Les enjeux
de la mondialisation :
régulation et
développement


 Discours prononcé le mercredi 30 janvier 2002
 devant le Conseil économique et social.
 

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Votre Président, Monsieur Jacques Dermagne, m’a invité à m’exprimer devant le Conseil économique et social à l’occasion d’une de vos séances plénières. Je le fais avec plaisir. Je vous remercie, Monsieur le Président, des mots que vous venez de prononcer et des vœux que vous m’avez présentés. Je vous souhaite à mon tour une très bonne année, ainsi qu’à tous les membres du Conseil et aux membres de section.

Représentants des forces vives de notre pays, personnalités qualifiées, à la fois acteurs et observateurs des évolutions qui transforment notre société, vous débattez, avec un sens de l’intérêt général que je tiens à saluer, de questions essentielles pour la France. Il était donc naturel que la mondialisation soit au cœur de vos travaux, comme en témoignent plusieurs de vos débats, ou encore ce rapport sur les relations entre l’Union européenne et le Mercosur, qui vous a été remis hier. La mondialisation est en effet la réalité internationale dans laquelle la France, comme les autres Nations, s’inscrit. Mais une réalité que nous voulons maîtriser.

Un débat sur les perspectives de la mondialisation s’est ouvert en France. C’est une particularité de notre pays de traiter cette question de façon politique et de mettre à contribution, au-delà des seuls spécialistes, des parlementaires, des associations, des syndicats, des acteurs économiques et des citoyens. Ce débat est légitime. Ce débat est important.

Car la mondialisation est ambivalente. Elle crée des richesses et porte en elle la promesse d’un développement pour la planète entière, mais elle accentue les inégalités entre le Nord et le Sud, tout comme au sein de chaque pays. Elle facilite les rencontres entre les hommes et entre les cultures, mais elle porte en elle le danger de l’uniformisation. Elle libère des énergies, mais elle entraîne aussi des forces négatives qu’il faut maîtriser.

La mondialisation est ainsi une question majeure de notre temps. Elle est une donnée clef du débat sur notre démocratie sociale et ne peut plus être éludée dans le projet politique de la construction européenne. Elle renouvelle le questionnement sur la finalité du politique et soulève des enjeux considérables pour la démocratie.

Les forces économiques à l’œuvre remettent-elles en cause les choix faits démocratiquement par nos sociétés ? Les institutions qui gèrent, organisent, réglementent les échanges économiques mondiaux gardent-elles leur légitimité ? Qui les contrôle et à qui doivent-elles rendre compte ? La mondialisation peut-elle offrir l’occasion de diffuser les valeurs de liberté, de démocratie et d’égalité dans le monde ? La croissance économique est-elle capable de faire reculer la pauvreté ?

Il nous faut répondre à ces questions majeures. Et de notre réponse collective dépendra le sens - créatif ou destructeur - de la mondialisation. Nous devons favoriser ce débat en France, mais aussi le mener sur la scène internationale. Nos questionnements doivent y être entendus, nos propositions prises en compte. Pour nous, le monde doit se doter de règles qui conduisent les acteurs du jeu à choisir la coopération plutôt que le rapport de force, la solidarité plutôt que le repli sur soi, et la recherche du bien commun plutôt que l’égoïsme national.

C’est pour cette maîtrise de la mondialisation que nous agissons depuis cinq ans

Instabilité financière, inégalités de développement, pandémies - je pense au sida -, détérioration de l’environnement, crime organisé : à mesure que le monde s’unifie, certaines questions deviennent globales. Les questions globales appellent des réponses globales. Notre monde a de plus en plus besoin d’organisation et de normes. Voilà pourquoi la régulation est indispensable. Car la régulation, c’est l’adoption de règles équitables, négociées par tous, acceptées par tous et qui s’imposent à tous également.

Cette régulation, nous avons voulu qu’elle s’applique tout particulièrement à la sphère financière, qui est la plus globalisée de toutes.

