Discours
de Lionel Jospin en clôture
des Etats généraux
de la santé,
le 30 juin 1999

 


 

Madame et Monsieur les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d'être avec vous cet après-midi pour clore ces Etats généraux de la santé, dont je tiens à remercier les organisateurs et, surtout, les participants qui en ont fait tout le succès. Je veux aussi rendre hommage, en particulier, au travail accompli par le secrétaire d'Etat à la Santé et à l'Action sociale, M. Bernard Kouchner.

Je me réjouis de ce que ces " Etats généraux " aient pleinement mérité leur nom. Loin des manifestations convenues aux conclusions préétablies auxquelles nous étions parfois habitués, ils ont donné la parole aux Français. Et ceux-ci l'ont prise. Nos concitoyens se sont saisis de l'occasion offerte. Ils se sont exprimés librement -et avec du temps pour le faire.

Ces Etats généraux ont en effet débuté en octobre 1998. Ils se sont déroulés sans tapage, avec sérieux. C'était là notre volonté. Leur succès a révélé, à travers les quelque 1000 réunions qui ont été organisées, un grand appétit de réflexion, de débat et de participation chez nos concitoyens sur ces questions, essentielles pour eux, de la santé.

Vos travaux ont ainsi reflété le profond décalage entre les préoccupations des Français, telles qu'ils les ont exprimées, et celles des experts habituellement consultés. Il y a là une précieuse source d'information pour le Gouvernement, qui entend bien prendre en considération les messages formulés par nos concitoyens. Je voudrais revenir sur trois d'entre eux, les plus importants, qui sont pour nous autant d'exigences :
    - une réelle égalité dans l'accès aux soins ;
    - une médecine plus humaine ;
    - une politique de santé complète et globale.


Notre premier objectif est que chaque Français puisse avoir accès à des soins de qualité.

Garantir, grâce à la solidarité nationale, l'accès de tous aux meilleurs soins : c'est là une des aspirations majeures de la médecine française. C'est aussi une de ses singularités : rares sont les systèmes, dans le monde, qui permettent aux personnes les plus démunies de bénéficier, si leur état de santé l'exige, des soins hospitaliers les plus sophistiqués. Mais cette garantie connaît des limites. Certains de nos concitoyens sont aujourd'hui amenés à renoncer à des soins pour des raisons financières, administratives ou culturelles.

La loi de lutte contre les exclusions, dans son volet santé, a précisément pour ambition de résoudre les difficultés concrètes d'accès aux soins que rencontrent les personnes les plus en difficulté. C'est ainsi que, dans chaque région, des programmes sont élaborés pour répondre aux besoins des personnes en situation de précarité, en liaison avec les associations d'insertion. En outre, le dispositif adopté par le Parlement renforce la mission sociale de l'hôpital, pour que, dans les faits, les personnes en difficulté accèdent aux filières de prévention et de soins de droit commun.

Dans le même esprit, la couverture maladie universelle assurera, dès le 1er janvier 2000, la gratuité des soins pour les personnes les plus démunies. Je suis fier d'avoir porté, avec la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Mme Martine AUBRY, et le Gouvernement, une avancée sociale de cette ampleur. Mais je sais qu'il nous faut veiller à la mise en oeuvre parfaite de la loi. L'accès de tous aux soins repose sur l'engagement des professionnels de santé, des associations, des mouvements mutualistes et des autres organismes de couverture complémentaire. Je voudrais saluer l'engagement de tous ceux qui travaillent, jour après jour, à donner vie au principe d'égalité devant les soins.

La poursuite de cette égalité passe par la préservation -et l'amélioration- de notre système de santé.

La préservation de notre système de santé, tout d'abord. L'éclatement ou la mise en concurrence de notre système signifieraient la naissance d'une médecine à plusieurs vitesses et la mort de l'égalité devant les soins. Ce serait inacceptable.

La nécessaire amélioration de notre dispositif de soins, ensuite, suppose de maîtriser les dépenses d'assurance maladie. C'est impératif.

Les nombreux gaspillages de notre système de santé sont une source d'injustice. Chaque franc gaspillé est, en effet, un franc disponible en moins pour les soins des plus démunis d'entre nous. Une bonne gestion est la meilleure garantie de l'égalité de tous devant les soins.

L'opposition parfois établie entre maîtrise des dépenses et qualité des soins est une contrevérité. Au contraire, la justice sociale et l'éthique médicale se rejoignent pour exiger un recours raisonné aux soins et un emploi rigoureux des finances sociales. Car en matière de santé, le " toujours plus " n'est pas seulement ruineux, il est souvent l'ennemi du bien.

