M | onsieur le Président,
Cher(e)s Camarades,
Cher(e)s Ami(e)s,
Je suis très heureux d’être avec vous, à Milan, pour ce quatrième congrès du Parti des socialistes européens. Je salue fraternellement tous les participants et remercie chaleureusement nos hôtes, nos amis Massimo d’Alema et Rudolf Scharping, pour leur accueil.
Ce sommet se situe à un moment politique important. Au lendemain du sommet informel de Petersberg, qui -sous la présidence efficace de Gerhard Schröder- s’est déroulé positivement et a permis de clarifier -en vue de l’indispensable compromis-, les questions délicates de l’Agenda 2.000, nous nous retrouvons en effet pour donner de l’élan à notre commune campagne européenne. Nous le faisons au terme d’un travail de réflexion et d’élaboration politiques remarquable, dont le Manifeste du PSE est l’aboutissement -et je veux saluer comme ils le méritent Robin Cook et Henri Nallet pour la part décisive qu’ils ont prise à cette entreprise. Je vois dans notre rencontre le signe éclatant de la vitalité et de la richesse de la social-démocratie européenne. Nous sommes bien la principale force politique de ce continent.
Sur le " Vieux Continent ", chers camarades, nous avons su faire naître, puis faire vivre une idée neuve : l’union, librement consentie, de nations qui se sont choisi un destin commun. Pour que ce destin soit fécond, l’Europe doit être, selon moi : une union de nations ; un espace de croissance ; un modèle de civilisation ; une construction cohérente ; un acteur sur la scène internationale.
1 — Une union de nations.
Opposer la Nation -les nations- à l’Europe est un exercice vain. Car l’Europe est l’espace même où, historiquement, sont nées les nations. Elle reste constituée de nations vivantes, riches de leur spécificité, fortes de l’attachement de leurs citoyens. La puissance de l’Europe se construira donc sur la vitalité de ses nations. Mais l’Europe est quelque chose de plus. Elle est devenue une communauté de destin pour 350 millions de citoyens européens. Nos peuples se sont rapprochés et la paix est désormais l’air qu’ils respirent. Nos économies sont presque totalement intégrées, construisant un espace économique puissant. Nos monnaies -celles de 11 de nos nations, tout du moins, mais nous attendons les autres ...- se fondent en une monnaie unique.
Nous devons être capables de penser un objectif politique qui embrasse à la fois la Nation et l’Europe. Ni négation de la nation, ni repli national, mais une articulation harmonieuse entre chaque pays et notre Europe. Aujourd’hui, on se sent Français, Allemand, Italien ou Espagnol, et, dans le même temps, on se sait Européen. Il n’y a là aucun antagonisme, aucune contradiction. Cette dualité de référence et d’appartenance est ce qui fait l’originalité de notre destin partagé. Nous restons des nations, nous ne pouvons faire naître une " nation européenne ", mais nous bâtissons l’union européenne.
Quant à la forme politique et juridique que prendra cette Europe unie, ne soyons pas nominalistes, ne tombons pas dans une querelle de mots. Ni nostalgie impériale, ni simple coopération entre Etats, ni utopie fédéraliste : l’Europe est une construction nouvelle, une entité sui generis. Gardons nos énergies pour faire avancer, chaque fois que cela est possible, l’union de l’Europe, pour la rendre plus forte. Et pour cela, consentons - chaque fois que cela est nécessaire- les délégations de souveraineté que cette marche vers l’union implique.
2 — Un espace de croissance.
Face au dynamisme américain, face à l’émergence de l’Asie, l’Europe s’est trop aisément résignée, ces deux dernières décennies, à être le continent de la croissance faible. L’Europe doit redevenir une terre de croissance et de prospérité. Le tournant du siècle doit être l’occasion pour nous de cette prise de conscience. L’Europe a besoin d’une volonté de croissance -la nôtre, celle des socialistes. Ce que l’Europe a su faire dans le passé pour vaincre l’inflation, elle doit le faire aujourd’hui pour combattre le chômage. Faire l’Europe de la croissance et de l’emploi, tel est l’objectif que nous devons nous fixer pour les années qui viennent, celui que les citoyens attendent de nous, celui que le contexte politique et économique né de l’Euro rend désormais possible. A condition d’en avoir la volonté politique collective. M’inscrivant dans la réflexion du groupe de travail animé par notre ami Antonio Guterres, je suggère quatre orientations pour fonder le " pacte européen pour la croissance et l’emploi ".
- Coordonner étroitement nos politiques économiques.
