Discours
de Lionel Jospin
lors de la Journée
parlementaire
du groupe socialiste,
le 29 septembre 1998

 

Cher(e)s camarades,

Je suis heureux de vous retrouver, tous réunis - députés, sénateurs, députés européens -, pour cette deuxième rentrée parlementaire. Je voudrais tout d'abord remercier Jean Germain, maire de Tours, qui nous accueille, ainsi que Jean-Marc Ayrault, Claude Estier et Pervenche Bérès, les présidents et la présidente de nos trois groupes parlementaires. Je salue le Président de l'Assemblée Nationale, Laurent Fabius, le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, François Hollande, et Michel Sapin, président de la région. J'ai également plaisir à saluer les nouveaux sénateurs qui viennent de rejoindre le groupe socialiste et Odette Casanova, la députée nouvellement réélue, dans le combat symbolique que nous savons. Et puisque je parle d'élections, comment ne pas évoquer devant vous le plaisir que nous procure l'éclatant succès de Gerhard Schröder et de nos amis du Parti social démocrate en Allemagne.

Avant de commencer véritablement mon propos, je souhaite partager avec vous une pensée amicale pour Jean-Pierre Chevènement. Je l'ai vu ce matin, il va de mieux en mieux. Il m'a demandé de vous saluer. Nous souhaitons le retrouver le plus vite possible à nos côtés.

Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale était sorti considérablement renforcé, rajeuni et féminisé des élections de juin 1997. Beaucoup d'entre vous étaient alors des " nouveaux ", qui allaient découvrir la vie parlementaire. Seize mois plus tard, le groupe a acquis, par son travail, une solide expérience. Il est vrai que le travail législatif n'a pas manqué -on nous en a même parfois fait l'amical reproche...

L'an passé, à Montpellier, nous nous mettions à l'œuvre. Aujourd'hui, à Tours, chacun mesure l'ampleur du travail accompli et aussi l'étendue des projets à venir. Ces Journées parlementaires nous permettent en effet d'examiner ensemble le déroulement de la prochaine session, même si je sais ce qu'a été, depuis trois semaines, le travail mené d'ores et déjà par le groupe à l'Assemblée nationale, avec les ministres, pour préparer les grandes échéances des prochains mois.

A La Rochelle, il y a un mois, j'avais souhaité partager avec les militants du Parti Socialiste un moment de réflexion politique et éclairer le sens de l'action qui est menée. Aujourd'hui, à Tours, je veux centrer mon propos sur le programme d'action concret du Gouvernement et, par là même, évoquer le contenu de la session parlementaire qui va s'ouvrir dans quelques jours. Je ne le ferai pas en reprenant chacun des projets - ils sont très nombreux. Mais je souhaite, en m'appuyant sur les plus importants d'entre eux, souligner l'essentiel : le mouvement soutenu de réforme engagé par le Gouvernement depuis seize mois sera résolument poursuivi durant le dernier trimestre de cette année et en 1999.

* * *


Depuis seize mois, nous gouvernons, vous légiférez. Ensemble, nous réformons. La majorité qui soutient le Gouvernement a voté au cours de la dernière session parlementaire 46 lois qui ont largement engagé la mise en oeuvre du programme de réformes proposé à nos concitoyens. Votre travail, notre travail, est considérable. Le Gouvernement est animé d'une volonté de réforme claire, annoncée et assumée. Un cap a été fixé devant les Français, au cours de la campagne des élections législatives en 1997, puis dans ma déclaration de politique générale. Nous gardons ce cap.

Depuis seize mois, un mouvement de confiance s'est marqué, parce que les Français ont compris que les choses, sous notre impulsion, bougeaient.

La reprise de la croissance, la diminution du chômage, la création de 150.000 emplois pour les jeunes, la réduction du temps de travail, la loi contre l'exclusion, une fiscalité plus juste, des restructurations industrielles réussies - France Télécom, Thomson, Aérospatiale -, le mouvement de réformes lancé à l'Education nationale, la réforme du droit de la nationalité, la limitation du cumul des mandats engagée, l'avenir de la Nouvelle Calédonie préparé, le rétablissement de l'Etat de droit en Corse, la justice en marche vers plus d'indépendance et de responsabilité : voilà sans doute, ce que certains, à droite, appellent " l'immobilisme "...

Depuis seize mois, nous sommes restés fidèles à nos valeurs et avons tenu nos engagements. Primauté du politique, dialogue au sein de la majorité, respect des citoyens, fermeté des convictions, recherche de l'intérêt général, décision préparée par le débat, exigence de justice servie par la volonté de réformer : telle était, et telle reste, la philosophie de notre action. J'aborde cette session avec quelques principes. Traduire dans la vie quotidienne des Français les mesures déjà prises et votées. Conduire les réformes nécessaires pour moderniser notre pays et préparer l'avenir. Prendre le temps du dialogue pour réussir ces réformes.

