Gagner les élections régionales de 2004

Jean-Paul Huchon
Jean-Paul
Huchon

 Contribution générale présentée par Jean-Paul Huchon, Alain Le Vern, Martin Malvy, Alain Rafesthain, Alain Rousset, Robert Savy et Michel Vauzelle.
17 janvier 2003

 
Quelques mois nous séparent du congrès de Dijon et à peine plus d’un an des élections régionales. Ce temps est court. Il va s’écouler vite. D’ici là, il nous appartient donc de rechercher en priorité la voie de l’unité des socialistes et du rassemblement de toute la gauche. Le PS doit s’y préparer activement en relation étroite avec ses partenaires. La logique du mode de scrutin ne fera pas tout. La gauche est en responsabilité dans onze régions. La cohésion et la cohérence de nos majorités ont traversé sans encombre de nombreux obstacles depuis cinq ans, liés aux aléas de l’élection à la proportionnelle intégrale, qui a créé partout ou presque des majorités relatives. Le respect réciproque des partenaires entre eux est la clé du succès futur.

Après les échecs électoraux du printemps 2002, la réussite de notre congrès ne sera garantie que si nous allons au terme de cet exercice de clarification de notre doctrine et de nos orientations politiques autour d’une majorité large et cohérente. Cette période de débat est naturellement pour le PS un préalable indispensable avant de se rassembler derrière une stratégie, un projet et des choix d’organisation. Cette contribution signée de présidents de région socialistes se veut un éclairage utile au débat ouvert dans le parti. Elle est aussi un appel à la responsabilité collective du Parti qui ne doit pas s’égarer dans une impasse idéologique si nous voulons incarner demain une alternative crédible à la droite libérale et conservatrice. Et cela se prépare dès à présent car le chemin de la reconquête du pouvoir d’Etat passe d’abord par un succès électoral indiscutable en 2004, cantonales et régionales, et européennes.

Un utile laboratoire de la gauche plurielle

    Depuis 1998, et depuis plus longtemps encore en Limousin et dans le Nord-Pas-de-Calais, nos régions sont un laboratoire de la gauche plurielle. Nous nous efforçons avec nos partenaires, dans le dialogue et l’estime réciproque, de mettre en oeuvre sans relâche le programme électoral sur lequel nous avons été élus. Rénovation des lycées, aides sociales aux familles, prise en charge du transport collectif de voyageurs, réalisation d’infrastructures nouvelles et d’équipements collectifs, mesures en faveur du développement économique, préservation de l’environnement et du cadre de vie, contractualisation avec les autres collectivités locales et l’Etat à travers les contrats de plan, telles sont les actions qui ont été mises en oeuvre avec détermination au cours de la mandature engagée et qui ont marqué une réorientation lisible et forte des politiques régionales, contre la droite, l’extrême droite et très (trop) souvent contre l’extrême gauche.

    Vu le retard pris par la droite dans la gestion des régions qu’elle dirigeait depuis 1986, nous avons dû avant tout aménager et équiper nos régions pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens et faire en sorte de les remettre en mouvement. La modernisation des services publics passe également par-là et ne peut rester un slogan vide de sens et de contenu. Nous avons entrepris aussi d’élaborer de nouvelles pratiques démocratiques, respectueuses des citoyens et des autres collectivités locales. Nous avons également mené des politiques dans la fidélité à nos valeurs, en mettant en place des actions innovantes dans le domaine de l’enseignement, des transports, de l’économie. Citons ainsi la création, dans nos régions, de mesures de justice sociale visant à alléger le budget des familles pour la rentrée, ou encore les systèmes d’aides au déplacement des demandeurs d’emplois en transports collectifs, le conditionnement des subventions aux entreprises à la création d’emplois ou au respect de l’environnement, etc… Cette expérience mérite d’être valorisée, malgré l’absence, souvent, de majorité stable.

