Présider autrement
Paris - Une France forte
mercredi 3 avril 2002

 Discours de Lionel Jospin pour présenter ses propositions en matière de politique étrangère : les missions de la France, son rôle sur la scène internationale, l'élargissement de l'Europe, la construction de l'Europe politique, la maîtrise de la mondialisation.


 

Mesdames, messieurs,
Merci d'être venus à cette rencontre à l'atelier de campagne. Cet échange aujourd'hui sera consacré à la politique internationale et à l'un des engagements qui est le mien dans cette campagne : celui d'une France forte.

Dans le projet que j’ai soumis à la réflexion des Français, je me suis engagé, si je suis élu à la Présidence de la République, à agir pour que la France soit forte en Europe et dans le monde. Cette responsabilité est particulièrement celle du Chef de l’Etat par la place qu’il occupe dans nos institutions et par le rôle que lui confère notre Constitution dans le domaine des relations internationales. Ce domaine d’activité et de responsabilité où la fonction présidentielle est prééminente suppose que celui qui aspire à l’assumer dise clairement l’idée qu’il se fait de la France, de son rôle en Europe et dans le monde. Là plus qu’ailleurs, il s’agit de livrer une analyse, d’affirmer une conviction, d’annoncer une action.

La France ne peut pas se satisfaire du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Malgré les progrès accomplis dans tous les domaines de l’activité humaine, malgré la fin de l’équilibre de la terreur, malgré les progrès de la démocratie, la situation qui prévaut aujourd’hui dans le monde n’est pas seulement inacceptable, elle est dangereuse pour tous. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la montée de l’intolérance, les tensions régionales, de constater l’accroissement vertigineux des inégalités entre les pays occidentaux et le reste du monde, notamment les pays les plus pauvres, les dénis tous les jours répétés des Droits de l’Homme…

Il en va de même de la globalisation : elle a des aspects positifs, en révélant l’unité humaine. Mais chacun peut également percevoir les risques de la mondialisation, les menaces qu’elle fait peser sur notre environnement, sur le développement des pays du Sud, sur les acquis sociaux, ou encore sur les richesses que représentent encore nos diversités culturelles… Ces violences, ces injustices nourrissent les tentations extrémistes ou populistes tandis que le retour de l’unilatéralisme affaiblit les institutions et les instruments multilatéraux de règlement des conflits.

Et s’il avait encore fallu se convaincre du mauvais état du monde, les attentats du 11 septembre dernier y auraient définitivement contribué. Ils ont montré à nos peuples abasourdis la dimension potentiellement tragique de la mondialisation puisque le terrorisme pouvait dévoyer les facilités qu’elle offre. La réplique des Etats-Unis a été puissante, elle était légitime. Mais nous savons que la réponse ne peut pas être uniquement répressive et militaire, même si les réseaux terroristes doivent absolument être mis hors d’état de nuire. Nous sommes pleinement conscients que le monde ne trouvera pas la paix tant qu’il acceptera l’exclusion et le mépris. Nous savons et nous devons rappeler que la liberté, la prospérité, la sécurité de quelques-uns, où qu’ils se trouvent, ne seront jamais durablement bâties sur l’asservissement, la misère et l’insécurité du plus grand nombre.

C’est parce que cette question de l’équilibre et de la justice a fait brutalement retour au premier plan, que je crois que nous vivons un moment historique et décisif. Selon les choix ou les non-choix que nous ferons collectivement, le monde restera gouverné par les seuls rapports de force et de puissance qui conduisent à l’incertitude, à l’injustice et au danger, ou bien nous saurons par la vertu de la volonté politique lui imposer les règles indispensables pour que les hommes vivent dans la paix et le respect mutuel. Nous avons plus que jamais besoin d’un monde organisé et pluraliste.