Ce temps nécessaire est celui de la réflexion, celui de la concertation avec l'ensemble des partenaires, celui de la préparation sérieuse des décisions. Il est aussi le temps de la mise en oeuvre et de l'adaptation au rythme de la société.

Ce temps est celui de la législature. Seize mois, ce fut une première étape. Les neuf mois de la session ordinaire qui s'ouvre en seront une autre. Comme la précédente, cette session parlementaire sera dense. Elle nécessitera votre présence active, votre engagement, votre soutien constant.

Trois orientations essentielles détermineront nos projets :

(I) la lutte contre le chômage, priorité centrale de notre politique,
(II) le renforcement de la cohésion de la société française,
(III) la modernisation de notre démocratie.

I - LA LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE RESTERA LA PRIORITÉ CENTRALE DE NOTRE POLITIQUE.



Notre détermination a porté ses premiers fruits : le chômage a commencé à refluer, plus de 300.000 emplois auront été créés en 1998. C'est là un résultat significatif, même s'il est fragile et si beaucoup reste à faire. Nous poursuivrons notre effort dans trois directions :

- consolider la croissance ;
- réussir la réduction du temps de travail ;
- reconquérir l'emploi pour chacun.

1. Nous voulons consolider la croissance.

Grâce à :

- un budget de réforme ;
- une Europe mieux organisée et plus stable ;
- un soutien déterminé à la production et à l'innovation.

Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons fait le choix de la croissance. Ce choix, nous le confirmons aujourd'hui. Ceux qui nous reprochent de ne pas mettre à profit le retour de la croissance pour entreprendre - comme ils disent - " les réformes nécessaires ", sont les mêmes qui, sans se soucier de la contradiction, nous annoncent déjà la fin de cette croissance. Ce sont aussi les mêmes qui, il y a seize mois, affirmaient qu'avec notre politique, il n'y aurait pas de reprise économique. Les faits les ont démentis.

Nous avons favorisé la croissance, parce qu'elle est le premier facteur de réduction du chômage. Celle-ci ne va pas de soi. Nous l'avons confortée, grâce à une politique économique de soutien de la demande que la situation de notre pays rendait nécessaire. Avec 2,8 % d'augmentation cette année, le pouvoir d'achat des ménages connaîtra sa plus forte progression depuis 8 ans.

Certes, le contexte international change, l'horizon économique mondial s'est quelque peu assombri. La crise financière, partie de l'Asie du Sud-Est, s'est étendue à la Russie et à l'Amérique Latine. Mais, face à la menace qu'elle fait peser, nous disposons de deux atouts précieux.

L'autonomie de notre propre croissance, tout d'abord. Jusqu'à peu tirée par nos exportations, la croissance de notre pays est désormais assurée principalement par une demande interne dynamique et un marché intérieur solide. C'est là le résultat de la politique conduite depuis seize mois.

Pour assurer cette croissance, le projet de budget pour 1999 propose d'opérer un partage juste et efficace. Pour la première fois depuis longtemps, il comporte simultanément une baisse des prélèvements sur les ménages, une diminution des charges des entreprises pesant sur l'emploi et une réduction du déficit. Un tel partage est de nature à prolonger et à soutenir la croissance actuelle. La consommation intérieure s'en trouve encouragée, l'investissement des entreprises facilité, et l'Etat retrouve une marge de manœuvre : nous cherchons ainsi à réunir les ingrédients d'une croissance durable. Enfin, le financement des grands services publics de solidarité (éducation, justice, santé, emploi, ville) est marqué d'une forte impulsion.

S'agissant des recettes, le budget est aussi un budget de réforme. Taxe professionnelle, taxe d'habitation, TVA, fiscalité écologique : de grandes réformes fiscales sont engagées. Elles seront poursuivies, car notre fiscalité souffre autant de sa structure déséquilibrée que de son niveau excessif. Cette réforme sert la justice sociale : renforcement de l'impôt sur la fortune, moralisation de l'assurance-vie, mais aussi allégement d'impôts pesant sur la grande majorité des ménages (TVA, droits de mutation). Ainsi se trouve prolongé et amplifié le mouvement de redistribution et de rééquilibrage entre capital et travail opéré en 1998, notamment grâce à la CSG. Par cette réforme, notre fiscalité sera simplifiée et modernisée : plusieurs taxes vont être supprimées, quinze millions de formulaires vont disparaître, et la préservation de notre environnement sera désormais prise en compte.