Nous avons fait évoluer les politiques financières, notamment grâce aux propositions françaises portées en 1998 par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Dominique Strauss-Kahn. Nous nous sommes battus pour que les conséquences sociales des programmes d'ajustement soient mieux prises en compte, pour que la prévention des crises et la contribution du secteur privé à leur règlement deviennent des réalités, et pour que les politiques d’ouverture progressive aux capitaux des pays en développement soient véritablement acceptées, et non plus seulement tolérées par les autorités financières internationales.

Le Gouvernement a aussi lutté contre la corruption. Il a conclu, à l'OCDE, la négociation de la convention contre la corruption dans les transactions commerciales internationales. En France, aujourd’hui, la loi punit la corruption d'agents publics étrangers et les commissions versées à l'étranger par les entreprises ne sont plus déductibles des impôts. Nous avons ainsi mis fin à une situation inacceptable dans laquelle la corruption était licite et même validée par l'Etat à travers ses services fiscaux et donc indirectement subventionnée par le contribuable.

Le Gouvernement a été en pointe dans le combat contre la criminalité financière organisée, le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme. Grâce à son action, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux a été renforcé et sa mission élargie à la lutte contre le financement du terrorisme. C’était essentiel pour s’attaquer aux « trous noirs » du système financier international, qui représentent des menaces majeures pour la démocratie. Depuis les attentats du 11 septembre, les progrès concrets s'accélèrent sous l’effet de la prise de conscience mondiale - et notamment américaine - de l’envergure et des dangers de la criminalité financière. Pour marquer ma mobilisation sur ces questions, j’ouvrirai le 8 février prochain les travaux de la conférence des parlements européens sur le blanchiment de l’argent.

Ma conviction est que la liberté des échanges ne doit pas empêcher la défense de l’intérêt général. Je suis bien évidemment favorable au développement des échanges mondiaux ; ils sont générateurs de richesses et de développement. Mais cette libéralisation ne doit pas s’appliquer sans discrimination à tous les biens, car beaucoup ne sont pas de simples marchandises. C’est le cas, en particulier, dans les champs de la culture, de l’environnement et de la santé.

C’est pourquoi j'ai personnellement contribué à ce qu’il soit mis fin, en 1998, à la négociation de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) à l'OCDE. Parce qu’il remettait en cause la souveraineté des Etats à définir librement leurs politiques sociales et environnementales. Parce qu’il menaçait la pérennité des services publics de l'éducation et de la santé. Et parce qu’il interdisait des politiques volontaristes de promotion de la diversité culturelle. Je n’oublie pas que c’est l’attitude de résignation, voire de démission, des gouvernements précédents, qui a failli conduire à la conclusion de cet accord.

Nous avons, depuis, agi sur d’autres plans. La France et l'Union européenne ont obtenu à la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Doha que l'environnement devienne un thème à part entière de la négociation multilatérale qui s'engage. Ce premier résultat doit ouvrir la voie à une reconnaissance internationale du principe de précaution, en particulier dans les domaines de la santé et de l’environnement.

Nous nous sommes également engagés pour le droit à la santé de tous les êtres humains, où qu’ils vivent sur la planète. A Doha, nous avons obtenu une interprétation des accords sur la propriété intellectuelle des médicaments conforme à l’impératif moral de venir en aide à ceux qui souffrent, notamment du sida. Désormais, dès lors que la santé humaine est en jeu, les pays en développement peuvent déroger au droit des brevets. C’est là une très grande avancée dont nous pouvons être fiers.

Aujourd’hui, au lendemain des événements du 11 septembre, il nous faut aller plus loin et plus vite en matière de régulation.

