déjà, pour nos territoires l'amorce d'un projet et donc d'un espoir. C'est cette stratégie-là qui a été validée par nos concitoyens à travers des succès historiques.

Je veux aussi saluer votre rôle dans le débat interne sur le Traité constitutionnel. Un débat exceptionnel dans l'histoire même de notre parti. Exceptionnel par les formes qu'il a revêtues, par la qualité même de nos échanges, par le souci d'aller jusqu'au bout des arguments et ensuite de faire souverainement, librement, notre choix. Et de quelle manière ! Avec quelle participation ! - plus de 83 % - et un résultat clair qui ne souffre donc plus aujourd'hui discussion.

Des choix ont été faits, choix de congrès, choix dans la consultation interne, choix militants… Ces choix-là sont les vôtres.

Tous n'ont pas voté nécessairement de la même manière, mais tous aujourd'hui sont porteurs de la même réponse.

Mais, déjà, d'autres échéances nous attendent.
Je ne parle pas des grands rendez-vous de 2007 ; leur sort, en définitive, dépendra de l'ampleur du travail accompli, du travail que nous aurons su engager d'ici-là. Nos victoires, si elles viennent, dépendront du lien de confiance que nous aurons su patiemment tisser avec les Français.
Nos succès futurs dépendront de la qualité de nos propositions, de la relation que nous aurons su aussi établir, et de la manière la plus durable qui soit, avec nos partenaires politiques mais aussi avec les forces vives de la société et, au-delà, avec les Français.

Puisque nous sommes en ce début d'année 2005 et que la voie est encore longue d'ici 2007, ayons la capacité collective, individuelle aussi, de maîtriser le temps ; ayons l'intelligence de fixer les étapes nécessaires une à une ; ne bousculons pas, comme d'autres, les agendas ou les règles ; prenons soin d'être compris à tout moment des Français ; ne participons pas à ce jeu de rôle, à ce spectacle où les petites phrases nourrissent les petites divisions ; ne ressemblons pas aux autres –telle devrait être d'ailleurs notre référence. Chaque fois qu'ils commettent la politique de la querelle, la politique de l'affrontement, la différenciation entre eux, soyons,nous, unis, rassemblés, forts.

Nous avons nos débats - ils sont légitimes ; nous avons nos diversités - elles sont respectables ; mais ce qui fait la force, ce qui a toujours fait la force, des socialistes, c'est leur unité, leur rassemblement. Et, sur ce point-là, comme Premier secrétaire, j'ai pour mission première d'y veiller et de faire en sorte que, jusqu'au bout, nous soyons ensemble.

Soyons conscients de nos responsabilités : elles sont grandes en ce début d'année. Agissons d'abord en rapport avec ce que nos concitoyens vivent - et ils vivent durement la politique de la droite ; montrons ensuite l'utilité de la politique en France, en Europe, dans le monde, et il y a tant à faire ; ouvrons nous, comme parti, comme force politique, largement vers l'extérieur ; relevons les enjeux essentiels qui sont devant nous, et ils sont nombreux.

Il faut dénoncer sans relâche l'état dans lequel la droite met notre pays. Il faut ensuite montrer que le seul changement possible est à gauche autour d'un projet. Il faut, enfin, convaincre les Français de donner un nouveau souffle à la construction européenne, et ce sera l'enjeu du référendum dans le pays. Il faut élargir notre parti, notre assise militante.

Il s'agit à la fois de nous opposer - sûrement -, de proposer - sans doute -, et d'oser le changement pour nous-mêmes, pour les Français. Pour cela, il faut prendre le risque tout simple d'être pleinement nous-mêmes, pleinement socialistes et sans forcer le trait. Nul n'est besoin de le faire aujourd'hui.

Partons d'abord de l'état de notre pays

La France va mal.

Jean-Pierre Raffarin vient de rappeler pompeusement que le gouvernement et la droite sont en place depuis 1 000 jours. Ils les a donc comptés car, pour lui, la performance est de durer. 1 000 jours ! rendez-vous compte ! J'ai compté l'inverse   combien de jours reste-t-il pour nous en libérer ? Il nous en reste 800 !