Le second atout dont dispose la France s'appelle l'Europe. La croissance se nourrit aussi de stabilité. De cette stabilité, l'Europe est le meilleur garant, comme les semaines passées viennent d'en apporter la confirmation. La perspective de l'euro nous a mis à l'abri des conséquences monétaires de la secousse financière. La mise en oeuvre de l'euro, au 1er janvier 1999, -accompagnée d'une coordination appropriée des politiques économiques-, peut contribuer à préserver notre croissance. Ainsi, en 1999, la zone euro pourrait être un facteur décisif de la croissance mondiale. Cela suppose que les gouvernements, dont la grande majorité aujourd'hui, après les élections allemandes, partagent nos objectifs, agissent résolument dans ce sens.

Cette stabilité que les Européens ont réussi à construire, nous devons aussi contribuer à la bâtir à l'échelle mondiale. Parce que la mondialisation de l'économie appelle la régulation, le Gouvernement vient de faire à ses partenaires européens des propositions visant à renforcer le système monétaire international. C'est dans le même esprit que nous avons adopté avec le gouvernement chinois une déclaration commune sur ce sujet.

Pour que l'Europe constitue un pôle de stabilité, il nous faut aussi accompagner sa construction institutionnelle. C'est pourquoi nous soumettrons la révision constitutionnelle préalable à la ratification du Traité d'Amsterdam au vote du Parlement. Ce traité n'est pour nous qu'un instrument imparfait. Nous prendrons dans l'avenir de nouvelles initiatives. Mais, aujourd'hui, la ratification est une étape nécessaire.

Pour consolider la croissance, il nous faut enfin encourager la création d'activités nouvelles et l'innovation. L'entreprise n'est pas dissociable de son environnement juridique, technologique et social. L'une des responsabilités du gouvernement est donc d'offrir aux entreprises le cadre le plus propice à leur essor.

Aujourd'hui, les entreprises puisent de plus en plus souvent leur dynamisme dans l'exploitation de technologies nouvelles et des services qu'elles génèrent. Aussi, les principales mesures que j'ai annoncées aux Assises de l'Innovation trouveront leur traduction dans le budget 1999. Il est également essentiel d'intensifier les échanges entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise. Nous présenterons un projet de loi ambitieux sur " l'innovation et la recherche ".

De même, la préparation de la France à l'entrée dans la société de l'information est, vous le savez, une des priorités du gouvernement.

L'enjeu est important pour la croissance et pour l'emploi. Il s'agit de la place que nous occuperons dans l'économie mondiale, et des formes que prendra cette société de l'information à venir. Nous la voulons solidaire et démocratique, appuyée sur une maîtrise collective de ces nouveaux outils d'accès au savoir et à la culture.

Un mot pour rappeler la situation que j'ai trouvée en juin 1997 : elle était paradoxale. Dans un pays disposant, comme la France, de tant d'atouts dans l'industrie et dans les services des technologies de l'information, l'absence de discours politique, de stratégie publique et de mobilisation du gouvernement autour de cet enjeu était frappante.

Nous avons immédiatement lancé un programme d'action gouvernemental pour la société de l'information. Huit mois après, le rattrapage s'accélère, notamment à l'école.

Le deuxième Comité interministériel pour la société de l'information qui se tiendra à la fin de l'année donnera une impulsion nouvelle à l'action du gouvernement dans ce domaine.

2. Nous entendons réussir la réduction du temps de travail.

Par votre vote, l'un des engagements centraux de notre programme a été tenu :
la loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures a été adoptée en juillet dernier. Ses textes d'application ont tous été publiés sans délai.

Il nous faut désormais faire vivre cette loi. Les négociations engagées à tous les niveaux, - branches et entreprises -, jouent dans cette perspective un rôle essentiel.

Ces négociations, au-delà des inévitables péripéties, me paraissent bien s'engager. S'agissant des branches, près d'une vingtaine sont aujourd'hui concernées. Nombre d'entre elles ouvrent des perspectives intéressantes pour les chefs d'entreprise comme pour les salariés et, surtout, offrent un cadre pour la recherche des modes d'organisation du travail les plus favorables à l'emploi. Même les plus petites entreprises, qui ne seront pourtant concernées par la loi sur les 35 heures qu'en 2002, s'engagent, comme en témoigne l'accord signé avec le secteur du bâtiment, et qui concerne près de 500 000 salariés.

Quant aux accords d'entreprise, s'il est naturellement prématuré de vouloir en tirer un quelconque bilan après seulement deux mois, deux mois d'été qui plus est, il semble bien qu'une véritable dynamique s'engage et je m'en réjouis. Près de 260 accords sont aujourd'hui signés ; ils concernent plusieurs dizaines de milliers de salariés.