Les politiques macroénonomiques peuvent être efficaces. Entre le dirigisme et l’abandon libéral de toute politique économique, il y a place en Europe pour des politiques budgétaires et monétaires réalistes, tournées vers la croissance et adaptées à la conjoncture. Ce sera la mission du gouvernement économique -que nous devrons faire naître et dont l’euro 11 est l’esquisse- que de conduire, en concertation avec la BCE, l’indispensable coordination de nos politiques, nécessaire à une plus forte croissance. L’Europe peut nous rendre les marges de manœuvre que la mondialisation a rognées.
- Redevenir le continent de l’innovation.
Innover, investir, développer les nouvelles technologies : voilà comment nous préparerons l’avenir, voilà comment nous assurerons une croissance forte et durable. L’Europe doit reconquérir une prééminence technologique. Pourquoi ne pas lancer une initiative européenne ambitieuse pour rattraper notre retard par rapport aux Etats-Unis ? Dans cette perspective, la BEI et la Commission pourraient soumettre au Conseil Européen une liste prioritaire de projets garantis par l’Union Il nous faut renouer, en le renouvelant, avec l’esprit du programme de " grands travaux " que proposa Jacques Delors il y a dix ans. Si l’Europe a toujours besoin de ponts, de routes, de TGV, elle doit aujourd’hui se doter de la puissance technologique -je pense à la société de l’information- qui lui permettra de maîtriser son destin. Je rappelle à cet égard que, si nous sommes contraints sur le plan budgétaire, le recours à un emprunt communautaire reste une hypothèse envisageable.
- Associer les partenaires sociaux au pacte européen de croissance et d’emploi.
En Europe, la compétitivité ne peut être recherchée sans faire participer les citoyens au progrès et au développement économique. Il faut donc trouver les formes institutionnelles qui permettront d’associer les partenaires sociaux à l’élaboration d’un pacte européen de croissance et d’emploi. Ce pourrait être, par exemple, une conférence économique et sociale annuelle réunissant les gouvernements, les partenaires sociaux et la Banque centrale.
- Avancer dans l’harmonisation fiscale et sociale.
Il ne s’agit pas d’uniformiser les systèmes fiscaux, ni d’abandonner les principes de souveraineté nationale. Mais nous devons favoriser la coopération. Dans un espace commercial et monétaire unifié, le dumping fiscal ou social n’est pas acceptable. Nous devons passer progressivement au vote à la majorité qualifiée dans les domaines -fiscalité de l’épargne, impôts sur les sociétés- où la concurrence fiscale peut devenir déloyale. La fiscalité européenne doit par ailleurs prendre en compte les nouvelles exigences de protection de l’environnement.
3 — Un modèle de civilisation.L’Europe est une civilisation. Notre civilisation. Défendons-la, donnons-lui les moyens de s’épanouir.
L’Europe est une culture. C’est-à-dire des cultures. Car le propre de la culture européenne est d’être une rencontre de cultures. Cette diversité est notre patrimoine le plus précieux ; il nous faut le défendre contre la menace de l’uniformité. L’Europe, les cultures européennes, ont besoin de dialoguer avec la culture américaine, mais doivent se garder de l’invasion des produits culturels américains. Concilier la marche vers l’unité et le respect de sa diversité, proposer ce modèle au monde pour nourrir un autre échange : c’est là la vocation de l’Europe. La voie de l’Europe est celle du dialogue de l’identité et de l’altérité.
L’Europe veut affirmer son modèle social. C’est pourquoi nous devons promouvoir des conventions collectives européennes et une relance du dialogue social européen. La concurrence est nécessaire. Mais elle ne doit pas menacer les services publics ni aller contre l’intérêt général. Des services publics forts, modernes, adaptés, sont non seulement indispensables à la cohésion de chacun de nos pays, mais ils sont aussi un élément important de notre compétitivité économique. Nous devrons donner corps aux " services d’intérêt général " reconnus par le traité d’Amsterdam.
L’Europe doit devenir un espace de citoyenneté, où puissent se poser les termes d’un " contrat social européen " :
une charte européenne des droits civiques, économiques et sociaux, à la suite d’un Traité social européen ;
le contrôle démocratique des citoyens sur les institutions européennes, par l’intermédiaire, notamment, du Parlement européen ;
le refus des intolérances religieuses ou nationalistes, fondé sur une conception actuelle de la laïcité ;
un espace judiciaire européen, qui va de pair avec la libre circulation effective des personnes.
4 — Une construction cohérente.Bientôt l’Europe va, par l’élargissement de l’Union, retrouver son unité. L’Histoire le veut, nous le voulons. Si la réforme des institutions communautaires est le préalable indispensable à cet élargissement, c’est qu’il y va de la cohérence même de l’Union, c’est aussi l’intérêt des pays candidats. Pour bien aborder cette étape, l’Europe doit être efficace et plus démocratique.