Ce sont tous les jours qui nous séparent de 2007 ; ce sont les jours qui leur reste au pouvoir.

Le temps inexorablement joue pour nous. 800 jours, c'est déjà trop long pour tous ceux qui souffrent, pour tous ceux qui décrochent, pour tous ceux qui renoncent même parce que la France va mal.

Elle va mal au plan économique

La reprise espérée ne s'est pas confirmée et la croissance - à un moment entrevue - tirée par l'environnement international s'est elle-même essouflée, anémiée par la politique économique du gouvernement.

Il a fallu pas moins de trois ministres de l'économie et des finances pour la seule année 2004 pour faire échouer la reprise et essoufler la croissance. Ce fut d'ailleurs sous Nicolas Sarkozy que l'activité fut la plus ralentie. Ce qui prouve que l'activisme ne fait rien à l'affaire et qu'on peut s'agiter et ne pas stimuler les autres.

Mais le résultat est là :
     Un Chômage en hausse, 200 000 chômeurs de plus depuis 2002 ;

     L'absence de toute création nette d'emploi depuis deux ans, alors même que sous la seule année 2000 nous en avions créé plus de 500 000 ;

     Une France qui travaille moins aujourd'hui qu'elle ne le faisait en 2001 lorsque nous étions nous-mêmes aux responsabilités. Le nombre d'heures travaillées à atteint en France son nombre maximum ; et depuis ce nombre-là ne cesse de décliner et on voudrait - à droite - nous faire la leçon sur la valorisation du travail, sur la réhabilitation de l'effort, sur la capacité, le mérite, qu'auraient les salariés à travailler d'avantage. Mais c'est la droite qui fait moins travailler la France, parce qu'elle met d'avantage de salariés au chômage ; là est le résultat paradoxal de sa politique.  ;

     Un pouvoir d'achat en berne : il est inférieur de moitié à ce qu'il était sous le gouvernement de Lionel Jospin. Et encore ! Ce pouvoir d'achat, aussi maigre soit-il, est-il encore sans doute sous-estimé avec la hausse des loyers de plus en plus impressionnante, avec les impôts, les prélèvements - notamment au plan de la sécurité sociale et bientôt au plan local - faute d'autres solutions pour les élus pour maintenir les services publics, et les tarifs publics eux-mêmes qui ne cessent de progresser, sans compter le comportement de la grande distribution qui a utilisé la publicité mensongère du Ministre des finances de l'époque pour faire une opération qui a consisté à prélever d'avantage et sur les fournisseurs et sur les consommateurs. Le cercle infernal est ainsi créé, le faible pouvoir d'achat d'aujourd'hui induit une consommation molle pour demain, laquelle fera une pauvre croissance et générera donc un chômage élevé.
Mais, loin de se déjuger, le gouvernement fait de son impopularité une impunité. Etrange comportement ! Puisque rien ne l'atteint, ni les désastres électoraux, ni les mouvements de rue, ni la vindicte sociale, ni même les sarcasmes, le gouvernement considère qu'il peut accélérer le rythme, forcer l'allure et aller plus loin encore dans les régressions et les remises en cause d'acquis sociaux.

En cette année 2005, il n'y a pas d'élections décisives, alors le gouvernement a voulu engager un mouvement de privatisation, de précarisation et même de punition d'un bon nombre de Français :
     La privatisation est partout.
    Chaque fois qu'il y a un profit qui pourrait revenir à l'Etat, il est redonné au marché : EDF, Gaz de France, et bientôt AREVA, c'est-à-dire la filière même de l'énergie bradée pour permettre à l'Etat de finir ses fins de mois.

     La précarisation, ensuite, à travers la remise en cause –étape par étape- du droit du travail. Et les 35 heures ne sont qu'une façon d'y parvenir car, il ne s'agit rien de moins que de remettre en cause les règles de la négociation collective et des droits des salariés.
     La punition, enfin : punition des fonctionnaires - supposés mal voter - punition des collectivités locales - supposées mal agir -, punition des salariés - supposés mal comprendre les réformes qu'on leur propose et à qui on consent de travailler plus pour ne pas gagner d'avantage.