Cela montre qu'un processus est en marche qui bénéficiera à tous : aux salariés, par la baisse de la durée du travail ; aux entreprises, par une nouvelle organisation du travail ; à la société, par la création d'emplois. A nous tous, et particulièrement à vous, dans vos départements, de prolonger ce qui s'amorce. Notre effort ne doit pas se relâcher.

3. Il importe de développer les politiques spécifiques en faveur de l'emploi.

Au-delà du soutien à la croissance et de l'action résolue en faveur de la réduction du temps de travail, nous diversifions les moyens permettant d'ouvrir des emplois nouveaux.

C'est pourquoi le plan pour l'emploi des jeunes va continuer à monter en puissance. En un an, le taux de chômage des jeunes a reculé de 13 %. A la fin de 1999, le total des emplois ainsi créés dépassera les 250.000. Autant de jeunes sortis de la résignation ou, pire, de la désespérance et qui retrouvent la capacité de construire un projet professionnel, de rechercher un logement, de bâtir un avenir.

C'est ce même souci d'ouvrir des perspectives d'emplois à tous qui a inspiré la loi contre les exclusions. Nous allons mettre en place un accompagnement personnalisé des chômeurs. Il s'agit de donner à chacun le temps et les moyens de se construire une véritable identité professionnelle. C'est ce qui est entrepris désormais par le programme "  TRACE  " à l'intention des jeunes en difficulté, par le développement et le renforcement des " Contrats Emplois Consolidés ", ou encore avec l'expérimentation de contrats de qualification pour les adultes.

II - LA SOCIETE FRANÇAISE A BESOIN D'UNE MEILLEURE COHÉSION.

- Parce que la modernité, telle que nous l'entendons, doit concerner chacun, nous voulons approfondir la solidarité entre nos concitoyens.

- Dans le même temps, parce que la société change, nous devons veiller à ce que notre droit et nos institutions évoluent avec elle. Il nous faut trouver une harmonie entre le droit et les changements dans la société.

- Enfin, le renforcement de la cohésion sociale suppose de développer et de moderniser notre service public.

1. Approfondir la solidarité.

Nous le ferons :

- En adaptant et en développant la sécurité sociale ;
- en préservant notre système de retraites ;
- en rénovant notre agriculture ;
- en relançant la politique de la ville.

La sécurité sociale est au cœur du contrat social français. La préserver et l'adapter, mais aussi la développer : tel sera un des principaux enjeux de l'année 1999. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui va être soumis à votre débat dans les prochaines semaines traduit cette volonté.

Celle-ci passe d'abord par le retour à l'équilibre financier. 1996 : 53 milliards de francs de déficit ; 1997 : 33 milliards de francs ; 1998 : 13 milliards de francs ; 1999 : objectif zéro. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. L'an prochain, pour la première fois depuis 1989, le régime général devra être équilibré. Pour 1998, l'objectif de réduction des deux tiers du déficit que nous nous étions fixé sera tenu, en dépit des difficultés rencontrées dans le domaine des dépenses d'assurance-maladie. Il le sera, je le souligne, sans prélèvement supplémentaire ni diminution des prestations, c'est-à-dire sans que nous ayons frappé les assurés sociaux. Ce résultat est le fruit d'une volonté politique affirmée et tenace, et non la conséquence inattendue ou inespérée de la croissance économique ; c'est ainsi que, pour 1998, le redressement financier s'explique seulement pour un quart par les recettes supplémentaires liées à l'accélération de la croissance, et pour les trois quarts par les mesures structurelles que nous avons décidées l'an dernier.

Ce redressement financier est le gage de la pérennité de notre système de protection sociale. Il faut donc organiser une maîtrise des dépenses de santé qui soit efficace et comprise, efficace parce que comprise. La loi de financement de la sécurité sociale en sera l'instrument. Si nous voulons maîtriser l'évolution des dépenses de santé, c'est parce que nous considérons que leur progression continue n'est pas de nature à garantir la qualité des soins et qu'il y a aujourd'hui trop de gaspillages. Maîtriser les dépenses de santé, c'est aussi pouvoir mieux prendre en charge certains soins qui ne le sont pas assez aujourd'hui et sont ainsi à la source d'inégalités criantes ; c'est, enfin, se donner les moyens d'une véritable politique de prévention.

