Le spectacle vivant connaît en France un remarquable renouveau


Allocution du Premier ministre devant la Fédération Nationale des Élus Socialistes et Républicains.
Lionel Jospin
par Lionel Jospin,
premier ministre.


prononcé en Avignon, lors du Festival, le 17 juillet 2000

 
Mesdames les ministres,
Chère Frédérique Bredin,
Cher Bernard Poignant,
Cher Yannick Goin,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

J’ai plaisir à participer, pour la première fois en tant que Premier ministre, aux rencontres de la Fédération Nationale des Élus Socialistes et Républicains. Le plaisir est, tout d’abord, de me trouver ici, au Festival d’Avignon, au milieu de visages connus, de celles et ceux - comédiens, metteurs en scène, auteurs, techniciens, administrateurs - que la passion de la scène fait vivre et qui en retour, avec le public, font vivre le théâtre. Le plaisir est aussi, en prenant part à cette fête de l’art dramatique, de vivre des émotions que j’ai toujours partagées, comme lecteur et comme spectateur. Le plaisir est, enfin, de dialoguer avec vous. Je le ferai en évoquant ici —ce Festival nous offre sans doute le meilleur lieu et le meilleur moment de le faire— le spectacle vivant en France, son renouveau et le soutien que le Gouvernement —et en particulier Catherine Tasca, la ministre de la Culture et de la Communication— lui apporte dans le cadre de sa politique culturelle.

Le spectacle vivant connaît en France un remarquable renouveau.


Cet élan puise à des courants culturels féconds.
De façon croissante, les diverses disciplines du spectacle vivant —le théâtre, la danse, la musique, le cirque, les spectacles multimédia— se rencontrent, s’allient et s’inspirent mutuellement. Le développement des arts de la rue et de ceux de la piste, un certain retour du théâtre ambulant ou encore l’appropriation par les artistes de nouveaux lieux ont contribué à cet engouement. Celui-ci s’est appuyé sur l’attention grandissante portée —par-delà l’exploration de notre patrimoine— à l’écriture contemporaine et à la place plus marquante donnée à l’auteur, aux côtés du metteur en scène. Ce renouveau s’est nourri du réveil des pratiques amateurs —qui exigent beaucoup des collectivités locales—, de la multiplication des coproductions et des coopérations internationales, comme du succès rencontré —faut-il le rappeler ici, à Avignon— par les festivals. Certaines troupes qui ont tourné à travers la France —mais aussi à l’étranger— symbolisent cette vitalité nouvelle : les Zingaro —dont je goûterai tout à l’heure la dernière création— et la troupe du Royal De luxe —dont le spectacle m’avait ravi l’an dernier—, par exemple, marient les inspirations de diverses cultures en un spectacle populaire qui fait appel à une faculté —universelle— d’émerveillement.

Notre pays renoue ainsi avec la tradition pionnière d’un théâtre populaire.

Un théâtre vraiment populaire, c’est d’abord un théâtre qui s’ouvre à un public large, à la fois fidèle et renouvelé, un théâtre qui parvient à attirer même ceux qui s’imaginent d’abord qu’il n’est pas fait pour eux, ceux qui n’osent pas aller vers lui, ceux qui tout simplement ne connaissent pas la scène.

Un théâtre vraiment populaire, c’est aussi un théâtre " élitaire pour tous ", comme l’aurait dit Antoine Vitez, un théâtre qui offre au plus grand nombre le meilleur de la scène et des auteurs, un théâtre qui obtient de chacun des spectateurs l’implication la plus forte.

Un théâtre vraiment populaire, c’est également un lieu de convivialité, je dirais même de fraternité. C’est un spectacle qui rassemble des hommes et des femmes différents autour d’une même émotion esthétique.

A mes yeux, un théâtre vraiment populaire doit aussi être un espace où s’expriment la liberté et la contestation, l’enceinte où, s’il le faut, s’organise une résistance. Les débats qui ont traversé récemment la communauté artistique en Autriche, comme l’engagement de certains metteurs en scène au Kosovo, soulignent que le théâtre est parfois au cœur du combat pour la liberté, qu’il est souvent un des lieux où vit et vibre la Cité.