Le financement du terrorisme doit être attaqué à la racine. Il ne suffit plus de s’assurer dans chaque Etat de l'existence formelle de normes juridiques, financières et de transparence. Les opérateurs privés, mais aussi les Etats qui financent le terrorisme doivent être réellement mis en cause. Les pays développés doivent également balayer devant leur porte. Pour sa part, la France a engagé un dialogue avec Monaco pour encourager la principauté à se conformer aux standards internationaux. Mais de nombreux « trous noirs » restent encore à combattre, notamment en raison de l’existence d’entités opaques telles les fondations et les fiducies, qui sont encouragées par des circuits financiers situés dans les paradis fiscaux et par des procédures fiscales telles les FSC (Foreign Sales Corporation) que vient de condamner l'OMC.

L’architecture institutionnelle multilatérale doit être repensée. Construite selon le principe de spécialisation, elle a depuis longtemps perdu sa cohérence. Il faut y remédier. En outre, l’Organisation des Nations Unies, source de la légitimité et en principe d'équité internationales, a progressivement perdu une grande partie de ses compétences au profit d'institutions spécifiques, souvent plus puissantes et régies par d’autres critères.

Face à cette situation, nous proposons des réponses. D’abord renforcer les organisations les plus fragiles - telles l’Organisation internationale du travail ou l’Organisation mondiale de la santé - pour que leurs préoccupations soient mieux prises en compte par les institutions économiques internationales. Ensuite, créer les organisations qui manquent– je pense à une Organisation mondiale de l'environnement, dont l’idée a déjà été proposée par la France.

Nous avons aussi besoin d’une instance qui puisse légitimement arbitrer entre des règles multilatérales concurrentes. Nous ne pouvons en effet accepter de laisser, par défaut, le G7 jouer ce rôle ; il n’en a pas la légitimité. C’est pourquoi j’ai la volonté que soit approfondie l'idée, proposée notamment par Jacques Delors, d'un « Conseil de sécurité économique et social » au sein des Nations Unies. Je souhaite que la France dépose, à la prochaine Assemblée générale, un projet de résolution allant dans ce sens et demandant au Secrétaire général de réfléchir aux modalités pratiques de création de ce conseil.

Nous devons exiger des institutions internationales une plus grande transparence. Ces institutions ne seront légitimes qu’à une seule condition : qu’elles rendent des comptes sur leur action. Les ONG pourraient par exemple se voir accorder un droit de saisine dans les organisations internationales. Dans notre pays, j’ai l’ambition que soient créées, au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, des « délégations parlementaires aux institutions internationales », à l'image de celles qui existent déjà pour les affaires européennes. Nous devons également pousser cette exigence de transparence aux niveaux européen et multilatéral. Nous défendrons donc l’idée d'une évaluation des effets de la libéralisation économique, commerciale et financière, à travers un débat contradictoire avec les agents économiques et les ONG. Cette évaluation devra porter non seulement sur les conséquences de la mondialisation sur le développement et l'environnement, mais aussi sur l'emploi et les pratiques sociales, y compris dans les pays développés.

La transparence se nourrit du débat. Nous avons donc besoin de lieux pour discuter de la mondialisation. Le Conseil économique et social en est un et je me réjouis de sa contribution à la réflexion. Au-delà, il me semble essentiel que nos concitoyens puissent également trouver un lieu d’échange. Le Gouvernement prendra donc l’initiative de créer sur l’internet un grand forum citoyen pour que chacun puisse discuter des enjeux et des options à prendre.

Mesdames, Messieurs,

A travers la régulation, grâce à la maîtrise de la mondialisation que nous construisons peu à peu, nous travaillons à ce que l’on appelle une « gouvernance » plus rationnelle, plus efficace et plus transparente ; mais nous voulons aussi établir un monde plus juste. Car, pour nous, le sens profond de la régulation est d’être au service du développement solidaire de la planète.

La France a un rôle important à jouer pour que la mondialisation se fasse dans le sens d’un développement plus solidaire

Le développement a impérieusement besoin d’une nouvelle dynamique. La conférence sur le financement du développement en mars prochain à Monterrey et le sommet sur le développement durable à Johannesburg en août devraient en être l’occasion.