Pour autant, cette maîtrise n'est pas pour nous une fin mais un moyen. Cette maîtrise n'a de sens que dans la mesure où elle est mise au service d'un projet : il nous faut poser les fondations de ce qu'on l'on pourrait appeler une " démocratie de la santé ". Elle suppose le débat collectif de tous ceux qui sont parties prenantes du système de soins : usagers, professions de santé, caisses, État ; c'est l'objectif poursuivi par les Etats généraux de la santé, qui seront lancés dans les semaines à venir et qui occuperont les prochains mois. Elle suppose aussi la lutte contre les inégalités dans l'accès aux soins. L'exclusion prend trop souvent le visage de cette " inégalité sanitaire ". Près de 20 % des Français déclarent avoir été dans l'obligation de renoncer à des soins pour des raisons financières. Avant la fin de cette année, un projet de loi sur la couverture maladie universelle sera présenté en Conseil des Ministres.

Assurer la solidarité entre les générations, en préservant notre système de retraite par répartition
, est aussi un enjeu primordial pour notre société. Dès le printemps dernier, j'ai confié au Commissariat Général du Plan la mission d'examiner les moyens de consolider le régime de répartition, tout en réfléchissant à la mise en place de fonds partenariaux de retraite. Au vu de ses conclusions, nous exposerons, dans la clarté et dans la concertation, devant les Français, les solutions envisageables. Ce gouvernement a la volonté de mener à bien la réforme du système de retraites. La création d'un fonds de réserve est là pour en témoigner.

Le souci d'une plus grande solidarité inspire également notre politique agricole.
Dès la semaine prochaine, l'Assemblée Nationale examinera le projet de loi d'orientation agricole. Il s'agit là d'un texte cohérent, dense, et qui ouvre des perspectives nouvelles aux agriculteurs, notamment en reconnaissant leur rôle social dans le développement rural et la protection de l'environnement. Il n'est pas question de tirer un trait sur leur activité de producteurs. L'agriculture française doit continuer à produire et à exporter ; mais les autres missions remplies par les agriculteurs doivent être mieux reconnues.

Au-delà, cette loi constitue le premier pas vers une répartition plus équitable des aides, puisqu'elle introduit le principe d'une modulation, qui jouera au bénéfice de projets cohérents de développement, ce que nous avons appelé les " contrats territoriaux d'exploitation ".

Cette réforme, profonde, prendra du temps. Elle devra s'articuler avec la réforme de la Politique Agricole Commune, qui appelle, de notre part, une grande vigilance. Certaines des propositions actuelles de Bruxelles ne sont en effet pas acceptables en l'état.

Parmi les priorités du gouvernement dans les prochains mois figure enfin la politique de la ville.

L'accès à l'emploi, la sécurité pour tous, l'égalité des chances à l'école, la rénovation des quartiers : tels sont les objectifs du Gouvernement pour la politique de la ville, dégagés lors du conseil interministériel des villes du 30 juin dernier. Ce sera l'enjeu des prochains contrats de ville qui couvriront la période 2000-2006. Il faut nous mobiliser pour bien préparer cette échéance.

La vie de la Cité repose aussi sur le mouvement associatif, acteur primordial de la solidarité entre nos concitoyens, de la pratique sportive, des manifestations culturelles, de tout ce qui contribue à créer du lien social. Mais le cadre juridique qui accueille ce foisonnement n'est plus adapté. Nous venons d'améliorer considérablement le régime fiscal des associations. Nous devons aller plus loin encore pour faciliter la vie associative. Ce sera l'objectif des Assises nationales de la vie associative qui seront organisées dès les premiers mois de 1999.

2. Trouver une harmonie entre le droit et les changements dans la société.


Je prendrai l'exemple du Pacte civil de solidarité, le PACS, qui va s'inscrire dans notre droit.

Les mœurs changent souvent plus vite que le droit. Il est nécessaire de mettre en phase la loi et la vie. Le groupe socialiste en a manifesté la volonté, en proposant au Parlement l'adoption du pacte civil de solidarité.

Le PACS n'est pas un mariage. Il ne change pas la situation juridique des personnes pour ce qui concerne la procréation médicalement assistée ou l'adoption. Tel qu'il est défini dans notre Code civil, le mariage demeure une institution essentielle à l'équilibre de notre société.

Le PACS est un progrès social. Il peut bénéficier à nombre de nos concitoyens, en leur apportant la stabilité juridique nécessaire à un engagement de long terme entre deux personnes -quels que soient leurs sexes- qui veulent partager une vie commune. Cette avancée n'est pas seulement une mise en conformité du droit avec les moeurs. Elle se rattache à des valeurs que nous défendons : solidarité, neutralité de l'Etat, respect de la liberté personnelle.

Le PACS est tout d'abord affaire de solidarité : pourquoi deux personnes qui ont partagé leurs vies ne pourraient-elles hériter l'une de l'autre ? Pourquoi, au décès de l'une, l'autre n'aurait-elle pas droit à la poursuite d'un bail ? En tant qu'élus, vous savez l'étendue de ces inégalités concrètes qui perturbent la vie de nombreux citoyens. Le PACS y mettra un terme, en permettant une solidarité durable entre les personnes qu'il réunira.

