Assises des libertés locales de l'Ile-de-France
Port Marly - 24 janvier 2003

Jean-Paul Huchon
Jean-Paul
Huchon

 Intervention de Jean-Paul Huchon, Président de la Région Ile de France.

 
Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et chers amis,

A mon tour, après l’aimable accueil du maire de Port Marly, de vous souhaiter la bienvenue en Ile-de-France où se conclue la série des Assises organisées dans l’hexagone.

Depuis l’annonce de cette nouvelle étape, le débat s’est déployé, bien que nous ne disposions à présent que d’un premier cadre constitutionnel. Mais chacun sait que c’est avec les annonces précises et programmées de transferts réels de compétences qu’on entrera vraiment dans le vif du sujet. Quelles sont, en cette matière, les intentions du gouvernement et les indications qu’il peut nous donner sur les modalités de ces transferts ? J’espère que ces Assises nous permettront d’y voir plus clair. Nos concitoyens veulent une vraie réforme qui renforce notre Région, la première d’Europe, ses atouts dans la compétition mondiale et l’efficacité de sa puissance publique. Il s’agit, en somme, de reconnaître enfin l’Ile-de-France comme acteur majeur de son développement.

Je vous le dis avec franchise : je ne crois pas à la spécificité francilienne. Nous avons nos particularités mais quelle région n’a pas les siennes ? L’exception francilienne a, dans notre histoire, justifié des régimes dérogatoires qui ont conduit dans notre région à la présence excessive de l’Etat. Il nous en reste quelques séquelles institutionnelles auxquelles il est temps de mettre un terme.

C’est pourquoi je propose la suppression de l’exception francilienne pour nos transports en commun. Cette spécificité anachronique laisse encore la responsabilité du STIF à l’Etat, maître des décisions, et non, comme c’est le cas dans les autres régions, aux élus. Je revendique donc cette responsabilité pour notre Région. Dans le respect des statuts des personnels des entreprises publiques de transports. Et en partenariat étroit avec les autres collectivités (Ville de Paris, intercommunalités, départements) qui ont, elles aussi, des compétences indiscutables en matière de déplacements. Aujourd’hui, nous apportons une contribution financière majeure mais nous n’avons pas réellement voix au chapitre. Nous pourrions, si la responsabilité était pleinement nôtre, faire plus et mieux pour améliorer la qualité du service, l’accessibilité, la tarification, les réseaux pour des Franciliens dont la caractéristique commune est la mobilité, les incessants déplacements. Réussir une bonne décentralisation en Ile de France, cela commence par là. C’est une révolution au regard des pratiques administratives antérieures. Elle doit venir vite.

Face au morcellement et à l’enchevêtrement des compétences dont souffre notre pays, clarifier pour mieux coopérer est une priorité. C’est le sens de la démarche que la Région Ile-de-France met en œuvre pour les contrats particuliers qu’elle élabore et conclut avec les départements qui doivent, eux aussi, obtenir des compétences élargies. Toutes les collectivités doivent y gagner et c’est seulement ensemble que nous réussirons une décentralisation efficace.

C’est pourquoi je vois, pour la Région Ile de France, 5 domaines prioritaires de compétences à transférer :
     l’éducation et la formation tout au long de la vie, dans lesquelles nous sommes déjà activement engagés. Certains transferts s’imposent naturellement, comme celui de tous les dispositifs et publics de la formation professionnelle continue, auxquels il nous faudra associer réellement les partenaires sociaux. D’autres s’inscriraient dans le prolongement des savoir-faire acquis avec la construction et la rénovation des lycées. Je pense à l’optimisation de leur entretien et de leur maintenance. Je pense aux constructions universitaires, aux bibliothèques, à la vie étudiante (logement, restaurants) ; je pense aussi à la contrepartie normale, sans porter atteinte à l’autonomie des universités, d’un effort accru d’investissement : l’association de la Région aux choix d’implantation et de filières.

     Le développement économique est le 2ème domaine dans lequel la Région devrait jouer pleinement, en association avec toutes les forces vives et les partenaires qui y concourent, un rôle de « chef d’orchestre ». Chambres consulaires, partenaires sociaux, acteurs de terrain : ils ont unanimement souhaité, lors de notre forum régional le 09 janvier, un renforcement de l’échelon régional pour en finir avec la multiplication et le doublonnage des guichets et des procédures. Cela suppose le transfert à la Région de toutes les aides versées par l’Etat aux PME-PMI : de la valorisation de la recherche et de l’innovation au soutien à l’exportation. Cela suppose aussi la mise à disposition des personnels correspondants des services déconcentrés de l’Etat.

