Le nouveau pari de la décentralisation

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000, présentée par Michel Delebarre, Jean-Paul Huchon, Alain Le Vern, Martin Malvy, Alain Rafesthain, Alain Rousset, Robert Savy et Michel Vauzelle.


 
Depuis 20 ans, notre société a profondément changé. Notre environnement social, économique, culturel et politique a singulièrement évolué. L'exigence citoyenne se fait plus grande. Le progrès technologique, notamment dans le domaine des communications, est tel que les mutations de notre société sont à la fois plus rapides et plus profondes.

L'Europe émerge et fera, demain, irruption dans notre quotidien avec la monnaie unique. L'Etat central est trop dispersé et ne parvient pas à se réformer, prêtant ainsi de plus en plus le flanc à une remise en cause par la frange la plus libérale de notre société. Faute d'un second souffle, la décentralisation est en panne, mise en sommeil.

Pourtant, la décentralisation a fait ses preuves. C'est une réussite à la fois technique et civique. Elle a apporté plus de citoyenneté et de démocratie, de créativité et de solidarité. Elle contribue à inscrire l'Etat dans ses vraies missions et maintient intacte notre histoire républicaine.

Avec la récente signature des Contrats de Plan Etat-Région, les propositions du Premier Ministre sur l'avenir de la Corse, les travaux de la Commission présidée par Pierre Mauroy et la perspective des échéances électorales à venir, la décentralisation est au cœur du débat politique. Ce débat est salutaire car il en va de la vitalité de notre pays, de la créativité de ses territoires, de sa maturité, et par là même de la position de la France en Europe et dans le monde. Une attitude timorée serait aujourd'hui politiquement suicidaire. Elle laisserait le champ libre à l'opposition. Nous devons faire preuve d'audace et de détermination, sortir du strict champ de la technique et de l'organisation administrative pour faire des choix politiques modernes.

Nous proposons donc d'aller résolument plus loin dans la décentralisation en appliquant un principe de subsidiarité locale dans la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales. Il ne faut pas faire à un échelon plus élevé ce qui peut l'être au plus près du terrain. Tout ce qui concerne la vie locale et ne remet pas en cause le principe d'égalité entre les citoyens dans les domaines fondamentaux doit donc faire l'objet d'un nouveau transfert de compétences en direction des collectivités locales. Parallèlement, et pour éviter les risques de déséquilibres territoriaux, l'Etat doit mettre sur pied un véritable mécanisme de péréquation.

La décentralisation, c'est l'efficacité et la démocratie. C'est une réponse moderne aux exigences d'une société en mouvement.

Dans cette perspective, les Régions apparaissent de plus en plus comme le parent pauvre de la décentralisation. L'Etat à l'évidence redoute leur montée en puissance craignant d'être pris en tenaille entre la construction européenne et la régionalisation. Malgré ses handicaps - faiblesse de ses moyens humains et financiers, suffrage ne lui assurant aujourd'hui qu'une très faible lisibilité - la Région a réussi son entrée dans le paysage institutionnel, tant dans les faits que dans les esprits, dans les réalisations que dans les représentations. Ses conditions de développement ne sont pourtant pas aujourd'hui acquises, et c'est en particulier vers elle que de nouveaux transferts de compétences doivent s'effectuer. Il faut donner à la Région les moyens de faire ce que l'on attend d'elle. La réforme du mode de scrutin est de ce point de vue une avancée certaine, qui est à porter à l'actif du Gouvernement.

La France doit faire le pari de la décentralisation.

Les limites de la déconcentration

Dans les années 80, la déconcentration apparaissait comme le pendant naturel de la décentralisation, permettant un équilibre entre les pouvoirs de l'Etat et ceux des collectivités territoriales. A cette époque, les collectivités paraissaient " mineures ", on redoutait les conflits entre elles, la création de hiérarchies, de tutelles des unes sur les autres. Dix huit ans après, les collectivités ont atteint leur majorité. Elles sont adultes, efficaces et respectées. Les contrôles indispensables, qu'ils soient financiers ou de légalité, sont en place. Les décideurs publics sont les seuls à avoir le souci du long terme. Ils doivent donc s'allier et non s'affaiblir collectivement en se concurrençant. C'est d'ailleurs cette logique qui prévaut entre les acteurs locaux.

Pourquoi donc ces négociations infinies avec les services locaux de l'Etat pour la mise au point du Contrat de Plan, dans ses menus détails alors que le Gouvernement avait déjà fixé ses orientations et ses enveloppes financières ? Pourquoi l'Etat continue-t-il d'exiger que des projets inscrits au titre du Contrat de Plan soient validés à l'échelon national au lieu d'en confier la responsabilité aux instances déconcentrées ?

Pourquoi ces obstacles, ces fortes réticences de l'Etat devant une décentralisation encore trop partielle aux Régions des fonds européens (FEDER, FSE, INTERREG) ?

Pourquoi maintenir la Maîtrise d'ouvrage de l'Etat sur des opérations financées à 80 % par les collectivités locales ? Que l'Etat se préoccupe des TGV, des autoroutes, mais qu'il décentralise aux collectivités locales tout le volet territorial de ses compétences.