Le PACS est également l'expression de la neutralité de l'Etat face à l'individu dans ses choix personnels.

Il assure la liberté personnelle -liberté, pour deux personnes, de bâtir un projet commun.

C'est pourquoi la proposition du groupe socialiste reçoit l'approbation et le soutien du Gouvernement.

3. Conforter le service public, garant de l'égalité entre les citoyens.

Le service public est le meilleur garant de l'unité de la société française et de l'égalité entre nos concitoyens. Il représente, pour nous, une valeur à laquelle nous sommes attachés et que nous voulons promouvoir.

Nous veillerons à ce que ses principes prévalent tout particulièrement dans trois domaines :

- l'Ecole ;
- l'aménagement du territoire ;
- le secteur audiovisuel public.

Parce que l'Ecole est au coeur de la République, elle est au centre de la politique du gouvernement. Pour assurer à l'école les moyens de sa mission de promotion individuelle et de lutte contre les inégalités sociales, nous continuerons à donner plus à ceux qui en ont le plus besoin : c'est là une exigence de justice. Cette politique requiert une démarche volontariste et persévérante. Des engagements importants ont été pris en ce sens au printemps dernier au bénéfice de l'ensemble des zones d'éducation prioritaire, de la Seine Saint Denis et des Départements d'Outre Mer. Ces engagements sont tenus. Leur réalisation est facilitée grâce à la priorité budgétaire accordée à l'éducation ; mais elle impliquera aussi la mise en oeuvre de formes de solidarité fondées notamment sur les réalités démographiques. Quant au plan social étudiant, que j'avais annoncé, il sera concrétisé dès cette rentrée.

Concentrer les moyens publics là où les besoins sont les plus importants : la même logique inspirera la loi d'orientation sur l'aménagement durable du territoire. Beaucoup de nos concitoyens sont préoccupés par l'avenir des services publics de proximité et en particulier les écoles, les hôpitaux, les bureaux de poste.

Le Gouvernement souhaite répondre à cette préoccupation et montrer qu'il est possible de concilier l'efficacité, la bonne gestion des deniers publics et le maintien de services publics au plus près des citoyens.

La garantie de la qualité du service public sur tout le territoire est aussi au centre des préoccupations inspirant le projet de loi sur le renforcement de la coopération intercommunale, qui est destiné à favoriser, tant en milieu urbain que rural, le développement local.

Ainsi sera maintenu l'équilibre entre la nécessaire adaptation des services territoriaux aux mutations géographiques et sociales et la promotion de la qualité du service public.

Ceci me conduit à évoquer un sujet sensible, celui de la répartition géographique des services de police et de gendarmerie. La sécurité est un droit. L'insécurité est une injustice. Nous voulons faire respecter ce droit et faire reculer cette injustice partout sur le territoire de la République. Cela implique que l'on prenne en compte dans l'attribution des moyens les évolutions démographiques et la réalité de la délinquance. Pour y parvenir, des orientations générales ont été prises en conseil de sécurité intérieure, le 27 avril dernier. La concertation locale entreprise par les préfets ces dernières semaines a fait ressortir des difficultés réelles de mise en oeuvre. C'est pour les prendre en compte qu'en modifiant le calendrier initialement prévu, le ministre de l'Intérieur par intérim et le ministre de la défense ont chargé M. Guy Fougier de conduire, d'ici la fin de l'année, au niveau national et avec les élus, une consultation approfondie. L'orientation de la réforme doit être maintenue -si l'on veut se donner les moyens de faire reculer l'insécurité là où elle est la plus forte-, mais tout sera conduit dans la concertation.

Nous allons engager une réforme profonde de l'audiovisuel public.

Référence dans un monde télévisuel en mutation, garant du pluralisme, lieu de démocratie et d'accès au savoir et à la culture : tel assurément doit être le service public.

La présence d'un secteur marchand, vivant soit de la publicité, soit des abonnements, est légitime et renforce la diversité de l'offre proposée au téléspectateur. Mais des entreprises publiques de l'audiovisuel fortes et assurées de leurs missions comme de leurs moyens, n'obéissant pas à une logique de profit, sont indispensables. Elles doivent servir de modèles en matière de qualité des programmes, d'éthique de l'information et de démocratisation de la culture. La télévision doit être un instrument de cohésion sociale : fédérer les publics autour d'émissions de qualité, organiser le débat exprimant la diversité de la société, distraire en maintenant un réel niveau d'exigence.

Enfin, la défense de l'exception culturelle, à laquelle nous sommes profondément attachés, suppose que soit mise en place une véritable industrie de programmes, encore bien trop faible dans notre pays. Le service public doit être en France, comme il l'est dans d'autres pays européens, le fer de lance de cette industrie.

