Je sais où je vais, je ne fais pas de zigzags

François Hollande



Entretien avec François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, paru dans le quotidien Libération daté du 2 novembre 2005
Propos recueillis par Renaud Dely et Paul Quinio


 

A quoi bon ce congrès alors que deux questions majeures, la rénovation idéologique et la désignation du candidat, en ont été évacuées ?
Les militants veulent en terminer avec le débat interne pour promouvoir leur projet, et demain leur candidat (e), auprès des Français. Ce ne sera possible qu'avec un PS en ordre de marche et une gauche rassemblée. Les Français ne nous demandent pas des tête-à-queue idéologiques ou une quête de modernité débouchant sur l'abandon même des principes du socialisme. Cent ans après la création de la SFIO, notre idéal n'a pas changé, c'est d'aller jusqu'au bout de l'égalité humaine, jusqu'au point ultime des conditions de l'épanouissement personnel et de la réussite collective. Les instruments, eux, évoluent : l'école devient centrale, les conditions de redistribution doivent être plus efficaces, l'approche territoriale de la lutte contre les inégalités prend une autre dimension et, surtout, le rôle de l'Etat se modifie. L'Etat ne peut pas réussir s'il n'est pas accompagné par les partenaires sociaux, le réseau associatif et même les citoyens. Voilà une leçon majeure tirée de notre expérience du pouvoir depuis 1981. Quant au choix de notre candidat, il viendra en novembre 2006. Notre motion compte plusieurs postulants. C'est la preuve que voter pour elle, c'est rester libre pour le choix suivant. Tel n'est pas le cas d'une autre motion qui confond son premier signataire et son candidat.

En quoi votre texte se distingue de ceux de Laurent Fabius et du NPS ?
Nombre d'orientations nous réunissent. Heureusement, puisque le projet qui sortira du congrès servira de base à l'élaboration du contrat de gouvernement avec nos partenaires et de plate-forme pour la présidentielle. Des différences existent, par exemple pour relancer la politique salariale (négociation sur l'ensemble des salaires pour nous, seul relèvement du Smic pour d'autres), ou sur l'emploi, où nous fournissons un contenu à la Sécurité sociale professionnelle avec la création d'un nouveau contrat de reclassement. Mais surtout, ce qui nous sépare relève d'une méthode politique. D'abord, le projet ne doit pas être la seule addition des abrogations des lois les plus iniques votées par la droite. Il ne s'agit pas seulement de revenir en arrière, nous avons une obligation de progrès. Ensuite, nous avons une obligation de cohérence. Moi je n'affirme pas de positions que je sais impossible à tenir demain. Je n'ai pas besoin de changer d'avis sur EDF, les impôts, les services publics ou les stock-options au prétexte que je suis dans l'opposition. Enfin, si l'union de la gauche est le principe pour fonder le retour du PS au pouvoir, elle doit se bâtir autour de son projet, de sa conception de la responsabilité, sans chercher une caution à l'extérieur.

Votre réticence à abroger les lois de la droite ne traduit-elle pas une difficulté à s'opposer ?
2007 doit être un progrès, pas un retour à 2002. Nous reviendrons sur tout ce que la droite a mal fait : retraites, assurance maladie, privatisation d'EDF, loi sur l'école, etc. Mais pour proposer une meilleure retraite, un égal accès à la santé, un service public efficace, une école véritablement républicaine. Les Français n'attendent pas de nous un effacement du passé mais une construction de l'avenir. La politique, c'est une gomme et un crayon. Chez certains de mes amis, il n'y aurait plus besoin que de la gomme...

Et si votre motion n'atteint pas 50 % des voix ?
Je ne serai pas candidat au poste de premier secrétaire. Aux motions 2 (Fabius) et 5 (NPS), devenues majoritaires, reviendraient la tâche de former une nouvelle direction. Il serait bon, au nom de la clarté, qu'elles nous dévoilent le nom de leur candidat au poste de premier secrétaire, avant le vote du 9 novembre.

Depuis le 29 mai, le clivage oui/non perdure...
Si le PS et la gauche continuent ainsi, la défaite en 2007 est probable car c'est empêcher le rassemblement, alors que l'enjeu même a disparu. Le traité constitutionnel ne revivra plus sous cette forme. Alors pourquoi entretenir une vaine querelle plutôt que de parler de ce qui sera en cause en 2007 : la poursuite de la politique de droite ou un vrai changement.

Et parler par exemple du chômage où le gouvernement Villepin renverse la tendance ?
Grâce au retour des emplois aidés, sa baisse est une évidence statistique. Mais ce n'est qu'un expédient pour tenir jusqu'en 2007 à grands coups de crédits budgétaires. Il n'y a aucune création d'emplois dans le secteur marchand, la dynamique de la croissance est cassée et si certains indicateurs « passent au vert », ce n'est que grâce à un coup de peinture.

Mais avec son profil plus « social », Villepin chasse sur vos terres électorales ?
Quand un gouvernement fait une réforme fiscale pour que 12 000 contribuables empochent 400 millions d'euros de cadeaux fiscaux pendant que 8 millions d'autres se partagent la même somme, je ne m'inquiète pas de cette prétention... Tous les choix de Dominique de Villepin favorisent les plus privilégiés et pénalisent le plus grand nombre (les 18 euros sur les actes médicaux, la hausse de 12 % du prix du gaz). Rien, sauf les mots - « patriotisme économique », « croissance sociale» -, n'étaye la moindre conception de l'intérêt général. Tout est fait pour les clientèles supposées de la majorité. Si les mots avaient encore un sens, on dirait que c'est un gouvernement de classe.

Si vous l'emportez au Mans, vous vous sentirez renforcé pour 2007 ?
Je ne me suis jamais inventé un destin au lendemain des succès de 2004. A l'inverse, je n'ai jamais considéré que le non au référendum était une défaite pour le PS, et encore moins pour moi. Parce que chaque fois qu'on est en adéquation avec ses idées, en adhésion à ses valeurs, et en respect de son parti, on peut connaître des turbulences, mais on ne perd jamais sa boussole. Je sais où je vais, je ne fais pas dans le zigzag. Je me suis fixé un seul objectif : que la gauche gagne en 2007. Toutes les conditions objectives d'une défaite de la droite sont réunies. Elle a échoué sur le plan économique, elle est déconsidérée sur le plan social, elle est divisée en son sommet, etc. Et pourtant, la gauche n'est pas sûre de gagner. Pour y parvenir, elle doit faire les choix de la cohérence, de la sincérité, de la volonté et de l'unité. Dans la crise démocratique que connaît la France, tout dire pour gagner en 2007, sans disposer de la capacité de réussir ensuite, c'est un risque que je ne veux pas courir. Non pour moi, ni pour mon parti, mais pour mon pays.

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