    Les discussions avec les autres composantes de la gauche seront primordiales tant sur la stratégie de rassemblement de la gauche face aux tentations hégémoniques de l’UMP que sur les aspects programmatiques, dans le prolongement des accords de gestion passés en 1998 dans nos régions. Au-delà de notre bilan de mandat dont nous pouvons être fiers, les prochaines élections régionales sont aussi l’occasion d’engager un véritable débat sur la régionalisation, ses objectifs et sa finalité. Alors que la droite défend une conception restrictive de l’action régionale réduite souvent à de simples programmes d’investissement, nous proposons au contraire un élargissement de l’action régionale à un bloc cohérent de compétences associant le développement économique, la formation professionnelle, la recherche et le transfert de technologies, l’environnement…La vocation des régions est de devenir, par excellence, la collectivité de la créativité et de l’innovation au service du dynamisme économique.

Parfaire la décentralisation

    La question de la mise en place d’une décentralisation juste et solidaire entre les hommes et les territoires est également au cœur de nos préoccupations. Les faits sont là. Le renforcement sensible des pouvoirs des régions doit figurer au premier rang des exigences exprimées par les socialistes. Il ne s’agit pas de défaire l’Etat, il s’agit surtout pour nous de parfaire la décentralisation initiée par la gauche afin de rendre l’action publique plus lisible pour le citoyen et plus efficace pour le contribuable. La modernisation de l’Etat, toujours remise sur le métier, sur le chantier, doit bien sûr aller de pair avec cette nouvelle étape de la décentralisation.

    La décentralisation n’est pas la même quand on est de gauche ou de droite. Pour nous, dans la continuité des grandes lois de 1982, elle a pour vocation de rapprocher les citoyens des lieux de décision, d’asseoir la démocratie locale et d’améliorer la qualité des services publics. Nous considérons que la défense et le renforcement des services publics passent par une clarification des compétences et des moyens entre l’État et les collectivités locales. Notre organisation territoriale future sera inévitablement un compromis entre les différents échelons locaux et l’État. Ce compromis doit être juste et équitable. Il ne doit être ni un marché de dupe pour les collectivités locales, ni une grande braderie des compétences accentuant la complexité de l’écheveau institutionnel actuel. Il ne doit pas non plus se traduire par un choc budgétaire différé débouchant à terme sur une hausse significative des impôts locaux, pendant que certains se glorifieraient de diminuer les impôts d’État.

    Notre conception diffère de la droite libérale et conservatrice qui court toujours par idéologie derrière la chimère d’un Etat minimum car nous voulons préserver les services publics ou bien du démantèlement ou bien de la privatisation rampante. Nous avons à l’opposé une conception exigeante de la nature et de la consistance des missions de service public, qui peuvent évoluer dans le temps et l’espace, dans un souci d’égalité, de proximité et de justice sociale.

    La nouvelle répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales que nous attendons suppose aussi une définition claire, objective et partagée des moyens financiers, humains et parfois réglementaires transférés. Cela ne va pas de soi. La négociation sera difficile. Elle doit s’engager dans la transparence et la neutralité des instruments d’expertise. Elle doit être intellectuellement honnête et financièrement juste. En outre, un dispositif fort de péréquation doit permettre de compenser les écarts de richesse relative entre territoires. Cette péréquation devrait concerner progressivement jusqu’à 25 % du montant des transferts de l’Etat en direction des collectivités locales, contre seulement 5 % aujourd’hui. La compétition des territoires n’est pas condamnable si elle tient au dynamisme et à la volonté politique. Elle ne serait pas acceptable si elle devrait dépendre de l’insuffisance des moyens pour certains, non compensée par l’Etat par une pratique de péréquation à laquelle la timide référence constitutionnelle n’apporte en rien une réponse. L’affirmation selon laquelle toute compétence nouvelle transférée sera accompagnée des moyens que l’Etat lui consacrait n’est d’ailleurs pas davantage satisfaisante. C’est la possibilité pour les régions de faire face à la progression des charges qui constitue le véritable enjeu.