Les choix de structure et de financement, que j'ai définis au sein du Gouvernement avec la ministre de la Culture et de la Communication, découlent de ces principes. Ils donneront lieu dans les semaines qui viennent à l'adoption d'un projet de loi en Conseil des ministres.

L'exigence d'un service public fort et influent au sein du marché français de la télévision nous a conduit à privilégier l'hypothèse d'une holding regroupant France 2, France 3 et La Cinquième qui fusionnera, comme cela était prévu, avec la Sept-Arte. La constitution de cette holding permettra de mettre en commun les moyens nécessaires au développement du service public. Sa continuité sera garantie par l'allongement à 5 ans de la durée du mandat de ses dirigeants. Ainsi sera assurée la constitution d'un véritable groupe de communication audiovisuel hissé au niveau de ses principaux concurrents. Chaque chaîne conservera bien entendu sa spécificité et son indépendance éditoriale. Au pôle Arte-La Cinquième revient essentiellement une tâche éducative et culturelle à dimension européenne ; à France 3, une vocation de proximité, notamment régionale et locale ; à France 2, une vocation généraliste à l'intention du grand public qui, avec le souci d'une large audience, accepte le risque et l'innovation.

Le financement de cette holding sera essentiellement public. Je souhaite que la durée consacrée à la publicité soit très fortement réduite sur France 2 et sur France 3. Ce souhait ne part nullement d'une mise en cause du rôle de la publicité, mais du constat que sa part actuelle a conduit les antennes à des compromis où l'innovation, le risque, l'originalité des programmes, ne trouvent pas suffisamment leur place. Il faut rendre aux chaînes publiques des espaces de liberté, en maintenant le niveau de leurs ressources. Les recettes publicitaires ainsi dégagées bénéficieront tant à la production qu'aux entreprises de presse et de radiodiffusion.

Ce sera la première étape d'une réforme d'ensemble qui comprendra une seconde loi, ultérieure, et qui modernisera le secteur audiovisuel. Il s'agit là d'un projet politique important pour la gauche et d'un véritable enjeu pour notre pays.

Le respect et la promotion du pluralisme supposent également que soit reconnue la contribution des cultures et langues régionales à notre patrimoine national. Tels sont l'objet et la portée des propositions du rapport que m'a remis Bernard Poignant. Parmi ces propositions, que j'entends mettre en oeuvre progressivement, une s'impose par sa dimension symbolique : le Gouvernement fera en sorte que la Charte du Conseil de l'Europe sur les langues régionales et les cultures minoritaires puisse être signée et ratifiée. Le temps est révolu où l'unité nationale et la pluralité des cultures régionales paraissaient antagonistes.

III - LA MODERNISATION DE NOTRE DÉMOCRATIE SERA POURSUIVIE.

Pour cela, nous allons :

- continuer la rénovation de notre vie politique ;
- achever la réforme de la Justice.

1. Continuer la rénovation de notre vie politique.

Nous le ferons :

- en limitant le cumul des mandats électifs ;
- en réformant les modes de scrutin pour les élections régionales et sénatoriales ;
- en inscrivant dans la Constitution le principe de parité entre les femmes et les hommes.

Une démocratie moderne est une démocratie où les élus se consacrent pleinement aux mandats que le suffrage universel leur a conférés et qu'ils ont sollicités du peuple. Une des forces de ce gouvernement -par l'efficacité dans le travail qui en résulte, comme par le crédit que les Français y attachent-, est que ses membres se consacrent à leurs fonctions de ministre. La limitation du cumul des mandats électifs demeure indispensable. Vous aurez à poursuivre les débats engagés en première lecture à l'Assemblée nationale. L'interdiction du cumul d'un mandat de parlementaire et d'une fonction de maire, de président de conseil général ou régional nécessite un vote conforme de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Il n'est pas acquis. En ce qui concerne cette réforme, la volonté du Gouvernement est totale. Chacun prendra ses responsabilités. Nous verrons, le moment venu, comment nous poursuivons une réforme essentielle et à laquelle nos concitoyens sont très profondément attachés.

Pour ce qui concerne le mode de scrutin régional, qui permettra aux citoyens de choisir clairement l'orientation politique de l'exécutif et d'assurer une majorité, la première lecture a montré quelques divergences chez nos partenaires. Nous devons y être tous attentifs. Pour moi, l'union des forces de gauche a toujours été un choix libre, auquel aucun mode de scrutin ne saurait porter atteinte. Je suis convaincu que nous pourrons trouver un accord qui serve l'intérêt général et respecte chacun.