La France va mal au plan social

Beaucoup se taisent : les plus démunis, les plus faibles, les plus fragiles, les plus âgés ou les plus jeunes.
D'autres portent en revanche des revendications. Elles ne sont pas faciles à exprimer. Ils ne trouvent plus dans le dialogue social matière à formaliser leur colère ou leurs droits. Alors, ils vont chercher dans la rue ce qu'ils ne trouvent plus dans les palais officiels. Pêle-mêle, chercheurs, médecins généralistes, cheminots, postiers, infirmières, salariés du privé se mobilisent alors même qu'ils ont le souvenir des grèves de 2003, mais ils se mettent en lutte non pas pour eux-mêmes, mais pour le service public, pour l'intérêt général, pour les droits de tous.

Nous devons être, nous les socialistes, non pas derrière ces mouvements comme pour les inspirer –ce n'est pas notre rôle, ce n'est pas notre place, les organisations syndicales sont là et c'est leur légitimité pour agir, mais nous devons soutenir ces actions. Et, le 5 février, puisqu'il y aura une grande manifestation, des grandes
mobilisations partout en France, nous devons prendre là aussi nos responsabilités en allant dans les cortèges –et les élus avec leur écharpe-pour soutenir ces revendications, ces aspirations et ces attentes légitimes.

Le 5 février est un mouvement pour défendre les 35 heures et l'emploi. Et si nous devons le soutenir, ce n'est pas parce que ce serait une grande réforme de la gauche –- ela ne suffit pas. Ce n'est pas seulement parce que ce serait une mesure emblématique du gouvernement Jospin –ce fut en effet un acte important de la majorité précédente.

Ce n'est pas seulement parce que les 35 heures sont un acquis social auquel les salariés sont attachés. SI nous devons être mobilisés et prendre nos responsabilité, c'est parce que ce qui est en cause, c'est le démantèlement du droit du travail sans la moindre liberté pour les salariés. Ce qui est en cause, c'est le bouleversement de la négociation collective, sans la moindre initiative individuelle pour le salarié, et ce qui est en cause, enfin, c'est à travers l'abandon des 35 heures l'aggravation du chômage, sans amélioration du pouvoir d'achat.

Ernest-Antoine Sellière, qui a le mérite de dire tout haut ce que le gouvernement pense tout bas, et d'annoncer tout fort ce que le gouvernement fait bassement tout bas, disait donc qu'avec la fin des 35 heures la France sera, enfin, dans un autre monde.

Avant d'être dans un autre monde, la France sera d'abord dans un autre siècle : le siècle précédent. C'est pourquoi nous devons reprendre cette grande idée des 35 heures, du temps libéré, parce que c'est la revendication du XXIè Siècle, parce que c'est la revendication de la libération de l'homme et de la femme par rapport aux contraintes du travail, parce que c'est aussi la revendication pour vivre mieux tout simplement.

La France va mal au plan institutionnel 

Elle craque. Je ne parle pas simplement d'un Parlement réduit, aujourd'hui, aux utilités, d'une décentralisation en peau de chagrin, d'un pluralisme menacé par la grande concentration de la presse. Ces tendances sont déjà inquiétantes, mais il y a plus que cela. Jamais, sans doute, dans notre histoire institutionnelle récente, nous n'avions connu situation aussi inédite qu'invraisemblable. Au sein de l'Etat aujourd'hui, ceux qui en ont la charge ne jouent plus leur rôle, ne tiennent plus leur place,n'assument plus leurs responsabilités.

