Mariage homosexuel : un problème d'institutions

Lionel Jospin

Point de vue signé par Lionel Jospin, ancien premier ministre (1997 - 2002), paru dans l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche daté du 16 mai 2004


 
Au moment où s'engage un débat public et politique sur le mariage homosexuel, avec, dans son prolongement, la question de l'adoption d'enfants, je veux faire part de deux réflexions.

La première concerne la liberté de débattre vraiment. Car les tabous, en tout cas à gauche, ne sont peut-être pas là où l'on croit. Je vois s'esquisser une nouvelle tentation bien-pensante, voire une crainte de l'imputation homophobe qui pourraient empêcher de mener honnêtement la discussion. On peut pourtant réprouver et combattre l'homophobie, tout en n'étant pas favorable au mariage homosexuel, comme c'est mon cas. Ma position, faut-il le dire, s'accompagne d'un plein respect des choix de vie amoureux et sexuels de chacun. Mais puisqu'on parle de loi, il me semble que le législateur, tout en étant attentif aux désirs, souvent contradictoires, des individus, doit rechercher l'intérêt de la société tout entière. C'est pourquoi le débat doit se dérouler sans intimidation ni rappel à un " ordre moral " quel qu'il soit.

Cela me conduit à une deuxième réflexion. Elle porte sur une dimension souvent négligée : le sens et l'importance des institutions. Dans la discussion qui s'amorce, j'entends parler de désirs, de refus des discriminations, de droit à l'enfant - alors qu'on devrait mettre en avant le droit de l'enfant - et d'égalité des droits, comme si le principe de l'égalité des droits devait effacer toute différence. Mais j'ai peu entendu parler d'institutions. Or, c'est essentiel.

Nous sommes dans un temps où l'on souligne en permanence la crise des institutions - l'État, l'école, les églises, la famille - et la perte des repères qu'elle entraînerait. De fait, les institutions ont été créées pour fonder et étayer les sociétés. On peut les défendre, on peut les contester - c'est aussi une façon de se structurer -, on peut les réformer. Je ne crois pas qu'il soit pertinent d'en dénier le sens. Le mariage est, dans son principe et comme institution, " l'union d'un homme et d'une femme ". Cette définition n'est pas due au hasard. Elle renvoie non pas d'abord à une inclination sexuelle, mais à la dualité des sexes qui caractérise notre existence et qui est la condition de la procréation et donc de la contuinuation de l'humanité. C'est pourquoi la filiation d'un enfant s'est toujours établie par rapport aux deux sexes. Le genre humain n'est pas divisé entre hétérosexuels et homosexuels - il s'agit là d'une préférence -, mais entre hommes et femmes. Quant à l'enfant, il n'est pas un bien que peut se procurer un couple hétérosexuel ou homosexuel, il est une personne née de l'union - quelle que soit la modalité - d'un homme et d'une femme. Et c'est à cela que renvoient le mariage et aussi l'adoption. Aux caractères du mariage on peut préférer le célibat, le concubinage et désormais le pacte civil de solidarité (Pacs), que mon gouvernement a instauré. On peut respecter la préférence amoureuse de chacun, sans automatiquement institutionnaliser les mœurs.

© Copyright Le Journal du Dimanche


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