Face à cette interrogation, à cet immense défi, la France a à dire et à faire quelque chose de particulier. On attend la voix de la France. Notre pays entend jouer demain tout son rôle en Europe et dans le monde global. Je sais que les Françaises et les Français, qui démontrent tous les jours que notre pays n’est pas en déclin, contrairement à ce que disent certains, le souhaitent et l’attendent.

La France a aujourd’hui quelque chose à dire au reste du monde.

Cette conviction doit gouverner toute l’action extérieure d’un pays comme le nôtre. Elle mérite d’être prise en compte avec beaucoup de sérieux et de sens de la responsabilité, à un moment où l’interdépendance des Etats et des sociétés apparaît plus forte que jamais sous les effets puissants de la mondialisation, à un moment où l’hyper puissance américaine se présente à nous comme la seule force dotée des moyens et de la volonté d’imposer ses points de vue, ses références et ses pratiques à l’ensemble du monde.

La France a une présence lucide et responsable à assurer dans le monde et elle en a la capacité. 4ème puissance mondiale par la force et la vigueur de son économie, par son commerce extérieur florissant, elle reste au premier rang des nations par ses capacités technologiques, économiques et humaines. Elle a su depuis cinq ans faire fortement reculer le chômage, marier progrès économique et réformes sociales. Elle est aujourd’hui dans l’Europe le pays qui fait le plus grand nombre d’enfants, ce qui reste le gage le plus évident de la confiance d’un peuple dans l’avenir. Elle peut donc continuer à avoir foi en son action.

En raison de son histoire, de sa langue, de sa culture, du rapport des Français à la politique, de son modèle républicain, la France porte une identité singulière et originale à laquelle je tiens et dont je veux porter loin le message face au risque d’une libéralisation et d’une uniformisation sans contraintes.

L’essentiel de ce bagage qui nous fait français s’enracine dans les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, produites au Siècle des Lumières, proclamées par la Révolution Française, préservées comme références dans les moments les plus difficiles de notre histoire. Je crois que ces valeurs toujours actuelles donnent à notre pays des raisons de vouloir participer avec d’autres à la construction d’une Europe puissante et d’un monde à la fois uni et pluriel.

La France telle que je la vois a aussi pour caractéristique de refuser la résignation au désordre et à l’injustice et de vouloir sans relâche bâtir un autre ordre du monde. Elle doit contribuer, en particulier dans le cadre européen, à l’émergence d’un pluralisme mondial fondé sur le droit, le dialogue entre les peuples et la recherche obstinée de l’intérêt général.

La présence de la France au monde s’appuie sur un réseau diplomatique et culturel solide, sur une tradition de dialogue avec tous les grands ensembles régionaux et sur une capacité de présence partout dans le monde par ses entreprises, ses créateurs, sa culture, ses ONG, et enfin ses citoyens.

Tous ceux qui voyagent constatent partout ce " désir de France ". Non pas d’une France prétentieuse, donneuse de leçons et repliée sur elle-même, mais d’une France fraternelle et ouverte aux autres, qui saura demeurer, dans l’âge de la mondialisation, un ferment et un garant de diversité et de pluralisme culturel, linguistique et politique, de démocratie, d’humanisation des règles d’airain de l’économie mondiale. Nous devons nous donner les moyens de cette mission, et d’une vraie politique d’influence. La France n’entend pas imposer son point de vue à ses partenaires mais ne se replie pas davantage dans un isolement frileux. Elle veut convaincre. Je souhaite que mon pays soit un acteur dynamique, à l’écoute des autres, toujours disposé au dialogue et apte, en toutes circonstances, à nouer des alliances, pour porter au mieux sa conviction et ses valeurs et mettre ainsi son action au service du plus grand nombre au sein de la communauté internationale.