     3ème domaine : l’aménagement du territoire. La compétence régionale, doit être renforcée en matière d’urbanisme commercial et par le caractère véritablement prescriptif du SDRIF. Je pense aussi au logement, tant la situation francilienne est tendue : je souhaite un pilotage régional des aides à la construction et à la réhabilitation des logements sociaux et du parc privé, dans le cadre d’une contractualisation renforcée avec les différents opérateurs et les autres collectivités. Il faut enfin confier d’urgence à la Région, comme c’est déjà le cas en Alsace, la gestion des fonds européens. Un rapport accablant montre l’Ile de France du doigt : elle détient le record national de non consommation des crédits !

     L’environnement est, en 4ème lieu, un domaine où la Région pourrait intervenir au-delà des initiatives qu’elles a prises. Cela vaut pour le traitement cohérent des déchets ménagers et industriels, pour la gestion des forêts domaniales que nos concitoyens fréquentent assidûment, pour la prévention des risques majeurs d’inondation enfin.

     La santé est le 5 ème domaine dans lequel nous pourrions aller utilement au-delà de nos efforts actuels en matière de prévention, notamment du SIDA. C’est une préoccupation cardinale des Franciliens. Prévention, participation à l’élaboration du Schéma Régional d’Organisation des Soins, humanisation au bénéfice notamment des personnes âgées et des personnes handicapées (dans le respect, bien sûr, des compétences départementales) : la Région pourrait apporter beaucoup.

Ce sont là des ambitions raisonnées et raisonnables, ni timorées ni boulimiques. Je les ai présentées au Conseil Régional qui arrêtera sa position, sur des bases que j’espère largement partagées, lorsque nous y verrons plus clair sur les intentions du gouvernement. Ce temps viendra, j’en suis sûr.

Ce redéploiement des compétences que je souhaite pour notre Région suppose des règles du jeu claires et équitables. Je vois essentiellement trois conditions garantes d’une méthode honnête, rigoureuse et réaliste.

Première condition : des transferts fermes et définitifs plutôt que des expérimentations incertaines. Je ne suis pas hostile à l’expérimentation par principe mais partisan de réserver son usage à ce qui a besoin d’être exploré : par exemple, avec les régions du bassin parisien, une gestion partagée de la ressource en eau. Comme de nombreux Présidents de région de tous bords, je ne souhaite pas qu’on en abuse et je m’interroge : qui décidera des expérimentations ? Avec quels moyens et quel encadrement ? Qui les validera ou y mettra fin et sur la base de quelle évaluation ? La décentralisation ne doit pas déboucher sur l’insécurité territoriale et la confusion.

Deuxième condition : un audit préalable, impartial et contradictoire des moyens et du patrimoine transférés à la Région. Une évaluation équitable des compensations financières de l’Etat et leur indexation correcte. Je ne souhaite pas que nous revivions l’expérience du transfert des lycées en 1986, pour lesquels la Région doit aujourd’hui dépenser dix fois la dotation de l’Etat.

Troisième condition : il n’y a pas de décentralisation sérieuse sans autonomie financière et fiscale des collectivités. Je formule à ce sujet une proposition simple : partageons l’impôt national puisque l’Etat nous propose de partager les responsabilités. J’ai été le premier à évoquer la TIPP et nous y avons travaillé avec les Présidents de Conseils Régionaux. L’idée a cheminé. Mais, au fond, peu m’importe la nature de l’instrument fiscal transféré s’il est dynamique et permet à l’Ile-de-France comme aux autres régions de faire face à leurs tâches nouvelles et à leurs besoins d’équipement. Ce qu’il nous faut, c’est la maîtrise d’une part prépondérante de nos ressources. Et ce qu’il faut aux citoyens et contribuables franciliens, c’est la garantie d’une stabilité globale de la fiscalité. Ce qu’il nous faut, enfin, c’est qu’un nouveau partage de l’impôt renforce également la solidarité nationale et une péréquation aujourd’hui excessivement complexe et insuffisamment correctrice. La Région Ile de France, première contributrice à l’effort de compensation des inégalités territoriales, est bien placée pour demander clarté et efficacité. Elle ne se dérobera pas à la solidarité.

Tels sont, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs, les souhaits et les conditions que je formule aujourd’hui devant vous pour avancer demain.

Il y a plus de deux siècles, en 1789, un autre 24 janvier, les convocations pour les Etats-Généraux étaient expédiées, assorties d’explications sur le mode de scrutin selon les provinces. Vous connaissez la suite et la subversion historique du scénario royal qui en résulta. La question de la représentation se pose donc aussi : les droits et les devoirs nouveaux dont la décentralisation est porteuse ne valent que si les assemblées locales sont assurées de leur légitimité par un mode de scrutin stable, garant de vraies majorités et du pluralisme politique.

Nous le savons tous : le 21 avril dernier, notre République a montré sa fragilité puis sa capacité de réagir. Une juste décentralisation, ce peut être, ce doit être une République plus forte, plus moderne, plus solidaire. Aussi n’avons-nous pas le droit d’échouer. C’est à dire : il nous faut réussir ! Je vous remercie.

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