Présider autrement
Lorient - Jeudi 4 avril 2002

 Discours de Lionel Jospin destiné à présenter ses propositions pour promouvoir le développement du littoral et plus généralement évoquer les questions maritimes.


 

Chers amis,
mesdames messieurs,

Je suis heureux d’être aujourd’hui avec vous à Lorient pour parler de la mer. La mer, ici comme à Brest où j’étais cet après-midi, est pour beaucoup d’entre vous un lieu de vie et de travail. Un espace fragile et immense, mais un espace partagé et offert à tous. C’est de cette mer-là que je me suis entretenu, il y a quelques instants, avec des marins et d’autres acteurs de l’économie maritime.

J’ai souvent côtoyé la mer, durant ces cinq dernières années. Je n’évoque pas ici mes quelques virées, quand j’ai la chance de vivre en insulaire, non loin d’ici, quelques semaines par an. Je parle de l’activité quotidienne de mon gouvernement. Comment pourrait-il en être autrement, alors que les faits sont là : nous avons la troisième zone maritime au monde, avec les départements et territoires d’outre-mer.

La France a une vocation maritime.
Les Français, qui sont des terriens, oublient trop souvent qu’ils ont des côtes, qu’ils ont des bateaux, et pourtant, jamais ils n’ont tant aimé leurs mers !

Notre pays ne s’est jamais senti aussi proche de ses pêcheurs, de son littoral, de ses mers. La mer unit et rassemble ; elle porte des valeurs de solidarité, mais aussi d’accomplissement de soi, de dépassement et d’ambition pour la France. Je me souviens de ce testament laissé par Eric Tabarly, le grand navigateur, testament rappelé par sa femme lors de ses obsèques : “ la mer, disait-il, est source de vie, de puissance, de force et d’alliance entre les hommes ”. Je crois à toutes ces valeurs et à tous ces symboles : la mer source de vie, la mer vecteur d’alliances et de paix entre les hommes. Cela fait de la mer et du littoral un espace rare, convoité voire disputé, fragile mais porteur de richesses. Un espace qui s’inscrit donc profondément dans la volonté que portent les socialistes : celle d’un développement durable qui préserve chaque partie de notre territoire, pour l’épanouissement de l’homme.

Pourtant, la mer est un terrain difficile pour l’action publique : elle est sans frontières, ouverte à tous les vents du libéralisme le plus dur, des “ bateaux poubelles ” aux marins abandonnés à leur sort. Faut-il dès lors, pour rester compétitif, ne proposer, comme la droite, que les règles de droit qui font l’objet d’un consensus général, forcément minimum ? Se résigner à ce plus petit commun dénominateur, c’est abandonner toute exigence forte de régulation, ce serait nier toute ambition maritime pour la France et l’Europe.

Conduire une politique maritime, c’est refuser les dérives libérales qui prétendent abandonner la mer aux seules lois du marché alors même que le besoin d’une intervention publique, pour encourager et soutenir les secteurs de la filière marine, préserver l’environnement, n’a jamais été aussi grand. Conduire une politique maritime c’est prendre en compte l’ensemble des éléments qui composent une identité forte, identité économique incontestable mais aussi identité culturelle.

Notre bilan

Au cours des cinq dernières années, la mer et le littoral ont été au cœur des efforts du gouvernement.

Je m’y suis personnellement impliqué en mettant en avant cinq priorités.

Première priorité, la sécurité maritime. En réponse aux naufrages dramatiques de l’Erika et du Ievoli Sun, qui ont durement touché notre littoral, tout a été mis en œuvre, avec les acteurs locaux, pour faciliter le nettoiement des plages et maîtriser l’extension de la pollution. Au-delà de ces mesures d’urgence et afin de prévenir la répétition de ces catastrophes, des réformes de fond ont été engagées. Au niveau national, les corps de contrôle et les dispositifs de sécurité ont été renforcés et réorganisés.

Mais les mesures nationales restent insuffisantes face à un phénomène transnational. C’est pourquoi le gouvernement s’est employé à susciter une réaction vigoureuse au niveau européen. Les décisions dites “ Erika 1 ”, qui résultent de ces discussions, prévoient ainsi le renforcement des contrôles effectués dans les ports avec, notamment, la possibilité de bannir les bateaux les plus dangereux. Les sociétés de classification font, elles aussi, l’objet de nouveaux contrôles, plus sévères. Enfin, l’élimination des navires à simple coque, trop peu sûrs, est désormais programmée rapidement.