Nous avons un président qui ne préside plus. Jacques Chirac préfère évoquer pour ses vœux un projet à dix ans pour ne pas avoir à rendre compte, d'abord, de ses dix ans de mandats écoulés.
Le président ne préside plus, il promet. Sa nature a fini par altérer la fonction. Tout peut être dit puisque rien ne sera tenu. Et quel crédit accorder à la parole du Chef de l'Etat dans ce contexte ? Nous avons un Premier ministre qui ne dirige plus. JP Raffarin est devenu le « chargé de communication » du chef de gouvernement qu'il n'est plus. Il invente, c'est son métier, des formules, des slogans - le dernier en date s'inspire apparemment d'une chanteuse connue : la positive attitude. Rendez-vous compte de l'effet du choc que cela a constitué pour beaucoup de nos compatriotes, de se mettre dans cette attitude-là ; sans doute ont-ils pensé que Jean-Pierre Raffarin c'était surtout la « négative béatitude ».

Un Président qui ne préside plus, un Premier ministre qui ne dirige plus, des ministres qui ne gouvernent plus, les plus connus préfèrent même annoncer, dans l'indifférence générale semble-t-il, après force compliment adressé au premier d'entre eux, leur candidature à Matignon.

Mais, le plus étrange encore est à venir : la majorité ne soutient même plus le gouvernement. Je ne parle pas de l'UDF ou de son président qui ne sait pas s'il est dans l'opposition ou la majorité. Nous allons donc l'y aider. Amnésie sans doute de sa part, perte des repères, jeu tactique habile ou réflexe vital - on peut le comprendre, il faut lui rappeler qu'il a voté le budget de Jean-Pierre Raffarin et de Nicolas Sarkozy à l'automne dernier. Il faut lui rappeler encore - il pourrait l'avoir oublié - qu'aux élections régionales, il était au second tour l'allié de l'UMP dans toutes les régions et qu'il sera - je dois lui annoncer - le soutien de l'UMP à tous les deuxièmes tour qui vont venir, et notamment au deuxième tour de l'élection présidentielle.

C'est son destin, sa malédiction et il faut avoir la foi pour tenir ce rôle. Je comprends qu'il y résiste autant qu'il peut, mais en France, être au centre c'est être à droite et c'est un fait que même Monsieur Bayrou ne peut contester.

Mais, le plus étrange est à l'UMP où son nouveau Président, principal ministre depuis 2002, est entré en campagne. Entré en campagne contre Jacques Chirac, contre le Premier ministre, contre ses successeurs…
En fait, entré en campagne pour lui-même. Il s'aime, Nicolas Sarkozy. Il en a le droit. Il s'aime, se célèbre, se congratule, se souhaite même un anniversaire en public. Nicolas Sarkozy, c'est Narcisse au pays de l'UMP. Il nous fait des confidences. La dernière en date, il l'a dite à un assistant chef qu'il rencontrait dans le Nord Pas-de-Clais : lui, il veut devenir chef. Petit, grand, qu'importe… Etre chef. Je me demande d'ailleurs si la fonction la plus appropriée pour lui et pour son destin, ce ne serait pas l'état de chef plutôt que d'être chef de l'Etat… C'est d'ailleurs préférable.

Sur le fond, il n'hésite devant rien. Il a exprimé sa commisération - et je le comprends - à l'égard de ceux qui se lèvent tôt et gagnent peu. Mais, quand il propose - toujours dans la même région -, c'est non pas une augmentation du salaire, mais un allègement de l'impôt sur la fortune de ceux qui gagnent de l'argent en dormant. L'ISF pour les uns et les heures supplémentaires pour les autres. Voilà son projet.

La France attend

Dans ce contexte aussi insupportable à vivre pour tous ceux qui en souffrent - et ils sont une grande majorité dans notre pays - aussi invraisemblable que cela puisse paraître pour ceux qui ont le sens de la République, des Institutions et de la démocratie, la France attend.

Elle n'attend pas, que l'on soit clair, des discours complaisants ou fracassants ; elle n'attend pas des actes de foi, sans rapport avec les actes de gouvernement passés ou à venir ; elle n'attend pas des refus courroucés, pas d'avantage un long râle tranquille, une protestation sans lendemain.
Elle n'attend pas - encore moins aujourd'hui - des candidatures, le moment n'est pas venu - d'ailleurs, le moyen nous l'avons, c'est le plus simple, c'est celui que nous avons utilisé depuis toujours et que d'autres, aujourd'hui, regardent avec intérêt et tant mieux, c'est celui du vote des militants du Parti socialiste pour désigner le candidat, ou la candidate. Laissons donc cela aux militants du Parti socialiste, le jour venu. Je suis sûr qu'ils feront le meilleur choix, ils l'ont toujours fait depuis 1971.