Tout d’abord, nos institutions doivent s’affirmer et apprendre à mieux travailler ensemble. Le Conseil européen doit exercer effectivement sa fonction d’impulsion, d’orientation et de décision. La Commission et le Conseil auront à améliorer leur travail commun en organisant davantage de débats d’orientation sur les initiatives de la Commission. Le Parlement, le Conseil et la Commission devraient élaborer ensemble un véritable programme de travail législatif. Pour rester garante de l’intérêt général européen, la Commission doit être plus resserrée en nombre.
Il nous faut ensuite donner à l’Europe les moyens institutionnels nécessaires à son développement et à son approfondissement. Le vote à la majorité qualifiée devrait être généralisé. Il faut enfin mettre en oeuvre le principe de subsidiarité par une application pleine et entière du protocole d’Amsterdam sur le sujet.
5 — Un acteur sur la scène internationale.
Cela s’impose d’abord dans la vie économique.Réguler le capitalisme mondial c’est, pour notre génération, prolonger presque logiquement la construction européenne à laquelle se sont attachées les générations précédentes. C’est aussi être fidèle à la vocation historique des sociaux-démocrates. Nous devons aborder cette tâche avec pragmatisme et ambition. Pragmatisme, car nous devons viser des progrès concrets et immédiats. Ambition, parce que chacune de ces avancées doit être conçue comme une étape dans l’édification d’un nouveau système monétaire et financier international, au service d’une économie internationale plus équilibrée.
Des orientations sur la réforme de l’architecture financière internationale -régulation des hedge funds, lutte contre les désordres spéculatifs, amélioration de la gouvernance des institutions financières internationales- ont été adoptées lors du Conseil Européen de Vienne. Il nous faut les promouvoir dans les instances internationales. Les paradis bancaires et fiscaux ne doivent plus être tolérés. Un système de coopération renforcée entre la zone Euro, les Etats-Unis et le Japon constitue une étape essentielle vers une meilleure stabilité des changes.
Cela doit s’affirmer au service de la paix.
Pour la France, mais aussi pour l’ensemble de nos nations, l’Europe est une médiation avec le monde. Pour compter sur la scène internationale, l’Europe doit non seulement parler et financer, mais aussi agir et influer. L’Europe doit s’affirmer comme une puissance non dominatrice, comme un partenaire désiré. Il ne s’agit ni d’occulter les diplomaties nationales de nos Etats, ni de leur substituer une diplomatie intégrée. La France n’a pas renoncé, pour elle même, à une politique internationale. Mais elle souhaite, avec l’Europe, peser face aux autres puissances, en particulier face à la plus importante d’entre elles.
L’Europe doit être une communauté de volonté, afin de faire vivre ses valeurs.
Il n’y a pas en effet de puissance sans volonté ni détermination à agir effectivement, en en acceptant le coût et les risques. Je suis heureux et fier, de ce point de vue, de voir la part que prend la diplomatie européenne à la tentative de résolution négociée du drame au Kosovo.
Cette volonté politique doit être mise au service des valeurs que partagent le socialistes européens, et qui doivent guider nos politiques étrangères : la paix et la sécurité collective, la promotion des droits de l’homme et de l’Etat de droit, le développement des régions et des pays exclus de la mondialisation, le respect de la diversité des cultures et des sociétés.
Chers camarades, cher(e)s ami(e)s,
Nos partis sont divers. Chacun a son histoire, son lien à la société, son expérience du pouvoir, sa stratégie d’alliances, sa place dans un système institutionnel particulier. Mais nous savons tous ici que grande est notre proximité. Par-delà les traditions nationales, il existe entre nous une profonde convergence. C’est en nous fondant sur cette convergence qu’il nous faut désormais travailler plus avant. Rassemblons-nous autour des grandes valeurs -la liberté, les libertés, la justice sociale, la maîtrise collective de notre destinée, la citoyenneté- qui fondent notre identité politique, pour faire faire à l’Europe le pas en avant politique que nos concitoyens attendent.
Lorsqu’ils ont été appelés à se prononcer, dans nos élections nationales, ces femmes et ces hommes se sont majoritairement, dans la période récente, portés vers nos idées, vers nos projets, vers nos candidats. Seuls ou en coalition, nos partis gouvernent dans 13 des 15 pays de l’Union. C’est beaucoup -et il s’agit là d’une situation politique sans précédent. Mais cela ne suffira pas à transformer l’Europe, si nous ne la gouvernons pas autrement. Les élections européennes du 13 juin prochain peuvent être une nouvelle occasion de placer l’Europe à gauche. Pour cela, nous ferons campagne chacun dans notre pays. Mais nous ferons aussi campagne ensemble, nous aurons à créer une vraie dynamique européenne. A ma place, et à vos côtés, je suis prêt à y contribuer. Je vous souhaite plein succès.
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