Notre deuxième priorité a été la pêche, avec le vote d’une loi d’orientation. Celle-ci engage une réforme globale de la filière pêche, et le gouvernement a été particulièrement attentif à la question de la sécurité des marins. C’est pourquoi de nouvelles mesures, visant à améliorer les conditions de sécurité des pêcheurs, ont été prises à la fin de l’année 2001.

Troisième priorité : la politique portuaire a été relancée à partir de 1997. En effet, les ports français ne se développent pas autant qu’ils le pourraient. Les mesures prises favorisent leur développement dynamique : réforme du mode de gestion des ports nationaux, assouplissement des règles du domaine public maritime, poursuite de l’effort d’investissement public, développement de la coopération interportuaire.

Le développement de la flotte de commerce française a été notre quatrième axe de travail. Nous ne pouvions nous satisfaire de l’affaiblissement de notre flotte et de la diminution de son rôle dans les échanges mondiaux. Pour contrecarrer cette évolution, un système de GIE fiscal a été instauré, de même que divers dispositifs d’allègements en accord avec la profession.

Enfin, cinquième priorité, la construction navale a été préservée et relancée chaque fois que cela était possible. Alors que le soutien aux chantiers navals de Saint-Nazaire avait fait l’objet d’une véritable offensive de la part du très libéral commissaire européen à la concurrence au début des années 1990, Lord Brittan, cette activité a non seulement pu se maintenir, mais est parvenue à se développer en mettant en valeur un savoir-faire français mondialement reconnu. Dans le secteur militaire, l’indispensable réforme de la DCN permettra à la fois de garantir le secteur public de l’entreprise mais aussi de valoriser au niveau international la qualité de son savoir faire et le haut niveau de ses productions.

Le bilan du gouvernement témoigne du travail accompli. Il faut toutefois aller plus loin. C’est pourquoi je vous propose d’affirmer une grande ambition et d’amplifier la stratégie de reconquête de nos atouts maritimes. Cette politique doit s’articuler autour de trois enjeux majeurs que sont le développement de l’économie maritime, l’affirmation de l’Europe comme puissance maritime et enfin un développement intégré et durable du littoral.

1 - Je veux d'abord promouvoir notre économie maritime

Promouvoir cette économie c’est d’abord conforter l’avenir des métiers de la pêche. Entre le Pays de Lorient et la Cornouaille, vous représentez ici la moitié de la pêche française. Vous savez donc que la ressource constitue un bien collectif dont l’équilibre est fragile et dont l’exploitation doit respecter certaines règles, délibérées, acceptées et contrôlées par tous les Etats membres de l’Union européenne.

Dans cette démarche, nous devons éviter deux écueils : le statu quo et la libéralisation outrancière. Celle-ci ne prendrait pas en compte le caractère spécifique de la pêche, mais l’immobilisme est voué à l’échec.

La politique européenne de la pêche n’a pas atteint ses objectifs : la casse des bateaux, engagée depuis 15 ans, n’a pas permis de préserver les ressources car elle n’a pas compensé les gains de productivité des nouvelles unités. Si, comme l’affirme la Commission, des ajustements sont nécessaires, certaines flottes européennes se sont déjà restructurées. Il n’y a pas de raisons que certaines payent le retard des autres.

Je propose, pour arriver à la nécessaire maîtrise de la production, de rendre toute leur place aux mécanismes de quotas et de totaux autorisés de capture (TAC) en les modernisant, à travers un meilleur dialogue entre les acteurs du secteur que vous êtes et les scientifiques. Mais pour être efficace, cette réforme doit s’appuyer sur des mécanismes de contrôle renforcés comme la surveillance des pêches par suivi satellitaire ou le soutien des efforts collectifs de pêche responsable, ces mécanismes de contrôle doivent être identiques pour l’ensemble de l’Union européenne.

Pour rendre à nouveau attractif les métiers de la mer, nous devons également leur donner un niveau social équivalent aux autres professions : protection sociale, assurance chômage, conditions de travail, formation… Nous avons lancé des chantiers dans tous ces domaines. Il faudra les mener à bien.