En approuvant l'initiative du commissaire européen Pascal Lamy - « tout sauf les armes » -, l'Union européenne a ouvert son marché à l'ensemble des produits des pays les moins avancés. Je souhaite que nos grands partenaires, et tout particulièrement les Etats-Unis et le Japon, fassent de même. Car le développement passe par la réforme des politiques qui pénalisent injustement les pays en développement. Ces efforts d’ouverture sont nécessaires mais ils sont loin d’être suffisants. Ils ne sauraient justifier ni l’extrême faiblesse des moyens consacrés au développement par certains de nos partenaires, ni la baisse de l'effort mondial. C’est pourquoi j'entends avec inquiétude le discours réfutant la légitimité de l'aide publique au développement (APD) qui se fait jour aux Etats-Unis.

Depuis 1997, mon Gouvernement a voulu augmenter l’efficacité de l’aide française. Il a décidé de sortir d'une pratique néo-coloniale dont on a pu observer les nombreux effets pervers à travers des projets dispendieux et inutiles et de multiples prêts non affectés. Depuis 1997, nous avons recentré la coopération au développement sur les outils fondamentaux qui favorisent la sortie de la grande pauvreté. En témoignent les contrats de désendettement et de développement que nous avons conclus avec les gouvernements concernés. Nous avons toujours rappelé, en concertation avec les ONG, que la démocratisation est une condition explicite de notre aide. Nous avons réaffirmé la priorité du développement humain et social, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé. Après une forte décroissance entre 1994 et 1997, l'effort français d'aide publique au développement s’est stabilisé. Il a repris sa progression, modeste il est vrai en 2001, pour atteindre 0,32 % du PIB, maintenant ainsi la France au premier rang des donateurs du G7. Cette croissance se poursuivra en 2002, mais je suis pleinement conscient que cet effort n’est pas suffisant.

Aujourd’hui les chefs d'Etat de plusieurs pays africains appuyés par l'Organisation de l’unité africaine mettent sur la table une proposition qui va dans le sens de notre démarche. Les priorités et les engagements de bonne gestion prévus par le New Partnership for Africa’s Development (NEPAD) ont repris à leur compte cette logique partenariale. Ainsi renaît l’espoir de mettre un terme à la marginalisation économique dont le continent africain souffre depuis des décennies. J’ai assuré le Président sud-africain Mbeki de mon soutien à cette initiative.

L'objectif d'un effort des pays industrialisés de 0,7 % de leur PIB en faveur de l’aide reste essentiel pour nous tous. Je rappelle cependant qu’il date de 1970. Pour atteindre cet objectif et convaincre les bailleurs de fonds, il est essentiel de mettre d'abord en œuvre des outils rénovés et mieux adaptés aux besoins. Nous avons déjà commencé à le faire en repensant notre coopération bilatérale. Au niveau multilatéral, les fonds créés avec le soutien actif de la France –tel celui qui sera mis en place dans les prochaines semaines pour lutter contre les grandes pandémies, au premier rang desquelles le sida– représentent également une avancée.

Il est tout aussi essentiel de nous fixer des objectifs concrets qui puissent être effectivement soutenus par une action coordonnée des donateurs. Ces objectifs existent déjà et se sont traduits par les engagements pris dans le cadre du Sommet du Millénaire des Nations Unies de réduire de moitié la grande pauvreté dans le monde d'ici 2015. J'ai l’ambition que le sommet sur le financement du développement, qui se tiendra à Monterrey en mars prochain, concrétise l’engagement renouvelé de la communauté internationale dans cette voie.