Pour ce qui nous concerne, 2006 est une année importe puisqu'il y aura toutes ces désignations et l'adoption d'abord de notre projet. Et, ce projet se construit en 2005. Les Français attendent un changement réel, possible, durable. Ils exigent de notre part, la vérité sur ce qu'il sera possible ou non de changer pendant les cinq ans qui viendront en fonction d'un projet de société. Ils nous demandent de la volonté pour dire ce que nous désirons vraiment changer et sur ce que sera notre engagement essentiel. Ils nous demandent de ne pas abandonner en chemin nos promesses et de faire avec eux un contrat qui nous lie et qui leur permette de retrouver espoir. Ils nous demandent de la fiabilité dans nos engagements, c'est ce que j'appelle la gauche durable : changer dans la durée et durer pour changer.

La première phase de notre projet sera celle du diagnostic. Martine Aubry, Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn en ont la charge. C'est à eux et nous que reviennent maintenant les responsabilités de définir l'état de la France et les grandes lignes de nos priorités.

L'état de la France : c'est d'abord une France inquiète d'une mondialisation non maîtrisée, inquiète des désordres planétaires - et ils sont nombreux au plan écologique -, inquiète de la domination outrancière américaine, inquiète de la guerre et peu convaincue - hélàs-de la capacité des Nations-Unies pour en sortir malgré tous ses efforts. Je veux aujourd'hui évoquer les élections irakiennes : bien sûr que nous espérons dans la démocratie, bien sûr que nous souhaitons qu'il y ait des autorités civiles légitimes en Irak. Mais, dans quel contexte, dans quelle circonstance et avec quel journaliste pour observer le déroulement du scrutin. Je veux avoir là une pensée pour tous les journalistes et en particulier pour Florence Aubenas, aujourd'hui détenue, et qui expriment l'exigence de la liberté partout pour savoir, pour connaître et pour donner du sens à un monde que nous voulons maîtriser.

La France est inquiète aussi sur la capacité du politique à maîtriser le destin collectif, global, le nôtre en France, celui de l'Europe, celui du monde. Il y a même doute sur les valeurs collectives ; l y a même l'idée que le progrès ne serait plus assuré, que la promotion sociale ne serait plus forcément la voie de génération en génération, que la solidarité elle-même ne serait plus garantie. L'individualisme, le communautarisme, avec le libéralisme trouvent là des terrains favorables. Parce que, chaque fois qu'il y a renoncement, chaque fois qu'il y a abandon des valeurs collectives, nous savons bien ce que peut faire le libéralisme. Puisque plus rien ne vaudrait sur le plan collectif, alors la solution ne peut être qu'individuelle.

Puisque l'Etat serait trop pauvre, nous dit-on, alors c'est le marché qui nous rendrait plus riches. Voilà le défi qui nous est lancé.

Nous sommes aussi dans une France injuste

L'injustice est partout. 10 % des plus aisés ont bénéficié, depuis deux ans et demi, de 70 % des baisses d'impôts, aggravant déjà une fiscalité qui n'est pas toujours –on le sait bien- redistributive.

L'inégalité est aussi dans la répartition des revenus entre revenus du capital et revenu du travail, mais aussi au sein des revenus du travail, au sein du salariat où les uns ou les salaires et les autres plus que les salaires avec des primes, des intéressements et des stock-options.

L'injustice est aussi dans l'accès à l'avenir, à la connaissance, aux technologies, aux diplômes. L'inégalité, aujourd'hui, est entre les individus, entre les générations, entre les territoires et que dire des inégalités entre notre continent et tous les autres.