Enfin, la pêche est certes un métier d’homme libre, mais elle est un métier dangereux. Chaque année, le tribut payé par la collectivité des pêcheurs à leur activité est lourd, beaucoup trop lourd. Je ne l’accepte pas, je ne m’y résous pas. Il faudra poursuivre avec force les actions déjà engagées.

Promouvoir le développement économique c’est ensuite développer notre flotte de commerce. Notre flotte ne décline plus, grâce aux mesures de soutien que mon gouvernement a prises et son âge moyen a diminué de cinq ans depuis 1997. Mais notre position internationale est loin d’être satisfaisante.

Car la défense du pavillon est, en effet, la garantie d’un savoir faire et du maintien de l’emploi des navigants français. C’est aussi là l’assurance de la maîtrise de nos échanges. C’est enfin le meilleur moyen de renforcer la sécurité maritime, car la première sécurité, c’est celle du pavillon. Je propose que notre flotte bénéficie des mêmes soutiens que les autres pavillons européens à condition que ce soutien de l’Etat soit lié à la préservation de l’emploi et au développement des technologies d’avenir. Je pense en particulier à la taxe au tonnage et aux nouvelles normes du pavillon français Kerguelen rendues possibles après l’accord récent des partenaires sociaux.

Ces priorités valent aussi pour la construction navale, désormais restructurée et recentrée, et pour laquelle nous avons des leaders internationaux. C’est le cas, par exemple, des paquebots de croisières ou de l’industrie nautique et de la construction militaire. Encore faut-il que cette industrie ne soit pas victime d’un dumping international anarchique. C’est pourquoi je suis partisan d’une véritable politique navale et maritime européenne, à l’image de ce qui a été fait dans les secteurs spatial et aéronautique.

C’est l’un des enjeux de l’Agence européenne de la mer proposée par mon ami Mario Soarès et dont je souhaite la mise en place. Cette agence aurait aussi pour mission l’élaboration d’une véritable stratégie européenne de la recherche maritime et littorale dans laquelle la France, grâce à son pôle d’excellence qu’est l’Ifremer, pourra tenir toute sa place.

Pour favoriser le développement maritime, nous devons enfin dynamiser tous nos ports. Et je précise bien, ici, en Bretagne, “ tous nos ports ”, m’inscrivant en faux à l’égard du discours catastrophiste tenu avant 1997, qui considérait que “ la France n’a les moyens de soutenir qu’un seul port par façade maritime en matière de trafic international ”. Cette vision retardataire nie complètement le rôle des villes portuaires dans l’aménagement du territoire, et la nécessité de développer fortement l’inter-modalité et le cabotage, mode de transport écologique d’avenir. Je souhaite donner une impulsion au cabotage maritime : face à la saturation des transports routiers et dans la perspective d’un doublement des échanges européens dans les vingt ans qui viennent, le cabotage est en effet une alternative sure et économe en infrastructure. C’est dans cet esprit que j’ai proposé un schéma national de développement du cabotage et du ferroutage.

Il n’y a aucune fatalité à la stagnation de nombreux ports français, pour autant qu’ils reçoivent les moyens d’un nouvel essor. C’est pourquoi je propose de faire de la politique portuaire l’un des piliers du nécessaire approfondissement de la décentralisation. Nous avons fait un premier pas dans ce sens avec la loi “ démocratie de proximité ”, qui donne des compétences aux régions, à titre expérimental, sur les ports d’intérêt national. Il convient désormais d’aller plus loin en leur confiant une responsabilité générale en matière d’organisation portuaire, en liaison avec les autres collectivités, et avec un soutien fort de l’Etat.

2 - Je veux ensuite promouvoir une régulation mondiale en faisant de l'Europe une puissance maritime

À Brest, j’ai pu constater la mobilisation des services de l’Etat pour assurer notre sécurité maritime. Presque chaque semaine, la chronique des incidents à la pointe du Finistère nous montre que la Bretagne tout entière est sur la ligne de front de la sécurité maritime : 150 millions de tonnes de produits à risque passent chaque année au large de ses côtes. Plus de deux ans après l’Erika, la vigilance reste une nécessité de chaque jour.