    La réforme dérisoire de la Constitution n’a rien réglé. Bien au contraire et les débats l’ont bien souligné. L’absence d’une procédure référendaire, abandonnée malgré des promesses du chef de l’Etat, montre bien la crainte de la droite d’affronter le vrai débat sur la nature de l’Etat. Il appartiendra au Parlement de légiférer dans les prochains mois sur les textes législatifs organisant ces transferts de compétences et de moyens. Les socialistes devront être vigilants face aux projets de la droite et ambitieux dans la formulation de leurs propositions.

    Alors que la droite défend une conception restrictive de l’action régionale réduite souvent à de simples programmes d’investissements, nous considérons que pour répondre à la demande de clarification de nos institutions, il est nécessaire de transférer aux régions des blocs de compétences homogènes. Nous proposons donc très concrètement d’élargir l’action régionale à des mesures sociales en faveur des familles modestes, à des domaines de compétences aujourd’hui mal exercées par l’Etat, ou peu développées, comme la formation tout au long de la vie, l’environnement et le développement durable, la culture, le sport, voire, pourquoi pas, la santé, dont les équipements doivent être améliorés et le système consolidé. L’objectif que nous poursuivons est de donner à cette nouvelle étape de la décentralisation la cohérence, la lisibilité, et l’efficacité voulues par nos concitoyens.

    Si le Gouvernement n’assumait pas toutes ses responsabilités et qu’il refusait de mettre en œuvre un projet cohérent liant l’ensemble des régions, notre pays courrait le risque de voir se creuser les inégalités entre les régions, et la lecture, par le citoyen, des responsabilités de chaque collectivité, serait rendue encore plus difficile.

    La construction européenne et la nouvelle étape de la décentralisation doivent de ce fait nous obliger à élargir le champ de notre réflexion sur le rôle et les pouvoirs des régions et anticiper ces échéances prochaines. Comment ne pas imaginer d’élargir les compétences des régions françaises dans des domaines comme le développement économique, la recherche, l’aménagement du territoire, l’enseignement supérieur ou la culture quand on sait qu’au-delà même de la notion de proximité, les nouvelles politiques européennes appelleront des relations permanentes et directes entre Bruxelles et les régions d’Europe ?

Relever le défi européen des régions

    Nous espérons donc être à la veille de changements profonds dans l’organisation institutionnelle des pouvoirs publics en France. Mais il s’agit aussi, et c’est une idée que nous défendons avec force, de ne pas s’enfermer dans un modèle français, quel qu’il soit, et de ne pas imaginer réformer l’Etat sans réformer profondément également les institutions européennes. C’est un des défis majeurs auquel nous devons faire face : adapter notre vision de la France à notre vision de l’Europe, une Union Européenne que nous souhaitons plus que jamais forte et cohérente, et dans laquelle le pouvoir politique démocratique doit être réaffirmé.

    Si la France ne prenait pas la mesure de nécessaires évolutions, alors que tous les pays qui n’ont pas opté historiquement pour le modèle fédéral se sont engagés dans une adaptation de leurs institutions, renforçant notamment l’échelon régional, nous prendrions un retard considérable par rapport à nos voisins directs Le Royaume Uni, l’Italie ont engagé récemment un processus de régionalisation, l’Espagne est en quête d’un nouveau pacte conclu entre l’État et les communautés autonomes. Les États fédéraux ou assimilés réfléchissent aussi à une évolution de leurs institutions susceptible de conforter le principe de subsidiarité. La France ne peut pas être en retrait sur ces questions.

    A travers l’Europe, la diversité des choix institutionnels retenus atteste qu’il est plus que temps en France de sortir et du piège d’un jacobinisme désuet et de l’excès d’uniformité qui freine aujourd’hui le développement local.

