| Le conflit israélo-palestinien connaît actuellement une phase paroxystique, au risque d’embraser toute la région. Que peut faire la France pour sortir de l’impasse et éviter une guerre généralisée ?L’escalade actuelle du conflit israélo-palestinien n’est pas une fatalité, elle est le résultat terrible et accablant de choix erronés, qu’il importe de surmonter pour rétablir une perspective politique. La France et sa diplomatie ne ménagent aucun effort pour trouver une issue politique à cette crise. Nous encourageons les initiatives conjointes israélo-palestiniennes, qu’il s’agisse du document de Shimon Pérès et d’Abou Ala ou de l’initiative des présidents des parlements israélien et palestinien. Nous invitons les Etats-Unis à assumer toutes leurs responsabilités dans le traitement de cette crise, leur désengagement ayant trop longtemps valu soutien de fait à M. Sharon. Nous saluons enfin les propositions du prince Abdallah de paix globale israélo-arabe en contrepartie d’un retrait israélien des territoires occupés de 1967. Il y a quelques jours, l’adoption de la résolution 1397 par le conseil de sécurité donnait enfin un signe fort, car à travers ce texte, l’ensemble de la communauté internationale, y compris les Etats-Unis, réaffirment qu’il n’y a pas d’autre solution au conflit que la perspective de deux Etats, Israël et la Palestine, coexistant dans le respect mutuel. Tous ces mouvements me font croire que les partisans de la paix peuvent désormais se faire entendre et agir pour arrêter le drame. La France restera engagée à leurs côtés.
Comment expliquez-vous l’impuissance de l’Europe à faire entendre sa voix par rapport au conflit qui sévit au Proche-Orient ?Si impuissance il y a, elle est partagée. Personne n’a pu empêcher qu’on en arrive à de telles extrémités ! Pourtant, jamais l’Union européenne n’a été aussi présente et active au Proche-Orient et la France a joué un rôle majeur dans cette mobilisation des énergies européennes, qui s’est exprimée par de fréquentes missions sur place du haut représentant Javier Solana ou de l’envoyé spécial Miguel Angel Moratinos. Notre voix collective est entendue, elle a à mon sens pesé dans le ralliement des Etats-Unis à la perspective d’un Etat palestinien. Mais si l’UE n’assume pas de plus lourdes responsabilités au Proche-Orient, c’est avant tout du fait des parties qui, promptes à réclamer l’intervention européenne en cas de crise, préfèrent souvent une supervision américaine exclusive des pourparlers ou des accords. Là comme ailleurs, l’Europe ne peut se substituer aux parties.
L’embargo contre l’Irak se prolonge sans qu’aucune solution se dessine…Comment réagissez-vous à cet état de fait et quelle issue y voyez-vous ?La tragédie que vit le peuple irakien est un des drames de notre monde et mon pays s’est employé à y mettre un terme en contribuant au dialogue entre l’ONU et l’Irak. Bagdad doit accepter le retour des inspecteurs internationaux du désarmement, retirés du pays après la crise de décembre 1998, et les laisser travailler sans entraves. La communauté internationale se grandira pour sa part en offrant à l’Irak et à son peuple un calendrier de suspension des sanctions. Mais la coopération du régime irakien, qui a plusieurs fois par le passé sapé les efforts les mieux intentionnés, est indispensable pour qu’une telle solution puisse voir le jour.
Les Etats-Unis n’ont pas abandonné l’idée d’attaquer l’Iran, la Corée du Nord (l’axe du Mal dans la terminologie de George Bush). Quelle est votre position vis-à-vis de cette stratégie ?Il est difficile de trouver une cohérence entre l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. Ces trois pays ont des régimes singuliers, difficiles pour les populations civiles concernées, mais sans aucun lien de conspiration entre eux. La notion d’axe est donc particulièrement mal choisie. Pour autant, ces pays ont besoin d’évolution démocratique. Il faut simplement éviter un système par lequel les Etats-Unis décideraient seuls du bien et du mal et s’arrogeraient à la fois le pouvoir du procureur, du juge et du policier, en désignant certains pays et pas d’autres en fonction d’alliances de circonstance.