C'est ce que souligne le professeur Bernard GLORION, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, lorsqu'il affirme que les praticiens ont " soigné sans compter, en considérant que le toujours plus était le meilleur moyen d'atteindre le mieux ". Il en appelle ainsi à une configuration nouvelle de l'exercice médical, plus soucieuse de l'équilibre économique, et servant mieux l'intérêt général. J'espère que le corps médical et soignant saura, de façon solidaire, répondre à cet appel.

La liberté du médecin -celle de soigner, de prescrire- est précieuse ; mais, comme toute liberté, elle ne saurait être illimitée. Il faut concilier le respect de l'individualisme qui marque la pratique médicale -et que symbolise l'image du " colloque singulier "- et l'affirmation du caractère collectif du bien qu'est la santé -et notamment de la dimension économique qui est la sienne.

Mesdames et Messieurs,

J'en viens à présent à ce qui me semble être le coeur des préoccupations des Français : préserver la place de l'homme au centre de la médecine, promouvoir une médecine plus humaine.

La médecine est l'activité humaniste par excellence -elle est un art, maîtrisé par des hommes et mis au service d'autres hommes. Elle doit le rester. Cette conviction -sans doute la mieux partagée au cours de vos nombreux débats- guide l'action du Gouvernement.

Parlons d'abord de ceux pour qui la médecine est faite -les malades, les hommes et les femmes qui souffrent.

Leur parole doit être entendue, leur avis pris en considération. C'est pourquoi j'ai souhaité, avec Mme Martine AUBRY et M. Bernard KOUCHNER, que soit mis en place un groupe de travail sur la question de la place des usagers dans les établissements sanitaires et médico-sociaux -qui a été bien mal réglée par l'ordonnance de 1996- et sur le développement des structures de conciliation et de médiation, sujet où -là encore- les dernières dispositions législatives sont insuffisantes. Sur toutes ces questions, le groupe de travail fera des propositions qui prolongeront votre réflexion.

Dans le même esprit, des dispositions législatives consacreront les droits de la personne malade. Je voudrais ici évoquer quatre de ces droits -les plus importants à mes yeux- :
    - le droit à l'information. Si les malades et leurs familles apprécient les qualités professionnelles des médecins, ils souffrent trop souvent d'être tenus pour incapables d'affronter la vérité. Toute personne doit pouvoir connaître son état de santé. Toute personne doit être informée, de façon appropriée et intelligible, sur les traitements et les examens qui lui sont proposés comme sur leurs conséquences éventuelles ;

    - le droit au consentement. La personne malade doit pouvoir participer aux choix d'ordre médical qui la concernent, et le faire de façon éclairée. Elle doit également bénéficier d'un droit à la médiation, lorsqu'elle ne trouve pas, auprès des équipes soignantes, les réponses à ses interrogations et, dans certains cas, à sa détresse ;

    - le droit à la dignité. C'est-à-dire le droit de chaque personne malade à son intégrité, jusqu'à son dernier souffle, le droit de bénéficier des moyens de lutte contre la douleur, le droit d'être accompagné durant les moments les plus douloureux et, notamment dans les derniers instants de la vie, le droit à la compassion ;

    - l'accès direct au dossier médical. Aujourd'hui, cet accès nécessite l'intermédiation du médecin. Permettre un accès direct des personnes malades à leur dossier médical -ne serait-ce que dans la perspective d'obtenir une éventuelle réparation- serait une mesure forte et symbolique. Nous devons travailler ensemble aux conditions de sa mise en oeuvre. Mais ce droit à savoir devra s'accompagner de mesures destinées à préserver le droit au secret médical et le respect de la vie privée.


Parlons maintenant de celles et ceux qui font la médecine -les médecins praticiens.

Et d'abord de leur formation. Une réforme des études médicales est nécessaire. Il faut rééquilibrer l'enseignement de la médecine, ouvrir les études médicales et y donner toute sa place à la médecine générale.

Rééquilibrage, en premier lieu. Notre enseignement en Faculté de médecine souffre de ce que le grand philosophe Georges CANGUILHEM appelait " l'idéologie médicale " : celle du primat de la biologie, de la suprématie de la spécialité sur la médecine générale, de la supériorité prêtée à la technique sur la clinique. Le 2e cycle sera donc modifié pour accorder une place plus grande à une approche globale de l'homme souffrant ; l'enseignement de la santé publique, de l'épidémiologie, de l'éthique, de l'économie de la santé, sera développé.

Les études médicales doivent être plus ouvertes sur la société. Le nouveau 2e cycle sera consacré par un diplôme national, délivré par les universités, qui permettra aux étudiants qui le souhaitent d'avoir accès à d'autres disciplines, telles que le droit, le journalisme et l'industrie, ou de poursuivre leurs études dans d'autres pays européens.