Ce théâtre là cherche, à travers la création artistique, à interroger le désordre du monde, à aider chacun à donner un sens à sa vie. Et notre pays paraît avoir conservé avec bonheur le secret d’une telle alchimie. C’est à ce théâtre que Edward Bond rend hommage en soulignant qu’étant Anglais, il choisit de faire créer ses pièces en France parce que, je le cite, " dans ce pays le théâtre peut encore poser des questions pour lesquelles il a été créé ".

En ce sens, ce renouveau du spectacle vivant est non seulement un témoignage de la vitalité artistique de notre pays, mais aussi une expression de la vigueur de sa vie démocratique.

Ce renouveau, la gauche s’est employée à l’accompagner.


Fidèle à sa volonté d’ouvrir à tous la culture et de favoriser l’émancipation de la personne humaine, la gauche a su engager en 1981 grâce à la volonté de François Mitterrand et à l’impulsion donnée par Jack Lang, une ambitieuse politique culturelle, en particulier en faveur du spectacle vivant. Une politique avec laquelle nous avons renoué depuis trois ans et que fait vivre aujourd’hui Catherine Tasca.

Encourager le théâtre, c’est encourager le risque, la liberté de la création. C’est le rôle de la puissance publique, avec les collectivités locales, de soutenir des spectacles difficiles, d’encourager des paris artistiques, de promouvoir de nouvelles formes d’expression, quand bien même celles-ci n’attirent encore qu’un petit nombre de spectateurs. A cet effet, la pluralité des financements —État, collectivités locales— constitue un gage essentiel de la liberté de programmation, contribue à enrichir la variété des spectacles pour mieux répondre aux attentes du public. De cette liberté de programmation, l’État demeure, sur tout le territoire, le garant.

Cette liberté, nous l’avons défendue par une politique volontariste d’aide aux compagnies. En donnant de vrais moyens à des projets ambitieux ou en garantissant, par exemple pour trois ans, la viabilité d’une entreprise culturelle, il s’agit en effet de concilier la nécessité de faire émerger de nouveaux talents et le besoin d’une certaine permanence indispensable à la liberté de création et au rayonnement des spectacles. Chaque année, sur l’avis d’experts indépendants, 600 compagnies théâtrales reçoivent ainsi un soutien financier. Le nombre de celles qui bénéficient d’une convention pluriannuelle a par ailleurs nettement progressé entre 1998 et 2000.

Un effort budgétaire sans précédent en faveur du spectacle vivant a été décidé par le Gouvernement que je dirige. En l’an 2000, cet effort atteindra 3,8 milliards de francs. Il rejoint celui, considérable, des collectivités locales. La poursuite de la déconcentration —en deux étapes, celle des scènes nationales en 1998, puis des centres dramatiques en 1999— a porté à 75 % la part des crédits d’intervention du ministère de la Culture en faveur du spectacle vivant gérés par les DRAC. Cette augmentation permet d’instaurer une meilleure collaboration entre l’État et les collectivités territoriales et contribue à un aménagement plus efficace du territoire.

Le cadre fiscal des activités du spectacle vivant est aujourd’hui plus lisible. La clarification des règles applicables à la fiscalité des associations s’est traduite, pour les gestionnaires, par une plus grande visibilité. Nous avons dans le même temps maintenu une fiscalité relativement allégée : un taux réduit de TVA et la possibilité désormais légale pour les collectivités locales de dispenser les entreprises de spectacles du paiement de la taxe professionnelle, possibilité qu’elles ont largement utilisée.

Surtout, nous avons voulu ouvrir le théâtre à un public plus large. En instaurant un tarif réduit le jeudi dans les cinq théâtres nationaux, le Gouvernement marquait sa volonté de démocratiser l’accès aux institutions culturelles. Là encore, les collectivités locales peuvent jouer un rôle majeur. Le chèque d’accompagnement spécialisé prévu par la loi de lutte contre les exclusions votée en 1998 contribuera à attirer des publics nouveaux vers le spectacle vivant.

Cette politique volontariste s’inscrit naturellement dans la durée.

C’est pourquoi nous continuerons d’aider le spectacle vivant à faire face aux difficultés qu’il rencontre.