Ces dernières semaines ont vu se manifester des différences de fond entre la France et les Etats-Unis. Quelles en sont les raisons ?La France et les Etats-Unis sont des alliés historiques, leurs peuples sont amis, ils ont souvent des objectifs communs, mais la vision du monde qui les guide est différente. Cela a entraîné et entraînera entre nous beaucoup de débats. Aujourd’hui, je constate que nous différons sur le fonctionnement de la société internationale. La France et les Etats-Unis s’accordent sur la nécessité de la faire évoluer vers plus de démocratie, mais la façon d’y parvenir nous distingue. Nous croyons à un monde multipolaire, où, pour parvenir aux équilibres essentiels, il faut donner toute sa place à la concertation multilatérale, sans se contenter du libre jeu des rapports de force. Les Etats-Unis semblent privilégier une gestion essentiellement sécuritaire du monde. Nous savons d’expérience que l’ordre découle du dialogue, de la concertation, de l’acceptation par tous d’objectifs communs et non seulement de la force ou de la menace. Mais il faut souligner que sur ces questions, la vision française n’est pas un particularisme isolé : en réalité, la différence d’approche dont je parle distingue aujourd’hui les Etats-Unis et les Européens.
Comment expliquez-vous la tentation unilatéraliste des Etats-Unis? Quelle est la capacité d’initiative de la France pour éviter l’instauration d’un système mondial unipolaire ?Cette tentation existe dans la société américaine. Elle s’appuie désormais sur une puissance économique et militaire sans équivalent. Je crois que nous devons appeler les Etats-Unis à assumer toutes leurs responsabilités dans la communauté internationale, notamment face aux problèmes globaux qu’aucun pays ne peut résoudre à lui seul, et qu’on ne peut traiter efficacement si la principale puissance mondiale n’apporte pas tout son concours. Je pense aux progrès de l’ordre juridique international, avec le projet de la Cour pénale internationale, aux accords multilatéraux de contrôle des armements, au développement, à l’environnement avec le protocole de Kyoto, à la diversité culturelle, à la mise en place de toutes les régulations nécessaires pour que le monde devienne plus stable et plus juste, et offre une même espérance à tous les peuples qui le composent. J’ai formulé dans ce domaine de nombreuses propositions. La France, l’Europe, de nombreux pays, des organisations régionales, partagent déjà et mettent en pratique cette conception d’un monde multipolaire. Notre pays a pris en la matière une responsabilité particulière, et je me réjouis que nos thèses trouvent souvent un large écho.
Plusieurs voix s’élèvent pour demander l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU à de nouveaux membres, et notamment à des pays du sud. Partagez-vous ce souhait ?L’idée d’une grande représentativité du Conseil de sécurité des Nations unies est une bonne idée. Entre 1946, date de la création des Nations unies, et aujourd’hui, le nombre d’Etats a été multiplié par trois. Le Conseil de sécurité pour sa part n’a pas vu le nombre de ses représentants élargi dans des proportions identiques. Je suis donc favorable à un élargissement concerté du Conseil de sécurité, c’est un facteur de démocratie et de transparence.
Y a-t-il une solution à l’asphyxie des pays du Sud et des pays africains en particulier par les charges de remboursement de leur dette publique ?Il existe un dispositif pour lequel mon gouvernement a beaucoup milité: l’“ initiative PPTE (pays pauvres très endettés) ”, qui permet d’annuler jusqu’à 90 % de la dette d’un pays. Il a déjà bénéficié à quatre pays: Ouganda, Mozambique, Bolivie, Tanzanie. Vingt autres sont à l’étude. Au total, ce sont trente-cinq pays qui bénéficieront de cette initiative. Elle aura un coût de 10,4 milliards d’euros sur dix ans pour la France, ce qui fait de nous le pays du G8 le plus généreux dans ce domaine. Cette initiative est très importante, mais je suis conscient qu’elle ne règle pas tous les problèmes et que sa mise en œuvre est assez lourde. Peut-être faut-il réfléchir à des mécanismes complémentaires. Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), que j’ai présidé début février, a décidé que cette mesure d’annulation des dettes au titre des PPTE viendrait en addition des flux traditionnels d’aide publique au développement.