De tout cela, qui sont autant de qualités, j’entends faire usage pour les mettre au service de solutions positives aux problèmes du monde afin de l’infléchir, de l’organiser et de le rendre moins injuste. Tel devrait être, à mes yeux, l’un des rôles essentiels d’une présidence active. Elle peut agir pour peu qu’elle le veuille et je m’y emploierai si je suis élu président de la République, comme je m’y suis déjà employé en tant que chef du Gouvernement depuis 1997, notamment en commençant à redresser l’aide publique au développement, en rénovant notre politique de coopération, en favorisant l’accès des pays en développement aux médicaments, en faisant décider l’interdiction des mines anti-personnel, en engageant notre pays résolument au service du droit international, en relançant l’accueil des étudiants étrangers, en promouvant les thèmes de la régulation mondiale et, bien sûr, en agissant pour la coordination économique et les politiques sociales en Europe.

À la tête de l’Etat, cette action peut prendre une nouvelle ampleur, et particulièrement au travers de la construction européenne.

Je suis profondément européen. Je suis européen parce que je crois à une civilisation européenne. Je suis européen parce que je crois qu’une Europe forte est un facteur essentiel de l’organisation du monde que j’appelle de mes vœux. Je suis européen parce que je pense que l’Europe peut donner au monde un exemple d’équilibre économique, social et politique. C’est pourquoi, je suis convaincu que la construction d’une Europe forte est dans l’intérêt de notre pays.

Une France forte dans une Europe forte est le plus sûr moyen d’œuvrer au rééquilibre du monde.

Je veux sur ce point être précis. Dans mon esprit, si la France doit agir pour que l’Europe soit forte, ce n’est pas parce qu’elle chercherait à restaurer par le biais de l’Europe unie une influence qui se serait réduite, mais parce que je crois que les peuples et les nations européens ont en partage des traits de culture, des organisations sociales, des principes de vie et des valeurs qui fondent largement leur légitimité à parler et à agir sur la scène internationale d’une seule et même voix.

Voilà pourquoi je veux que la France s’engage résolument en faveur d’une fédération européenne d’Etats nations, efficace, présente aux affaires du monde, à la dimension de son poids économique et de sa puissance.

Cela suppose de la part du Chef de l’Etat français, non seulement un engagement clair en ce sens, mais aussi une action déterminée, continue, quotidienne pour :
     réussir l’élargissement dans l’intérêt des Etats candidats mais aussi des Etats membres, sans remise en cause des politiques communes et des acquis. L’unification de l’Europe ne saurait être synonyme d’une dilution en une vaste zone de libre-échange ;

     enrichir concrètement le contenu de l’Europe en répondant aux attentes des Européens, par la création d’un gouvernement économique, la consolidation de la place et du rôle des services publics, l’harmonisation sociale et fiscale, la protection de l’environnement, une vraie politique des transports, le développement de la recherche, l’éducation et la culture, la sécurité et la justice ;

     doter la Fédération européenne d’Etats-nations d’une Constitution dont la Charte des droits fondamentaux, expression emblématique du modèle européen de civilisation, constituera le préambule. Cette Constitution devra définir clairement les institutions de l’Union et la répartition des compétences entre elles et les Etats, en préservant l’originalité et le dynamisme de la construction communautaire. Je veillerai à la force de la contribution qu’apportera la France à la Convention sur l’avenir de l’Europe et à la Conférence intergouvernementale qui suivra.

    Élargie et refondée, cette Europe pourra contribuer davantage à l’équilibre du monde en faveur de la paix et du développement. Elle sera au cœur de mes préoccupations et de mon action. Et dans ce domaine, je m’efforcerai d’inscrire ma responsabilité dans la tradition de l’engagement français en faveur de l’Europe tel que François Mitterrand l’a illustré.

    Je m’efforcerai de conduire cette action en faveur de la construction européenne en bonne entente avec les Etats membres, et tout particulièrement nos plus proches voisins. Je souhaite que la France soit au cœur de toutes les coopérations envisageables. Je veillerai avec une grande attention à la qualité de la relation franco-allemande, non pour établir à l’intérieur de l’Union je ne sais quel directoire des Grands, mais parce que cette entente est commandée aussi bien par l’histoire, la géographie que par l’économie, et qu’elle sera essentielle dans l’étape à venir.