    Ce nouveau modèle européen nous interpelle donc vingt ans après les lois de décentralisation. Il peut être une source d’inspiration lors de la formulation de nos propositions durant la phase de négociation avec l’État.

    Bien entendu nous ne devons pas nous tromper de débat : les régions ont un rôle à jouer dans la construction de l’Europe, il se renforcera même avec l’élargissement et la réforme des institutions communautaires ; les États conserveront évidemment les principales prérogatives de puissance publique mais la subsidiarité et la décentralisation des pouvoirs peuvent renforcer l’efficacité de l’action publique et mieux satisfaire les besoins de services publics. Faut-il rappeler que l’objectif des socialistes est de rendre au citoyen le meilleur service public possible, le plus près des réalités, et dans un esprit de solidarité et de péréquation.

    Pour les socialistes que nous sommes, l’internationalisme est une des valeurs premières. Depuis plus de trente ans nous revendiquons l’avènement d’une Europe politique forte pour préserver la paix et la liberté. L’Europe est notre avenir. Le processus d’élargissement et la réforme prochaine des institutions européennes sont un défi pour la France. Comment y faire face quand on est socialiste ? L’Europe doit être un espace d’intégration de peuples et de territoires aussi diversifiés, et elle doit évoluer de l’Europe des marchés et des élites à l’Europe des citoyens.

    L’Europe a besoin dans les prochaines années, avec l’élargissement, d’une puissante politique de cohésion urbaine, sociale et territoriale, permettant une aide efficace aux régions en retard de développement, une requalification des zones urbaines déprimées et la modernisation des espaces ruraux qui occupent 80 % du territoire national. La lutte contre les disparités territoriales sera décisive. Dans ces conditions, les concours financiers européens ne doivent pas être le prétexte à un arbitrage stérile et absurde entre la politique agricole commune et les fonds structurels de cohésion.

    Une majoration de la contribution des États les plus riches sera de ce point de vue un enjeu politique majeur. Les modalités nouvelles d’attribution des fonds structurels au lendemain de l’élargissement devront en particulier prendre en compte et favoriser les programmes de coopération interrégionale.

    La réforme des institutions européennes est aussi un enjeu important pour nos régions. La Convention a déjà présenté une série de propositions. La place des régions à statut constitutionnel ou législatif est posée dans les processus de décision, et ce, bien au-delà de la gestion des fonds communautaires. Il ne faudrait pas que notre organisation territoriale complexe des pouvoirs publics nous relègue dans le peloton de queue des régions. Par impuissance, par faiblesse, ou par obstination jacobine.


    Union des forces de gauche, vision décentralisatrice et européenne, tels sont les principaux enjeux des élections régionales de 2004. Il faut s’y préparer dès aujourd’hui. C’est un choix politique qui sera décisif pour le Parti socialiste. Pour notre part, nous sommes prêts à nous engager dans cette confrontation. Les élections régionales de 2004 fourniront l’occasion d’un débat de fond. Nous les aborderons avec le sentiment des réformes et du devoir accomplis, riches d’une expérience forte, avec des projets solides pour l’avenir de nos régions. Nous l’aborderons surtout avec la volonté de proposer aux français de nouvelles réformes à venir, profondes et nécessaires, pour une société moderne et plus solidaire, pour une démocratie vivante, consciente de sa place en Europe et dans le monde.

    Cette échéance est donc capitale pour notre parti. Nous devons et nous pouvons, avec la gauche rassemblée, en faire le socle de la reconquête.
Jean-Paul Huchon est président du Conseil régional d'île-de-France
Alain Le Vern est président du Conseil régional de Haute-Normandie
Martin Malvy est président du Conseil régional Midi-Pyrénées
Alain Rafesthain est président du Conseil régional du Centre
Alain Rousset est président du Conseil régional d'Aquitaine
Robert Savy est président du Conseil régional du Limousin
Michel Vauzelle est président du Conseil régional de P.A.C.A.

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