En matière d’aide au développement, quels types de projets préconisez-vous entre l’Europe et le Maghreb ?Le CICID du 22 juin 2000 a approuvé des programmes de travail pour le Maghreb dans le but de donner à la relation entre la France et cet ensemble géographique un nouvel élan. Plusieurs domaines ont été jugés prioritaires, entre autres, l’éducation et la formation pour l’emploi, la société civile, la communication audiovisuelle, l’appui à la modernisation des Etats et à l’Etat de droit. Un premier bilan a été réalisé en février dernier. Il est très satisfaisant, notamment parce qu’une meilleure intégration des différents outils de coopération a découlé des priorités sectorielles affichées au niveau politique, mais aussi parce que ces différents secteurs entraînent l’association toujours plus étroite des acteurs français et maghrébins dans cette coopération. La rencontre entre les hommes à niveau de compétences égal, de laquelle naît un véritable échange, me paraît être à terme un gage de réussite de ce nouveau partenariat.
Lors de sa dernière visite officielle en France, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait exprimé le souhait de bousculer le cadre esquissé à Barcelone et de rénover les liens de coopération existant entre la France et le Maroc. Une forme de partenariat particulier vous semble-t-elle envisageable entre les deux pays ?Non seulement elle est envisageable, mais elle a déjà commencé à se mettre en place. En 1997, une concertation annuelle s’est établie au niveau des premiers ministres, qui se tient en alternance en France ou au Maroc. Je rappelle que nous n’avons ce type d’échanges au niveau des premiers ministres, qu’avec le Canada pour des raisons particulières, la Russie et nos quatre partenaires principaux de l’Union européenne (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne). C’est dire qu’en choisissant ce mode de traitement politique, nous avons décidé de profondément restructurer la relation entre nos deux pays. Ces rencontres annuelles permettent de faire un bilan des décisions prises et de tracer les perspectives de notre coopération. Les domaines privilégiés qui ont été jugés, ces dernières années, comme essentiels au développement du Maroc sont l’éducation, le développement des PME/PMI, l’aménagement du territoire, la santé.
Malgré l’assouplissement apporté par votre gouvernement, l’obtention d’un visa s’apparente toujours pour les ressortissants marocains (y compris les étudiants souhaitant poursuivre leurs études en France), au parcours du combattant. Y a-t-il des possibilités de débloquer la situation ?La situation n’est pas bloquée. A la suite des premières rencontres franco-marocaines des chefs de gouvernement en 1997, j’ai donné instruction pour que nos consulats puissent traiter mieux et répondre plus favorablement aux demandes de visas qui leur étaient présentées. On est passé, notamment, de 138 000 demandes en 1997 à plus de 240 000 en 2001. J’ajoute plus précisément que les visas pour étude sont passés de 1.830 à près de 7.000 en 2001, ce qui est un gage d’une contribution significative au développement économique et social du Maroc. Cette augmentation très forte de la demande des visas a entraîné une détérioration des conditions de leur octroi. Deux mesures ont été prises pour y répondre: des visas dont la délivrance est désormais simplifiée ont été mis en place pour les acteurs de notre coopération bilatérale. En outre, le ministère des Affaires étrangères a engagé, depuis 2001, un effort tout à fait significatif pour offrir des capacités de traitement plus grandes aux demandeurs de visas (accueil, délais de traitement).
Quelle est votre position au sujet de la double peine, de plus en plus décriée et combattue mais toujours en vigueur, et qui est à l’origine de véritables drames humains ?L’exécution des condamnations d’interdiction du territoire français prononcées par les juridictions dans des affaires pénales pose de difficiles problèmes humains lorsqu’elle concerne des personnes n’ayant pratiquement aucun lien sur le plan social et le plan personnel avec leur pays de nationalité. C’est pourquoi le gouvernement a chargé en 1999 un magistrat de la Cour de cassation, Mme Christine Chanet, de diriger le travail d’une commission de réflexion sur ces peines.
A la suite du dépôt du rapport de cette commission, la ministre de la Justice a adressé une circulaire aux parquets pour leur rappeler que l’application de la peine d’interdiction du territoire était soumise au principe de proportionnalité, s’appréciant au regard de l’infraction commise et de la situation personnelle de l’intéressé. La ministre a indiqué par la même voie qu’elle souhaitait une harmonisation des pratiques en matière de traitement des requêtes en relèvement des peines d’interdiction du territoire français.
Lorsqu’une peine d’interdiction du territoire a été prononcée, et que le relèvement de cette peine n’est pas prononcé, son exécution n’intervient qu’après un examen approfondi de la situation personnelle de l’intéressé, prenant notamment en compte des possibilités de conséquences manifestement excessives sur le plan humain.
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