Traité constitutionnel européen | |
Intervention de Lionel Jospin, ancien premier ministre (1997 - 2002), devant les militants de la section Chapelle-Goutte-d'Or (Paris-XVIIIème arrondissement), le 23 novembre 2004 |
Notre débat sur le Traité constitutionnel touche à sa fin et je veux vous dire mon sentiment sur ses enjeux pour la France en Europe et pour le parti socialiste. Il y a un profond illogisme chez les initiateurs du Non, car ils en dramatisent les raisons mais ils en banalisent par ailleurs les conséquences. Ils réclament un vote contraire à la tradition du socialisme français : nous nous serions trompé gravement depuis 1981 et le moment serait venu d'opérer une rupture avec le cours de la construction européenne. Ils prétendent que l'Union européenne est exclusivement libérale, sous domination américaine, qu'elle est inspirée par la droite et incompatible avec nos aspirations socialistes. Ils affirment que le Traité constitutionnel est un carcan, qui menace notre souveraineté et qui nous interdirait de conduire en France une politique de gauche. On s'attendrait donc à ce que ces Cassandre préviennent les militants, qu'après avoir dit Non, la France engagerait forcément une épreuve de force avec ses partenaires pour changer la nature de cette Europe fourvoyée et, qu'à défaut, elle opérerait un repli national. Or ce n'est pas du tout ce qui nous est dit. Par miracle, après le Non de la France, l'Europe redeviendrait soudainement aimable ; on trouverait aisément un accord avec les autres Etats, grâce à de petites modifications du Traité ; on pourrait même ingénument étendre le vote à la majorité qualifiée puisque les autres européens se rallieraient spontanément à nos vues (y compris sur la fiscalité). A une menace majeure succéderait une idylle. Voilà qui relève de la pensée magique. Où se trouve la logique de cet illogisme apparent ? C'est que l'objectif réel n'est pas de changer la face de l'Europe mais de changer la donne au parti socialiste : c'est pourquoi il faut à la fois faire peur et rassurer. Il faut tout d'abord dramatiser. On caricature le Traité constitutionnel pour troubler des militants spontanément européens et leur faire croire que faire avancer l'Europe, c'est renoncer à combattre la droite. On invoque le 21 avril 2002 pour disqualifier la politique menée après 1997 et ternir notre propre image, en occultant à la fois la division néfaste de la gauche en 2002 et le retour des Français vers le PS depuis lors. Pourtant, ce retour montre bien qu'ils ont, eux, tiré les leçons du 21 avril. Mais si on dramatise, on veut ensuite rassurer pour persuader les militants que le Non sera inoffensif, qu'il n'aura pas d'effet réel sur l'avenir de l'Europe et qu'il laissera intact le parti socialiste. Le contraire est évident. Un vote négatif au sein du parti socialiste ouvrirait une situation de grave instabilité, parce qu'il placerait devant un dilemme sa direction et son Premier secrétaire. Celui-ci devrait soit affirmer publiquement une conviction contraire à l'orientation qu'il avait proposée, soit laisser à d'autres le soin de défendre le nouveau cours. Notre parti risquerait de connaître un chambardement comme il en a subi plusieurs, sans profit, dans le passé. Ainsi, nous tournerions le dos aux sympathisants socialistes favorables au Oui, tout en désorientant les électeurs de gauche qui, aux régionales et aux européennes, ont fait confiance au parti socialiste ; nous casserions la dynamique de nos succès récents et nous serions isolés et incompris en Europe. Tout cela nous mettrait dans une impasse stratégique. La force du Oui est d'affirmer une volonté de faire progresser l'Europe, de concentrer notre opposition sur la politique de la Droite en France, de centrer nos analyses et nos propositions sur les problèmes réels des Français et de maintenir l'orientation qui, autour du Premier secrétaire et de nombreux responsables, a rassemblé les socialistes pour donner à notre parti sa stabilité et son élan. Le débat aura été utile s'il permet aux militants de décider en pleine conscience des enjeux de ce scrutin. Faisons-leur confiance. |
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