Comment agir ? D’abord au niveau mondial. Nous le faisons bien sûr au plan social, en appuyant l’action du syndicalisme maritime international, l’ITF, dont l’action est exemplaire à l’égard des marins abandonnés. Nous devons aussi maintenir notre soutien à l’Organisation Internationale du Travail (OIT), où nous présidons les négociations en cours pour une convention sociale unique pour les marins. Quant à l’Organisation Maritime Internationale (OMI), elle doit être plus réactive. L’exemple de l’interdiction des simples coques après l’Erika démontre qu’elle peut y parvenir.

Mais quand l’OMI est entravée par l’activisme des grandes flottes de complaisance, nous devons agir au niveau européen, sans attendre un consensus international. Les Etats-Unis se sont engagés dans cette voie, après la catastrophe de l’Exxon-Valdez, en bannissant de leurs eaux les navires dangereux, et en imposant une responsabilité illimitée à toute la chaîne de transport, de l’armateur à l’affréteur. L’Europe doit être unie pour permettre cette évolution.

Car tous les moyens sont disponibles pour assurer un contrôle européen totalement intégré : que ce soit la surveillance aérienne et satellitaire, l’obligation de signalement comme pour les avions, l’installation de boîtes noires à bord des navires. La création de l’Agence européenne de sécurité maritime, proposée par la France, devra nous permettre de progresser plus rapidement.

Je veux enfin un développement integre et durable du littoral

Le littoral est souvent une zone de conflits d’usage et de complexité juridique. La vie, l’économie et l’environnement parfois s’y opposent. D’ailleurs, 80 % des pollutions maritimes viennent de la terre.

Comment prendre en compte ces interdépendances ? La loi littoral, tout en montrant son efficacité, a mis en évidence les limites de l’approche réglementaire et le besoin de nouveaux outils, qui tiennent compte des responsabilités des collectivités locales. Je souhaite que l’on développe l’expérimentation, à travers des démarches de long terme impliquant tous les acteurs locaux : État, collectivités locales, acteurs économiques, associations, comme cela est en cours sur nos côtes, de la Côte d’Opale à la Rade de Brest, de la mer d’Iroise au bassin d’Arcachon.

Plus largement, le concept de territoire, doté d’un projet, et concrétisé dans un contrat, doit être aujourd’hui décliné en termes maritimes et littoraux. Les outils existent avec la loi d’orientation et d’aménagement durable du territoire dont les pays maritimes sont en voie de structurer l’ensemble de notre littoral.

Cette démarche est essentielle pour concilier la préservation du littoral et le tourisme. Si le littoral tire la moitié de ses revenus (soit 7,5 milliards d’euros) de cette activité, le tourisme doit être mieux régulé et maîtrisé pour ne pas compromettre ce qui est son atout fondamental : la qualité des espaces. Nous devons faire preuve de plus d’imagination et, par exemple, privilégier la reconversion des friches portuaires existantes plutôt que d’utiliser systématiquement nos espaces naturels pour accueillir des bateaux de plaisance toujours plus nombreux.

Au delà, la mer a un rôle écologique majeur à jouer. Lieu de vie d’espèces menacées, régulateur de climat irremplaçable, elle doit être absolument protégée. Nous devons pour cela mettre en place des dispositifs comme celui qui a été adopté pour l’Antarctique.

Conclusion

Je ne voudrais pas terminer sans évoquer un sujet qui vous tient à cœur, le ministère de la mer. Ce ministère a pris corps en Bretagne, inauguré par Louis Le Pensec et les socialistes. Il s’est interrompu après Jean-Yves Le Drian et Charles Josselin, avec la victoire de la droite. Je sais que beaucoup d’entre vous souhaitent que l’action publique soit davantage coordonnée, et aspirent au retour de cet interlocuteur privilégié que constitue un ministère à part entière. Il appartiendra au premier ministre de déterminer l’organisation du gouvernement. Si je suis élu président de la république, j’accueillerai positivement une telle proposition.

En 1981, les socialistes avaient publié un livre qui a fait date « La mer retrouvée ». Certes, la France n’a pas retrouvé tous ces atouts maritimes. Mais vous qui aimez la mer, vous qui la faites vivre, vous y contribuez. Croyez en ma volonté de donner à la France le rayonnement maritime qu’elle mérite. Je vous en remercie.

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