C'est à travers ce sentiment d'injustice que le socialisme retrouve sa légitimité et sa force. C'est pourquoi, j'ai confiance en l'avenir parce que nous sommes devant une France disponible, pleine d'initiative, militante, solidaire –on l'a vu encore récemment-, parce qu'elle aspire à la représentation, parce que tous ceux qui sont les plus pauvres, les plus loin, veulent maintenant –et c'est légitime- être représentés partout dans tous les lieux de pouvoir ; parce que nous sommes dans une France disponible aussi sur le plan économique, une France qui réussit malgré la politique du gouvernement, qui est la plus productive, avec des entreprises performantes qui font de grands succès à l'exportation, une France avec des services publics qui font l'admiration, sauf de Jean-Pierre Raffarin et du ministre de la Fonction publique, une France avec une démographie active. Et, que dire aussi de la qualité de la participation citoyenne chaque fois qu'elle est sollicitée, on le voit bien dans les régions aujourd'hui.

Bâtir notre projet

C'est donc à travers ces capacités humaines, industrielles, productives, scientifiques, culturelles, qu'il faut bâtir aujourd'hui notre projet. Nous ne devons pas être, parce que tout va mal, le produit d'un rejet. Nous devons être les promoteurs d'un projet. C'est là notre destin pour les années qui viennent.

Aller à l'essentiel sur les grandes priorités qui rassemblent les Français, qui réunissent les catégories populaires et les classes moyennes, qui renforcent le vivre ensemble, qui donnent un sens à l'idée de Nation.

J'ai évoqué la notion de gauche durable. Il s'agit de quoi ?
Il s'agit d'agir dans la durée, de prendre des décisions qui engagent le futur, qui structurent une société et qui sont capables de donner du sens et de la cohérence entre les aspirations des catégories populaires et les demandes des classes moyennes. Ces choix là relèvent de notre propre liberté, ils ne sont pas soumis à la contrainte extérieure. Il s'agit tout simplement de la promotion des biens collectifs par rapport au marché :
     Notre première priorité, j'allais dire presque la seule s'il fallait n'en retenir qu'une, c'est l'Education, d'abord, encore et toujours, l'éducation toute la vie, l'éducation pour tous, parce que c'est la seule manière de décider pour nous-mêmes, d'assurer l'avenir professionnel, personnel, des générations qui viennent, de garantir la promotion sociale, d'assurer une citoyenneté exigeante, de lutter contre les discriminations et de préserver la laïcité, c'est à-dire le vivre ensemble. Voilà pourquoi, aujourd'hui, nous devons récuser le projet de loi Fillon, non pour les vagues principes qu'il invoque, mais pour ce qu'il cache, lui aussi, de vraies régressions.

     L'emploi, à travers la Sécurité Sociale Professionnelle et la stabilité des relations du travail et la démocratie sociale

     Le logement, à travers la reconnaissance d'un service public du logement, national au logement et le droit au logement qui doit forcément être reconnu par ce service public.

     L'environnement, les territoires, car on ne peut pas simplement évoquer –à travers des discours convenus- le respect de la bio-diversité, le développement durable, la pollution qui doit être combattue avec, c'est le cas de le dire, la dernière énergie. Des discours, toujours des discours…
Assez de cette façon de faire de la politique où l'on vole les mots les uns après les autres : développement durable, taxe tobin aujourd'hui, pour ne rien faire ensuite lorsque l'on est aux responsabilités.

Grave est la situation d'un président de la République qui, à chaque fois, essaye de faire de l'indifférenciation politique son creuset et qui atteint, en définitive, les valeurs mêmes de la démocratie.
     La santé, le droit à la santé, de l'affirmation d'un système de soin - réformé sûrement au niveau de l'offre de soins beaucoup plus qu'au niveau de la demande - et qui permette de coordonner l'ensemble des acteurs et d'en finir avec une médecine à deux vitesses.
Education, emploi, logement environnement, santé… Nous avons là l'essentiel de nos priorités.

Il n'y a - si nous voulons y parvenir - qu'un seul moyen : la démocratie. La démocratie est à la fois un moyen et une fin. C'est parce que nous voulons plus de démocratie que nous sommes socialistes. Et, c'est parce que nous sommes socialistes que nous utilisons la démocratie pour assurer le bon déroulement, le bon achèvement de nos réformes.