Pourquoi ne pas décentraliser pleinement la formation professionnelle, le développement économique, au lieu de doublonner continuellement les services et les moyens, avec une perte d'efficacité en ligne incontestable ?

Ne faut-il pas, comme en 1982 lors du transfert de l'exécutif, transférer aux Régions et aux Départements les politiques, les services et les moyens que dédie l'Etat aux territoires ? Ne faut-il pas, dans la réforme de l'Etat, séparer ce qui dans une DDE, DDA, DRIRE, DRTFP pourrait être transféré à la Région ou aux Départements, l'Etat regroupé effectivement autour du Préfet conservant l'application des normes, contrôles et l'impulsion des politiques nationales ?

L'Etat, par delà les fonctions régaliennes qui sont les siennes et doivent le rester, pourrait utilement concentrer son action sur un nouveau triptyque de compétences : régulation, péréquation, contrôle qui accompagnerait ainsi sa fonction d'orientation et d'impulsion. Il n'est pas question ainsi d'affaiblir ou d'affadir l'Etat, mais bien de lui permettre d'asseoir une position plus forte pour conforter notre pays dans les débats européens et internationaux ainsi que de mieux mettre en œuvre le ternaire républicain - liberté, égalité, fraternité -, en particulier en résorbant les écarts flagrants en matière d'éducation, de santé, de justice par exemple.

La multiplication des financements croisés, les interventions locales excessives et trop pointilleuses de l'Etat constituent un frein à la résolution des problèmes locaux : trop d'acteurs, trop de lenteurs, trop de lourdeurs, et au final trop d'énergie et de créativité perdues. Cette situation est désormais incompréhensible aux yeux des élus et des citoyens. Elle l'est d'autant plus que chacun s'accorde à reconnaître que la décentralisation est une réussite à la fois technique et civique.

Il est désormais clair que le mode actuel de déconcentration de l'Etat n'est plus la solution adaptée. Ce n'est pas la compétence des fonctionnaires de l'Etat qui est en cause mais le système lui-même. L'Etat doit concentrer ses moyens sur ses responsabilités nationales essentielles et renforcer notamment les Régions pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle dans la décentralisation. Doit notamment leur être attribuée une pleine compétence en matière d'aménagement du territoire avec les moyens correspondants. Comment justifier que le budget d'une Région puisse être inférieur à celui de son Département le plus important ou de la ville métropole, que ses moyens humains et financiers soient sans rapport avec ses compétences, ses charges et l'attente que manifestent les citoyens pour lesquels la Région est devenue une institution majeure.

Mais aujourd'hui la décentralisation est en panne

Depuis quinze ans la décentralisation a été mise en sommeil, alors même qu'il s'agissait d'une volonté politique forte et moderne. En figeant ainsi la situation, on a laissé éclore les revendications fédéralistes, autonomistes, voire séparatistes. Le débat sur la déconcentration s'est révélé être un anesthésiant, interdisant de réfléchir plus avant sur le second souffle de la décentralisation, montrant au quotidien ses limites et ses effets négatifs.

Depuis quinze ans, l'appareil de l'Etat limite trop souvent son action à un jeu de " domino institutionnel ". Les citoyens ont le sentiment que l'Etat joue les collectivités les unes contre les autres, les formes diverses de coopération intercommunale contre la Commune, le Département contre la Région. Rien ne bouge en matière de visibilité et de péréquation des ressources et le débat sur les compétences n'avance pas.

Le problème, on le sait, n'est pas de regrouper les Régions, de supprimer les Départements, de diviser par trois le nombre de communes. Ainsi, l'Europe compte des Régions moins vastes et moins peuplées que certaines en France. Et pourtant leurs compétences et leurs moyens sont sans commune mesure.

Il faut sortir du strict champ de la technique, trop souvent mis en avant comme prétexte, pour faire prévaloir une vision politique qui rend nécessaire un deuxième acte de la décentralisation.

Si nous ne nous engageons pas résolument dans cette voie, nos adversaires nous soufflerons le projet alors qu'ils sont fondamentalement opposés aux conceptions qui sont les nôtres comme nous avons pu le mesurer au moment du vote des lois de 82 et 83. Or, on le voit bien, le Parti Socialiste conforte ses positions aux élections municipales, cantonales et régionales et aujourd'hui huit Régions sont présidées par la Gauche.

La décentralisation, une réponse politique

Nous devons maintenant, nous socialistes, être républicains, sans être jacobins. Nous devons lancer une nouvelle étape de la décentralisation, en affichant une volonté politique forte, comme l'ont fait François Mitterrand , Pierre Mauroy et Gaston Defferre en 1982.

La décentralisation doit être conçue comme un transfert massif de pouvoirs, de compétences, de responsabilités et de moyens là où nos concitoyens l'attendent, c'est-à-dire au niveau des collectivités locales qu'ils connaissent bien, qu'ils peuvent contrôler et sanctionner si l'efficacité n'est pas au rendez-vous. Comme chez nos voisins européens, donnons aux Régions, compétences nouvelles, autonomie financière et pleine responsabilité politique par le vote de l'impôt.