La pérennité du régime de l’intermittence est une préoccupation essentielle du Gouvernement.
La mise en place par la loi, en 1998, d’un fichier unique pour la protection sociale des intermittents embauchés par des entrepreneurs occasionnels constitue d’ores et déjà un progrès. En matière d’assurance chômage, il me paraît indispensable que les partenaires de l’UNEDIC trouvent au niveau national et interprofessionnel les moyens de garantir la pérennité de ce régime spécifique. Le Gouvernement y veille. Par ailleurs, au niveau de la branche, la Fédération des Employeurs du Spectacle, de l’Audiovisuel et du Cinéma, et les fédérations CGT et CFDT ont su nouer un dialogue constructif, ce qui montre que des voies d’accord négocié sont possibles, et je m’en réjouis. Le spectacle vivant ne peut lui-même vivre sans l’intermittence. Pierre Santini nous l’a rappelé hier avec force dans la cour d’honneur du Palais. La réaction du public était clair. Soyez certains que le Gouvernement entend bien garantir son avenir.

Pour mieux aider encore le spectacle vivant, le Gouvernement entend approfondir ses échanges avec les élus locaux. Vous cherchez le plus souvent, et le Gouvernement s’en félicite, à améliorer la qualité du service rendu plutôt qu’à multiplier les équipements lourds, à mieux cerner la demande du public plutôt qu’à accroître systématiquement l’offre culturelle. L’adoption d’un schéma des services culturels et la conclusion entre l’Etat et les régions de contrats de plan particulièrement ambitieux dans leur volet culturel ont déjà permis, presque partout, une forte concertation entre les représentants de l’Etat et ceux des collectivités locales. Afin d’approfondir cette concertation, la ministre de la Culture et de la Communication a créé, il y a deux ans, le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Au sein de celui-ci, je sais que Catherine Tasca et Michel Duffour, chargé de la décentralisation culturelle, ont l’intention de mener un dialogue étroit avec les élus locaux.

Au-delà, il nous faut améliorer ensemble les outils des partenariats qui servent le spectacle vivant : entre collectivités locales, entre ces dernières et l’État, entre public et privé enfin. Le Conseil d’État examine d’ailleurs actuellement plusieurs décrets réorganisant le fonctionnement des régies personnalisées des collectivités locales. De même, le rôle accru des collectivités locales dans le domaine culturel suppose de créer de nouveaux instruments pour la gestion culturelle. Les réflexions en cours au Parlement, dans les collectivités, au sein de votre Fédération elle-même, sur la notion d’établissements publics locaux éclaireront utilement le travail du Gouvernement.

L’enseignement artistique doit être une priorité pour l’avenir. Celui-ci, en effet, permet de développer les vocations, de préparer de nouvelles générations d’artistes, mais aussi d’aider le plus grand nombre à entrer plus spontanément en contact avec les œuvres, les spectacles, les diverses formes d’art. Je me réjouis que ces préoccupations soient partagées par les trois ministres concernés, la ministre de la Culture et de la Communication, Catherine Tasca, le ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, et la ministre de la Jeunesse et des Sports, Marie-George Buffet. Nous avons déjà accompli d’importants progrès, grâce à l’intervention dans les écoles primaires des professeurs d’écoles spécialisées de musique, ou encore par la création d’ateliers artistiques dans les lycées. Il s’agit aujourd’hui de faire le bilan d’expérimentations souvent fructueuses, grâce à l’engagement local des professionnels, et de préparer leur généralisation.

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

De cette politique culturelle au service du spectacle vivant, vous tous, ici, élus socialistes et républicains, êtes des acteurs privilégiés. Au premier chef, bien sûr, ceux d’entre vous dont la culture est le champ d’action ; mais, au-delà, l’ensemble des élus locaux qui sont partie prenante dans le développement culturel. Au sein de vos villes, de vos départements, de vos régions, vous accomplissez un important travail pour ouvrir à nos concitoyens un plus large accès au spectacle vivant, à l’émotion artistique. Vos projets sont les nôtres. Nous partageons votre détermination. Nous voulons, avec vous, faire que des Français toujours plus nombreux découvrent et aiment le théâtre, la musique vivante, la danse, le cirque, toutes ces expressions du génie humain. Ce sont ces efforts sans cesse réinventés qui, selon le souhait de Jean Vilar, nous permettront d’abattre ensemble, l’une après l’autre, les multiples barrières dressées par la tradition, par les préjugés, par l’ignorance même, entre le spectacle - tous les spectacles - et le public..

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