Il m’apparaît absolument nécessaire qu’année après année, les pays donateurs mettent à la disposition des pays en développement qui font le choix de la démocratie, de la croissance et du développement humain les moyens dont ils ont besoin pour assurer le succès de leurs politiques. Notre solidarité doit répondre à cette nouvelle approche contractuelle fondée sur la responsabilité et sur des objectifs concrets et précis. Au lieu de continuer à mesurer l'efficacité de l'effort international à l’aune d'un engagement chiffré qui n'est jamais respecté, donnons-nous collectivement les moyens de les atteindre.

Sans chercher d’alibi à une remise en cause ou à un report de l'effort d'APD, réfléchissons à de nouvelles sources de financement. Un véritable débat doit s’ouvrir sur la recherche de financements complémentaires en faveur de ce que l’on appelle les « biens publics mondiaux » - la prévention des crises, la santé, la protection de l’environnement ou encore le droit à la culture. Plusieurs pistes sont actuellement explorées : la taxe Tobin sur les flux financiers à court terme, sur laquelle la Commission européenne a entamé, à la demande du gouvernement français, une étude contradictoire ; la taxe sur les ventes d'armes proposée par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Laurent Fabius ; et la taxe sur les émissions de CO2 évoquée notamment par l'ancien Président mexicain Ernesto Zedillo dans le cadre de la préparation de la conférence de Monterrey. Cette réflexion est riche ; mais elle ne pourra aboutir qu'à moyen terme : pour parvenir à un engagement multilatéral crédible, il faut d'abord convaincre un nombre suffisant de nos partenaires. Nous devons donc réfléchir à une réponse immédiate et concrète aux besoins des pays en voie de développement.

Dès aujourd’hui, il existe une solution pour alléger le fardeau de ces pays : une allocation exceptionnelle de « droits de tirage spéciaux » par le FMI. Je souhaite que le Fonds examine rapidement les conditions de cette allocation. Cette solution qui permettrait aux pays concernés d’augmenter leurs réserves de change soutiendrait efficacement leur croissance en les aidant à ne pas aggraver leur endettement par des emprunts à des conditions exorbitantes. Si elle était, comme je le souhaite, prise à Monterrey, cette décision serait une contribution importante au développement et à la stabilité financière du monde.

Il est également impératif de mettre en œuvre une gestion maîtrisée des crises du surendettement. Les cas de la Turquie, de l'Equateur et, tout récemment, de l’Argentine montrent qu'il est nécessaire de renforcer notre capacité multilatérale à traiter de façon ordonnée le surendettement des Etats. Il faut rééquilibrer le rapport de forces entre débiteur et créanciers par une procédure de négociation et, si nécessaire, d'arbitrage, afin de définir des modalités de réduction de la dette permettant de soutenir une croissance compatible avec le développement durable. Nous ne pouvons plus admettre que seuls les prêteurs publics, c’est-à-dire les contribuables, paient le prix du surendettement et que, dans le même temps, les investisseurs privés qui ont prêté à des taux très élevés s’en tirent à peu de frais.

Je suis conscient des difficultés, notamment juridiques, qu’il nous faudra régler avant la mise en place d’une sorte de « commission de surendettement » des Etats. Elles ne sont cependant pas insurmontables, si cette nouvelle instance est dotée de la légitimité nécessaire.

Mesdames, Messieurs,

Vous le voyez, notre vision est ambitieuse. La traduire dans le réel suppose une très grande volonté politique. Quelle que soit sa détermination, quelle que soit l’écoute que les autres Nations lui prêtent, la France ne peut, à elle seule, porter ce projet. Mais elle peut et doit y contribuer à travers l’Europe.

