Si je gagne... | |
par Lionel Jospin, candidat PS à la présidentielle
Entretien accordé à l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, n°1591 (4 mai 1995). Propos recueillis par François Bazin et Robert Schneider |
A quelques jours de l'élection, comment évaluez-vous vos chances de victoire ?On parle à votre sujet d'un « phénomène Clinton ». Cette comparaison avec le vainqueur des élections américaines vous paraît-elle pertinente ?Si vous êtes élu le 7 mai, vous nommez un gouvernement. Quel sera son profil ?Vous avez annoncé que vous décideriez la dissolution de l'Assemblée nationale. Organiserez-vous, avant les législatives, un référendum sur le quinquennat et le non-cumul des mandats ?J'ai dit aussi dans mon programme que je voulais organiser un référendum pour instaurer le quinquennat et une plus stricte limitation des cumuls de mandats. Cela sera fait rapidement. Mais le calendrier exact de ces deux actes appartiendra au président élu, qui en décidera le moment venu, et en vertu de la Constitution, avec le Premier ministre. Jacques Delors affirme que vous vous appuierez sur une nouvelle génération d'hommes et de femmes. Quelle place aura cette génération dans votre gouvernement ?Vous ne souhaitez pas que les maires et les présidents des grandes collectivités locales soient présents au gouvernement. N'est-ce pas une marque de défiance à leur endroit ?Êtes-vous favorable à la présence de ministres venus de la société civile ?Pensez-vous que vous bénéficierez d'un état de grâce comme François Mitterrand en 1981? Est-ce que les socialistes peuvent avoir la majorité ? Le souhaitez-vous ?Le 9 mai, le président Mitterrand se rendra à Moscou dans le cadre des cérémonies du cinquantième anniversaire de la défaite des nazis. Il a prévu d'associer son successeur à ces cérémonies. Irez-vous à Moscou ?Comment concevez-vous vos rapports avec le gouvernement et le Parlement ?Le Parlement devra être plus actif et exercer pleinement son rôle. Le non-cumul des mandats pour les parlementaires permettra une durée de session accrue, une présence effective des parlementaires en séance. Nous pourrons donc organiser sur toutes les grandes questions des débats parlementaires ponctués par des votes. Nous laisserons le Parlement inscrire librement un tiers de son ordre du jour. Il contrôlera le gouvernement d'une façon semblable à celle qui prévaut dans les autres grandes démocraties. Quelles décisions prendrez-vous dans les semaines qui suivront votre élection en matière de lutte contre le chômage ?L'action contre le chômage ne devra pas être retardée par le calendrier électoral. J'utiliserai donc, si nécessaire, tous les moyens que me donne la Constitution pour permettre au gouvernement d'engager ces réformes. Parallèlement, le Premier ministre recevra les partenaires sociaux pour les inviter à engager les discussions sur la réduction du temps de travail sous les formes et les formules de leur choix. Vous serez surpris par la vigueur et la rapidité de la mise en place de notre action pour l'emploi, qui est, vous le savez, ma première priorité. En ce qui concerne les salaires, le gouvernement ne peut jouer que sur le smic et les rémunérations de la fonction publique. Comment pouvez-vous inciter le privé à augmenter les salaires ?L'Etat devra être beaucoup plus un incitateur, un garant, qu'un mécanicien ou un chef d'orchestre comme il a été dans le passé. Quand j'entends Jacques Chirac évoquer un Grenelle à froid, je ne peux m'empêcher de penser qu'il est resté dans une vision dépassée. Cela étant dit, l'Etat a des moyens d'incitation plus directs si nécessaire: salaires des entreprises publiques, fiscalité, réglementation. Je souhaite qu'il les utilise plus pour accompagner ou faciliter des solutions inventées par les partenaires sociaux que pour agir par contrainte. Il faudra de la force de conviction, de la ténacité, le sens du dialogue pour réaliser tout cela, mais le Premier ministre que je choisirai aura ces qualités. La grande conférence que vous souhaitez avec les partenaires sociaux aura-t-elle lieu pendant l'été ?La priorité sera-t-elle donnée aux augmentations de