Munis de ce diplôme, la plupart des étudiants entreront dans le 3e cycle après avoir passé un concours de l'internat, national, anonyme et classant. La médecine générale sera reconnue comme une spécialité au même titre que les autres -et sa durée de formation sera portée à 3 ans. Tout en étant mieux formés, seront donc généralistes les médecins qui en auront fait le choix. C'est ainsi que la médecine générale sera reconnue à sa juste valeur et qu'elle pourra tenir toute sa place dans le monde médical.

Parlons enfin de la médecine elle-même et de son avenir.

Les bouleversements technologiques modifient dans le même temps nos rapports à la maladie et à la notion même de santé. Le grand chirurgien René LERICHE a défini la santé comme " la vie dans le silence des organes ". Grâce aux progrès accélérés de la technique, nous serons bientôt capables de sonder cette " vie ", d'appréhender la maladie avant même qu'elle n'ait suscité la plainte, avant même qu'elle n'ait troublé ce " silence ".

C'est pourquoi, à l'heure où se développent les nouvelles techniques de diagnostic prédictif, où quelques équipes sont impliquées dans les cultures de cellules souches humaines et évoquent leur clonage, l'éthique médicale est -et doit rester- une préoccupation centrale de notre société. Depuis 1994, la France s'est dotée d'une législation sur la bioéthique. Au mois de mars dernier, j'ai saisi le Conseil d'Etat d'une mission concernant à la fois l'évaluation du dispositif juridique en vigueur et sa nécessaire adaptation à l'évolution du savoir.

Cette vigilance, cette interrogation collective du savoir -celles de toute la société-, doivent nous permettre de contenir la dérive technicienne qui menace la médecine moderne. Quelles que soient l'importance et la portée des progrès scientifiques, techniques et médicaux présents et à venir, et qui bouleverseront sûrement la médecine comme la révolution thérapeutique -celle des antibiotiques, des corticoïdes, des premiers anticancéreux- l'a fait dans les années 1950, la médecine doit rester une activité clinique, une activité de diagnostic et de soin. Ecouter, regarder, entendre la préoccupation ou la plainte, prendre le temps de laisser la parole s'exprimer, prendre en considération, à sa juste valeur, la souffrance de l'autre, examiner -de la main, qui est le prolongement direct du cerveau- : la médecine doit rester un art fait de contact humain et de réflexion intellectuelle, un métier sollicitant le coeur autant que l'esprit. Entrée dans la modernité, la médecine doit continuer à servir l'homme. Médecine de soins, médecine préventive, médecine prédictive : ce sont là trois facettes d'un même art, trois instruments d'une seule ambition -celle d'améliorer la condition de l'Homme. C'est la force -et la beauté- de ce projet qui donne son unité à la médecine. Car la médecine est une. Nous devons préserver cette médecine. La préserver, mais aussi préparer son avenir.

L'avenir de la médecine, c'est la recherche. Il n'y a pas de médecine de qualité sans recherche performante, innovante, imaginative. En donnant la première priorité aux sciences du vivant, le Comité interministériel de la recherche scientifique et technologique offre une large place à la recherche médicale. Le Gouvernement a ainsi décidé de compléter les travaux des organismes de recherche par des programmes incitatifs, notamment dans les technologies médicales.

Un effort très important sera également consenti pour l'analyse du génome humain. J'ai la conviction, en effet, que la " révolution génomique " sera la source d'un large renouvellement des pratiques médicales et de l'industrie du médicament.

Mais il est aussi nécessaire que la recherche se nourrisse des connaissances acquises quotidiennement au contact des malades. Le Programme Hospitalier de Recherche Clinique, initié par Bernard KOUCHNER, permettra de donner l'élan à cet indispensable mouvement. La recherche clinique doit être mieux reconnue, et prise en compte dans l'évaluation des chercheurs et des cliniciens -quel que soit le centre hospitalier où ceux-ci exercent. Elle doit aussi être soutenue par l'INSERM. Il me semble enfin indispensable de resserrer les liens entre les organismes publics de recherche, les universités et les centres hospitaliers.

Mesdames et Messieurs,

Forte de cette conception de la médecine, notre politique de santé pourra être complète et globale.

Elle intégrera sécurité, prévention et éducation.

J'évoquerai tout d'abord les questions de sécurité sanitaire dont je sais, et ces Etats généraux l'ont confirmé, qu'elles constituent un grand sujet de préoccupation pour nos concitoyens. Et il est vrai que la dernière décennie a été marquée par plusieurs crises sanitaires.