L’Europe doit être un levier pour organiser la mondialisation

Cela est logique, car l’Europe est elle-même un exemple de régulation. Plus que tout autre ensemble économique, plus que toute autre grande puissance, elle sait le prix et la valeur de l’adhésion aux règles communes. C’est pourquoi, face aux hésitations des États-Unis, elle doit aujourd’hui incarner l’action collective. Elle doit aussi s’assurer de la participation équitable de tous les pays à la construction de l’architecture dont nous avons besoin pour affronter les défis collectifs. L’Europe peut assumer cette responsabilité et ramener la première économie du monde dans la voie de la coopération. A plusieurs reprises, elle a fait entendre sa voix dans les enceintes internationales en faveur de la lutte contre la criminalité financière, pour un commerce plus équitable et un développement vraiment durable. Et, en son sein, l’Europe a veillé à ce que règne une plus grande solidarité économique.

Grâce à la régulation, l’Europe accomplit de formidables avancées. Une approche volontariste d'intégration économique et monétaire a permis de donner à 300 millions d’Européens une monnaie unique : l’euro. Pour y parvenir, douze nations ont fait le choix d’une coordination des politiques économiques. Ainsi, nous nous sommes protégés contre les tensions sur les changes liées à des crises ou à des déséquilibres mondiaux. C’est un événement historique.

Grâce à la régulation, l’Europe - et en particulier la France - propose un modèle pour préserver la diversité des langues et des cultures. Celles-ci font la richesse et la renommée de l’Europe. Veillons à ce que les Etats-membres continuent à mener des politiques culturelles ambitieuses et à corriger les effets parfois néfastes du libre jeu du marché. Depuis 1997, nous affirmons notre volonté de maintenir, dans toute négociation, le champ de la culture hors des accords commerciaux. Je propose aujourd’hui que le droit des Etats à mener librement des politiques culturelles soit affirmé par une convention universelle sur la diversité culturelle.

Au sein de l’Europe, la France a constamment plaidé en faveur de la régulation. Mon gouvernement a cherché à réorienter la construction européenne vers la croissance et l’emploi. Lors de la Présidence française, nous avons obtenu l’adoption de la Charte des droits fondamentaux et celle de l’agenda social européen.

Le Gouvernement a également défendu l’intérêt général contre les excès de la dérégulation. Il s’est tout particulièrement soucié du maintien de services publics forts. Ce qui a pu se passer aux Etats-Unis nous renforce dans notre conviction que nulle autre instance que l’Etat ne peut protéger les intérêts de tous à la fois. Il suffit de penser à la situation proprement absurde de la Silicon Valley, ce symbole de la haute technologie et de l'innovation américaine, privée de courant électrique. On peut également avoir à l’esprit la faillite monumentale d'Enron qui a provoqué pour de très nombreuses personnes une perte de leur emploi et la disparition des sommes qu’ils avaient placées, en vue de leur retraite, dans un fonds de pension : voilà ce que peut produire le marché sans les garde-fous de la régulation.

L’Etat régulateur ne se contente pas de corriger les dérives du marché, il est également à l’initiative de réformes qui placent notre pays en bonne position sur la scène internationale. Il accompagne la France dans sa modernisation. Il suffit de penser au rôle d’impulsion joué par les pouvoirs publics, en France, dans les domaines de la recherche, de la diffusion des technologies de l’information et de la communication. Nous ne devons pas refuser de nous interroger sur l’attractivité de notre territoire. Cela ne signifie pas qu’il faut se plier à la loi d’airain du marché, mais, au contraire, qu’il faut aller plus loin vers l’excellence des services publics et la qualité de l’éducation.

Mesdames, Messieurs,

Le rôle de l’action politique est de maîtriser la mondialisation dans le sens de la justice, du développement et de la démocratie. Construire un cadre stable de règles et d’institutions, assurer une meilleure répartition du formidable potentiel de richesses que peut libérer la mondialisation, garantir que la démocratie ne soit pas confisquée par le marché et que les droits de tous, du Nord au Sud, soient assurés : autant de préoccupations qui intéressent chacun de nous, autant de défis lancés non seulement aux dirigeants politiques mais aussi à tous ceux qui, comme vous, sont en responsabilité. Ces défis, je suis convaincu que nous souhaitons, chacun à notre place, les relever.


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]