     La France œuvrera à bâtir et à renforcer la PESC ; une politique étrangère française juste et ambitieuse au Proche-Orient, en Afrique et partout ailleurs contribuera utilement à une synthèse européenne ambitieuse. Puisque j’ai évoqué le Proche-Orient, et en raison de l’évolution tragique en cours, je préfère, plutôt que de l’évoquer brièvement maintenant, en traiter plus longuement en réponse à vos questions.

     Avec les Etats-Unis, nous rechercherons la coopération et le partenariat, nous réservant le droit d’agir et de progresser sans eux quand il le faudra et d’exprimer nos désaccords comme il est honnête de le faire entre amis quand il y aura lieu de le faire.

     Je ferai des propositions pour que l’Europe soutienne toutes les politiques qui concourent vraiment au développement, notamment par un dialogue approfondi avec les pays en développement, et le lancement d’un grand emprunt pour financer l’équipement de nombreux secteurs de base nécessaire au développement des pays du Sud de la Méditerranée.

     Je veillerai à ce que des limites soient imposées à la marchandisation du monde, pour que des domaines essentiels tels que la santé, les droits sociaux, la protection de l’environnement et la culture n’obéissent pas aux seules normes commerciales et financières.

     J’agirai pour que l’indispensable réforme du Conseil de Sécurité soit enfin décidée et mise en œuvre, et pour la création d’un Conseil de Sécurité et Économique et Social assurant la coordination des institutions multilatérales spécialisées et une meilleure hiérarchie des normes.
Notre outil de défense, qui a pour fonction première la préservation de vos intérêts vitaux, est au service de ces ambitions de présence internationale et d’influence dans le traitement des crises. Nous devons consolider notre capacité à mener des interventions rapides et décisives face aux agressions, dans le respect des règles internationales : c’est la condition pour que nous participions à la décision dans toutes les situations graves. La réforme de notre défense, menée à bien par le gouvernement, a été guidée par ce but politique.

L’intensité des liens politiques entre Européens au sein de l’Union nous a permis d’engager enfin un projet de défense commun. Les missions que nous voulons exécuter ensemble sont cohérentes avec les valeurs et les principes politiques de l’Union européenne. Elles s’harmonisent avec les autres outils d’action extérieure, en particulier la diplomatie, la coopération technique et financière, les aides à la construction démocratique.

Cette politique européenne de sécurité et de défense doit encore progresser par la mise en commun de capacités de renseignement, de communication et de projection de force. Ce projet est un des axes de l’affirmation européenne dans une mondialisation régulée.

Ces grandes orientations qui constitueront les axes de la politique européenne et de la politique étrangère que je mettrai en œuvre, si je suis élu Président de la République, je les ai mûries avec mes ministres, au cours des cinq années passées et, chaque fois que cela a été possible, mon gouvernement a agi dans cet esprit. J’aurais peut-être dans quelques semaines les moyens de leur donner toute leur dimension. Mais, cette responsabilité, si elle est au cœur de la fonction présidentielle, ne peut pas être exercée de manière solitaire. Je veillerai donc à m’appuyer sur l’action de toutes les Françaises et de tous les Français qui, directement ou indirectement, participent à l’action nationale et internationale. Comme nous avons besoin d‘une action diplomatique professionnelle et déterminée, de parlementaires engagés et responsables, à Paris comme à Strasbourg, nous avons besoin d’ONG actives et informées, d’entreprises performantes, de syndicats plus européanisés, de chercheurs appréciés, d’artistes, de créateurs, et de sportifs reconnus qui rayonnent dans le monde.

Je voudrais que chaque Français se sente concerné par l’état de notre planète et l’action internationale de la France, que chaque citoyen de notre pays soit plus ouvert sur le monde. Nous en avons besoin.

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