De ces crises, je retiens cinq principes pour l'action des autorités sanitaires : pluridisciplinarité et qualité scientifique de l'expertise ; indépendance des experts vis-à-vis des administrations et des filières économiques ; répartition claire des rôles et des compétences entre experts et autorités sanitaires, c'est-à-dire séparation entre évaluation scientifique et gestion des risques ; transparence des décisions. Enfin, dans un contexte marqué par l'incertitude, la priorité des autorités est de protéger la santé de l'homme : tel est le sens du principe de précaution. Celui-ci ne saurait être considéré comme un frein au progrès, mais doit, au contraire, être envisagé comme une incitation forte à la recherche. Soulever ce principe doit toujours être l'occasion d'un débat public, fondé sur une information objective et accessible, qui éclaire la réflexion de tous et précède la décision politique.

Ce sont ces principes qui ont guidé le Gouvernement dans la conception et la mise en oeuvre du dispositif de sécurité sanitaire créé par la loi du 1er juillet 1998. Institut de veille sanitaire, Agence française de sécurité des aliments, Agence française de sécurité des produits de santé : pour compléter ce dispositif, et parce que les pollutions de l'air, des sols et de l'eau liées aux transports et aux activités industrielles ou agricoles constituent à terme des enjeux majeurs de santé publique, j'ai décidé de créer une Agence Santé-Environnement. Elle prendra en charge la surveillance et l'expertise des risques sanitaires liés à l'environnement.

La multiplication récente des alertes sanitaires touchant notre alimentation l'a confirmé : la diffusion des risques ne connaît pas de frontières. Parce que le marché unique facilite cette propagation, c'est au niveau de l'Europe qu'il faut agir. Qu'il s'agisse de la réglementation, de la surveillance épidémiologique, de la coordination des contrôles et de l'expertise, une politique sanitaire européenne forte est nécessaire. La France proposera à ses partenaires la création d'une Agence européenne de la Sécurité Sanitaire des Aliments.

La sécurité sanitaire est au coeur des prérogatives de l'Etat en matière de santé publique. Elle en représente même la partie régalienne. Mais, pour être complète et globale, la politique de santé publique doit inclure la prévention et l'éducation pour la santé, qui sont aussi des priorités de l'Etat.

La prévention, appliquée dès la naissance avec les vaccinations, doit être entretenue durant toute la scolarité. Mais elle concerne tous les âges et s'adresse aussi à chacun, aux parents -responsables de l'éducation à la santé de leurs enfants- comme aux professionnels, lorsqu'il s'agit de promouvoir la santé. C'est, par exemple, le succès incontesté des campagnes de sensibilisation sur les troubles dentaires, c'est aussi l'objectif des démarches d'éducation nutritionnelle afin de prévenir l'obésité et les troubles cardio-vasculaires. La contraception sera l'objet d'une campagne spécifique à la rentrée prochaine. Une réflexion sur la nécessaire évolution des structures de prévention et d'éducation pour la santé devra être engagée.

Ainsi, nous devons mieux prendre en compte les dépendances à des produits dont l'abus entraîne des conséquences dommageables pour la santé publique et la sécurité publique -je veux parler de l'alcoolisme et du tabagisme. Cette prévention doit viser en particulier nos jeunes concitoyens. Dans le cadre d'un plan triennal, le Gouvernement entend mener une politique ferme de lutte contre la toxicomanie et développer la prévention en matière d'alcoolisme et de tabagisme.

Mesdames et Messieurs,

Tout au long des Etats généraux, bien des réunions ont montré que la politique de santé devait concilier deux impératifs qui ne sont contradictoires qu'en apparence : d'un côté, le système de soins doit rester performant, dynamique et innovant ; de l'autre, il faut accorder une plus grande part à la prévention, au cadre de vie et surtout donner à la personne humaine toute sa place dans le système de santé.

Les projets du Gouvernement embrassent l'un et l'autre de ces impératifs. Notre programme est ambitieux. J'ai pleine confiance en Martine Aubry et Bernard Kouchner pour le mener à bien, avec l'ensemble du corps médical et des personnels de santé publique -en particulier les personnels paramédicaux, auxquels je veux rendre hommage.

Mais ce travail ne pourra être accompli sans la participation active des Français. Ces Etats généraux ont jeté les fondements de ce que l'on pourrait appeler une " démocratie sanitaire ". Je souhaite que cette " démocratie " s'épanouisse. Faciliter les échanges, responsabiliser les citoyens en les faisant participer à la réflexion sur l'évolution des techniques et l'avenir de l'homme : telle est l'ambition que nous devons poursuivre, au nom de ce que Jacques MONOD appelait : l'éthique de la connaissance.


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