Quant au mode de scrutin sénatorial, personne ne conteste sérieusement sa profonde injustice. Il n'assure pas une juste représentation géographique et politique du pays, ni même des collectivités locales. C'est pourquoi un projet de loi sera déposé avant le mois de juin 1999. Ses dispositions auront vocation à être appliquées lors du prochain renouvellement sénatorial.

Une juste représentation doit être recherchée entre les femmes et les hommes. La volonté d'un parti politique comme le nôtre peut certes être un puissant facteur d'évolution dans ce domaine, comme l'a montré l'élection pour la première fois de nombreuses femmes socialistes à l'Assemblée en juin 1997. Mais chacun a pu constater que cette volonté n'était pas partagée par tous. C'est donc à la loi qu'il reviendra de faciliter la mutation nécessaire. Le Gouvernement fera en sorte que l'Assemblée Nationale examine, avant la fin de l'année, le projet de révision constitutionnelle destinée à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives.

La persistance d'inégalités entre hommes et femmes dans d'autres champs de la société justifie un renforcement de nos capacités de vigilance et de proposition.
Les missions de l'Observatoire de la parité seront renforcées en ce sens, ainsi que les moyens de la délégation aux droits des femmes. Le président de l'Assemblée nationale vient pour sa part de proposer la création d'une délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances. Il s'agit d'une initiative à laquelle le Gouvernement apporte son entier soutien.

2. Mener à bien la réforme de la Justice.

La réforme, les réformes, de la Justice sont une des priorités de l'action de ce Gouvernement. L'effort doit se poursuivre selon le même rythme résolu et raisonné. Il répond, conformément aux voeux de nos concitoyens, à trois objectifs primordiaux : une justice plus simple, moins coûteuse, en un mot plus accessible ; le respect scrupuleux des droits de la personne ; l'indépendance des magistrats, par rapport au pouvoir politique dans le traitement des affaires individuelles comme à l'égard de toute autre pression.

Dès ma déclaration de politique générale, j'avais pris l'engagement qu'aucune instruction ne serait plus donnée aux Parquets dans des affaires individuelles. Cet engagement a été strictement tenu.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, engagée par une révision constitutionnelle, vise notamment à donner de nouvelles garanties de nomination à tous les procureurs, y compris les procureurs généraux. Son examen devra être achevé afin qu'un prochain Congrès puisse se prononcer sur un texte conforme aux exigences d'indépendance et de responsabilité qui inspirent cette réforme.

Une législation nouvelle assurera le renforcement de la présomption d'innocence et des droits des victimes. Ainsi sont prévus, par le projet de loi adopté il y a deux semaines en Conseil des ministres, l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue, l'encadrement plus strict de la détention provisoire marqué par une limitation de sa durée, la désignation d'un juge distinct du magistrat instructeur pour décider de la détention provisoire et l'amélioration des conditions d'indemnisation des détentions injustifiées.

De même, ce projet de loi facilite les conditions dans lesquelles la partie civile peut faire valoir ses droits et prévoit de punir la publication de toute image d'une victime portant atteinte à sa dignité.

Cher(e)s ami(e)s,
Cher(e)s camarades,

Je viens d'évoquer devant vous les principaux projets qui marqueront la session. Nous devons établir un calendrier qui permette au Parlement de légiférer sérieusement et à un rythme qui traduise la volonté de réforme du Gouvernement. De nombreux projets de loi ne pourront être examinés aussi rapidement qu'il aurait été souhaitable. Il nous faut, ensemble, hiérarchiser dans le temps les réformes.

En seize mois, nous avons su exercer nos responsabilités respectives, travailler de façon solidaire et fructueuse, en établissant une véritable collaboration entre la majorité parlementaire et le Gouvernement.

Les auditions fréquentes des ministres devant vos groupes et les interventions régulières que j'y ai faites moi-même ; mes rencontres hebdomadaires avec les présidents de vos groupes parlementaires et le Premier Secrétaire du Parti Socialiste ; le travail quotidien mené avec vous par le ministre chargé des relations avec le Parlement : tout cela concourt à votre étroite association aux décisions prises.

De cette association témoigne d'ailleurs l'importance des missions confiées par le Gouvernement à des parlementaires. Je veux souligner ici la qualité des travaux réalisés et la portée des rapports remis. Ceux-ci éclairent les choix du gouvernement. C'est là pour moi un gage d'efficacité politique.

Vous au Parlement, nous au Gouvernement : nous avons tous à l'esprit les engagements pris devant le peuple en juin 1997. Nous sommes aussi conscients des attentes nouvelles qui se sont exprimées depuis, dans un climat de confiance progressivement retrouvée.

Ensemble, poursuivons notre travail au service du pays.