Démocratie de nos institutions, à travers la clarification des responsabilités dans l'exécutif, à travers le rôle redonné au Parlement, à travers une réforme des modes de scrutin, à travers une clarification de la décentralisation, à travers une limitation effective du cumul des mandats, à travers l'application de la parité, l'indépendance de la Justice… Il nous reste tant à faire sur les institutions.

Et il faudra aller plus loin encore que nous ne l'avions affirmé jusque-là ; aller plus loin sur la démocratie sociale, à travers la représentation des syndicats, les accords majoritaires, le droit à la négociation collective, la participation des citoyens partout, chaque fois que nous sommes en responsabilité. Et nous devons être là exemplaires.

Si nous voulons faire de la démocratie, montrons que nous en sommes capables.

Montrons que nous en sommes capables dans nos débats militants - nous l'avons montré - mais aussi dans la préparation de notre projet - c'est tout l'enjeu des adhérents du projet - d'où l'appel que je veux lancer aux Français, à la gauche, car c'est ici, avec nous, avec vous que doit s'élaborer le projet et pas uniquement entre nous.

Il faudra aussi associer les Européens. Nous sommes dans un grand parti, le Parti Socialiste Européen. Ils ne sont pas comme nous. Plus à gauche, moins à gauche (nous nous considérons plus à gauche, mais nous sommes plus souvent dans l'opposition). Faisons en sorte de porter ensemble un projet qui tire le meilleur parti de ce que réussissent les socialistes en Europe.

Et, puisque je parle de l’Europe, je veux conclure sur le référendum qui va avoir lieu dans le pays. Nous sommes à une échéance importante pour la France et pour l’Europe. La France a besoin de l’Europe et l’inverse est vrai. Notre réponse au référendum qui se déroulera sans doute au mois de mai ou au mois de juin n’est pas singulière, spécifique à notre pays. Nous ne sommes pas isolés, coupés de l’Europe. Ce que nous allons décidé, en France, déterminera l’avenir de l’Europe. L’Europe a besoin d’une Constitution. Les socialistes en ont été à l’initiative. Nous avons été les premiers à la demander, à la rédaction même, même si tout ce que nous avions proposé n’a pas été retenu, et à la conclusion, je l’espère. Tous les partis socialistes d’Europe approuvent et demandent d’approuver ce texte. Le référendum, enfin, était nécessaire dans le parti, et il a eu lieu. Il a été demandé par nous au président de la République, il y a consenti - non sans mal.

Cette consultation, son sort, son résultat, dépendent maintenant de nous et de nous seuls. Notre oui doit être fort, franc et socialiste. Fort, car c’est notre oui qui convaincra les Français que ce Traité, rien que ce Traité est le seul enjeu de la consultation, que l’Europe est entre nos mains si nous en décidons. Il doit être fort car la confiance est sur nous, et pas sur celui qui pose la question. Notre oui doit être franc car il ne doit pas y avoir de confusion de sujet et de moment : pas de confusion de sujet, car ce n’est pas la Turquie qui est en cause dans le Traité constitutionnel. On peut être pour ou contre l’adhésion de la Turquie, mais cette question sera tranchée le moment venu. Aujourd’hui, seul compte le Traité constitutionnel. Et puis, il ne faut pas se tromper de moment : l’échec du référendum, si échec il devait y avoir, ne serait pas l’échec du gouvernement ou de Jacques Chirac. Ce serait l’échec de l’Europe. Ce serait l’échec de la France et Chirac serait, je vous l’assure, toujours là… jusqu’en 2007.

Le grand rendez-vous de l’alternance, le grand rendez-vous du changement, le grand rendez-vous de la sanction mais aussi du projet, c’est 2007 et sûrement pas 2005.

Le oui doit être socialiste car nous allons le porter avec nos valeurs, avec nos principes, nos espérances. Nous n’allons pas le porter seuls. Nous le portons avec une grande partie de la gauche française, si j’en juge les choix que feront les Verts ou les Radicaux. Le Parti communiste sera comme toujours dans sa posture historique par rapport à l’Europe.