La décentralisation est affaire de confiance et donc de relation adulte et équilibrée entre l'Etat et les Collectivités locales. Elle positive les relations entre les citoyens, les acteurs économiques et sociaux et les pouvoirs publics. Elle redonne du sens, grâce à la proximité, à la notion d'action et de Service Public. Elle prouve par là même l'utilité de la dépense publique. Elle facilite la créativité économique, sociale et culturelle. Elle inscrit l'Etat dans ses vraies missions. Elle maintient notre histoire républicaine. Elle répond aussi au souci de cohésion territoriale qui est une dimension essentielle de la cohésion économique et sociale que l'Union européenne se fixe comme objectif.

Les relations entre l'Etat et les collectivités ne pourront atteindre la majorité, que si ces dernières peuvent disposer d'une véritable autonomie financière ou, pour le moins de moyens garantis, adaptés, évolutifs et péréqués. La croissance de la part des dotations d'Etat dans leurs ressources est inacceptable sans ces garanties, car contraire à l'esprit de la décentralisation. Non seulement les collectivités doivent avoir une véritable souplesse dans la gestion de leurs ressources, mais elles doivent également avoir des moyens en adéquation avec leurs compétences. Les Régions exercent la compétence en matière économique. Paradoxalement leurs ressources sont peu sensibles à l'évolution de la conjoncture économique. Il y a là incohérence. Enfin, la décentralisation pouvant être porteuse d'inégalités territoriales, elle doit s'accompagner de mécanismes de péréquation à la mesure des compétences transférées et du souci d'égalité territoriale.

La Région, une idée neuve

La Région est, plus que jamais, un échelon territorial pertinent. Elle a un rôle essentiel de planification stratégique, d'innovation, d'impulsion. Elle est au coeur des logiques partenariales qui doivent présider à l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Elle est l'interlocutrice naturelle à la fois des autres collectivités territoriales, de l'Etat, des Institutions européennes et des Régions européennes.

La Région est un acteur essentiel de l'aménagement du territoire, donc de l'emploi. Cela est essentiel car nous devons éviter une métropolisation excessive avec ses corollaires que ce soit en termes d'exclusion sociale ou de pollution. L'aménagement du territoire, ce ne doit pas simplement être une forme d'accompagnement des évolutions de population. Il faut au contraire retrouver une politique volontaire d'aménagement qui passe à l'évidence par un renforcement des régions.

Si notre histoire n'est pas la même, nous ne pouvons demain laisser aux régions des autres pays d'Europe le monopole des pratiques qui leur donnent de réelles compétences, de vrais moyens et une position d'interlocuteur qui est interdite aux Régions françaises dans les divers secteurs de la vie économique, sociale et culturelle.

En défendant cette réalité régionale, nous avons la conviction de défendre une forme moderne de citoyenneté, attachée à des valeurs qui traversent aujourd'hui l'Europe.

Cela suppose aussi que ce nouveau mode de relation se traduise sur le plan institutionnel. Si cette réforme ambitieuse est mise en œuvre, elle induit alors que puisse être supprimée la possibilité de cumuler un mandat de parlementaire et la présidence d'un exécutif, au moins départemental et régional. A moins de faire du Sénat une vraie chambre des collectivités territoriales françaises dont les membres seraient issus des collectivités elles-mêmes et auraient un pouvoir législatif limité à ce que sont leurs compétences.

C'est enfin dans une perspective d'approfondissement de la décentralisation que doit s'inscrire l'objectif démocratique qui consiste à assurer une véritable égalité d'accès de toutes et tous aux fonctions électives, si l'on veut éviter que la fonction ne soit assumée que par certains. La limitation stricte du cumul des mandats est une nécessité. Elle doit s'accompagner d'un véritable statut pour les élus locaux dont les fonctions ne sont ni inférieures ni moins exigeantes à celles des parlementaires.

Ne laissons pas croire à l'opinion que c'est la majorité plurielle qui organise la reprise en main par l'Etat des collectivités décentralisées. Ne laissons pas dire par l'opposition que c'est elle, désormais, qui incarne les valeurs de décentralisation, de démocratie locale, de liberté, en somme. Exprimons, il en est temps, ce choix politique majeur, celui d'une vraie démocratie locale, celui d'une nouvelle démocratie pour une République moderne.

– Premiers signataires –
Michel DELEBARRE, président du conseil régional de Nord-Pas-de-Calais
Jean-Paul HUCHON, président du conseil régional d'Ile-de-France
Alain LE VERN, président du conseil régional de Haute-Normandie
Martin MALVY, président du conseil régional de Midi-Pyrénées
Alain RAFESTHAIN, président du conseil régional du Centre
Alain ROUSSET, président du conseil régional d'Aquitaine
Robert SAVY, président du conseil régional du Limousin
Michel VAUZELLE, président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur


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