salaires ou à la lutte contre le chômage ?La question me paraît aussi étrange que si vous me demandiez quelle est votre priorité : la marche ou l'achat de chaussures ? Vous avez évoqué des mesures d'ajustement pour résoudre le déficit de la Sécurité sociale. Pouvez-vous préciser quelles seront ces mesures ?Je crois que les comptes de la Sécurité sociale peuvent être rétablis à partir de mesures multiples: rôle du médecin généraliste dans l'orientation, limitation de l'usage de médicaments inutiles, meilleure gestion... Cela peut se faire sans bouleversement, si nous en avons la volonté. Ceux qui passent leur temps à monter en épingle les déficits ou à dire qu'il ne faut pas limiter lesdépenses de santé sont ceux qui, sournoisement, veulent à terme détruire notre système deprotection sociale et d'une manière rampante le privatiser. Le système libéral américain d'assurance-santé coûte 50 % de plus et couvre 30 % de moins que le système européen de Sécurité sociale. Il est donc exclu que la France s'engage sur cette voie. Au nom de la justice mais aussi de l'efficacité, je dis fermement non à ces tentations, mais je dis aussi que nous pouvons mieux gérer notre système actuel et que nous le ferons. La révision des lois Pasqua fera-t-elle partie des textes que vous soumettrez en priorité à l'Assemblée nationale ?Le sommet européen a lieu à Cannes, en juillet. Quelles propositions y ferez-vous ?1) Relancer immédiatement les programmes de grands travaux suggérés par Jacques Delors et portant sur les infrastructures et l'aménagement du territoire. Tout en préparant l'avenir, ces actions mettront l'Europe au coeur de la lutte pour l'emploi. 2) Approfondir immédiatement la réflexion sur l'émergence d'un espace de paix et de développement en Méditerranée. Aborder la question de la démocratie, de la paix et du développement en la liant à celles des rapports futurs des Etats avec l'Union européenne. Les guerres représentent des risques considérables pour l'Europe comme pour la Méditerranée, et nous devons donc tout faire pour y mettre rapidement fin. Je sais que c'est extraordinairement difficile. Je connais le poids écrasant de l'Histoire dans cette région, mais je ne peux me résigner à la guerre et à la violence, aux intégrismes de toutes sortes et à tous les crimes qu'ils alimentent. Je veux saisir l'occasion de la présidence française pour agir et ouvrir de nouvelles perspectives de paix et de prospérité dans un respect intransigeant des droits de l'homme et de l'égalité des sexes. J'utiliserai le dîner des chefs d'Etat pour amorcer une discussion plus large sur l'avenir de l'Europe et sur le calendrier de la conférence intergouvernementale de 1996, qui va revêtir une importance considérable. Il n'y a pas de temps à perdre. Précisément, dans quel état d'esprit aborderez-vous cette conférence de 1996 qui portera sur les institutions européennes ?1) Renforcer l'efficacité de la prise de décision tout en allant vers plus de démocratie. 2) Reprendre la réflexion et l'action qui ont conduit à l'adoption du volet social du traité de Maastricht, et sortir de l'oubli les propositions faites par Jacques Delors dans le livre blanc destiné à rechercher un meilleur équilibre entre la compétitivité économique et la justice sociale. 3) Prenant acte des difficultés de mise en oeuvre du traité de Maastricht en ce qui concerne la politique étrangère commune, proposer au Conseil européen une procédure de discussion et de travail qui devrait permettre à l'Europe de jouer pleinement son rôle sur le plan international. Je veux donc, comme vous le voyez, assurer une présidence française très active, et très au-delà contribuer à une relance européenne. L'Europe doit redevenir un grand espoir, c'est l'intérêt des Français, qui en sont l'un des moteurs essentiels. Avez-vous le sentiment qu'on assiste, en Europe, à un renouveau des idées sociales-démocrates ?En France, en quoi votre projet social-démocrate se différencie-t-il de celui porté par François Mitterrand depuis 1981 ?Il nous faut avoir, sur la société comme sur la politique, un regard neuf. |
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