Nous serons aussi avec la gauche européenne. Tous les socialistes européens feront campagne avec nous et nous avec eux. C’est à nous de faire gagner le oui.

Pour la droite, je ne suis pas sûr que cette préoccupation soit première. D’ailleurs, pour la droite, le Traité constitutionnel n’est pas essentiel. Elle peut vivre parfaitement au plan européen comme au plan national avec le Traité de Nice, avec l’Europe du marché. Cela lui convient bien. Pourquoi faudrait-il introduire un droit pour les services publics, une clause sociale et même une Charte des droits fondamentaux. Et quand j’entends –sur cette charte- que nous avons déjà les droits qu’elle octroie, combien d’Européens ont les droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux. Et, être européens n’est pas seulement rechercher son intérêt de Français, son intérêt national. Etre européen, c’est partager ensemble un projet collectif, c’est-à-dire un ensemble de valeurs, de droits, de principes.

Le président de l’UMP et de l’UDF, de ce point de vue parfaitement en phase, font une opération politique à travers ce référendum. Dans l’échelle de la priorité tactique, la querelle est première et l’Europe est seconde.

Alors, à nous, selon la forme que nous avons décidée, de mener cette campagne. Nous avons eu ce débat entre nous. Nous avons fait notre choix librement. Nous avons décidé de faire voter oui ; il n’y aura donc qu’une seule campagne du Parti socialiste : celle du oui.

J’appelle tous les camarades, quels que furent leurs votes au moment du choix, de respecter la décision de la majorité des socialistes. Cette décision est la décision de tous.

Respect de la majorité, respect aussi des convictions personnelles et des minorités. Nous l’avons dit dans le débat, nous devons aussi en assurer la bonne exécution dans le temps du référendum. Cela veut dire qu’il n’y aura qu’une seule campagne, menée par les tenants du oui et la discrétion des autres camarades. Mais, il n’y aura qu’un seul comité de campagne au niveau national sur le oui et qu’un comité de campagne au niveau fédéral pour le oui partout en France.

Il faudra mener campagne rapidement, parce qu’il n’y a pas tant de temps avant un référendum dont on ne connaît pas la date pour informer, pour expliquer et pour convaincre.

Voilà pourquoi, en 2005, nous avons beaucoup à faire. Nous opposer, bien sûr, proposer déjà et faire le choix de l’Europe. Oser être nous-mêmes, en cohérence avec notre histoire, nos engagements et en cohérence avec les socialistes européens.

Conclusion

Cette année 2005 sera le centenaire du Parti socialiste. 100 ans déjà. Nous n’avions pas le sentiment d’être aussi âgés et nous nous sentions encore jeunes, prêts à toutes les aventures, mais nous avons collectivement déjà 100 ans.

100 ans à hésiter entre l’unité indispensable et la division toujours présente. 100 ans à faire le choix et à le discuter toujours entre rupture et réforme ; 100 ans de flux et de reflux au plan électoral, mais avec le même engagement, la même volonté, la même passion civique, la même confiance dans l’humanité. Ce beau journal de Jaurès l’Humanité, celle qui a permis à travers nous et pas seulement avec nous les grandes réformes, les progrès, les avancées. Humanité qui n’a pas, malgré nous, arrêté la barbarie, humanité qui a cédé parfois devant les dictatures, humanité qui hésite toujours à affirmer son destin, humanité qui doute d’elle-même et qui s’interroge sur ses capacités.

C’est au nom de cette humanité qu’il faut porter notre grande espérance : espérance de l’internationalisme, sans lequel il n’y aura pas de maîtrise du monde : espérance européenne, qui reste la plus belle des aventures pour notre continent ; et l’espérance républicaine, au sens de Jaurès, de la République jusqu’au bout.

Nous sommes, en cette année 2005, le changement, la force du changement. A nous de le rendre possible et le moment venu, lorsque les Français nous auront redonné leur confiance, de faire que ce changement-là soit considéré comme un vrai changement pour tous.



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